Deuxième partie : l'après midi
« Hwang Hyunjin, je ne pensais pas vous voir ici. »
Le conseiller du chancelier me regarde de haut, comme à son habitude, ses quatre bras croisés sur sa poitrine.
« Ce n'est pas vous qui disiez à ma sœur qu'il n'y avait que les imbéciles qui ne changeaient pas d'avis lorsque vous tentiez de m'expulser du sénat ? raillais-je.
- Effectivement, dit-il en haussant un sourcil. Dame Yeji est dans sa loge, vous avez besoin qu'on vous y conduise ?
- Ce ne sera pas nécessaire. »
Je lui adresse le sourire le plus hypocrite que je peux et m'engage dans le couloir menant à l'arène, le poids de ma bague comme seul ancrage dans la réalité.
Je marche vite, mes pieds savent où il faut aller, je connais le plan de l'arène par cœur. Après quelques minutes, j'arrive devant une porte grise que j'ouvre. Yeji est là, plus splendide que jamais dans sa tenue de combat doré qui contraste avec ses cheveux d'un bleu plus clair que les miens et ses ailes blanches.
« Tu es superbe, » dis-je à mi-voix.
Elle se retourne, à peine surprise de me voir là et un léger sourire se peint sur son visage de poupée.
« Merci Hyunjin, je veux que les citoyens se sentent fière de m'avoir à leurs côtés. »
Je redresse mes lèvres en un sourire qui, je l'espère, paraît sincère et vais m'asseoir dans un coin alors qu'elle fait l'inventaire de ses armes.
« Qu'est-ce que tu fais après, me demande-t-elle.
- Je ne sais pas si j'aurai la force de voir ça, dis-je en tentant de contrôler les tremblements de ma voix.
- Oh Hyunjin, dit-elle en se tournant vers moi, je me doute que ce doit être dur pour toi. Mais tu dois bien garder à l'esprit que cet homme est un traître, le pire de tous, ce n'est plus ton meilleur ami, je doute qu'il ne l'ait jamais été d'ailleurs...
- Ce n'est pas-
- Peu importe. C'est fini maintenant. N'est-ce pas ? »
Je pourrais tout lui dire maintenant. Je pourrais tout lâcher, abandonner, aller me recroqueviller dans les bras de ma grande sœur comme quand j'étais petit. Ce serait si simple.
« Hyunjin ? »
Mais encore fois le métal froid sur mon doigt me fait redescendre de mon nuage.
« Bien sûr. »
Elle me sourit et retourne à ses armes. Je la regarde mettre ses mirae dans leurs écrins, sa lance dans son dos, ses dagues dans leurs fourreaux. Elle prend sa longue épée et se tourne vers moi. Elle ressemble à une princesse guerrière prête à tout détruire sur son passage.
« Tu es vraiment-
- Magnifique ! Comme d'habitude ma chère ! »
On se tourne vers l'entrée où se trouve le chancelier, les bras ouverts, une expression d'admiration sur le visage. Celui de Yeji se teint de rouge et je dois me mordre la lèvre pour ne pas sauter sur cet hypocrite. Il s'avance pour lui prendre les mains et la complimenter encore et encore. Cet homme est tellement faux, je ne comprends pas comment je peux être le seul à l'avoir remarqué.
« Monsieur Hwang, vous êtes venus encourager votre sœur ?
- Absolument, dis-je entre mes dents. Même si elle n'a absolument pas besoin de mes encouragements pour gagner.
- Évidemment. »
Il me sourit et un frisson me parcoure le corps.
« Très chère, il est temps pour moi d'aller m'installer, je vous souhaite bonne chance, même si comme l'a très justement souligné votre frère, vous n'en avez nullement besoin. »
Yeji s'incline bien bas et je fais de même, bien moins bas.
« Peut-être que monsieur Hwang pourrait venir avec moi ? Il n'y a pas de meilleure vue que depuis ma tribune. »
Je me tourne vers Yeji, catastrophé, mais son sourire figé m'indique très clairement que je n'ai pas le choix.
« Avec plaisir, dis-je donc en me retournant et en ignorant les battements de mon cœur qui se sont subitement accélérés.
- Parfait ! Je vous attends dehors le temps que vous disiez au revoir à votre sœur. »
Je fronce les sourcils en le regardant disparaître. Son petit rictus qui n'a pas quitté son visage depuis qu'il est entré ne me dit rien qui vaille.
« Je suis désolée Hyunjin, mais tu ne pouvais pas refuser l'invitation du chancelier. »
J'acquiesce, distrait. Il manigance quelque chose, c'est sûr.
« Yeji, dis-je soudain. Est-ce que tu peux me promettre quelque chose ?
- Je ne sais pas dit, dit-elle, méfiante.
- S'il te plait, si ça devient trop dangereux et que tu sens que tu perds l'avantage, arrêtes le combat. Et fais bien attention à tout, il y a des chances qu'il y ait un retournement et-
- Hyunjin ! »
Elle a posé ses mains sur mes épaules et me fixe, son sourire triste que je déteste tant sur les lèvres.
« Quoi qu'il se passe, je ferais mon devoir. Que veux-tu qu'il m'arrive ? »
Je la fixe quelques secondes, perdu.
« Hyunjin, tout va bien se passer d'accord ? »
Elle m'attire dans ses bras et j'inspire à pleins poumons son odeur qui me rappelle mon enfance. Puis, après une dernière étreinte, je rejoins le chancelier et le suit jusqu'à sa tribune.
Mon cerveau tourne à plein régime, cherchant vainement une solution à mon problème. Mais je ne trouve rien, rien du tout. Je tente de réfréner la panique qui m'étreint comme je peux, mais rien n'y fait, et mes mains ne peuvent s'empêcher de trembler. Lorsque je m'assois à côté du chancelier, je peux presque sentir mon cœur se briser en voyant le sable blanc de l'arène et les plates-formes volantes qui tourne autour de l'enceinte ronde.
« Comment vas-tu Hyunjin ? »
Je remarque à peine qu'il a laissé tomber le vouvoiement et me tourne vers lui, cherchant sur son visage un signe qui pourrait m'indiquer ce qu'il veut vraiment.
« Très bien.
- Tu as l'air stressé mon pauvre enfant. Tes mains ne cessent de trembler. »
Je plaque mes paumes sur mes cuisses et déglutit.
« Je m'inquiète pour ma sœur.
- Bien sûr, c'est compréhensible. »
Le silence s'installe entre nous et je commence à croire qu'il ne va plus m'adresser la parole, mais lorsque le porte-parole du sénat s'avance sur sa plate-forme il se penche vers moi, comme s'il voulait me confier un secret.
« Tu sais ce que je déteste le plus, Hyunjin ?
- Non.
- Les menteurs. »
Je déglutis et tourne mon regard vers le porte-parole en ignorant ses yeux perçants qui me fixent.
« Le mensonge m'exècre au plus haut point. On gagnerait tous à être honnête, tu ne penses pas ? »
Je hoche la tête, silencieux.
« Enfin, heureusement que je sais que je peux compter sur ta sœur et toi. »
Qu'est-ce qu'il raconte ? Il sait très bien qu'il ne peut pas compter sur moi. Pourquoi dit-il cela ? Veut-il me faire passer un message ? Il se recule pour s'installer confortablement, et la voix amplifié du porte-parole s'élève jusqu'à nous.
« Mesdames et Messieurs, citoyen de Sekahie, bienvenu ! Bienvenu à ce duel qui restera à jamais gravé dans les mémoires ! »
La clameur du peuple me prend par surprise et fait gronder les murs, je me sens oppressé dans cette pièce.
« Vous le savez tous, aujourd'hui nous allons assister au duel entre notre guerrière aimée de tous, Hwang Yeji, et le traître enfin attrapé par nos valeureux soldats, Minho Lee. »
De nouveau la clameur, les applaudissements, les gens tapent du pied, et j'ai du mal à respirer.
« À présent, mesdames et messieurs, veuillez accueillir Lee Minho, traître à la nation, accusé d'avoir tué des centaines d'innocents, fomenté un assassinat à l'égard de notre chancelier, et la liste est longue. »
Une porte de fer s'ouvre en face de nous et une silhouette apparaît petit à petit à mesure qu'il s'avance. Lorsqu'il apparaît enfin à la lumière la clameur est plus forte que jamais. Mon cœur se serre alors que je contemple sa silhouette affaiblie autrefois si forte. Ses cheveux noirs sont désormais ternes et coupés extrêmement court. Ses vêtements s'apparentent plus à des guenilles qu'à autre chose et la simple épée qu'il tient dans sa main semble avoir vécu plus longtemps que lui. Mais ce qui me choque le plus, ce sont ses yeux que je peux voir sur l'écran géant. Ses yeux bleus qui étaient si pleins de vie et pétillants sont désormais vide et sans émotion, comme si plus rien ne l'atteignait.
« Et maintenant, veuillez accueillir chaleureusement notre guerrière, la meilleure d'entre nous, notre fée, notre amie : Hwang Yeji ! »
Le bruit est désormais assourdissant alors que j'imagine Yeji sortir d'une porte située sous notre tribune. Lorsqu'elle apparaît elle est encore plus resplendissante que jamais, surtout avec les rayons des deux soleils qui se reflètent sur son armure.
Le porte-parole termine son plaidoyer tandis que Yeji salue les spectateurs en agitant sa main, un grand sourire sur le visage.
Les deux combattants se rapprochent l'un de l'autre et se mettent docilement en garde. Personne n'est choqué de voir cet homme abimé par la vie qui fait face à une adversaire bien plus puissante, bien plus armée, bien plus entrainée. Ça me dégoutte. Cette société me dégoutte. Le goût métallique du sang envahit ma bouche. Je me suis mordu la lèvre. En bas, Yeji et Minho se fixent encore, le corps en tension, attendant le signal qui ne tarde pas à être donné. Et ils s'élancent.
À la surprise général, Minho ne se laisse pas du tout faire. Il y a un instant de flottement dans l'arène lorsque Minho rend coup pour coup ceux que lui lance Yeji et on n'entend plus que les épées qui s'entrechoquent, puis les spectateurs se ressaisissent et se mettent à crier leurs encouragements pour Yeji. Mon corps entier est tendu tandis que je peine à suivre l'évolution du ballet mortel qui se déroule sous mes yeux ; qu'importe l'issu du combat, elle me fait peur.
Malgré tout, je dois bien avouer que ce combat est tout simplement incroyable, Yeji semble avoir l'avantage, mais Minho lui rend chacun de ses coups ou les esquives avec brio. Mais évidemment, il n'est pas en état de tenir un combat d'une telle férocité. Cet équilibre apparent ne tardera pas à être brisé, et mon cœur avec.
Voilà, il est à terre, son épée cassé en deux morceaux à côté de lui et celle de Yeji pointé vers lui. Ça y est ? C'est la fin ? Non ! D'une torsion du torse il arrive à se relever en évitant l'épée de ma sœur. Il est maintenant désarmé face à une guerrière aguerrie en bien meilleure forme que lui, et pourtant il ne semble pas s'en formaliser. Ils se tournent autour, sans un bruit, chacun jaugeant l'adversaire, puis il fonce, esquive son coup, et la projette à terre. Je grimace, mais elle se relève sans mal. Le soleil se reflète sur un objet métallique dans la main de Minho : il a eu le temps de lui prendre deux de ses poignards. Je retiens ma respiration, la peur coule partout dans mes veines, ce contre quoi j'ai lutté corps et âmes depuis des mois et en train de se produire, sans que je puisse faire quoi que ce soit.
Et d'un coup, Minho lève la tête et nos regards se rencontrent.
Le temps semble s'arrêter alors que ses sourcils se froncent d'incompréhension, puis ils redescendent et je peux lire une immense tristesse sur ses traits.
Je n'ai qu'une envie, c'est de sauter par-dessus la rambarde et le rejoindre, envers et contre tout. Sauf qu'il ne semble pas l'avoir compris puisqu'il évite distraitement l'attaque de Yeji et se recule de quelques pas avant de lâcher les poignards et de les laisser tomber sur le sol sablonneux pour lever les bras en signe de reddition. Mes yeux s'écarquillent, mais son regard ne me lâche pas. Yeji s'est arrêté également, peu sûr de ce qu'elle est sensée faire. La foule gronde, en colère, elle veut du sang, pas que les deux combattant se regardent dans le blanc des yeux en attendant qu'il se passe quelque chose. Minho ne m'a toujours pas lâché du regard et Yeji finit par se retourner pour me regarder à son tour, et la réalisation la frappe alors, je peux le voir dans son regard. Elle sait désormais que je n'ai jamais eu l'intention de l'aider, que si je suis venue la voir c'était uniquement pour lui, que je faisais partit de ceux qui voulait le libérer. Elle sait tout.
« Comme je disais, je déteste les menteurs, me chuchote le chancelier. Il est encore temps pour me raconter tes petits secrets, Hyunjin. »
C'est un cauchemar, ça ne peut qu'être ça, et je vais me réveiller.
« Hyunjin ?
- Je n'ai pas de secret.
- Pour qui me prends-tu exactement Hyunjin, ou plutôt devrais-je dire Azraq ? »
Cette fois-ci je me tourne vers lui, paniqué.
« Comment... Comment...
- Peu importe le comment, ce qui compte maintenant c'est de cesser cette mascarade qui dure depuis bien trop longtemps. Je vais te proposer un marché très simple Hyunjin. »
Son sourire s'agrandit à mesure qu'il parle. Il jubile.
« C'est soit tu nous donnes les noms de tes petits compagnons et j'exile ton cher ami Minho, soit tu te tais et je le fais tuer, immédiatement. »
Il agite la main et un archer apparaît à côté de lui, son arc tendu en direction de Minho.
« S'il vous plaît...
- Oui ? »
Je sens les larmes monter vers mes yeux et mon sang qui se glace dans mes veines. Je suis acculé. Il n'y a plus rien à faire.
« Chancelier, intervient alors un homme de sa suite.
- Pas maintenant.
- Regardez, le prisonnier ! »
Je décroche alors mon regard de celui du chancelier et mon cœur loupe un battement lorsque je vois Minho en train de monter sur une des plateformes.
« Tirez dessus, immédiatement. » ordonne le chancelier alors que je me suis levé pour me précipiter devant la rambarde.
L'archer tire et sa flèche vient se planter dans l'épaule de Minho, qui grimace avant de l'arracher et de la laisser tomber par terre. Il entreprend maintenant de passer à la plateforme suivante, elles sont suffisamment rapprochées pour pouvoir passer de l'une à l'autre en sautant, mais je ne sais pas si dans son état il en est capable.
« Alors, Hyunjin, me presse le chancelier en se levant et en m'attrapant le bras. Choisit, et vite, tu n'as plus le temps de rien. »
Je contemple un instant sa main fripé qui entoure mon bras, comme une serre. Puis mes yeux se portent sur Minho qui saute de plate-forme en plate-forme en esquivant les tirs des archers, je parcoure ensuite la foule en colère qui cri son mécontentement, et finit par poser mon regard sur Yeji qui contemple Minho sans rien faire, perdue.
« Plutôt mourir que de vous obéir, crachais-je au chancelier. Je choisis la troisième option. »
Le visage du chancelier se plisse dans une grimace de rage et avant qu'il ait pu faire quoi que ce soit je le repousse du plus fort que je peux et saute par-dessus la rambarde pour atterrir dans un équilibre précaire sur une des plateformes plusieurs mètres dessous, elle se balance mais je réussi à ne pas tomber par miracle. À quatre plateformes de moi se trouve Minho qui plante son regard dans le miens, je comprends son plan en une fraction de seconde et saute par terre, atterris en roulade et quelques instants plus tard la plate-forme au-dessus de ma tête s'écrase par terre, Minho l'ayant poussé de toute ses forces en s'appuyant contre le mur de l'arène sous le nez du chancelier que j'entends crier en haut. On se trouve maintenant tous les deux entre la plate-forme et le mur, les yeux dans les yeux, essoufflé.
« Hyunjin, souffle-t-il, j'ai cru que tu t'étais rallié à lui.
- Bien sûr que non, répondis-je sur le même ton. Je suis là pour te sauver.
- Effectivement, maintenant que tu le dis, c'est évident, raille-t-il.
- Il m'a coincé, dis-je en secouant la tête. J'ai fait de mon mieux d'accord ?
- Je te crois. »
Sa main se pose sur la mienne et je ferme les yeux une fraction de seconde, appréciant son contact tant que je le peux encore.
« J'ai peur que ce soit la fin, murmure Minho.
- Je sais.
- Je suis désolée de t'avoir traîné là-dedans...
- Arrête, si je devais choisir, je referais tout pareil. Je ne regrette rien, et surtout pas t'avoir rencontré. »
Il me sourit, et je sens mon cœur se réchauffer, juste avant que la plate-forme explose devant nous, m'envoyant par terre. J'ai dû sable pleins la bouche, et un liquide chaud coule dans mon cou, j'essaye d'ouvrir les yeux mais je ne vois que du blanc.
Puis du noir.
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