Chapitre 2 : Rencontre
Je ne sais si ce fut par curiosité ou par déférence que je m'engageai, cette nuit-là, dans cette allée en pente, se finissant en cul-de-sac. Quelle mystérieuse force me poussa à descendre jusqu'en bas ? Ce qui me retint de partir, lorsque je m'arrêtais au-devant de l'une des fenêtres éclairées de la maison. Une lumière douce y filtrait par le carreau embrumé, réaction physique du verre dans une entre-deux singulière différence de température. Les façades de la masure, amont et aval, ne présentaient pas guère la même hauteur et avaient été orienté dans le sens de la pente ; construites pour résister aux conditions climatiques, caractérisant le milieu. Celle visible depuis la rue, faite de pierres aux couleurs froides et ternes comme le reste des autres habitations ; était percée d'une unique porte et de quelques ouvertures où se disputaient des jardinières taillées dans la coupe de pin mélèze, remplie de neige. Une demeure d'antan aux dimensions assez petites mais néanmoins viable. De là où je me tenais, l'image saisissante d'une petite tête brune ébouriffée aux traits paisibles, en parti masqués par une grosse couverture marbrée ; lui donnait l'apparence d'un ange endormi. Cette vision apaisante d'un diamant d'innocence, la simplicité d'un enfant perdu dans le monde onirique des rêves et des songes, me laissait contemplatif.
Et de nouveau, toujours aussi inexplicable, la même force qui m'avait envahi se manifesta. Avançant dans le silence et l'ombre qu'offraient les froides ténèbres de la nuit, je fus poussé, un pas après l'autre, vers la porte d'entrée. Le contact glacial de la poignée en fer forgé, me conforta dans mes intentions de pénétrer dans la maison. Sans un bruit, la porte en bois s'ouvrit sur un couloir plongé dans le noir. A l'origine, le rez-de-chaussée devait comporter un espace de vie commun, tandis qu'une mangeoire en bois le séparait de la bergerie remplie de fourrage. L'écurie incarnait la semi-enterrée et la pièce de vie réalisait l'étage. Autrefois, hommes et bêtes étaient rassemblés dans un même espace d'habitation. Cela permettait de se préserver du froid au cours des longs et rigoureux hivers et d'être proche des animaux pour le travail journalier. Aujourd'hui, les affres de la vie moderne avaient remplacé tout cela par une délimitation des pièces plus que correcte.
Dans cette obscurité latente, où d'ordinaire rien n'était visible, la faible lumière filtrant sous le pan de la porte à ma gauche, permettait de discerner quelque peu les environs. Mais ce qui m'intéressait le plus en cet instant de violation, était cette chambre d'où émanait la faible luminosité. Soigneusement, je l'ouvris.
C'était une chambre d'enfant charmante, le petit brunet avait sans doute dû la décorer lui-même. Lit, commode, armoire et bureau étaient collés aux murs ; ce qui laissait un large espace au centre de la pièce, où reposait un grand tapis rouge circulaire ponctué d'arabesques voluptueuses et de fleurs. La lumière dans la pièce, bien que faible, était prodiguée par une lampe de chevet, couverte d'un abat-jour en tissus d'un rouge passé qui la rendait plus douce et formait quelques jeux d'ombre plutôt agréables à l'œil. Cela étant, l'ambiance à l'intérieur de la pièce était plutôt glauque et sordide, bien qu'il y fasse agréablement chaud. Le bureau se trouvait entre la bibliothèque et le miroir, à l'opposé de tout cela. Éparpillées sur ce dernier, des feuilles griffonnées au tracé encore trop maladroit et au remplissage des formes laissant à désirer ; mais il était clair que le temps aurait raison de ces imperfections. On pouvait déceler en ces quelques griffonnages, une certaine... prédisposition à l'Art de la part du petit. Ses aptitudes dans ce domaine laissaient entrevoir un avenir prometteur ; on pourrait voir une progression journalière plus que satisfaisante. Même si son jeune âge ne lui permettait pas encore de s'en rendre compte, les faits étaient là, c'était indéniable. Il ne restait plus qu'à extérioriser ce talent en dormance. Enfin, au-dessus du bureau s'entassaient des bibelots en tout genre qui s'alignaient gentiment sur trois étagères en bois.
Mon corps avança instinctivement vers l'enfant aux traits paisibles, bercé dans les bras de Morphée, perdu dans le monde onirique des songes et des rêves amidonnés. Nulle trace d'angoisse ne venait perturber la quiétude de son visage, seule une plénitude innocente y régnait... Je ne sais pourquoi l'envie d'effleurer, même un instant la pureté de son ignorance, fit porter ma main au visage de l'enfant. Le contact tiède de la peau était agréable et assez étrange. Moi qui vivait reclus, isolé, seul dans mon grand manoir en décrépitude ; je n'en avais pas l'habitude mais cependant, cela fut incroyablement plaisant...
Mais ce curieux jeu prit fin au moment où je m'aperçus de l'imitant éveil du petit garçon. Sa respiration s'était accélérée et déjà, ses membres reprenaient vie. Son visage si paisible il y a quelques minutes, se voyait parcourir de frémissements légers. Ses paupières étaient animées de soubresauts, peinant à s'ouvrir à cette heure avancée de la nuit. Reculant de quelques pas, prêt à m'enfuir, je regardais le petit s'étirer dans un long gémissement de complaisance.
Lorsque doucement je pu découvrir son iris, l'enfant d'à peine huit ans, se trouva bien mal à l'aise en découvrant au réveil l'étrange être que j'étais. Moi, sombre inconnu des ombres. Mon long manteau masquait certes correctement mon corps et mon écharpe - si on peut encore appeler un bout de chiffon élimé une écharpe - me masquait le bas du visage. Son étonnement était largement compréhensible : se retrouver en pleine nuit avec une chose comme moi près de son lit pouvait avoir l'apparence d'un rêve inachevé. C'est certainement ce qu'il se passa pour le petit qui, le sourire aux lèvres, m'adressa dans un bâillement des plus appropriés : « Bonjour »...
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