Chapitre 3 - Restoration
Il prend ma main et nous transporte, sans doute chez lui. Je regarde autour de moi. La seule lumière présente vient de la télé allumée et de la cuisine. Des habits traînent à chaque coin de la maison, et si on regarde bien, des champignons ont clamé leur règne sur la vaisselle salle. De la poussière a teint le dessus du sol et de la rampe des escaliers en gris.
"bienvenue chez moi."
Il fourre ses mains au fond des poches de son jogging, et se fait basculer sur le dos du canapé, atterrissant la tête la première sur les coussins du sofa.
"Tu ne fais jamais le ménage?"
Je sens Flowey vouloir me dire 'C'était pas le bon truc à dire ça!', et pour une fois, il ne l'a pas ramenée.
"pas envie."
Il fait glisser le reste de son corps sur les petits matelas du canapé. Si on regarde bien de là où je suis, on peut le voir recroquevillé en position fœtale.
"Si tu commences, tu voudra finir."
"j'ai essayé, ça marche pas."
Je jette son gilet sur le dos du canapé, et remontes mes manches. "Où est le balai?"
Il se dresse soudainement, se retrouvant assis droit comme un piquet, placé perpendiculairement à la télé, puis tourne sa tête vers moi. "tu vas pas faire le ménage à ma place, quand même?"
"Non, ce n'est pas du tout ce que je comptais faire de base."
Il penche sa tête légèrement, un sourcil remontant plus haut que l'autre, qui est froncé. "alors... tu vas faire quoi avec le balai?"
"Eh, tu vas pas me dire que tu t'attendais à ce que je le fasse toute seule?" Je lui lance un sourire, mais ce sourire s'estompe rapidement. Sans éloigne son regard de moi, mélancoliquement.
Puis il se lève rapidement. "Le balai est à côté du frigo, dans la cuisine."
Je marches rapidement vers l'endroit indiqué, et je sens ma poche se vider.
"Je vais aider à nettoyer, moi aussi." dit une voix aiguë derrière moi, voix que j'entends trop. Mais là, pour le coup, il a proposé quelque chose d'intelligent.
"Ok. Tu fais la vaisselle."
Je sens un silence lourd de sa part, et pour la mienne, je rigole. Je me retourne pour voir sa tête; et il est absolument horrifié à la vue de la pile de vaisselle digne de faire compétition avec la tour de Pise, si la tour de Pise était recouverte de champignons gigantesques.
"Ah NON, je ne TOUCHE pas ÇA!"
"Tu contrôles les plantes, non? Tu peux juste... T'sais, faire ton truc, pour les champis et les moisissures."
"M- Mais- Les champignons ne sont pas des plantes! Ce sont- bah- des... Champignons! Je contrôle les plantes à racines, pas les trucs pourris!"
"Ou sinon tu les arrache avec tes tentacu-"
"-LIANES... Merci, je n'ai pas de TENTACULES."
"...avec tes racin-"
"Ouais, c'est bon, j'ai compris."
Je soupire, puis Flowey se déplace avec son système de racines jusqu'à l'évier. Et moi, je commence à passer le balai.
***
Après un moment, on réussit de faire ce lieu passer de dépotoir pour poussière à maison présentable.
Sans, après cet effort, s'effondre par terre et fais la brasse avant de demeurer totalement immobile. Ses inspirations sont un peu plus profondes et vivantes qu'avant.
"Ça va, Sans?"
Il se tourne légèrement pour pouvoir me parler tout en restant posé sur le ventre comme un mort. Après, c'est un squelette, je sais pas trop à quoi je m'attends.
"Je fais aller."
Il sourit légèrement.
"T'avais pas un... Frère? Il me semble que t'as parlé de lui, tout à l'heure."
Il détourne le regard, le sourire à présent qu'un simple souvenir trop proche pour être appelé comme ça.
"Si. Il n'est jamais revenu après le génocide de Frisk. Je sais pas où il est parti."
Je regarde autour de moi. Cette maison, c'est vrai qu'elle est grande pour une seule personne...
"Il était comment?"
Il ferme les yeux pour mieux réfléchir. "Il était grand, fin, assez unique dans son style vestimentaire. Il adorait un costume particulier qu'il appelait son 'corps de bataille' et qu'il gardait tout le temps. Il détestait mes blagues nulles à chier et adorait ses spaghettis. Il cuisinait bien."
"Il ressemblait à quoi, son 'corps de bataille', exactement?
"il avait un plastron et des épaulières blanches, et une espèce de culotte bleue et dorée de super-héros à la vieille marvel. il avait des grandes bottes et des grands gants rouges, et une écharpe écarlate abîmée, tellement grande qu'elle pourrait sans doute servir de couverture. ses bottes avaient des semelles complètement lisses, seulement avec un petit creux pour séparer la semelle du talon."
J'essaye de m'imaginer le personnage. Plutôt atypique, il faut l'admettre.
"c'était papyrus. il était très attachant et collant, et surtout naïf. son grand cœur lui a coûté la vie..."
J'entends sa voix se crisper, et mes entrailles s'alourdissent à l'idée qu'un personnage pareil ait été privé de la vie, par une personne qui n'est humaine qu'objectivement en plus de cela. Si il devrait y avoir de l'humanité dans un monde pareil, ne devrait-elle pas être présente chez les humains?
"Je suis sûre qu'il aurait été super pote avec ma sœur."
Ça ne l'aidera pas, mais c'est tout ce qui sort de ma bouche sur le moment.
Sans se relève. Flowey essaye d'attirer mon attention en tapotant ma jambe avec une liane. "Je vais faire un tour ou deux, appelle-moi si t'as besoin de mon aide." Il s'enfouit dans le sol (je ne sais pas comment il fait vu que ce sol est recouvert d'un carrelage solide) et je peux sentir au fond de mon âme que c'est pour me laisser l'occasion de parler avec Sans.
"maintenant on est seuls." Il me regarde droit dans les yeux avec ses pupilles blanches toutes minuscules flottant lumineusement dans ses grands orbites, enfoncés par des cernes profondes et larges.
"Oui, il me semblerait bien. Sauf si il y aurait d'autres fantômes à voir?" Mon essai pathétique à de l'humour n'est qu'humiliant. "Désolé."
"si j'étais moins déprimé je serais par terre tortillé de rire."
Je lui réponds avec un rire amère. Nous n'avons pas d'âme.
"dis, tu saurais quel est ton trait d'âme?"
J'essaye de procéder sa question.
"Mon trait de quoi?"
"ton trait d'âme. tu sais, quel est ton trait de personnalité ou de moralité dominant? comme, je sais pas, la justice, la persévérance..?"
Je réfléchis encore.
"La connaissance."
"non, je sais pas si tu comprends ce que c'est. quelle est la couleur de ton âme?"
"Comment je suis censée savoir ça, en faisant une projection astrale?"
"presque. laisse moi te montrer."
Il joint ses mains au centre de son torse, les bouts des doigts touchant son plexus, puis les éloigne à vitesse modérée, tenant un cœur à l'envers, blanc, émettant une lumière blanche frétillante, brisée en plusieurs morceaux, flottante à quelques centimètres au dessus de ses mains. De temps en temps, un ou deux fragments sautillent et virent à un noir émettant une lumière bleue ou violette.
"la mienne est endommagée par mon meurtre, et corrompue par..." La cause de la 'corruption' de son âme est brouillée par un acouphène. "et c'est celle d'un monstre. la tienne sera un cœur à l'endroit, et aura une couleur qui correspond à ton trait d'âme."
Il remets son âme en place. "à toi."
"Je dois faire quoi exactement?"
Il soupire. "le mouvement devrait suffire."
Je place mes mains exactement comme il l'a fait et fait le même mouvement, mais rien ne sort.
"si tu veux, ferme tes yeux et imagine que ton fantôme est tiré par tes doigts. ça m'a aidé quand j'étais jeune, durant la..." Un bruit lourd recouvre ses mots.
Je ferme les yeux, et je sens qu'il m'observe. Je tire du bout des doigts un peu de rien, et je sens un poids dans mon cœur sortir de moi. J'ouvre les yeux, et je vois là, au dessus de mes mains, un coeur brillant vif comme un feu, flottant une dizaine de centimètres au dessus de mes mains couplées, d'une couleur rose corail.
"moi je dirais compassion. faudrait voir alphys, elle, c'est la spécialiste. si on était à la surface, elle aurait un doctorat en magie."
"Un doctorat en magie?" Je trouve l'idée ridicule, mais je me rappelle que je suis dans le putain de monde magique des monstres, qui ont été tués puis ramenés à la vie par une anomalie temporelle. À se croire dans une histoire de gosse de 14 ans, et encore, faut qu'il ait eu sa dose de LSD pour la faire, celle-là.
"oui, un doctorat en magie. ça te surprend?"
"Non, pas tellement, en fait."
"tant mieux."
Je range mon âme à sa place, un petit poids revenant en résultat.
"Ça sert à quoi, de sortir son âme, comme ça?"
"ça sert en combat, à ne pas devoir endommager ton corps physique, et pour déterminer ton état mental. ton âme est puissante, donc mentalement, tu es forte."
"Et toi t'es dans un état piteux par cette logique."
"exactement. mais pour le changer, faut déjà savoir comment faire."
"Aïe. Après, je vais peut-être faire des études dans les sciences psy, donc peut-être que je pourrais t'aider."
"mon frère aussi, il m'aurait aidé."
Je me tais à cet instant particulier. Son frère...
Moi si je perds ma sœur, je n'ai plus rien.
Lui, il n'a personne, même plus son frère.
"ça peut aussi aider à connaître les personnalités, un peu comme les humains avec leurs horoscopes et leurs signes du zodiaque, sauf que là c'est encore moins vague."
"Cool. Donc moi j'ai de la compassion."
"oui. et de la détermination vu la quantité de lumière que produit ton âme. après je sais pas grand chose donc encore une fois faut voir alphys si tu veux en savoir plus. moi j'ai travaillé dans..." Et, encore une fois, un bruit sourd masque ses mots.
"Sans, tu peux répéter? J'ai rien entendu."
"ah."
On partage un silence un peu trop long pour ne pas être gênant.
"...Alors..?"
"si c'est ça, tu n'entendra toujours pas, peu importe le nombre de fois que je te le répète." Il hausse les épaules, comme si c'était normal. On dirait qu'il sait.
Je me remets en tête que je suis dans le monde magique des monstres pour donner une logique à ce phénomène. Combien de fois vais-je me le rappeler avant de ne plus être surprise?
Sans reprend son gilet et glisse ses bras de baguette à l'intérieur des manches amples et épaisses.
"je vais marcher dehors. tu viens si tu ve-"
Il est interrompu par trois coups timides à la porte. Il me regarde, me demandant des yeux qui ça pourrait bien être. Après un petit moment d'immobilité, il fait trois grands pas avec ses jambes courtes jusqu'à la porte et l'ouvre, ses yeux scannant une ligne droite. Je me déplace légèrement et vois ce qu'il voit, des pas dans la neige. La semelle semble grande, plate, avec juste une fente pour différencier le talon du reste de la semelle. L'individu n'était pas très lourd, vu la profondeur très légère des empreintes.
Sans me lance un regard choqué, et en un accord muet, on part à la poursuite de celui aux semelles familières.
***
Un petit pas pour l'homme, un grand pas pour l'humanité, dit-on, mais putain, le mec qui marche comme ça se croit sur la lune avec la longueur de ses sauts ou de sa course. Manquerait plus que ce soit sa marche.
"le mec qui a fait ça voulait vraiment me donner envie de le sodomiser, et pas la bonne sodomie."
"T'as déjà fait la 'bonne' sodomie?"
"non, mais je préfère préciser."
On continue de marcher rapidement. Je suis juste un peu plus curieuse, maintenant.
"T'étais déjà amoureux?"
"le barman, il compte? je le trouvais très beau il y a longtemps."
Je pouffe de rire. "Ouais, si tu veux."
On poursuit notre poursuite de traces dans la neige, quand tout à coup, Sans s'arrête. Je tourne la tête pour le voir, et il est droit comme un piquet, le regard vide, littéralement.
"alors celui qui fait ça, il est vraiment doué."
Il fronce les sourcils et une lumière turquoise s'allume vivement dans son œil gauche.
"Sans, qu'est-ce qui se passe?"
"y'a un abruti qui s'amuse à me faire croire que c'est mon frère! si mon frère était toujours là, il serait rentré à la maison, mais il est parti pour toujours, comme la moitié des monstres. lui, il était en paix. ceux qui sont revenus, ils devaient résoudre un conflit avec eux-mêmes. c'est pour ça que je suis toujours là, parmi les suicidés et les poignardés."
Il respire fortement, attendant ma réponse à son vomi de mots incontrôlé.
"désolé."
"C'est pas de ta faute, je te comprends."
"non."
"Je n'ai pas traversé ça, mais crois-moi quand je te dis que je comprends."
Il calme la vitesse de son inhalation et ses pupilles reviennent à la normale. On continue le trajet jusqu'à la disparition de toute trace de présence passée ou présente.
Et on entend une branche se casser à une distance modérée.
"Qui va là?" je demande, poussant la voix le plus loin que je peux.
Un peu plus loin, masqué d'une petite couche de brouillard enneigé et de pénombre forestière, on aperçoit une figure grande et haute, avec un torse blanc rond, des épaules dont je peux donner la même description, une tête bien définie et chauve, des membres fins comme des bâtons, et surtout, une grande écharpe rouge en un sale état qui dansait au vent.
"papyrus..?" Sans est immobile, on dirait qu'il va pleurer les yeux grands ouverts.
Je regarde plus attentivement, et je vois toutes les similarités entre la description de son frère qu'il m'a donné et la personne à l'autre bout de la zone de visibilité.
L'inconnu marche timidement vers nous. Sans le fait en retour. Leur marche s'accélère progressivement jusqu'à ce qu'ils courent, et Papyrus, de sa haute taille, prend Sans et le tourne dans les airs, en un grand câlin. Des larmes de joie sont partagées entre les deux frères.
"je croyais que t'étais vraiment mort."
Papyrus s'arrête de tourner, puis repose Sans.
"J'ÉTAIS PERDU, SANS! JE SUIS TELLEMENT CONTENT D'AVOIR RETROUVÉ MON CHEMIN. J'AVAIS PEUR QUE TU M'EN VEUILLES APRÈS MON ABSENCE SI LONGUE, JE VOULAIS PAS T'ÉNERVER..."
Sans essuie ses larmes. "tu pourra jamais m'énerver, même malgré mes sautes d'humérus..."
Papyrus se crispe. "J'AURAIS MIEUX FAIT DE RESTER PERDU."
Sans éclate de rire, et un grand sourire est enfoncé dans mes joues.
Un ordre, un frère et une joie ont été restaurés aujourd'hui.
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