1. Un vagabond et un magicien (2/3)
Batagasc se palpa le front, l'esprit embrumé. Le jour était levé et il se trouvait adossé contre un arbre, le feu de camp face à lui, fumant de quelques braises survivantes. Il aperçut Tolto ranger ses affaires.
Le magicien ne tarda pas à découvrir deux bracelets en cuir maintenant ses poignets ensemble. Instinctivement il marmonna entre ses lèvres afin d'user de la magie pour s'en libérer, mais à son grand étonnement rien ne fit.
Observant plus en détail les liens, il remarqua des runes gravées sur eux. Les lisant, il eut un rire nerveux ; il savait reconnaitre un sort de privation de magie. Nulle surprise à ce qu'un homme venant de Carla en connaisse les rudiments. Ces runes-ci étaient très bien exécutées à vrai dire, même meilleures que certaines faites pas des Fées.
— Vous ne m'en voudrez pas de prendre quelques précautions, lâcha Tolto en le voyant se réveiller. Vous devrez vous passer de votre magie jusqu'à ce que nous soyons arrivés à destination.
— Était-ce vraiment nécessaire ? soupira Batagasc
— Estimez-vous heureux d'être vivant. Un autre que moi, avec un honneur moins grand vous aurez transpercé dans le dos après ce que vous fîtes.
— Voilà qui me réconforte.
Une fois toutes les affaires empaquetées et ficelées aux montures, Tolto alla relever Batagasc et le fit se mettre en selle, l'écoutant maugréer quelques injures.
— Je suis un homme de parole Batagasc, dit-il en se hissant sur son cheval. Une fois le dragon terrassé, vous serez libre de vous en aller. Désormais, remplissez votre part du marché et ouvrez le chemin.
— Soit...
Bien conscient de son manque de choix, Batagasc se mit en route, désireuse d'en finir une fois pour toutes avec cette mission.
Ils atteignirent le sentier violet peu après leur départ. De là, ils s'enfoncèrent vers le sud sur le chemin que nombre de marchands empruntaient durant les saisons estivales. Le sentier violet devait son nom à une variété de lavande poussant en grande quantité sur les flancs de son passage, ce qui embaumait l'air d'un parfum persistant sur tout son tracé.
Ils franchirent une légère butte et arrivèrent sur des pâtures où paissaient des moutons et des chèvres. Le berger les gardant leur jeta un œil inquiet, mais retourna vite à ses occupations. D'heure en heure, le paysage devint plus désolé et sans vie. Peu de fermiers vivaient encore ici et de nombreuses fermes affichaient les ravages d'incendies. Les champs étaient délaissés, friches de ronces et d'orties, et les bêtes sauvages moins nombreuses à s'afficher dans les bosquets et et les prés variés. Tolto parut soucieux de ce fait, ce que ne manqua pas de remarquer Batagasc.
— Il a suffi d'un seul dragon pour cela, dit-il. La plupart des habitants sur des lieues à la ronde ont préféré fuir et recommencer ailleurs, plutôt que risquer leur vie pour quelques champs et quelques troupeaux. Je ne peux pas leur en vouloir. Nous arriverons à la tanière de votre dragon d'ici quelques heures.
Plus ils progressèrent et plus le monde devint silencieux. Bientôt même le vent sembla éviter l'endroit. Ils parvinrent au pied d'une montagne et entreprirent son ascension, passant de grands pâturages bordés de forêts pendant plus de trois heures. Batagasc s'arrêta enfin, fixant une formation rocheuse en amont d'à peine quelques minutes. Il attendit que Tolto se place près de lui pour d'un signe de tête lui désigner le lieu.
— La grotte de l'ermite froussard, dit-il. Vous voilà arrivé — il tendit ses poignets liés — désormais ôtez moi ceci.
— Me pensez-vous stupide, s'amusa Tolto en délaissant son cheval.
Il alla descendre Batagasc de sa monture et le fit s'asseoir contre un arbre non loin. Là, il posa d'une cordelette, fine, mais solide, et le ligota au tronc sous les quelques injures soupirées par le captif.
— J'ai bien peur de devoir vérifier vos dires avant de vous délivrer, dit Tolto. Ce ne sera pas long. Si ce n'est pas là que dort le dragon, je serais fâché à mon retour, sachez-le.
— Tâchez de ne pas trop l'énerver, sourit amèrement Batagasc. Le passage se fait rare ici. Mourir lié à un arbre ne fait pas partie de mes objectifs personnels.
— Si vous ne m'avez pas menti, vous serez libre dès mon retour. Profitez-en pour admirer le coucher du jour.
Tolto s'en alla, laissant là les chevaux et Batagasc ; montant les derniers mètres, il arriva à l'entrée de la grotte et bientôt disparut à la vue du magicien impuissant.
L'attente ne fut pas longue pour ce dernier. Moins de dix minutes passèrent et Tolto réapparut, le pas pressé, l'épée dégainée.
— Eh bien, c'était rapide, s'amusa Batagasc.
Tolto se pencha et commença à défaire la corde retenant Batagasc, son épée toujours à la main, tournoyant dans tous les sens. Le magicien fut pris d'une peur certaine face à cette lame.
— Pourriez-vous arrêter de gesticuler avec la tueuse de mort à quelques centimètres de ma peau ? Je sais que j'ai dit vouloir partir, mais au complet serait...
Il se stoppa alors que le mont tout entier se mit à vombrir.
— Par tous les dieux, qu'avez-vous fait ?
— Je crois qu'il est énervé, ravala Tolto.
Soudain, l'entrée de la grotte située plus haut dans la montagne explosa, projetant de nombreux débris sur des dizaines de mètres. Un nuage de poussière se forma, fait de roches et de terre. Les montures s'enfuirent dans de grands hennissements. Très rapidement, la poussière disparut, dans un éclat, un jet ardent et puissant. Un cri se laissa entendre, un rugissement, faisant frissonner les arbres par sa force. Le dragon, du moins sa tête se fit voir, aussi longue que trois hommes et aussi haute que deux..
La peur de Batagasc face à la lame de Tolto se dissipa bien vite devant la vision de la bête et de ses pupilles en losange cerclées d'orange.
— Tranchez moi ces foutues cordes ! hurla-t-il. Magnez-vous !
— Ne bougez pas, haleta Tolto en se relevant.
Il leva son épée et visa l'espace, fin, entre le corps de Batagasc et l'arbre.
— Non, vous n'avez pas in...
Le fer s'abaissa et Batagasc se crispa une seconde, le cœur tambourinant. Suant et pâle, il constata que ses liens étaient coupés et qu'il n'était pas blessé.
Il eut à peine le temps de souffler de soulagement que le dragon meurtrier se rappela à son esprit, dans une secousse intense.
— Les bracelets ! hurla-t-il en brandissant ses poignets. Vous devez m'ôter les bracelets ! J'ai besoin de ma magie !
Tolto essaya tant bien que mal de défaire le nœud, mais ce dernier était trop serré et il n'y parvenait pas avec ses mains tremblantes.
— Vous vous foutez de ma gueule ? rit nerveusement Batagasc.
Sa colère se dissipa rapidement quand il sentit le regard du dragon braqué dans leur direction.
— Oubliez les bracelets... Courez, ravala-t-il. Courez !
Il s'élançait déjà dans la pente de la montagne et Tolto lui emprunta le pas très vite.
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