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J'ai donné le numéro de maman aux policiers pour qu'elle vienne me chercher. Elle n'a pas répondu, ils m'ont dit que ce numéro n'était pas attribué. Je suis pourtant certain de ne pas m'être trompé. Alors je suis resté assis sur les chaises froides du commissariat à attendre. Trois heures après on m'a dit qu'elle arrivait, elle a sûrement appris pour l'accident et s'est immédiatement ruée au poste de police pour avoir des informations. Je suis soulagé, j'en ai assez de patienter ici, il fait froid. Et puis on refuse de me dire comment va Minho. Souvent ce n'est pas bon signe quand on occulte la vérité à un enfant.
La porte de l'accueil s'ouvre sur une femme essoufflée, les joues baignées de larme. Elle observe chaque recoin fiévreusement, elle cherche quelqu'un. Lorsque son regard se pose sur moi, il ne lui faut même pas une seconde pour se précipiter et m'enfermer durement entre ses bras. Je n'ai même pas eu le temps de reculer, mon corps n'a pas bougé. Je suis tétanisé.
— Madame Lee ?
Un policier interpelle la dame, elle se retourne et le remercie avec insistance, toujours en pleurs. Encore une fois je n'effectue aucun mouvement. Je suis extérieur à la scène qui se déroule sous mes yeux. La femme remplit quelques papiers puis attrape ma main et m'entraine dehors. L'air frais me happe instantanément, je frissonne.
— Comment ça va mon chéri ? Oh j'ai eu tellement peur si tu savais, dit-elle en m'enlaçant une seconde fois.
Elle ouvre la portière de sa voiture pour que je m'y engouffre et je m'exécute. Mes muscles sont tendus, c'est comme si je luttais pour ne pas partir avec cette inconnue mais je n'y peux rien, je bouge par automatisme. Cette situation est normale, c'est ce que me hurle une voix intérieure. Tout va bien. Je me sens en sécurité. Désaxé mais en sécurité.
La voiture démarre, je me crispe d'autant plus. Le ronronnement du moteur m'assourdit, des flashs de l'accident me reviennent. Mes phalanges blanchissent lorsque j'agrippe la portière de toutes mes forces. Mon rythme cardiaque est désynchronisé.
— Felix, dis moi comment tu te sens s'il te plaît.
La voix douce m'apaise, je me retourne vers la dame aux longs cheveux bruns et une larme roule sur ma joue. Ses traits sont tout de suite plus réconfortants, ce sont ceux de maman. C'est elle sans être elle, c'est une sensation tellement étrange que je ne pourrais la décrire précisément. Je sens l'amour qu'elle me porte mais aussi celui que moi je suis censé lui porter. J'ai l'impression de la connaître depuis toujours. Alors je souris timidement et lui répond, parce qu'au fond, je sais qu'elle est là pour moi.
— Tout va bien maman, je suis juste sous le choc.
Peut-être que c'est moi qui me suis fait renversé par ce camion finalement, je crois que tout ne tourne plus très rond chez moi.
✮ 𖦹 ✩
J'ai mis deux semaines avant de pouvoir voir Minho. Et ces deux semaines ont été les plus étranges de ma vie.
D'abord il y a eu le dédoublement de mon meilleur ami. Puis maman qui n'était pas vraiment maman. Je l'appelle maman bis pour ne pas me perdre dans ces événements insensés. Après tout ça, il y a eu ma maison qui a déménagé. Enfin non, qui a complètement changé. Ce n'est pas ma maison, il n'y a aucune ressemblance avec la précédente. Pourtant il y a une chambre qui m'est dédiée, avec tout un tas de trucs que je n'ai jamais vu mais que je connais malgré tout. Il y a eu aussi papa bis qui est entré dans l'équation. Finalement, Olivia à suivi, ma petite soeur apparemment. Je n'ai jamais eu de petite sœur, je n'ai pas osé demandé à maman bis qui elle était. J'ai simplement accepté les faits. Tout ça c'était le premier soir, en rentrant, autant dire que j'étais déboussolé.
Les jours suivants, d'autres bizarreries sont arrivées. Je vais passer pour un fou mais la réalité a déconné, j'en suis persuadé. C'est comme s'il y avait eu une fracture vers mon ancienne vie. Mes parents retrouvaient parfois leur visage le temps d'un instant, puis redevenaient des étrangers la seconde d'après. Parfois, alors que je regardais les photos accrochées à mon mur, les lieux se métamorphosaient ou bien Minho disparaissait. J'en avais tout un tas avec lui, on est amis depuis la crèche, alors autant dire que ça m'a fait un choc lorsque je me retrouvais seul sur ces bouts de papier glacés. Dans les minutes suivantes, tout revenait en place.
J'ai compris au bout d'une semaine que le soir de l'accident, il y avait eu comme un bug de l'univers, que tout s'était emmêlé. Parfois mon quotidien redevenait comme avant, seulement pour un battement de cil. Souvent ça me faisait mal, très mal, quelque chose brûlait, se compressait en moi. Puis je respirais de nouveau lorsque l'étrange se réinvitait.
Alors oui, ça fait deux semaines que je suis complètement perdu, deux semaines que j'attends avec impatience de pouvoir voir Minho et lui poser un milliard de questions. Il s'est réveillé il y a déjà plus de dix jours mais maman bis ne voulait pas que je le vois. Pas tout de suite du moins, apparemment il était très fatigué, très maigre. Et il était amnésique. Maintenant ça va mieux, alors je suis autorisé à lui rendre visite.
Quand j'arrive dans le hall de l'hôpital, je ne peux empêcher le sentiment d'étouffement qui me prend. J'essaie d'en faire abstraction mais je redoute de voir Minho assis dans un lit blanc entouré de murs tout aussi asipides. Je souffle une fois, histoire de me donner du courage, puis j'avance vers l'accueil pour demander le numéro de la chambre et m'enregistrer. La dame est gentille, elle m'indique le chemin à emprunter et après avoir suivi ses indications à la lettre, je me retrouve facilement devant la porte numéro 98. Je n'attends pas une seconde de plus pour entrer dans la pièce, un sourire chaud sur le visage malgré l'appréhension.
— Hey, me répond doucement Minho en me voyant débarquer.
Il est pâle, plus que d'habitude. Des tubes sont accrochés à son bras, des cernes tapissent le creux de ses yeux. Et pourtant il a toujours cette énergie qui rayonne en lui, c'est le Minho que j'ai toujours connu, lui il n'a pas changé et cette constatation à le don de me rassurer.
— Comment tu vas ? Je me stoppe face à ma propre bêtise. C'est une question stupide désolé...
Mon ami rigole et louche sur ses perfusions, un air amusé sur le visage.
— T'inquiètes pas pour ça, ça parait plus impressionnant que ça ne l'est réellement.
Je le suis dans son rire, timidement, ayant toujours une légère boule au creux de mon ventre malgré l'état de Minho qui semble grandement s'améliorer.
— Les médecins ont dit que ce soir-là il s'était passé un miracle. Le camion m'a percuté et pourtant je suis presque indemne. Apparemment le seul vrai problème c'est ma mémoire, c'est complètement brouillé là dedans, dit-il en tapant son index sur son crâne.
Je pince les lèvres, cette fois-ci je sens le stress me gagner, je n'arrive plus à le refouler. Je m'assois sur le bord du lit, pose une main sur les genoux de mon ami et mords ma lèvre. Bonne nouvelle, Minho est bien réel, il est toujours vivant, ce n'est pas qu'un rêve. Pourtant je ne peux réfréner les flash de son corps disloqué qui agressent ma rétine dès que je cligne des yeux.
— Felix, ça va ?
— Dis Minho... tu ne te rappelles vraiment de rien ?
Je le sens serrer les doigts, sa jambe émet un léger sursaut sous ma paume lorsque je pose cette question.
— Tu vas me prendre pour un fou, me souffle-t-il dans une confidence.
J'aimerai lui rire au nez. Lui dire que si lui est fou, moi je suis le roi des tarés. Rien de ce qu'il dira ne pourra me surprendre après les deux semaines que je viens de passer. Pendant une seconde je souhaite même tout déballer, extérioriser enfin mon angoisse face au monde qui se casse la figure. Pourtant je me tais, je sens que ce n'est pas le moment, Minho il n'a pas besoin d'entendre mes délires, pas maintenant en tout cas. Alors je l'invite à poursuivre d'un simple regard qui se veut rassurant.
— En fait je me rappelle seulement d'une force brusque qui me tire en arrière, puis d'un vent violent qui me frôle, qui me gifle presque. Je te jure, j'ai encore la sensation glacée sur ma joue. Et puis y a eu comme un flash blanc après tout ça.
Il s'arrête un instant pour braquer son regard brun vers moi, un air sérieux niché au creux de son iris.
— Le dernier truc dont je me souviens c'est de ton visage au-dessus du mien, c'est tout. Mais apparemment t'étais pas dans l'accident, t'as été témoin mais pas impliqué directement. C'est ce que maman m'a dit. Les médecins pensent que je t'ai aperçu sur le trottoir quelques secondes avant de me faire percuter ce qui fait que ton visage s'est gravé dans mon inconscient. J'ai dû tout mélanger.
Minho est perturbé, ça se voit, ça se ressent, ça déborde. Sa voix se perd dans des trémolos qui trahissent les larmes qu'il a versé face à l'incompréhension de ses propres souvenirs. Depuis ce soir-là ça n'a pas été facile pour moi, mais je crois que ça a été d'autant plus dur pour lui. Parce que il ne se rappelle pas que ce camion ne l'a jamais touché, il vit avec un souvenir qui n'est pas le sien, c'est celui qu'on lui a imposé. Je crois que personne n'est au courant du vrai dans cette histoire.
— Je... j'hésite. Est-ce la bonne décision à prendre ? Je ne sais pas mais je n'arrive pas à contenir les mots qui glissent sur ma langue. Tu n'as jamais touché ce camion Minho, je t'ai écarté de lui avant l'impact. Moi aussi j'ai vu les flashs, le vent, la réalité brouillée. Je crois qu'il s'est passé un gros truc ce soir-là. C'est comme si depuis l'accident, deux mondes se superposaient, y a tout qui se déforme, qui est étranger.
Il m'observe, les yeux écarquillés, le corps crispé. Et pourtant dans son regard je peux y lire du soulagement. Il se sent compris, oui, Minho réalise que moi aussi j'ai vécu des trucs bizarres.
— J'ai osé en parler à personne parce que j'ai cru qu'ils allaient prolonger mon séjour à l'hôpital. Voire me déplacer dans le service psychiatrique. Tu vas me croire toi Felix pas vrai, tu ne vas pas me prendre pour un fou ?
Je secoue de la tête de droite à gauche pour lui signifier que jamais je ne remettrais sa parole en question. Il peut me faire confiance. On peut se faire confiance. On est deux maintenant, la vérité sera moins difficile à encaisser si on se soutient.
— Le lendemain de mon réveil j'ai lu le journal, murmure-t-il. J'ai jamais eu aussi peur de ma vie. J'étais sur la couverture... ma mort faisait la une Felix. J'étais totalement perdu, je me suis dit un instant que j'étais un fantôme, peut-être même un zombi, ou une autre connerie du genre. Puis quelques secondes plus tard les lettres se sont transformées. Ma photo était toujours sur le papier mais cette fois-ci les gros titres parlaient de miracle, ils disaient que j'avais survécu.
Minho est donc bel et bien dans le même cas que moi. La réalité bug, il y a des choses qui changent d'apparences, de place, comme si le monde était incertain.
— Parfois j'ai l'impression que tout est étranger, j'ai la sensation que ma mémoire revient peu à peu dans ces moments-là, que je touche la vérité du bout des doigts. Mais la minute suivante j'ai l'impression d'avoir des black-out encore plus profonds, et bizarrement je me sens à ma place, apaisé. C'est un peu comme si ce monde s'adaptait pour que je m'y sente chez moi. Je ne sais pas si ce que je dis est sensé, mais c'est comme ça que je le ressens, finit-il en secouant sa tête désabusée.
— Minho, je marque une pause, j'attends qu'il soit bien concentré pour lâcher une bombe. Tu crois que c'est possible qu'on ait changé de réalité ? Tu te rappelles de la théorie des multiverses ? Les centaines de recherches qu'on avait faites sur ce sujet parce que ça nous passionnait ?
Il respire difficilement, son souffle s'est accéléré lorsque j'ai posé la question. Il tremble, il pâlit d'autant plus.
— Tu crois que c'est possible ? Que c'est l'accident qui à provoqué tout ça ? Ça parait dingue présenté comme ça mais c'est peut-être le cas, me répond-il faiblement.
— Si c'est ça, on est pas censé être ici Minho. Le toi de ce monde doit être celui qui a perdu la vie, peut-être que cet univers cherche à te faire prendre sa place. C'est comme si ce monde pleurait ta perte. Et moi... moi je ne sais pas où est mon autre version.
Je prononce ces mots le visage rivé vers le sol, les sourcils froncés, en pleine réflexion. Cependant je relève vite les yeux lorsque j'entends un vomissement. Minho est penché sur le bord du lit, ses mains serrées contre son estomac. Il dirige son regard paniqué vers moi lorsque je l'appelle et mon cœur s'arrête. Du sang coule abondamment de son nez, ses cernes n'ont jamais été aussi accentuées. J'ai soudainement peur pour sa vie, j'ai l'impression qu'il va s'effondrer d'une seconde à l'autre. Je hurle un appel à l'aide mais rien ne sort, je le vois seulement se torsionner de douleur, impuissant.
Je ferme les yeux, c'est lâche de ma part mais je ne peux pas voir mon ami dans cet état. J'étouffe, j'agonise en même temps que lui. Ses maux se répercutent en moi, mon esprit craque lui aussi sous les blessures illusoires qu'on lui inflige.
J'ai mal. Atrocement mal.
J'ai besoin que ça cesse.
Maintenant.
— Hey.
Une voix douce me tire de ce cauchemar. Mes paupières se relèvent et je tombe sur le visage fatigué mais heureux de Minho. Il n'a rien à voir avec l'image que j'avais de lui précédemment. Je reste immobile, choqué par les évènements passés. Mes yeux parcourent son corps pour y déceler un indice sur la situation. Un tremblement ? Une tâche de sang ? Rien, Minho va parfaitement bien.
Il doit comprendre que quelque chose me préoccupe car il me lance un sourire taquin avant de reprendre la parole.
— T'inquiètes pas pour ça, dit-il en désignant les tubes qui sont rattachés à lui, ça parait plus impressionnant que ça ne l'est réellement.
Je recule, la gorge nouée. Il ne se souvient de rien, j'en suis certain. La réalité vient de se réinitialiser et Minho subit les conséquences de cet effacement de données. On croirait à un jeu vidéo. D'habitude je les apprécie mais là ça me fait complètement flipper.
— Tu ne te rappelles de rien ?
— De l'accident ?
— Non là ! La conversation qu'on a eu à l'instant ! Les mondes inversés !
Il fronce les sourcils, je sens dans son regard qu'il me prend pour un fou.
— Tu m'as avoué te souvenir de mon visage dans l'accident, c'est vrai ?
— Je ne me rappelle de rien Felix, rien du tout, désolé. Je sais vraiment pas de quoi tu me parles.
— Et du fait que tout te semble étranger alors ? Que la réalité déconne, tu t'en souviens de ça hein ?
Minho déglutit péniblement. Je sens qu'il ne veut pas me blesser en répondant négativement mais il ne souhaite pas non plus me mentir et m'enfoncer dans mon délire.
— Tout va bien Felix ? demande-il pour éviter la question.
Je sens qu'il est réellement inquiet.
— Le journal, le lendemain de ton réveil, qu'est ce qu'il disait ? tenté-je une dernière fois même si je sais que c'est peine perdu.
— Que ma survie est un miracle je crois, un truc comme ça... Je ne vois pas où tu veux en venir Felix, je suis vraiment désolé.
Je retiens les larmes qui menacent de couler. Pendant une quinzaine de minutes je m'étais senti compris auprès de Minho, on partageait le même destin. Et puis là plus rien, il a tout oublié, ce monde l'a déglingué. Parlait-il de ça quand il énonçait ses black-out après avoir la sensation d'enfin saisir la vérité ? Est-ce que ce monde ne tenterait-il pas réellement de garder Minho auprès de lui ?
Et moi dans tout ça, je suis censé faire quoi ? Pourquoi je n'oublie rien ? Pourquoi je suis le seul qui me rappelle de là d'où l'on vient ?
✮ ⋆ ˚。𖦹 ⋆。°✩
✨C'était le big chapitre de cette fic✨
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