— Terminé les friandises !

Mon chien hurle d'indignation alors que je m'effondre sur le parquet, incapable de compléter ma série de pompe. Le visage dégoulinant de sueur, je roule sur le dos. Les yeux fermés, je tente de calmer les battements frénétiques de mon cœur, mais Butcher n'a pas dit son dernier mot. Il pousse un grognement plaintif et se laisse tomber sur mon ventre.

— Lève-toi, tu m'étouffes !

Pour la énième fois, il se plaint, me forçant à m'expliquer.

— Je parlais de moi ! Tu auras toujours tes friandises, mais seulement si tu bouges tes grosses fesses de mon corps.

Coincée, j'agite les jambes et rassuré, Butcher me libère. Quand Alec, mon meilleur ami, me l'a offert à Noël dernier, j'avais vu ce chien comme le plus beau cadeau du monde. Au fil du temps, j'ai compris qu'il avait un pète au bocal. Les huskies sont réputés pour être sportifs et bruyants, mais le mien ressemble plus à un paresseux.

Des coups à la porte d'entrée me font me redresser. Butcher, lui, ne bronche pas. Tel un sourd à un concert de musique électronique, il reste assis devant moi, affichant son expression la plus blasée.

— Y a quelqu'un là-dedans ?

La voix d'Alec me fige. Alors que je m'apprête à faire signe à mon chien de se taire, il se précipite vers la porte en hurlant, sautillant comme une gazelle.

— J'arrive...

Mon manque d'enthousiasme est évident. J'adore Alec de tout mon cœur, mais il y a dix ans, nous avons fait une grosse erreur. Le soir du Nouvel An, n'ayant aucune bonne résolution à prendre, il m'a proposé un pacte : si, au Noël de nos trente ans, nous étions toujours célibataires, il me demanderait en mariage. À l'époque, ça m'amusait, et j'ai accepté en riant. J'étais certaine qu'en dix ans, je trouverais l'amour, que je serais mariée avec des enfants. L'enfant en question : un toutou de presque trente kilos. Ma vie tourne un peu trop autour de ce nombre en ce moment.

Aujourd'hui, ce pacte me noue l'estomac. Dix ans ont passé, nous sommes toujours célibataires et Noël est dans cinq jours. Au début, je pensais qu'il avait oublié cet accord idiot, mais cet été, il m'a rappelé que je n'avais plus que quelques mois pour trouver l'amour avant qu'il ne pose un genou à terre. Autant dire que j'ai écumé toutes les applications de rencontres, même les plus douteuses. Je crois même m'être égarée quelques minutes sur le dark web.

— Tu comptes me laisser dehors ?

Plongée dans mes pensées, je n'ai pas bougé d'un pouce. Bien que mon rythme cardiaque reparte de plus belle, je me lève d'un bond. À peine la porte est-elle ouverte que Butcher se jette sur Alec, le couvrant de bisous.

— Devine ce que tonton Alec a ramené, mon Butbut. Des côtes de porc sans os, juste pour toi !

Cette nouvelle enchante mon chien, qui nous offre sa meilleure performance musicale : une note si aiguë qu'elle ferait pâlir Céline Dion, mais qui m'agace profondément.

— Ça suffit, Butcher !

Têtu comme une mule, il me lance un regard et bougonne davantage. Avec ce chien, mon autorité est aussi efficace que celle d'une mouche face à un ours. Déjà petit, il montrait un caractère bien trempé, un brin psychopathe et hors-la-loi à ses heures perdues. Voleur professionnel de viande, il a même une étrange addiction aux couteaux de cuisine, qu'il s'amusait à piquer en courant. Au départ, il s'appelait Lucky, mais Butcher a rapidement pris le relais.

— T'es venu juste pour rendre maboul mon chien et lui offrir à manger ? Tu sais, je le nourris.

— Non, je viens parce que ça fait une semaine que tu me fuis comme si j'étais atteint de toutes les maladies contagieuses du monde.

— C'est bientôt Noël et je préfère me tenir loin de toi.

— Mais pourquoi ?

— Parce que je n'ai aucune envie de me marier avec toi, Alec.

Pour la première fois depuis des années, les mots s'échappent sans contrôle. Le visage de mon meilleur ami se décompose sous mes yeux, me brisant le cœur, et l'émotion me brouille la vue.

— Je tiens énormément à toi et je refuse de te perdre, ajouté-je d'une voix tremblante. Imagine si c'est une erreur ? Si on ne tombe jamais amoureux et que tout ça nous détruit. Je ne veux pas prendre ce risque...

— T'es aveugle à ce point ?

— Au contraire, je suis parfaitement lucide. C'est toi qui ne te rends pas compte de ce que tu fais, Alec. Tu ne peux pas me demander en mariage pour un pacte stupide, juste parce qu'on a trente ans et qu'on est toujours célibataires.

Un sourire nerveux apparaît puis disparaît de son visage. Sans un mot, il dépose le sac à mes pieds et tourne les talons. J'avance d'un pas, prête à le rattraper, mais il se retourne.

— J'ai pensé que tu comprendrais... Je t'ai laissé dix ans pourtant. Je serai là à Noël, comme tous les ans. J'aurai une bague sur moi et j'irai jusqu'au bout. La décision t'appartient et, quelle qu'elle soit, je l'accepterai.

— Al...

— Dans le sac, tu as un burger de The Burger Barn. Ton préféré. Je voulais te faire plaisir aussi. Au départ, je comptais rester pour manger avec toi, mais... Je n'ai plus vraiment faim et je préfère rentrer.

Ses mots résonnent dans l'air, lourds de sens et de tristesse. Alec s'éloigne, laissant derrière lui une promesse incertaine et un futur à décider.