Chapitre 7
Quand Roan reprit conscience, Clarke était assise non loin, près d'un petit feu qu'elle avait installé pour soigner la jambe blessée. Elle avait profité de l'inconscience de l'Azgeda pour nettoyer tous les cristaux de sang glacé qui émaillaient la large plaie, vérifier du bout des doigts l'état de l'os en farfouillant dans les chairs anesthésiées par le froid, puis elle avait nettoyé à l'eau bouillante et recousu.
— Clarke...
— Je suis là, répondit la jeune femme en se baissant près de Roan. Ça va ?
— Ouais, je... Je suis resté sur le carreau combien de temps ?
— Plus de deux heures, j'en ai profité pour soigner ta jambe, mais tu ne pourras pas marcher avant des jours. Tu viens de loin comme ça ?
— La ville principale d'Azgeda est de l'autre côté des Grands Lacs... répondit le Terrien en posant sa tête sur le tas de neige gelé derrière lui.
— Tu ne pourras pas rentrer tout seul et ne compte pas sur moi pour t'y reconduire, répondit Clarke. Ta mère m'a fait suffisamment souffrir pour que je n'approche plus d'Azgeda avant des années.
Roan ne répondit rien. Il soupira et passa une main sur son visage. Il était épuisé, il avait faim et soif, et surtout, il était congelé.
— Tu vas venir chez moi, dit alors Clarke en récupérant un bol de tisane près du feu. Ta blessure est moins grave que je ne le pensais, mais je ne peux pas te laisser repartir comme ça sans m'assurer que ça ne s'infectera pas. Tiens, bois ça, c'est de la tisane de saule.
Roan opina et se redressa. Clarke l'aida à s'adosser contre l'arbre le plus proche et le laissa siroter sa tisane en silence. Pendant un moment ensuite, seule la forêt remplit le silence, et Roan observa la jeune femme qui s'affairait près du feu à ranger le matériel qu'elle avait utilisé.
— Je ne peux pas venir chez toi, Clarke, dit-il soudain.
— Je ne te laisse pas le choix.
— Tu es sur mon territoire, je suis le Roi, je fais comme je l'entends !
Roan jeta le fond de la tisane dans la neige puis se releva laborieusement. Clarke l'observa sans rien dire, il fit un pas en avant et lorsqu'il s'appuya sur sa jambe blessée, elle céda et le précipita tête la première dans la neige. Un épais silence s'installa alors.
— Quand tu auras terminé, dit Clarke en se relevant. On pourra rentrer...
Roan leva une main puis la laissa retomber. Clarke esquissa un sourire et termina de ranger son matériel. Elle éteignit le feu en le recouvrant de neige puis elle alla chercher son cheval et aida Roan à se relever et à monter en selle. Il resta muet jusqu'à la maison et attendit Clarke assis sur les marches du porche le temps qu'elle s'occupe de son cheval.
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— Je n'avais jamais vu cette maison... Je la connais, mais je n'étais jamais venu l'inspecter.
Appuyé sur une béquille, Roan parcourait le rez-de-chaussée. Moins grognon après une bonne dose de tisane de saule, il observait la demeure où Clarke avait élu domicile.
— Tu comptes rester combien de temps ?
— Jusqu'à ce que mes démons s'en aillent.
— Et moi ?
— Jusqu'à que je sois sûre que ta blessure ne s'infecte pas. Tu as quelqu'un à prévenir ?
Roan regarda la jeune femme puis secoua la tête. Clarke hocha la sienne et disparut dans la cuisine. Roan la suivit.
— Il y a des chambres à l'étage ? demanda-t-il.
— Deux chambres et un bureau. J'en ai occupé une avec Bellamy avant qu'il parte...
Roan haussa un sourcil.
— Je ne savais pas que vous étiez intimes à ce point... dit-il, surpris.
— Faut-il vraiment avoir couché avec quelqu'un pour partager son lit ? rétorqua Clarke.
Roan ne trouva rien à redire et grogna en s'asseyant à la table. Il observa ensuite la jeune femme préparer un repas pour lui et il la regarda évoluer dans la pièce. Elle était là depuis un moment, c'était une évidence, mais il avait l'impression qu'elle s'agitait beaucoup pour pas grand-chose.
— Clarke... Viens vivre à Azgeda avec moi... dit-il alors.
— Non, pas moyen. Si j'ai voyagé jusqu'ici et si je suis seule, c'est pour une bonne raison, Roan, et Azgeda ne m'offrira jamais la solitude dont j'ai besoin...
Roan serra les lèvres.
— Raconte.
Clarke cessa de remuer ce qu'elle faisait cuire dans une poêle et soupira. Elle pivota et s'appuya contre le fourneau en faisant attention de ne pas se brûler.
— Il n'y a rien à raconter, Roan... dit-elle. J'en avais juste assez des Skaikrus, des Trikrus, des gens en général.
— Pourquoi ?
Clarke serra les lèvres. Plissant le nez, elle finit par expliquer à Roan la raison pour laquelle elle avait décidé de s'isoler ainsi, et que ça n'avait rien à voir avec Wanheda en elle-même, ou plutôt si, mais c'était plutôt en rapport avec toutes les personnes qu'elle avait été contrainte de tuer depuis qu'elle était sur cette planète.
— Clarke, loin de moi l'idée de minimiser la chose, mais nous étions en guerre, répondit Roan. Les morts pendant une guerre sont des dommages collatéraux, ils ne l'ont pas mérité, certes, mais c'est comme ça, et tu n'as pas à t'en vouloir pour ça.
— Ah non ? Parce que la décision de tirer ce levier, c'est moi qui l'ai prise ! répliqua Clarke. Bellamy a voulu le faire avec moi pour ne pas me laisser seule, mais je l'ai fait quand même. J'ai mis a exécution une menace que je ne pensais pas tenir, parce que j'ai vu qu'en face, ma mère et mes amis étaient en danger, Roan. J'ai vu mourir trois cents personnes innocentes, qui n'avaient aucune idée de ce qu'il se passait dans cette putain de montagne ! Il y avait des enfants ! Des enfants, Roan !
Clarke détourna la tête en serrant les mâchoires et laissa couler des larmes. Roan se leva aussitôt et la prit dans ses bras sans réfléchir. Elle s'accrocha à son t-shirt et renifla en posant son front contre le large torse. Le Terrien la repoussa alors et lui prit le visage entre ses mains.
— Rentre-toi dans le crâne, Wanheda, que ces gens auraient dû mourir depuis longtemps, dit-il. Ils ne sont pas aussi innocents que tu le penses, car ils savaient tous parfaitement ce que leurs dirigeants faisaient sur les miens.
— Tu crois ?
Clarke recula et passa ses mains sur ses joues puis soupira profondément.
— Tu crois ? répéta-t-elle. Tu crois vraiment qu'ils savaient tous ce que les Dante faisaient ?
— Je le sais de source sûre, répondit Roan. Des soldats Maunons ont été capturés au fil des années, beaucoup, et tous disaient toujours la même chose, qu'un jour, les leurs sortiraient de la Montagne pour nous éradiquer et reprendre ce qui leur appartient. Il n'en était pas question, ils avaient joué les lâches en s'enfermant dans cette montagne, nous avions vaincu les radiations, la Terre était à nous. Tu nous a débarrassé d'eux, Clarke, même sans le vouloir, tu as donné la paix à ces gens enfermés sous terre depuis un siècle sans aucun espoir de voir un jour le soleil !
Clarke resta silencieuse. Si Roan disait vrai, alors elle avait trois cents âmes en moins sur la conscience, mais il en restait encore tellement ! Elle avait assisté, effarée, à la mort par le feu des deux cents Terriens envoyés par Anya sur le Camp de la Navette, et il fallait ajouter à ça tous ceux sous l'emprise d'ALIE qu'ils avaient du vaincre au fil des jours...
Quand Roan posa sa main sur l'épaule de Clarke, celle-ci souffla par le nez. Il repoussa les mèches blondes et pencha la tête.
— Ça brûle...
Clarke releva la tête, étonnée, avant de se précipiter sur la cuisinière pour repousser la poêle. Roan rigola puis tituba jusqu'à sa chaise et se rassit, à la fois amusé et triste de voir Clarke dans un tel état de détresse psychologique. Il n'avait aucun moyen de l'aider à surmonter tout cela, sinon en réussissant à la convaincre qu'elle n'était pas l'unique responsable de la mort de toutes ces personnes, et que pour beaucoup, mourir était un salut à cause de cette planète mortelle...
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Roan resta une semaine avec Clarke, et sa jambe ne s'infecta pas, mais il fut tout de même contraint de s'enfiler tisane sur tisane afin de palier à toute infection du sang liée aux mâchoires rouillées du piège à ours. Il fut également contraint de se plier aux soins de Clarke, et être ainsi dans un tel état de faiblesse ne lui plaisait qu'à moitié, quand bien même il ait Wanheda en personne pour infirmière personnelle.
Quand Clarke fût sûre que le Terrien pouvait monter à cheval, ou marcher, à défaut, sans soutien ni douleur, elle accepta de le laisser partir.
— Tu es la bienvenue à Azgeda, Wanheda, dit Roan en quittant la maison ce matin-là. Quand tu te sentiras trop seule, n'hésites pas à me rejoindre. Depuis la mort d'Ontari et de ma mère, les choses ne sont plus pareilles, tu sais ?
— Vous serez toujours des sauvages sans foi ni loi, à mes yeux, Roan, répondit la jeune femme, enroulée dans son gilet gris.
— Je tâcherai de te faire changer d'idée, assura alors le Terrien avec un sourire. Prends soin de toi, Clarke.
Clarke hocha la tête puis Roan, chargé de tout son barda de chasseur, s'éloigna entre les arbres en marchant d'un pas sûr, comme s'il n'avait jamais été blessé. Cela confirma à Clarke que les Terriens avaient acquis des capacités d'auto-guérison largement au-dessus de la moyenne après Praimfaya ; sans doute leur corps s'était-il adapté aux radiations et que celles-ci, en plus de les faire naître difformes, leur offrait des capacités physiques augmentées par rapport à l'humain moyen. Cela donna à Clarke des envies d'études, mais elle refoula rapidement cette idée, surtout quand la perspective de se retrouver au milieu de centaines de personnes, lui fila une angoisse...
Elle retourna alors chez elle et barricada solidement la porte avant d'aller se faire un petit-déjeuner.
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