4 - LE CARIBOU.
On frappe violemment à ma porte d'entrée, mais je n'ai plus la force de bouger. L'absence de Butcher, qui d'ordinaire aboie à en perdre la tête, me serre le cœur. Hier, Alec m'a mise dehors pour de bon, excédé par mon silence. Je n'ai pas su répondre à son aveu et me suis effondrée dès qu'il a refermé devant mon nez. Et au passage, mon chien a choisi son camp.
— Y a quelqu'un là-dedans ?
L'inquiétude dans la voix de Jessalyn me transperce, mais les mots restent coincés dans ma gorge. À contrecœur, je rassemble mes dernières forces pour me lever et me traîner jusqu'à la porte. Quand je l'ouvre, son regard rencontre le mien. Ses yeux s'écarquillent, sa bouche s'entrouvre, mais aucun son n'en sort. Silencieuse, je m'écarte pour la laisser entrer, puis referme derrière nous.
La tête baissée, je retourne m'allonger sur le canapé. Jessalyn s'agenouille devant moi, à la hauteur de mon visage, l'air soucieux :
— Qu'est-ce qui se passe, Zoey ? Ce n'est pas ton genre de ne pas venir travailler sans même nous prévenir.
— Désolée.
— Désolée ? C'est tout ce que tu trouves à dire ?
Je hausse les épaules.
— Bordel, Zoey ! Dis-moi ce qui se passe, c'est la première fois que je te vois dans cet état.
La nausée monte, et les larmes roulent de nouveau sur mes joues.
— Il s'est passé quelque chose avec Alec ? insiste-t-elle.
Entendre son prénom, c'est comme recevoir un coup de massue.
— Il ne veut plus entendre parler de moi...
À peine les mots franchissent-ils mes lèvres que je m'effondre. Honteuse de ma vulnérabilité devant Jessalyn, je cache mon visage dans un coussin. Elle soupire bruyamment, puis attrape mon bras pour m'obliger à me redresser. Je n'ai pas la force de résister, alors je me laisse faire.
— Écoute Ray Charles, il est peut-être temps d'arrêter d'être aveugle. Pour toi, ça n'aide en rien à développer tes autres sens.
— J'avais oublié que tu étais experte pour remonter le moral, ironisé-je en essuyant mes joues.
Elle me sourit tendrement.
— Ma biche, tu es la seule ici à ne pas voir que ton amour pour lui dépasse largement l'amitié
Mes lèvres s'étirent nerveusement et je secoue la tête.
— Comment tu peux ignorer quelque chose d'aussi évident, alors que tout le monde le voit ?
— Tu crois vraiment que je ne sais pas ce que je ressens ? m'écrié-je. Je suis amoureuse de lui depuis qu'on a quitté le lycée, mais il m'a brisé le cœur !
— Mais tu couchais avec ?
Les yeux fermés, j'inspire profondément. Dire que c'était une erreur serait un mensonge. Je n'ai jamais regretté une seule seconde de ce qui s'est passé entre nous. Le problème, c'est que ça ne m'a jamais aidée à tourner la page. Quand j'ouvre les paupières, je vois l'incompréhension sur le visage de mon amie. Pour la première fois, je décide de tout lui expliquer :
— La première fois, c'était un accident...
— Oui, moi aussi ça m'arrive de sauter sur un zob par accident, me coupe-t-elle.
J'ignore sa remarque et poursuis :
— On a décidé d'oublier et de faire comme si de rien n'était. Mais peu après, Alec m'a proposé qu'on continue... juste comme ça, de temps en temps. J'ai accepté, à condition qu'on reste simplement amis...
Agacée, elle se redresse et frappe sa cuisse.
— Mais... Seigneur, c'est quoi cette idée de génie ? Qu'est-ce qui t'es passé par la tête pour lui imposer une condition pareille ?
— Comme je te l'ai déjà dit, il m'a brisé le cœur une fois et je ne voulais pas me faire de faux espoirs...
— Et tu crois vraiment qu'une amitié peut durer des années sans encombre quand on couche ensemble s'il n'y a pas de vrais sentiments ?
— Il voyait d'autres filles et moi je... je faisais comme si tout allait bien.
Sa mâchoire semble prête à tomber sur le tapis. Ce silence, si inhabituel, me met mal à l'aise.
— Pourquoi tu me regardes comme ça ? demandé-je.
— J'me demande si ton cerveau reçoit encore assez d'oxygène... Sérieux, Zoey ! Dans cette ville, il n'y a que des vieilles incontinentes ou des gamines qui n'ont jamais vu le loup. Tu voulais qu'il fréquente quoi, un caribou ?
L'image que m'envoie sa phrase n'aide pas à atténuer ma nausée. Malgré tout, je reste obstinée et réplique :
— Exactement ! Et j'en veux énormément à ce caribou.
— Parfait, on le mangera à Noël !
Je grimace et m'enfonce davantage dans le canapé. À bout de patience, Jessalyn se laisse tomber à genoux devant moi et place ses mains sur les miennes.
— Arrête de t'enfermer dans le passé. Tu ne sais pas ce que je donnerais pour qu'un homme s'intéresse à moi comme Alec le fait avec toi. Le regard qu'il pose sur toi ferait fondre la neige. Et on ne parlera pas du tien qui est un trigger warning à lui seul.
— J'ai peur que ça ne marche pas et de le perdre pour de bon, avoué-je.
— Vous vivez déjà une magnifique histoire d'amour, mais elle est déguisée en amitié. Si tu ne laisses pas tes sentiments exploser au grand jour, c'est là que tu risques vraiment de le perdre, ma belle.
Pour la première fois depuis son arrivée, j'ose enfin relever la tête. À peine nos regards se croisent que je m'effondre en sanglots. Incapable de lutter davantage, je me laisse tomber dans ses bras en murmurant :
— Tu n'imagines pas à quel point je l'aime ! Ça fait des années que j'attends que ça soit réciproque... mais pour moi, c'est impossible.
— Zoey, ça fait des années que c'est réciproque.
Elle caresse mes cheveux avec une douceur inhabituelle. Après quelques minutes, elle pose ses mains sur mes épaules et me pousse légèrement pour que je recule. Avec son pouce, elle essuie la dernière larme sur ma joue.
— Il n'est pas trop tard pour lui laisser une chance.
— Tu crois qu'il voudra encore de moi ?
— Il est passé ce matin, il espérait te voir. Il est aussi abattu que toi. Ce pauvre mec t'a avoué qu'il t'aimait, et tu n'as même pas réagi... Donne-toi la chance d'être vraiment heureuse.
Je hoche la tête avant de la poser sur l'épaule de Jessalyn. Les yeux fermés, je revis tous nos souvenirs comme un film en accéléré : son sourire, son regard, ses mains sur mon corps, sa bouche contre la mienne, nos balades, nos dîners... notre vie. Celle que je n'ai aucune envie de perdre.
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