
Chapitre 25 : Tourments
Le front collé à la surface froide et humide de la vitre, le regard perdu dans un horizon de tristesse douloureuse, Edouard s'était enfui dans ses pensées. Son esprit n'était plus qu'un lac de nuages sombres et épais. Il lui semblait vide, emplit de grisaille, couvert de ronces et rongé par le froid. Plus rien n'y remuait. Pas une once de vie, ni même un soupçon de fièvre. Ce n'était plus qu'un trou béant. Un gouffre glacial dans le fond de sa mémoire. Sa conscience tout entière l'avait quitté. Lentement, elle s'était extirpée de cette désagréable prison de chair en quête d'un monde plus doux. Un monde dénué de cette blessure silencieuse. Un monde où elle n'aurait plus à souffrir sans en comprendre les raisons.
Mais sa quête était veine. Aucun lieu, aucune réalité ne semblait en mesure d'apaiser ses douleurs. L'univers entier avait été envahi par cette noirceur terrible qui le hantait. Comme baignant dans les ombres, sombrant entre des chagrins toujours plus noirs, le jeune prince n'arrivait pas à trouver la paix. Son âme torturée hurlait en silence sa détresse.
Il était revenu détruit de son altercation avec Adrien. Les paroles dures et les regards terribles que lui avait lancées le garçon avaient eu l'effet de mille coups de poignards. Il se souvenait de tout. Chacun de ses gestes. Le moindre de ses mots. Tel un fantôme il hantait son esprit. L'étincelle de ses pupilles. Le ton meurtri de sa voix. Sa silhouette disparaissant sous les branchages. Tout. Comme un mauvais rêve, un cauchemar impitoyable qui ne cessait de l'habiter. À la manière d'une terrible ritournelle, la scène se répétait dans sa mémoire. Cruelle, sans pitié, elle s'amusait à torturer son cœur.
Une erreur. Il avait commis une erreur. Une erreur fatidique. Une erreur irréparable. Il avait osé parler. Oui. Il avait osé défaire le lien qui scellait ses lèvres et barricadait sa mémoire pour prononcer quelques paroles maudites. Des paroles interdites. Il avait été un imbécile. Il aurait dû se taire, comme toujours. Il aurait dû garder le silence, calmer les émois de son esprit. Empêcher la fuite de ces questions insolentes pour ne jamais voir scintiller cette larme de tristesse dans le regard d'Adrien.
Mais il n'en avait pas été capable. Non. Il n'avait pas été capable de se retenir. Pas même un tout petit peu. Et il avait fait du mal. Encore. Il avait blessé. Il avait déçu. Tel le monstre qu'il était. Ce monstre répugnant, cette créature égoïste qui ne vivait que pour détruire ceux qui l'entourait. Cet enfant non-désiré. Ce prince déchu. Cet échec de la nature. Une fois de plus, il n'avait été que lui-même. Son cœur se serra douloureusement dans sa poitrine.
Contractant sa mâchoire, il se mordit les lèvres. Un goût de sang se répandit dans sa bouche. Un goût âcre et métallique. Une douleur à la saveur nouvelle. Il préférait celle-là. Elle avait un sens, une origine. Elle avait une raison d'être. Il pouvait la panser, la guérir. Il pouvait faire en sorte qu'elle disparaisse. Pas comme cette autre. Cette autre douleur, profonde et inexplicable. Cette peine impitoyable qui creusait en lui un puit toujours plus profond de désespoir. Il ne la comprenait pas. Ce démon qui dévorait son cœur et dont il ne saisissait ni le sens, ni la raison. Jamais encore il n'avait enduré pareils tourments. Jamais auparavant son âme n'avait subi semblables supplices. Tel un poignard qu'il ne parvenait à retirer, le chagrin tissait en lui des chaînes douloureuses.
Pourquoi avait-il ainsi mal ? Qu'avait ce garçon de si particulier pour que ces paroles et ses regards soient plus terribles encore que ceux de son père ? Il n'était pas roi, il n'était pas noble. Il n'était rien. Un homme. Un simple garçon d'écurie. Alors pourquoi souffrait-il de la sorte ? Pourquoi y portait-il autant d'importance ? Que décelait ce sourire de si merveilleux pour que jamais il ne désire le voir s'éteindre ?
Un soupir empreint de lassitude chagrine s'échappa de ses lèvres. Un aveu de faiblesse. Des cernes creusaient son visage. Il devait être malade. L'approche du mariage, la présence de son cousin, l'angoisse de ses découvertes. Oui. Ce devait être cela. Sous la pression des évènements, son esprit dérangé s'était cherché un bouc émissaire. Une cuve dans laquelle déverser ses peines et ses misères. Adrien n'était que la victime de son cerveau torturé. Il avait cherché une cause à tous ses malheurs, et les yeux bleus du garçon présentaient les meilleures qualités.
La maladie. Prince de pacotille, incapable de tenir sous le poids du protocole. Ses yeux se fermèrent lentement. Le souffle de son nez s'apaisa. La fatigue guidait chacun de ses gestes. Il était épuisé. Sans raison particulière. La nuit ne soulageait plus ses peines. Il ne dormait plus. Il ne savait plus quoi faire. Adrien ne voulait pas de lui et sa vie semblait avoir perdu le peu de sens qu'il lui avait trouvé. À ces pensées, il laissa échapper un ultime soupir et s'affala un peu plus contre la vitre.
Dehors, les couleurs chaudes du parc s'étendaient à perte de vue. Le ciel s'était paré d'un manteau de lumière aux allures fraiches et scintillantes. Les rayons flatteurs du soleil venaient faire miroiter les feuilles sublimes des arbres, tandis que sur le sol, bercées par le souffle timide du vent, des fleurs aux doux pétales ondulaient gracieusement. Le temps semblait doux. L'air était frais. Les odeurs sucrées et espiègles de la nature envahissaient l'espace, l'enveloppant dans un parfum de sérénité délicate. Comme il devait être agréable de se promener dans le parc par une si belle journée. Sentir la chaleur du soleil sur sa peau et la fraicheur de l'air dans ses cheveux aurait suffi à un rendre heureux un homme. Mais Edouard n'était pas heureux. Non. Derrière sa prison de verre, il ne percevait ni le chuchotement gracieux des feuillages, ni même le murmure subtil des oiseaux. Sa peau restait froide et son cou humide. La moiteur qui envahissait ses mains gagnait du terrain. Le front collé au carreau, la vue brouillée par un voile d'amertume, il se contentait d'observer cette nature superbe sans oser la gouter.
Brusquement, les battants de la porte vinrent claquer contre les murs de la grande salle, faisant sursauter le jeune prince. Des claquements de pas, un brouhaha agité. Un tourbillon nerveux de voix et d'excitation envahit l'espace. Décollant son front douloureux de la paroi, Edouard rappela à l'ordre ses pensées égarées puis se retourna.
- Enfin monsieur, je ne peux pas vous laisser faire cela ! Ce serait courir à notre perte !
Le visage penché sur un ensemble de documents, les sourcils froncés et la mine sévère, Harry avançait à vive allure sur le carrelage de pierre. Ses boucles blondes, inhabituellement décoiffées, retombaient en cascade sur ses yeux, enveloppant son regard d'ombres inquiétantes. Derrière lui, les joues rougies par l'effort et la colère, un ministre gras en redingote rouge tentait désespérément d'attirer son attention. Il agitait furieusement les bras dans les airs tout en brandissant vainement des papiers noircis d'encre. Son front luisait de sueur.
- Monsieur, je vous en supplie, écoutez-moi !
Harry marqua un arrêt brutal, manquant de renverser le malheureux bureaucrate. Les yeux toujours rivés sur les écrits qu'il serait entre ses doigts, il réfléchit un instant avant de relever sa tête vers l'homme qui le suivait. Un sourire suffisant étirait dangereusement ses lèvres étroites.
- Mais Alphonse, susurra-t-il d'un ton glaçant, je vous ai écouté. Vous n'avez tout simplement rien dit d'intéressant.
Surpris par les soudaines paroles du duc, le ministre eut un temps d'hésitation décontenancé. La fatigue et la confusion se lisaient crûment sur son visage. Derrière lui, le dos appuyé contre la rambarde de la porte, un soldat s'était silencieusement avancé dans la pièce.
- Que... balbutia brusquement l'homme en redingote tout en tentant de retrouver un semblant de contenance. Mais vous n'avez même pas cherché à comprendre ce que je vous disais !
- Ah mais vous non plus mon cher ! rétorqua aussitôt Harry d'une voix agacée. Vous êtes resté buté comme un âne sur vos foutus chiffres, sans daigner un seul instant prêter attention à la réalité des faits ! Que croyez-vous ? Que ce sont vos calculs ridicules qui sauveront Troye ? Vous êtes décidément bien naïf !
Les joues du fonctionnaire s'étaient teintées d'une couleur semblable à celle de son vêtement. Cherchant ses mots, il agita fébrilement ses mains grasses dans les airs.
- Je vous répète que Troye n'a actuellement pas les moyens matériels de déployer sa flotte ! explosa-t-il finalement. Cimetan a été envahie et nos soldats sont épuisés !
- Et c'est bien pour cela que nous devons la récupérer.
- En déclenchant une seconde crise diplomatique, s'emporta le ministre, sans même considérer la famine qui est en train de ronger le pays ?! C'est de la folie !
Un ricanement amer s'échappa de la gorge du duc. Un rire cruel, à faire trembler un chevalier. Edouard, toujours planté près de la baie vitrée, frissonna.
- De la folie, répéta Harry d'une voix grinçante, mais alors Alphonse, expliquez-moi comment vous envisagez résoudre cette fameuse famine sans Cimetan ? Hein ? Comment mener une guerre sans nos principales ressources ?
- Je...
- Ecoutez-moi mon cher, le coupa sèchement le duc, depuis une semaine que la situation a basculé dans le chaos, je ne crois pas vous avoir entendu prononcer une seule proposition viable, ni même de proposition tout court d'ailleurs. Alors en attendant qu'une idée miraculeuse surgisse de votre esprit atrophié, et que vous déniez enfin remplir le rôle qui vous octroie le privilège de vous prélasser comme le porc que vous êtes dans des draps de soie, nous allons opter pour ma stratégie. Minathau entre dans le jeu, point-barre.
Le visage de l'homme se gonfla de colère. Les yeux exorbités, les poings serrés, il fixait le jeune prince avec un regard de dément.
- Comment osez vous...?! suffoqua-t-il
- Maintenant si vous vouliez bien me laisser, j'ai une guerre à mener.
- Je vais en informer le roi, riposta le ministre en faisant un pas sur le côté. Cela ne se passera pas comme ça !
Harry haussa un sourcil amusé avant de revenir à ses papiers. Levant le bras, il agita mollement la main dans les airs, comme pour chasser ces paroles pathétiques et encourager son interlocuteur à prendre congé.
- C'est cela, marmonna-t-il sans relever les yeux de ses documents. Allez donc pleurer dans les jupes du roi, tant que vous me laissez en paix... !
Les mains tremblantes et les lèvres emprises de frémissements inquiétants, le ministre lui jeta un dernier regard haineux avant de pivoter sur ses talons et de quitter la salle du trône à grands pas. Le bruit de ses bottes résonna quelques instants dans l'espace, avant d'être finalement couvert par le claquement brutal d'une porte que l'on ferme.
Après quelques secondes d'un calme dérangeant, le soldat se détacha du coin du mur où il s'était logé, pour s'avancer vers le duc. Sans prendre la peine de relever la tête, Harry se tourna vers lui.
- Monsieur, commença poliment l'officier, vous m'avez fait appeler ?
L'homme à la cicatrice. Le soldat de la porte qu'Edouard avait ridiculement tenté de duper. Il ne portait plus l'uniforme des troupes de la garde royale. Non. À la place, son buste se trouvait paré d'une tenue d'officier de guerre. Sans sa balafre sur la joue, jamais le jeune prince n'aurait pu le reconnaitre.
- Oui Octave, soupira le duc en posant son regard clair sur lui, j'aurais une nouvelle fois besoin de tes talents de coursier.
L'homme opina de la tête. Masquant un mince sourire, Harry lâcha d'une main sa liasse de documents pour farfouiller l'intérieur de sa veste. Il en retira deux lettres qu'il tendit à l'homme.
- Je voudrais que tu fasses transmettre cette première missive au Général Edwin, à Cimetan, et la deuxième à mon cabinet personnel de Minathau. Mes équipes se chargeront du reste.
Hochant une nouvelle fois la tête, l'officier saisit les enveloppes cachetées que lui tendait le duc, avant de claquer cérémonieusement les talons.
- Bien Monsieur, il en sera fait selon vos désirs.
- Je n'en attendais pas moins de toi mon ami, répliqua Harry d'un ton satisfait. Tu peux te retirer.
Offrant une ultime révérence, le soldat rangea les papiers dans son habit, avant de s'éloigner pour quitter promptement la salle. La porte se referma lourdement derrière lui et un silence froid envahit l'espace.
Quelques secondes s'écoulèrent. Lentement. Trop lentement. Edouard, toujours debout à côté de la fenêtre, n'osait pas bouger. Droit dans ses bottes, la bouche close et les yeux grands ouverts, il tordait maladroitement ses doigts sur ses hanches. L'atmosphère était lourde et pesante. Devant lui, les yeux occupés par quelques documents, Harry ne semblait pas prêter attention à lui. Faisait-il semblant de l'ignorer ou ne l'avait-il réellement pas vu ? Marquant quelques instants supplémentaires d'hésitation, Edouard amorça un mouvement vers la fenêtre. Mais avant qu'il n'ait pu esquisser un geste, la voix sournoise de son cousin vint grincer contre ses tympans.
- Eh bien petit prince, tu pensais que je ne t'avais pas vu ?
Edouard se figea sur place. Electrique. Un frisson glacé parcouru son dos. Un relent amer de colère. Il pivota lentement vers le duc.
Un sourire narquois tordait le visage du jeune noble. Le regard mauvais et l'allure suffisante, il s'avança vers le prince. Sa main avait froissé dans sa poche les divers dossiers qu'il consultait jusqu'alors.
- Laisse-moi tranquille, marmonna Edouard en tournant finalement son buste vers la fenêtre. Je ne t'ai rien demandé.
Ses pupilles tentèrent vainement de se plonger dans le vert intense du jardin, mais cette tentative fut vaine. Les ricanements puérils de son cousin vinrent émoustiller ses sens. Comme une bête traquée, il était aux aguets. La fatigue et la tristesse s'amoncelaient dans son esprit brouillé, et il tentait désespérément de maitriser les pulsions incontrôlables de son cœur.
- Tu ne m'as rien demandé, répéta le duc de sa voix sifflante tout en rejoignant le prince près de la fenêtre. Mais bien cela qui est ennuyant avec toi cher cousin, tu ne demandes jamais rien !
Sans prêter attentions aux paroles viles de l'homme qui se tenait à ses côtés, Edouard croisa ses bras sur son torse. Un soufflement irrité s'échappa de ses lèvres. La présence inhabituellement proche d'Harry le rendait nerveux.
- Ta passivité me tue, soupira le jeune duc, comment Éléonore peut-elle te porter autant d'intérêt ? Tu es aussi passionnant qu'une tortue en période d'hibernation.
Edouard étouffa un grognement agacé. Une tortue ? Lui ? Quand était-il de ce duc pompeux alors ? Un paon ? Un coq gonflé d'orgueil ? Un âne seigneur d'une cour peuplée de poules stupides et obéissantes ? Les bras toujours ostensiblement croisés sur son torse, il tourna la tête vers lui.
- Peut-être parce qu'il vaut parfois mieux se taire et écouter plutôt que de faire une démonstration de sa trop grande stupidité en ouvrant sa bouche ? railla-t-il en plantant son regard dans celui de son cousin.
À ces mots, Harry se figea sur place. Ourlant ses lèvres dans une grimace mauvaise, il fusilla le jeune prince du regard.
- Qu'oses-tu insinuer ?
- Je n'insinue rien du tout, répliqua Edouard en se penchant vers lui, je te demande simplement de me laisser tranquille. C'est trop d'efforts à te demander peut-être ?
- Méfie-toi petit prince, tu ne sais pas ce que tu...
- Jusqu'à preuve du contraire, le coupa Edouard en se tournant franchement vers lui, tu trouves dans mon palais. Alors je te prierais d'aller enquiquiner un autre ministre et de me laisser en paix.
Harry ouvrit de grands yeux surpris. Serrant les poings autour de l'amas de feuilles qui s'entassait dans sa poche, il réprima un grognement offensé.
- Dans ton palais ? articula-t-il dans un ricanement étouffé. Je crois rêver ma parole ! Prince de pacotille, ce que ton existence peut m'agacer par moment.. !
Un mince sourire étira les lèvres du jeune noble. Il pencha la tête sur le côté.
- Vraiment ? Je croyais que j'étais ennuyant ?
Un silence terrible s'installa entre les deux hommes. Détachant son regard du duc, Edouard reporta son attention vers la fenêtre. La colère grandissante de son cousin faisait frémir son cœur. Mais il n'en montrait rien. Non. Toujours bien droit dans ses bottes, il fixait d'un œil absent le paysage tranquille, feignant d'ignorer le bouillonnement de rage qui animait Harry.
- Tu te crois malin c'est cela ? grinça le jeune duc en s'approchant de lui. Pauvre fou. T'ai-je informé que ton très cher père revenait demain ? Tu pourras lui faire une démonstration de ta bravoure retrouvée.
Un coup. Edouard se paralysa sur place. Son père revenait. Demain. Les battements de son cœur s'accélérèrent. Cela faisait une éternité qu'il n'était plus là. Quelques jours de liberté. Une larme de sueur froide glissa entre ses omoplates. L'ogre rentrait dans sa demeure. Et Adrien qui n'était plus là. Il était définitivement seul.
- Petit prince fait beaucoup moins le fier tout d'un coup... ricana Harry en reculant d'un pas.
Edouard vit rouge. Ce fut brusque. Soudain. La colère l'avait pris à la gorge. Elle s'était emparée de son corps, saisie de son âme et se répandait dans son sang tel un poison infect. Il se retourna vivement, les triait pincés, le visage affreux, prêt à déverser sur son cousin les flots de son désespoir. Mais avant qu'un seul mot ne puisse s'échapper de sa bouche en feu, un timide raclement de gorge le rappela à la raison.
- Hum, excusez-moi, monseigneur ?
Les deux hommes se retournèrent du même coup. Derrière eux, les mains maladroitement jointes sur son jupon, une jeune femme de chambre à la tunique sombre se tenait debout. Les mèches sombres de son chignon venaient élégamment parsemer son front. Constatant qu'elle avait enfin réussi à attirer l'attention des deux nobles, elle se plia en une révérence appliquée.
- Oui belle enfant ? susurra Harry d'une voix suave tout en s'approchant d'elle.
À ces mots, Edouard eut-une grimace dédaigneuse et se détourna vers la fenêtre. Puisque cette femme n'était pas là pour lui, il n'avait nul besoin de jouer les représentations.
- Euh... balbutia la voix timide de la domestique. Excusez-moi. Je voulais dire, mon Prince ?
Edouard se retourna gauchement, l'air hagard. Ah. Donc c'était bien pour lui qu'elle était là. Ravalant une frustration mal placée, il savoura quelques instants la mine déconfite de son cousin avant de porter son attention sur la demoiselle.
- Je euh... Oui ? Qu'y a-t-il ?
Elle entama une seconde courbette de circonstance.
- Je viens vous voir de la part de Mademoiselle Éléonore, expliqua-t-elle de sa voix douce. Elle souhaiterait grandement vous inviter à prendre le thé à l'endroit habituel.
- À l'endroit habituel ? répéta Edouard intrigué. Je euh... Bien sûr, dites-lui que je la rejoins de suite.
- Bien Monsieur.
Elle s'inclina une nouvelle fois, avant de se retourner et de s'éloigner à petits pas. Sa silhouette menue disparue bien vite derrière les imposants battants de la porte.
- Prendre le thé ? minauda Harry avec une grimace appuyée tout en se tournant vers son cousin. Mais quelle occupation bougrement princière dis-moi ! Tu vas donc lui parler d'amour comme tu sais si bien le faire ?
Edouard le toisa quelques instants d'un ai effaré, avant d'enfouir ostensiblement ses mains dans les poches de son habit et d'entamer une marche vers la sortie.
- Va au diable Harry, siffla-t-il d'une voix suffisamment forte pour que son cousin puisse l'entendre. Va au diable.
La porte de la bibliothèque était entrouverte. Franchissant les derniers mètres, Edouard poussa délicatement le battant puis s'engouffra dans la pièce. Une lumière douce et chaude enveloppait le lieu. Les rideaux avaient été tirés de moitié, filtrant doucement les rayons lumineux du soleil. Une douce odeur de cannelle venait agréablement chatouiller ses narines. Il s'avança prudemment.
Assise sur un fauteuil, les yeux rivés sur un épais volume, Éléonore lisait en silence. Ses jupons brodés se déversaient en cascade sur le sol boisé, telle une fleur déplorée. Il fit quelques pas supplémentaires. Elle ne bougea pas. Les traits de son visages figés dans un masque de tranquillité studieuse, la jeune femme était happée par sa lecture. À ses côté, ornés de moulures somptueuses, se trouvait un plateau couvert de biscuits et de tasses en porcelaine.
Edouard se racla maladroitement la gorge, tirant la princesse de son récit. Relevant la tête, le regard de la jeune s'illumina en découvrant celui de son interlocuteur. Posant son ouvrage sur l'accoudoir de son siège, elle se redressa vivement en poussant un cri de joie.
- Mon ami ! s'exclama-t-elle joyeusement en lui saisissant les mains, je ne vous espérais plus !
La proximité soudaine et l'entrain de la jeune femme déstabilisa quelques peu le prince. Ses mains dans les siennes, son visage rayonnant tout près du sien, son souffle sur sa joue. Tout cela le dérangeait. Il recula d'un pas. Sans remarquer le malaise de son compagnon, Éléonore pencha malicieusement la tête sur le côté, libérant le prince de l'emprise innocente de ses doigts.
- Pourquoi n'êtes-vous pas venu à notre petite réunion quotidienne ? interrogea-t-elle sur un ton faussement boudeur. J'ai dû importuner cette brave Marissa pour aller vous quérir. Je dois dire que je me trouvais bien seule sans vous à mes côtés...
Elle se trouvait bien seule ? Et lui donc... Baissant la tête d'un air coupable, il lui offrit une moue désolée, ne sachant que faire d'autre. Comment expliquer à cette jeune femme si bien élevée qu'il n'avait qu'une envie, se cacher au fond des bois pour y ruminer sa peine et sa colère ?
- Diable que je m'ennuyais de vous ! reprit Éléonore en agitant les mains. Hier déjà vous étiez distant, et là... qu'elle mine terrible vous avez ! Seriez-vous malade mon ami ?
Une mine terrible ? Qu'entendait-elle par cela ? Avait-il l'air à ce point misérable ? Les sourcils joliment froncés en une grimace inquiète, la princesse scrutait son visage avec attention. Edouard n'aurait su dire lequel, entre le poids de se regard et la présence de ses mains sur ses doigts, était le plus dérangeant. Ravalant cette bille de mal-être qui se formait dans sa bouche, il secoua la tête d'un air amusé avant de s'éloigner de la jeune femme pour rejoindre d'un pas vif le plateau de thé qui refroidissait derrière eux.
- Une mine affreuse ? répéta-t-il d'une voix qui se voulait détendue. Voyons n'exagérons rien ! Je ne voulais pas vous inquiéter, et encore moins vous abandonner aux affres de la solitude !
La princesse se tourna vers lui. Il lui tendit une tasse de thé.
- Je m'excuse pour ce silence impardonnable. Pour me pardonner, daignerez-vous accepter cette humble tasse de thé ?
- Vous êtes tout entier pardonné voyons, s'amusa la jeune femme en riant, et ce serait avec plaisir que je me délecterais en votre compagnie de cette noble boisson !
Réprimant un sourire ravi, elle saisit la tasse fumante entre ses doigts blancs, et la porta à ses lèvres. Edouard l'imita, et bien vite, un nectar sucré aux douces saveurs d'amandes et de cannelle se déversait dans sa bouche. Le liquide chaud s'engouffra dans sa gorge pour venir réchauffer son ventre. Comme une douce étreinte. Un souffle de sérénité qui s'emparait de lui pour venir apaiser ses peines pathétiques.
- Ce thé est délicieux, déclara-t-il en reposant sa tasse encore pleine sur le plateau.
Éléonore étouffa un rire. Un sourire gourmand étirait malicieusement ses lèvres roses. Elle hocha la tête avec entrain.
- N'est-ce pas ? s'émerveilla-t-elle. C'est mon préféré, je le fais directement venir des pays de l'Est. Je n'en ai pas trouvé de meilleur !
Le jeune prince réprima un sourire.
- Eh bien il faut croire que vous avez d'excellentes papilles mon amie !
Tournant la tête vers le plateau de victuailles qui lui faisait de l'œil, son regard agrippa l'ouvrage posé sur l'accoudoir. C'était un livre de biologie. Le même genre de livre que lisait Adrien. Son cœur se serra.
- Vous lisez ce genre de chose ? demanda-t-il d'une voix absente tout en saisissant lentement le recueil entre ses mains.
Un gloussement poli s'échappa des lèvres de la jeune femme. Reposant délicatement sa tasse sur le plateau d'argent, elle s'approcha du prince.
- Oh, cela peut paraitre surprenant oui, s'amusa-t-elle en se penchant par-dessus son épaule. Mais j'ai trouvé cet ouvrage en divaguant à travers les rayons. Figurez-vous que j'en lisait un semblable quand j'étais plus jeune !
Sans prêter plus d'attention que cela aux mots que prononçait la princesse, Edouard faisait défiler les pages sous ses doigts. Des schémas, des dessins, des chiffres, un amas de mots entassés entre des lignes serrées. Ces images venaient un peu plus raviver l'image douloureuse du noiraud dans sa mémoire, effritant cette plaie terrible qu'était sa solitude.
- Si vous saviez comment j'ai haï ce bouquin, continuait à réciter la jeune femme. Mon précepteur a littéralement dû me forcer à le lire ! J'aime la poésie, le rêve, les voyages... alors pensez-vous, des livres de médecine et de science... Je les avais en horreur !
Détachant son regard des pages jaunis, Edouard haussa un sourcil intrigué.
- Alors pourquoi continuez-vous à vous infliger pareil supplice ? Il y a ici mille autres ouvrages que vous pourriez dévorer.. !
Un petit sourire espiègle souleva les lèvres de la princesse. Une étincelle de malice. Elle pencha sa tête sur le côté tout en croisant ses bras sur sa poitrine.
- Ah mais mon précepteur était quelqu'un de fourbe, de terriblement fourbe ! s'exclama-t-elle. Il a mis au point un terrible chantage : si je voulais lire un roman d'aventure, je devais lire un chapitre de cet ouvrage.
Elle eut un rire.
- Oh je l'ai maudit pendant quelques semaines, mais voyant qu'il ne cédait pas, j'ai été contrainte de lire son fichu bouquin. Et puis, au fil des pages, cette discipline a commencé à m'intriguer.
Elle haussa les épaules avec amusement.
- Bon, je n'irais pas jusqu'à dire que cela me passionne, mais j'avoue aimer ce livre. Mon précepteur m'a faite souffrir, mais il m'a donné le goût de la science, je lui dois bien cela !
Edouard fixait la jeune femme en souriant. Les bras dans les airs, elle avait déblatéré ses mésaventures à la manière d'une enfant contrariée. Cela avait quelque chose de touchant.
Secouant la tête, il se penchant de nouveau sur l'ouvrage qu'il serrait entre les mains.
- Quel être atrocement fourbe en effet, vous forcer à lire pour gagner votre amour, c'est...
Le prince se tu brutalement. Le visage toujours rivé sur le livre, les doigts coincés entre les pages, il fixait un horizon invisible. Une idée venait soudainement de germer dans son cerveau. Une idée folle. Une idée terrible. Une idée qui pourrait résoudre l'immensité désastreuse de ses problèmes. Il releva la tête avec stupéfaction.
Devant lui, les bras de nouveau croisés sur sa poitrine, Éléonore le fixait d'un air étrange.
- Tout va bien mon ami ? s'inquiéta-t-elle en s'approchant doucement.
Edouard battit des paupières. La bouche entrouverte, le teint pâle, il fixait la jeune femme d'un air hagard.
- Je, euh, oui... je réfléchissais à ce que...
Un éclair de raison. Il secoua brusquement la tête et ferma le livre, se redressant de toute sa hauteur. Un raclement de gorge bruyant raisonna dans l'espace.
- Assez bavassé ! s'exclama-t-il soudainement en reposant le livre sur le buffet. N'étions-nous pas venu nous empiffrer de pâtisseries sucrées autour d'une leçon d'espagnol et d'un morceau de musique ?!
Surprise par ce revirement inattendu de comportement, Éléonore marqua un temps de silence avant de détendre les traits délicats de son visage et d'y étouffer un gloussement amusé.
- Je ne saurais vous donner plus raison.. !
Etirant ses lèvres dans un sourire enchanté, le prince saisit le plateau de victuailles pour cérémonieusement le tendre à sa promise.
- Alors mon amie, déclara-t-il d'une voix faussement sérieuse, il est grandement temps que nous nous mettions à l'ouvrage. Je crains fort de constater qu'il y a beaucoup à faire...
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Hey ! Je m'excuse pour ce retard inacceptable... j'ai eu quelque soucis d'organisation, mais le voici : le chapitre 25 !!
Pour un bon chapitre n°25 il vous faut : un petit prince déprimé, un duc insolent, un ministre impotent et une princesse scientifique. Mélanger le tout et... tadaaa !
Non, plus sérieusement, j'étais plutôt dubitative quant à ce que j'avais écrit, mais je ne me voyais pas vous faire attendre d'avantage... alors voilà ! J'espère que cela vous a plu et que ma petite fiction continue à vous intriguer !
Qu'avez vous pensé d'Harry, de son petit projet d'intervention militaire, puis de son altercation avec Edouard ? Mais surtout, dites moi tout, à quelle idée du siècle notre prince dépressif a-t-il soudainement songé selon vous ?? ^^
Voilà voilà, c'est tout pour moi.
Merci encore mille fois de continuer à me suivre et à commenter, malgré mon absence frappante de régularité... vous êtes terriblement géniaux. La suite devrait arriver dans deux semaines (si tout va bien!) ! ^^
Pleins d'amour à vous tous et à bientôt !!
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