1-
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Tu as sauvé Haru. En d'autres termes, tu avais gagné la reconnaissance ferme de Jimin. Quand je suis entré dans la cuisine, l'humeur assassine et n'ayant trouvé aucun médecin disponible dans les environs - même après avoir donné mon nom - tu avais un verre d'eau à la main - le nôtre - et un sourire juvénile aux lèvres.
Comment diable osais-tu être si tranquille ?
Déjà, tu avais ta cour : autour de toi se trouvaient Jimin et les autres. Il leur racontait comment tu avais guéri Haru miraculeusement, à l'aide d'adjectifs mélioratifs, d'hyperboles et de son timbre chantant.
La sonnette d'alarme retentissait avec force, mais j'étais le seul à l'entendre. Non, tu l'entendais aussi, n'est-ce pas ? On aurait dit que tu te moquais de moi, que tes yeux disaient : « Je suis entré dans ta vie, tu vois ? ».
J'ai ôté mes chaussures et me suis avancé sur le carrelage de pierres bleues et blanches.
— Il ne peut pas rester ici, ai-je balancé.
— Tu devrais le remercier pour ce qu'il a fait ! Sans lui, Haru serait morte ! a immédiatement répondu Jimin.
Il avait pris mon impolitesse pour lui, comme un parent qui aurait mal élevé son enfant. Ou alors comme s'il était celui qui t'avait craché ces mots, et non pas moi. Il prenait cette phrase, qu'on se disait entre nous — « je suis toi, tu es moi » — un peu trop au sérieux parfois.
Oh non, je ne suis pas comme lui, je ne l'ai jamais été, mais il n'a jamais voulu m'écouter.
— Sans lui ? ai-je répété, avec un rire mauvais, cruel, qui ne me ressemblait pas. Qu'est-ce qu'il veut ? De l'argent ?
Je refusais de m'adresser à toi directement et en même temps, j'en mourrais d'envie, je voulais voir la sérénité sur tes traits s'écrouler, que mon animosité force les barrières de ton coeur, te foudroie et te percute de plein fouet ; que tu te décides enfin à prendre le large, et adieu, sale barge.
Je ne pouvais plus te mettre à la porte, tu avais sauvé Haru et Jimin t'appréciait. Il ne me parle plus, tu sais ? Jamais il ne me pardonnera ce que j'ai fait.
— Je ne veux rien, as-tu dit, le visage impassible.
— On veut tous quelque chose.
— Je ne veux rien de toi, as-tu alors précisé.
Tu m'as déjà tout pris, ai-je eu envie de rétorquer. À la minute où tu t'es pointé sur ce maudit chemin, tu as commencé à me voler. Déjà mes amis, mes frères, prenaient ta défense, sans égards pour ma méfiance.
— Il restera jusqu'à demain et partira en même temps que nous, a dit Jimin, et l'affaire était conclue.
C'est alors que j'ai remarqué ton air maladif et je me suis senti fautif. Cela n'a duré qu'une seconde : à peine féconde, la pensée s'est envolée. Tu sais, nous étions venus ici, dans ce village au bord de la mer, pour Haru, pour qu'elle puisse prendre l'air. La campagne lui ferait du bien, a dit son médecin, un vrai médecin. Jimin n'a pas hésité, moi non plus. Père n'a pas apprécié de nous voir quitter la ville pour sa faiblarde de bâtarde, comme il disait d'un ton vil. Il n'avait jamais pardonné à la mère d'Haru d'être morte et de lui avoir laissé le fruit pourri de leur union coupable sur le pas de la porte, avec une enveloppe. Mère l'a trouvé. D'après Seokjin, mon cousin orphelin, qui avait six ans à l'époque, elle a regardé Père dans les yeux et lui a dit : « Tu vas la garder et l'élever, la ville entière saura, ainsi chaque jour tu contempleras le fruit de ta disgrâce ».
Deux ans plus tard, c'est Jimin qu'on a retrouvé sur le paillasson, l'infamie tatouée sur son ventre de nourrisson. Cette fois, Seokjin m'a raconté qu'il a vu Père mettre la main sur son coeur et se laisser glisser le long du mur, haletant, pendant que la domestique se précipitait pour faire entrer l'enfant.
Quelle ironie, il a forniqué avec l'une des leurs sans même le savoir. Je me suis toujours demandé comment il avait pu ne pas voir le signe sur sa peau ivoire. L'a-t-il prise sans même la déshabiller ?
Il était trop tard pour éliminer le bébé, des voisins l'avaient aperçu sur le pas de la porte, sous la poignée en forme de scarabée. Cette fois, les traits soudain vieillis, Mère a accusé Père d'être la ruine de la famille. Elle lui a dit qu'à force de mettre son engin partout, cela devait arriver, c'est tout. Le symbole sur la peau de Jimin a été effacé, il porte encore une cicatrice toute boursouflée. Mère ne lui a jamais adressé la parole, ni à lui, ni à Haru.
Il a fallu attendre deux années supplémentaires pour que le gouverneur ait enfin un fils légitime : moi.
Ce soir-là, donc, tu es resté, et moi, je n'ai pas dormi. Tu empoisonnais l'air, j'imaginais ton sourire suffisant, parfois je croyais même sentir ton regard moqueur sur ma chair, c'était rageant. La chaleur étouffante de l'été collait mes vêtements contre ma peau, j'ai voulu me rafraîchir mais il fallait passer devant toi pour accéder à la salle d'eau. Il en était hors de question, alors je suis demeuré immobile dans ma sueur, comme un imbécile.
Le lendemain, je me suis levé et tu n'étais plus là. Bon débarras.
Dans la maison flottait un affreux parfum de jasmin.
<3
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