Les lettres de Rkive (2/2)
"Ne t'éloigne pas trop du bord, mon grand !"
Dans son rêve, Jimin est heureux. Le sable est chaud et doux sous ses orteils. Ça chatouille aussi. Les petits grains scintillent au soleil comme mille pierres précieuses. La plage est son coffre au trésor.
Dans son rêve, Jimin pleure. Ses parents divorcent. Sa maman divorce de lui. Il ne la verra plus.
"Appa est là, mon bonhomme. On fait une jolie petite famille, non?"
Jimin pleure et une voix chaude et tendre lui souffle à l'oreille.
"La lumière et la joie sont enfouies en chacun de nous. Si tu le veux bien, donne-moi la main. Je t'aiderai à les trouver."
Lorsque son réveil sonne, Jimin pleure encore. À gros sanglots. Il voudrait des bras qui le serrent fort et le contiennent, pour ne pas s'envoler, pour ne pas disparaître.
Jimin oublie les rituels du matin. Il va travailler pour revenir avec une nouvelle lettre. Ce mercredi soir, il passe près de Jin et Jungkook qui se chamaillent sur le canapé. Il les voit à peine. Il ne traîne pas sous la douche et oublie de dîner.
Jungkook a fait la "grande lessive". Il a changé ses draps. C'était un accord du début de leur cohabitation. Une fois dans la semaine, Jungkook passe draps, serviettes et même tapis à la machine. Jimin ne l'a jamais vu comme une intrusion. Jungkook le fait toujours discrètement et très respectueusement. Jimin laisse alors les draps propres et frais l'engloutir. Sous un de ses oreillers, il trouve une peluche à l'apparence d'un chat calico. Un petit papier est roulé sous son collier de soie rouge.
"Mimi-ssi, je suis nul avec les mots. Alors, ça, c'est pour toi. Et dis-moi, si tu as besoin de quelque chose. Tu es tout bizarre ces derniers jours.
Ton petit mulot"
Jimin trouve aussi qu'il pleure trop ces derniers temps. Il tire les petites oreilles et frotte ses pouces sur le velours rose et doux. Les bras de Jungkook sont sûrement occupés. Jimin soupire et pose le chaton bien assis sur son oreiller, près de lui.
Il ouvre la troisième lettre du professeur avec un mélange inextricable de crainte et d'impatience.
Il ne l'a pas vu aujourd'hui non plus. Il s'est surpris à fixer la porte d'entrée de la petite librairie, à guetter sa clochette, à roder près de la vitrine au moment de la sonnerie de la fin des cours.
Son cœur bat la chamade, ses mains tremblent. Il ramène ses pieds sous ses fesses, prend une grande inspiration et plonge dans les mots de Namjoon.
•°. *࿐
"Cher PJ,
Il y a des moments dans la vie où les rêves semblent distants, presque inatteignables, mais c'est précisément dans ces instants que nous devons redoubler d'efforts et continuer à croire en leur réalisation. Lettres à mon meilleur ami a ravivé en moi cette conviction profonde que les rêves valent la peine d'être poursuivis, même lorsque le chemin semble semé d'embûches.
Je me souviens encore du moment où j'ai ouvert ce recueil pour la première fois. Les mots de Jung Hoseok ont résonné en moi d'une manière indéfinissable. Ils m'ont évoqué des sentiments de détermination, d'espoir et de résilience. "Les rêves sont le moteur de l'âme humaine, la force qui nous pousse à transcender les limites de notre condition."
Je sais que tu as toi aussi des aspirations que tu as oubliées, enterrées. Des aspirations que tu chéris depuis longtemps, mais qui semblent parfois hors de ta portée. Rien n'est insurmontable tant que tu continues à croire en toi-même et en tes capacités.
N'abandonne pas. Même lorsque les obstacles semblent insurmontables, rappelle-toi que chaque défi est une opportunité de grandir, de t'épanouir et de devenir plus fort. Comme l'a si bien exprimé Park Seo-bo, "Dans chaque coup de pinceau, dans chaque trait de crayon, réside la promesse d'un avenir plus radieux."
[...]
Je crois en toi. Je crois en tes rêves, en ta force intérieure et en ta capacité à surmonter tous les obstacles qui se dressent sur ton chemin. Continue à suivre ton cœur, à poursuivre tes aspirations les plus profondes.
Près de toi, moi qui n'ose m'approcher plus
Rkive"
•°. *࿐
Jimin s'endort, la lettre froissée contre sa poitrine. C'est une nuit sans rêve. Une nuit reposante.
À son réveil, Jimin se surprend à souhaiter voir Namjoon. Il n'est pas venu ce mercredi. Ce n'est pas ordinaire. Le professeur lui manque.
"Il me manque !"
— Il me manque ?!!!
Jimin attrape son oreiller et s'enfouit dessous. Il pousse un cri, bien heureusement étouffé, et bat des pieds faisant voler sa couette.
"Toc toc toc"
— Tout va bien ?
Jimin s'extirpe des draps, les cheveux ébouriffés, les joues en feu.
— Oui. Oui, répète Jimin plus fort.
— Dis, tu pourrais patienter deux petites minutes avant de sortir de ta chambre ?
— Pourq... Non, oublie, je ne veux pas savoir ! L'autre grand dadet a intérêt à être couvert quand je sors...
Pas de réponse. Jimin retourne sous la couette. Il se fait une caverne. Ça lui rappelle les cabanes qu'il faisait, petit, avec son jeune frère, dans le salon. Ils prenaient les draps, les nappes, les pinces à linge, et la maison vide de la présence de maman devenait une île pleine d'aventures.
Il extrait un bras et tâtonne à la recherche du chat en peluche.
"Pat pat pat".
La queue entre ses mains, il le ramène à lui, le frotte à son nez. Peut-être qu'il pourrait se prétendre malade, et rester toute la journée au lit, à rêver des moments heureux évaporés et à ceux qui ne sont pas encore ? Mais Taehyung serait capable de venir l'extirper de son nid. Par les pieds si nécessaire.
— Pfffffffff ! souffle-t-il en rabattant la couette.
L'air frais s'engouffre dans ses poumons. Puis une odeur délicieuse de pain grillé.
— Jimin hyung, tu veux un café ?
Jimin sort prudemment de sa chambre. Pied droit d'abord, orteils tendus en avant. Plante du pied posée délicatement. Pied gauche.
"Quatrième position", pense-t-il.
À leur petite table de cuisine est attablé Jin, dans la même tenue que la veille. Il a bonne mine malgré ses pommettes et ses oreilles rouges. Il salue timidement Jimin d'un hochement de tête.
— Tu es tout grâcieux, ce matin, hyung. Tu as bien dormi ?
Jimin rosit. Il aime qu'on le complimente sur son allure. Il se redresse, épaules en arrière, nuque droite. Il s'approche fièrement et s'assoit à la table du petit déjeuner.
La compagnie est agréable. Les langues se délient. Jimin est pimpant. Jusqu'à ce que Jin se sente tout à fait à l'aise.
— Tu me diras où tu as trouvé cet adorable caleçon à cœurs ? J'achèterai le même à mon lapinou d'amour.
Jungkook recrache son café. Jimin mime un haut le cœur.
— Je te bannis à tout jamais de chez moi ! réplique théâtralement Jimin.
— Hmmm... ça tombe bien. On part en week-end.
— En week-end ? Un jeudi ?
— Les stars n'ont pas le même rythme de vie, mon cher.
— Et ses entraînements ?
Jungkook suit l'échange comme on regarde une finale de Roland Garros, avant de comprendre qu'il est concerné.
— En week-end ? Mais j'ai athlé ce soir !
— Tu es malade.
— Absolument pas.
— Mon père te fera un certificat.
— Je suis pour l'intégrité.
— Tu n'auras jamais ta médaille d'or du 400m haies avec cet état d'esprit.
— Comme si...
Jimin rit sous cape et les laisse pour se préparer.
Une nouvelle journée l'attend.
Une nouvelle lettre.
•°. *࿐
"Cher PJ,
Parfois, il peut nous sembler que les ténèbres s'abattent sur nous avec une intensité déconcertante, et alors, chaque pas en avant est une lutte contre un courant déchaîné.
Je ressens le besoin de te partager une part de mon histoire, marquée par la perte et la résilience, dans l'espoir qu'il puisse t'apporter ne serait-ce qu'une lueur d'inspiration dans les heures sombres que tu traverses.
Il fut un temps où mes rêves se dessinaient sous les traits d'un rappeur, d'un artiste à part entière, jonglant avec les mots et les mélodies pour créer un univers qui serait le mien. Mais j'ai été éjecté de la voie qui me semblait toute tracée. C'était il y a plusieurs années, à l'époque où je naviguais encore sur mes idéaux, porté par l'ardeur de la passion et l'insouciance de la jeunesse. Un incident est survenu, comme un coup de tonnerre dans un ciel serein, ébranler les fondations de mes aspirations. Un incident dont je préfère ne pas étaler les détails ici, mais dont la violence et l'injustice ont écorché l'essence même de mon être, me reléguant brutalement aux marges de mon propre rêve.
Ce fut une période de deuil, où chaque note de musique semblait porter le poids de mes regrets, où chaque mot restait en suspens dans le vide de mes silences.
Pourtant, même dans les ténèbres les plus épaisses, une lueur d'espoir peut briller. C'est là que tu es entré dans ma vie, avec ta douceur, ta force et ta détermination. Tu as été la lumière dans mes nuits les plus sombres, la main tendue dans l'obscurité, m'invitant à croire en un avenir meilleur.
Être témoin de ton courage et de ta résilience ont été pour moi une source d'inspiration inestimable. À travers toi, j'ai appris que même lorsque le monde semble s'effondrer autour de nous, il y a toujours une autre route possible.
Je me surprends parfois à rêver que nous unissons nos forces et nos rêves, que nous prenons soin de nos blessures ensemble, pour avancer dans la vie et en faire le plus formidable des voyages.
Bien à toi,
Rkive"
•°. *࿐
Jimin n'a pas su attendre son retour à la maison. Il a expédié la lecture des autres lettres pour lire celle du professeur qui ne se montre pas.
Derrière le comptoir, il caresse le papier et les mots du regard. Il aimerait boire l'encre et s'y noyer. Il aimerait se faire une couverture des phrases qu'il y lit et s'y lover.
Jimin sent son coeur battre à un nouveau rythme. N'est-il pas vrai que le printemps se prépare en hiver ?
"Dling, dling"
Jimin sursaute. Il espère et dans la même fraction de seconde, il s'inquiète. Taehyung est là. Mais est-ce bien Taehyung cette ombre qui s'avance au ralenti, toute groggy ? Il le rejoint derrière le comptoir et laisse tomber sa tête sur l'épaule de Jimin.
Jimin hésite à le questionner.
Ne peuvent-ils pas être heureux ensemble, en même temps ?
— Jimin-ah, laisse-moi dormir avec toi cette nuit ?
Jimin a besoin de savoir. Il place une mèche folle de cheveux châtains derrière l'oreille de son meilleur ami.
— Monsieur Bang ? C'est ça ? Tu es obligé de céder.
Taehyung se redresse comme un beau diable.
— Ma librairie ? Jamais de la vie ! On se porte mieux que jamais ! Tu n'as pas vu notre chiffre d'affaires?
Jimin a dû le voir, si, en faisant le point avec la comptable. Il est vrai, maintenant qu'il gesticule en tout sens et proteste, qu'elle était exceptionnellement optimiste et ravie de la santé de la petite librairie. Mais, alors quoi ?
"Oh, mon dieu ! Danielle !"
Jimin se lève, attrape son ami qui virevolte en lançant des insanités à propos d'un vieux bedonnant sans aucun goût, lui plaque les bras le long du corps, le serre contre lui.
Taehyung, surpris, ne bouge plus. Tout juste ose-t-il respirer.
— Mon ourson à la guimauve à moi. C'est Danielle, c'est ça ? Encore une crise de jalousie épique ? Bien sûr que tu peux venir dormir à la maison.
Taehyung le regarde comme s'il venait de lui annoncer que les éléphants auraient désormais une deuxième trompe.
— Bah quoi ? s'impatiente Jimin.
La bouche de Taehyung s'étire en un immense sourire carré. Et le voilà qui virevolte à nouveau en produisant des sons qui doivent être des mots.
"Dling, dling"
Jungkook passe la porte sous le bras de l'acteur. Ils apportent avec eux une odeur de baguette toute chaude. Ils restent médusés, dans l'entrée.
— Qu'est-ce qu'il dit ? demande Jungkook à Jin.
Jin hausse les épaules.
— Pfft ! Aucune idée. Il a pété une durite. Faut dire qu'on ne laisse pas Lautréamont entre toutes les mains.
Jungkook regarde Jin comme si, lui aussi, venait d'être touché par la folie qui habite Taehyung. Comme cette hystérie collective qu'il a vu dans un documentaire, où des gens, en France, au Moyen âge, s'étaient mis à danser sans plus s'arrêter jusqu'à ce que mort s'en suive. Il ouvre des yeux ronds suppliants à l'attention de Jimin.
— JE VAIS ÊTRE PAPA ! beugle Taehyung en grimpant sur le marche pieds.
— Et voilà qu'il nous refait Le Cercle des poètes disparus, commente Jin, peu impressionné.
— PAPA ? s'exclament soudainement les trois hommes en chœur.
Taehyung s'accroupit, prend sa tête entre ses mains. Il mime parfaitement la folie, se dit Jimin.
— C'est une bonne nouvelle, ça ? ose murmurer d'une toute toute petite voix Jungkook.
Et voilà Taehyung reparti dans sa danse folle.
— Oui, mais moi, je ne sais pas comment on devient papa ! Et s'il ne m'aimait pas, ce bébé ? Et si je ne l'aimais pas et que je le trouvais affreusement laid ? Et si Danielle mettait au monde un autre Jean-Baptiste Grenouille ?
Jimin éclate de rire et il pleure en même temps. Taehyung a toujours rêvé d'être père. Danielle n'est pas la plus sympathique des personnes qu'il n'ait jamais rencontrées mais elle est aimante avec Taehyung, et Taehyung est heureux avec elle. Ils feront de bons parents... excentriques, certes... mais de bons parents.
— Et bien, vous l'appellerez Gaeguri. Kim Gaeguri* et puis voilà ! lance Jin avec emphase. Rien de plus simple.
Le reste de la journée de Jimin s'écoule entre les phases d'abattement et d'euphorie de Taehyung.
Il essuie une colère homérique quand il lui annonce que, finalement, non, ce soir, Taehyung rentrera chez lui pour fêter comme il se doit la bonne nouvelle.
Taehyung a peur. Taehyung veut Jimin à ses côtés.
Jimin hésite à lui dire que lui aussi a peur. Que quelque chose de nouveau et de beau grandit en lui. Mais aujourd'hui n'est pas son jour. Demain, peut-être.
Ce jeudi soir, Jimin a une douzaine de courriers à éplucher. Il est épuisé. Alors, comme il est seul dans son grand appartement, il s'installe sur le canapé et grignote des galettes de riz en lisant. Certaines lettres sont touchantes et belles. Il le reconnaît. Mais il a gardé pour la fin, celle du professeur qui a disparu de son quotidien.
Ce soir, il emmène la lettre de Namjoon avec lui, dans la salle de bain. Il allume des bougies et fait couler l'eau dans la baignoire. Il ajoute quelques sels de bain, et de la mousse. Il se plonge avec délice et ferme un instant les yeux.
L'enveloppe est plus légère que les précédentes. Namjoon aurait-il perdu son inspiration ? Aurait-il tout donné en seulement trois lettres ? Aurait-il des scrupules à mieux écrire que Jung Hoseok ?
Les doigts humides de Jimin laissent quelques auréoles sur le bord du papier. Il devient légèrement translucide. Mais Jimin n'y prête pas garde. Les mots sont simples et moins nombreux. Les mots ne sont plus une lettre adressée à un ami. Les mots sont une déclaration.
Jimin fond et se dissout comme ces petites perles de nacre qu'il avait, petit, dans le bain. Il aimait jouer avec ce qu'il appelait la "peau" alors que le contenu crémeux se répandait en douceurs parfumées dans l'eau du bain.
•°. *࿐
"À PJ,
Près de toi
C'est un chemin de délicatesse
Que tu me montres.
Un voyage fait de vulnérabilités,
Que je suis avec toi.
C'est un chemin de délicatesse,
Que je suis,
Du sourire de tes yeux
À la douceur de ta voix.
Un voyage fait de vulnérabilités,
Que je suis avec toi.
Les larmes, les regrets, la colère
Mettent en lumière la chaleur
Qui ne demande qu'à s'exprimer.
Où va ton bateau sur cet océan déchaîné ?
Où ce navire te propulse-t-il dans l'univers ?
Où mènent tes pas dans cette jungle qu'est notre présent ?
C'est un chemin de délicatesse
Que tu me montres.
Un voyage fait de vulnérabilités,
Que je suis avec toi.
Chaque ralentissement
Chaque petit caillou dans la chaussure
Chaque merveille qui croise notre chemin
Chaque minute où nous profitons du temps qui passe
Est un trésor ou un souvenir pour plus tard.
C'est le chemin qui est le plus doux
Dans ce long voyage !
Je ne suis pas impatient
De voir la destination à l'horizon.
Aujourd'hui,
Reçois l'expression de mon affection
Comme des lucioles qui
Les passages sombres éclaireront.
Rkive"
https://youtube.com/shorts/W7pnLBqwAwY?si=AmRxj6Vapqux6EOh
•°. *࿐
Notes:
Isidore Lucien Ducasse, connu également sous le pseudonyme de comte de Lautréamont, est un poète français né le 4 avril 1846 à Montevideo en Uruguay et décédé le 24 novembre 1870 à Paris dans le 9e arrondissement. Il est l'auteur des Chants de Maldoror (1868), considéré comme l'un des ouvrages précurseurs du mouvement surréaliste....
Jean-Baptiste Grenouille est le monstrueux personnage principal du roman Le Parfum de Süskind, il est doté d'une forte ambivalence, héros / anti-héros.
Gaeguri : grenouille en coréen
https://www.tiktok.com/@softside8/video/7059514656309726470?is_from_webapp=1&sender_device=pc&web_id=7378540347201472032
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro