Où, effectivement, tout est sur le point de changer
Depuis là où il se tient, il lui semble que cette fête surprise est sans doute l'une des plus belles qu'il n'ait jamais eues. Une petite vingtaine de personnes de tous horizons discutent joyeusement. Il y a même, parmi eux, l'auteur et son meilleur ami. Jimin trouve que Jung Hoseok ne dénote pas ; comme s'il faisait partie de son cercle de proches depuis toujours. Cela fait terriblement longtemps que Jimin ne s'est pas senti léger à ce point. Du moins, sans avoir fait appel à quelle substance que ce soit. Il est pourtant là, au plafond, suspendu au-dessus de tous et de lui-même, petite chose au regard vitreux qui passe de bras en bras.
— Tu sais ce que c'est une EMI ?
— Hein ? lui répond Jungkook accroché à sa troisième part de gâteau comme si on était sur le point de la lui reprendre.
— Une expérience de mort imminente.
La lassitude se lit dans les yeux de Jungkook. Il pose son assiette, retire la flûte de champagne des mains de Jimin, le fait asseoir sur le canapé.
— Hyung ! Arrête. Pas de meurtre ce soir ! Je ne vois pas ce que tu lui trouves. Il est plutôt gentil et sympa ce Yoongi !
Mais il n'y a plus une trace d'agressivité dans le regard de Jimin. Cette fois, Jungkook panique.
— Hyung ? Ça va ?
— J'ai l'impression d'être complètement à côté de mon corps...
C'est une partie de la vérité. Non seulement, Jimin a l'impression de s'observer de l'extérieur, mais, de plus, le temps se déroule très lentement, les bruits de la fête sont assourdis comme s'il les percevait alors qu'il a la tête sous l'eau.
— T'as trop bu. Tu veux une bouteille de DMZ ? On en a au frigo.
Jimin doute que l'ivresse soit l'explication à son état. État qu'il ne s'explique d'ailleurs pas. Est-ce encore un de ces mécanismes de défense pour ne pas affronter les faits ?
Jungkook a organisé une petite fête d'anniversaire pour Jimin, dans leur appartement. Rien d'extravagant. Loin des fêtes dionysiaques que donnait Jimin lorsqu'il était encore danseur étoile. Avec l'aide de Jin, Jungkook a décoré sobrement le salon et préparé un buffet sans exubérance. Il a aussi fait venir quelques amis proches et leurs voisins les plus sympathiques. C'est un exploit aux yeux de Jimin. Non seulement parce que Jungkook peut être d'une timidité maladive mais aussi parce qu'il a fait appel à Taehyung pour l'aider. Et, que ces deux-là aient réussi à s'entendre tient du pur miracle.
Ainsi, alors que Jimin a l'impression de flotter à côté de son propre corps, son chez-lui, sa maison, est pleine de conversations et de rires, les Arctic Monkeys couvrent ce que Yoongi peut bien raconter à Namjoon.
D'abord, la rage. Jimin aurait bien dévissé la tête de l'intrus qui semblait chercher à éloigner Namjoon de lui en lui proposant un job à l'autre bout du monde. "À l'autre bout de l'univers !" pense Jimin. Jimin n'a jamais vu Namjoon aussi exalté. Même les livres n'ont pas cet effet sur lui !
Ensuite, la tristesse : Jimin imaginait que, ce soir, Namjoon serait l'heureux gagnant et demanderait à passer la journée avec lui. Et, même si cela n'arrivait pas, Jimin était certain qu'il trouverait l'opportunité de le faire lui-même.
— Il a quoi, le petit machin ? demande Jin en s'asseyant sur la table basse face à eux.
Jimin n'a pas la force de répliquer. Il s'enfonce dans le canapé et attrape un coussin qu'il serre tout contre lui.
— Il parle de mort imminente... grogne Jungkook.
Jin les dévisage tous les deux un court instant avant de s'esclaffer. Il les pointe du doigt tour à tour.
— C'est fou ! Ce regard de chien battu. Vous avez la même tête quand vous êtes contrariés ! Lequel a déteint sur l'autre ?
Cette fois, c'en est trop ! Jimin repose vivement le coussin, se redresse, et plante ses yeux dans ceux de Jin.
— Je ne m'apitoie pas ! Pas du tout !
Jimin peut au moins accorder cela à Jin. Il a réussi à le ramener sur terre, à le secouer.
— Hum, hum... si tu le dis, rétorque Jin pas impressionné le moins du monde. Tu viens faire une partie, mon lapinou ?
Jimin observe un court instant Jin embarquer Jungkook pour une folle partie de NBA 2K24. Jungkook se retourne un bref instant.
— Vas-y, va le voir, articule-t-il sans bruit.
Jimin bascule la tête en arrière et vide d'un trait la flûte que Jungkook lui avait reprise. Il sent chaque particule de son corps reprendre vie. Il se lève lentement, passe la main dans ses cheveux pour dégager son front et, félin, s'avance jusqu'à Namjoon. Il pose une main ferme sur son épaule, croise les jambes, et bascule la hanche pour y poser son autre main. Jimin rend à Namjoon le sourire qu'il lui adresse avant de retourner à sa conversation. Jimin détaille Yoongi d'un œil aiguisé. Il sait à quel point les gens sont mal à l'aise lorsqu'il le fait. Il se fait même le plaisir de mettre en œuvre toutes ces techniques gagnées grâce au monde du travail ultra concurrentiel qu'il a fréquenté. Mais Yoongi ne bronche pas.
— De nous deux, c'était toi le plus talentueux. On a morflé quand t'es parti.
— Je ne suis pas parti, on m'a viré.
Yoongi souffle, grogne. Jimin en fait autant intérieurement.
"Min Yoongi, je ne te laisserai pas me mettre des bâtons dans les roues maintenant !"
— Quelle bande d'enfoirés ! Pas mécontent d'avoir changé de boîte. Tu touches toujours autant ta bille en musique ? T'étais mon modèle !
Namjoon est gêné. Il se frotte la nuque et rit.
Jimin doit admettre qu'il est curieux. Il aimerait en savoir plus sur la vie de Namjoon avant, sa vie lorsqu'elle était moins rangée. Il ne doute pas un instant qu'il puisse l'écouter en parler des heures durant.
— Tu ne disais pas ça, à l'époque, rétorque Namjoon à Yoongi.
Yoongi fait claquer sa langue.
— Mouai... j'étais un petit con arrogant...
Jimin sourit en coin.
— Ça fait longtemps que je ne suis pas allé en studio.
Jimin se sent soulagé un court instant. La musique ne se mettra pas entre eux. C'est de l'histoire ancienne.
— Tu veux dire que c'est terminé ? Plus de musique pour toi ? Alors, c'est vrai ? Tu es prof de français aspirant écrivain ? C'était pourtant ton rêve...
Namjoon passe un bras autour de la taille de Jimin. Ses doigts s'enfoncent légèrement dans sa chair. Jimin frémit. Jimin veut croire que ce geste signifie : "Ne t'inquiète pas, je suis là, je ne vais pas m'envoler."
— Non. C'est pas ça. La lecture, l'écriture, c'est juste mon passe-temps. Je veux dire, je compose toujours un peu à la maison... mais je ne m'y consacre plus comme avant... J'ai peut-être tout perdu... Tu sais, c'est loin tout ça. C'était dans une autre vie.
Dans la voix de Namjoon, dans la tension de son bras, Jimin sent finalement l'incertitude de Namjoon. Il dit s'être éloigné de la musique mais Jimin perçoit que tout son être vibre à sa simple évocation, comme lui, il y a bien longtemps, face à ses pointes et à la scène. Et il n'est pas le seul : Yoongi n'est pas dupe.
— Arrête... Quand je t'ai parlé du job, tu t'es illuminé comme un sapin de Noël. Et c'est comme le vélo... Y a pas de raison... Bref, penses-y sérieusement et appelle-les d'ici vendredi. J'ai réussi à obtenir qu'ils suspendent les entretiens jusqu'à la fin de la semaine. J'adorerais bosser de nouveau avec toi, comme au bon vieux temps... Bon, je vais y aller. Merci pour l'invitation et encore joyeux anniversaire, ajoute-t-il à l'adresse de Jimin qu'il regarde à peine.
Jimin abandonne sa posture de maître des lieux. Ses épaules s'affaissent et il laisse échapper un soupir.
"L.A, vraiment ?" aimerait-il demander.
Il se doit d'agir ! Il n'a pas quitté le cocon douillet de vies empruntées à des pages imprimées pour ressentir de nouveau la solitude ! Il n'a pas laissé les mots de Namjoon le bousculer pour le laisser partir si vite.
Jimin se tourne vers l'homme qui le couve des yeux et le monde disparaît.
— Je voulais te demander...
— Attends, moi d'abord, le coupe Namjoon.
Ils rient. Jimin attend. Il espère deviner juste.
— Ce n'est pas grave, tu sais, le concours. Je n'aurais, de toute manière, pas demandé à passer la journée avec toi.
Ce n'est pas ce à quoi Jimin s'attendait ! Il recule de quelques pas et tente d'ignorer la boule qui se forme dans sa gorge.
— Ha...
— Non ! Attends... Ce n'est pas ce que tu crois... Merde, je m'y prends comme un pied ! Je... Enfin, tu les as lues, mes lettres... Arghhh... Comment dire ? Je... Enfin... Je veux passer une journée avec toi, et encore une, et une autre encore. Est-ce qu'on... Tu voudrais bien de moi ?
— De toi ? Pour ?
— Comme petit ami ?... c'est comme ça qu'on dit ? Arghhh ! Je ne trouve plus les mots !
Il est vrai que Jimin voit la détresse sur le visage de Namjoon. La peur de la déception laisse lentement place à une douce euphorie. Il s'approche de nouveau et joue avec un bouton de la chemise de Namjoon.
— Petit ami ? Mmm, faut voir, murmure Jimin.
Jimin est assez fier de lui : il exulte de ne pas jubiler à haute voix. Il a le sentiment que les quatre flûtes de champagne l'aide à conserver un air décontracté et digne, alors qu'il voudrait mettre tout le monde dehors, pousser Namjoon jusqu'à sa chambre et lui faire une démonstration de sa ferveur trop longtemps contenue !
Namjoon est étrangement silencieux et immobile. Lorsque Jimin lève la tête vers lui, ce dernier se mordille la lèvre et a les pommettes en feu.
— Et toi ? Que voulais-tu me demander ?
— Une journée rien que tous les deux, dit Jimin en replaçant le col de chemise de Namjoon. Mais, ajoute-t-il très lentement, j'aimerais aussi te demander autre chose.
— Autre chose ?
— Viens.
Jimin glisse sa main dans celle de Namjoon, se faufile entre ses invités, et conduit Namjoon jusqu'à sa chambre.
Namjoon reste planté au milieu du tapis. Il frictionne un de ses bras d'un mouvement nerveux. Il semble soudain plus petit et vulnérable aux yeux de Jimin.
— Assieds-toi, insiste Jimin. Ne fais pas attention au désordre.
Le mot désordre est un euphémisme. La commode et la penderie de Jimin ont vomi tout leur contenu sur le parquet. Les restes de la lutte matinale entre Jimin et son petit mulot sont toujours visibles. Son lit est défait.
Namjoon ne semble pas embarrassé ou porter un quelconque jugement. Il a trouvé le chaton en peluche et joue avec ses petites pattes.
— Trop mignon.
— Cadeau de Jungkook, répond Jimin en furetant dans le seul tiroir qui n'a pas été totalement vandalisé. Ha ! Voilà ! J'ai trouvé !
— Trouvé quoi ?
Jimin se tourne vers Namjoon, les mains dans le dos, un air mutin collé à son visage.
— Un autre cadeau qu'on m'a fait. Qu'on nous a fait.
— Nous ? s'étonne Namjoon. Je peux voir ?
Jimin se hisse à genoux sur son lit et tend une paire de marinières. Namjoon hausse un sourcil, interrogateur, puis déplie les vêtements. Il lit à haute voix les broderies de fil rouge, d'un ton amusé qui fait sourire Jimin.
— "I'm tiny and cute." "I love tiny and cute things." Et c'est... ?
— Un cadeau de Jin. Je te raconterai. Essaie.
— Là, maintenant ?
Les oreilles et les pommettes de Namjoon virent au cramoisi. Jimin saisit sa chance. Il chasse l'idée née de son esprit chagrin qui lui souffle qu'il devrait peut-être rester sur la réserve, maintenant qu'il sait que Namjoon a l'opportunité de changer de vie. D'un geste vif et assuré, il fait passer pull irlandais et tee-shirt très doux à manches longues par-dessus sa tête. Namjoon ne semble plus respirer. Il fixe Jimin comme on admirerait un feu d'artifice.
— Tu me le donnes ?
— Hein ?
— Le tee-shirt. Le plus petit. Merci. Allez, essaie l'autre, s'il te plaît.
Jimin s'empresse d'enfiler le vêtement pour ne rien manquer de ce qui va suivre. Namjoon s'agace sur la boutonnière de sa chemise. Ses gestes sont maladroits.
— Approche, souffle Jimin.
Namjoon se tourne timidement, une jambe repliée dans les draps, une à l'extérieur du lit. Il abandonne la peluche au milieu du chaos de coussins. Jimin est déjà tout près. Namjoon sent bon. Pas comme Jungkook qui sent la lessive et le shampooing à la pomme verte. C'est une odeur nouvelle, plus attirante, agréablement dérangeante. Une légère touche de jasmin teintée de musc émane de cette peau de miel sur laquelle Jimin laisse traîner volontairement le bout de ses doigts en défaisant les boutons un à un. Et, maintenant, il passe ses paumes sous le vêtement, les pose sur le torse qui se soulève plus rapidement que le sien encore, les fait glisser avec une lenteur exagérée jusqu'aux épaules pour faire tomber la chemise le long des bras de Namjoon.
"La cerise sur le gâteau" pense Jimin. Il était déjà séduit par l'homme sensible et tendre, par sa voix et son allure. "Il fallait qu'il soit en plus beau comme un camion !" Jimin ne peut s'empêcher de jurer.
— Putain !
Ce simple mot a-t-il agi comme un détonateur ? Malgré l'entrave de la chemise autour de ses bras, Namjoon enroule ses doigts autour de la taille de Jimin et l'attire à lui.
— Tu veux vraiment que j'essaie ce tee-shirt ?
— Embrasse-moi.
Le "moi" à peine dit, la bouche de Namjoon est déjà dans son cou, le long de sa mâchoire, derrière son oreille. La lèvre supérieure de Namjoon accroche la peau de Jimin, suivie de près par le bout de son nez, et son souffle chaud trace un sillage brûlant dans lequel Jimin sème les graines du désir.
"Toc Toc toc"
— Hyung, Jimin hyung, tu es là ?
Jimin s'assoit sur la cuisse de Namjoon, effleure son front d'un baiser.
— Mets ce tee-shirt. J'ai vraiment envie de te voir dedans. J'arrive ! crie Jimin à Jungkook.
Namjoon n'a pas le temps de réaliser que Jimin entrouve déjà la porte.
— Il est à quatre pattes dans la salle de bain... Taehyung, il a trop bu... je ne sais pas quoi faire...
Jungkook aperçoit Namjoon, l'air penaud, qui émerge du tee-shirt. Jungkook rougit, agite la main.
— Oh ! Désolé ! Je ne voulais pas vous...
— T'inquiète, fait Jimin en lui ébouriffant les cheveux. Danielle est partie ?
— Oui, elle se sentait fatiguée.
— Fais pas cette tête, je m'en occupe.
— Je vais chercher la serpillère.
— On devrait les porter samedi prochain, les tee-shirts, dit Jimin à Namjoon. Ils nous vont bien.
Namjoon lisse le tee-shirt d'une main sur son ventre. Il a retrouvé un calme apparent.
— Samedi prochain ?
— Samedi, Taehyung me donnera ma journée et on ira à la plage.
— Samedi, murmure Namjoon alors que Jimin est déjà loin.
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