Les épluchures tombaient avec légèreté pour épouser la fraîcheur du carrelage de la cuisine, le salissant de leur vicieuse impureté. Aujourd'hui, elles étaient d'une douceur incomparable, que bien des mains auraient aimé caresser et palper avec amour. Mais la personne qui se servait d'un économe solide et tranchant pour créér ces pelures si sales n'avait rien de pur, même si tout en lui respirait la confiance aux premiers abords.

Les cris avaient fini par cesser, il ne restait plus qu'une chiffe molle et douce dont il fallait retirer la peau. Les mains maniant l'outil de cuisine était gigantesques et carrées, parfaites pour étrangler un cou fragile ; elles venaient compléter des bras solides et dessinés par un entraînement volontaire et terriblement difficile. Pourtant, le ventre était rond, constamment en digestion de viandes socialement inadaptées. Sous la montagne de graisse qu'était ce ventre, seul un bon observateur pourrait voir une discrète bosse à l'entrejambe, causée par le plaisir malsain d'éplucher une nourriture immorale. 

Le sang formait des fleuves et des cascades dans la cuisine, corrompant le tablier blanc de l'homme dérangé, corrompant le comptoir, corrompant abondamment le carrelage qui avait pourtant vu bien pire. Les épluchures, semblables à de petits navires, flottaient dans la mare écarlate, se frayaient un chemin jusqu'où le liquide poisseux voulait bien les emmener. Et dans cette scène macabre, l'homme musclé et bon portant prenait un plaisir fou, et jeta son repas sur une poêle huilée.

Au revoir, petit furet !