— Non, Wanheda, pose ça.
— Ah, non ! répliqua Clarke en éloignant son chargement des mains d'un Terrien. Il n'y a pas de Wanheda, ici, je suis Clarke et j'aide les miens.
— Bon, très bien, comme tu voudras...

Le Terrien s'éloigna en maugréant contre les femmes qui voulaient toujours faire comme les hommes, et Clarke leva les yeux au ciel et alla déposer une caisse de petit outillage près d'une des maisons en construction. Elle se redressa et la regarda.

— C'est pas le grand luxe, c'est sûr, mais au moins, c'est individuel, dit-on alors.

La jeune femme se retourna et sourit à John Murphy. Il s'approcha en lui rendant son sourire et se posa près d'elle.

— On est contents que tu sois là, dit-il.
— Je suis contente d'être là aussi, mais je vais bientôt devoir repartir... J'ai encore plusieurs semaines de voyage pour rentrer et on dirait qu'il va pleuvoir. J'aimerai autant arriver avant qu'il ne neige à Azgeda.
— C'est encore l'été, dit Murphy, étonné.
— Ici oui, mais là-haut, crois-moi, il ne fait pas chaud. On n'a plus de neige en ce moment, mais les plus vieux disent qu'elle ne devrait plus tarder.

Murphy marmonna et Clarke haussa les sourcils.

— Ça... On n'a jamais connu les saisons, sur l'Arche, mais c'est vrai que de ne pas savoir quand il va faire beau, quand il va faire froid, c'est difficile... avoua-t-elle. Sinon, tant que je suis là, il y a quelque chose à faire ?
— Connaissant les Terriens, ils ne te laisseront pas faire la moindre chose qui soit un péril potentiel pour ta vie, répondit Murphy avec un sourire. Mais si tu veux, Emori et moi, on allait partir relever des pièges.
— Parfait !
— Dans ce cas, dans une heure au portail.

Clarke hocha la tête et Murphy s'en alla, les mains dans les poches. Elle était à Arkadia depuis deux semaines et elle aurait aimé rester jusqu'à la naissance de l'enfant d'Echo, pour pouvoir rapporter à Roan comment il ou elle était et ce que Echo comptait en faire, mais à huit mois de grossesse, la Terrienne ne semblait pas encore décidée à le poser.

.

— Aucune douleur ?
— Non.
— Il bouge ? Vous l'avez senti quand pour la dernière fois ?
— Ce matin.

Abby hocha la tête. Elle retira un gant en plastique et Echo allongea ses jambes. Elle soupira ensuite profondément et passa ses mains sur son ventre.

— Les vieilles ont des plantes pour déclencher les accouchements, dit-elle.
— Je pourrais, mais je n'ai aucun suivi de votre grossesse, vous pourriez être moins avancée que je le crois, donc nous allons attendre encore quelques jours et si vraiment, je déclencherai. Le bébé ne s'est pas encore retourné, donc la naissance n'est pas pour aujourd'hui.

Echo inspira profondément et s'assit au bord du brancard avec de la peine. Abby l'aida à descendre puis la laissa quitter l'infirmerie, un peu inquiète. Depuis quelques jours, la Terrienne ne parlait presque plus, elle répondait quand on lui posait des questions, mais elle passait la majeure partie de son temps dans le quartier des Terriens et ne sortait quasiment pas prendre l'air sauf si un Terrien l'y obligeait.

De retour dans sa chambre, la guerrière s'allongea sur son lit. Elle passa ses mains sur son ventre et serra les mâchoires. En réalité, elle venait de mentir à Abby. En effet, elle n'avait pas senti le bébé bouger depuis plusieurs jours, mais si la femme médecin n'avait rien dit c'était qu'elle entendait toujours le cœur du bébé, donc il devait être encore vivant.
On toqua soudain contre la porte qui pivota aussitôt. Clarke apparut et Echo tourna la tête en reniflant.

— Tiens ! siffla-t-elle. La traitresse !
— Arrête, soupira la blonde en refermant la porte. Tu sais très bien que je n'ai trahi personne, ni Roan, ni même toi.
— Pourtant tu es là, tu es vivante, tu es avec mon Roi...
— Et toi, tu es toujours aussi acide ! la coupa Clarke. Tu n'es pas fatiguée d'être toujours méchante comme ça ? Si tu avais vraiment voulu que ton enfant soit reconnu par Roan, tu ne lui aurais pas caché ta grossesse pendant quatre mois !
— A ton avis, pourquoi je n'ai rien dit, hein ? Parce que Roan t'aime, Wanheda, et que pour rien au monde je n'aurais voulu lui faire du mal !
— C'est ce que tu as fait en lui cachant ta grossesse !

Clarke se tut soudain, leva les mains et souffla.

— Si tu t'énerves, tu vas déclencher le travail, dit-elle. Ça ne vaut pas le coup de mettre sa vie en danger pour ça.
— Tu crois ?

Echo secoua la tête, les mâchoires crispées. Clarke inspira et glissa ses mains dans les poches de son jean.

— Comment tu vas ? demanda-t-elle alors, presque doucement. Ma mère ne veut rien me dire, secret médical, mais je m'inquiète pour toi, Echo...

Echo cracha quelque chose en Terrien et Clarke ferma les yeux sous l'insulte. Elle s'approcha alors et s'assit au bout du lit. Echo lui tourna aussitôt le dos en roulant sur le flanc et la blonde se mordit la lèvre.

— Écoute, je sais que ta situation n'est pas enviable, mais tu t'es mise dedans toute seule, tu en es consciente ? dit-elle. Pourquoi tu n'as rien dit à personne quand tu as compris que tu étais enceinte ? Et ne me sors pas l'excuse que tu ne voulais pas blesser Roan, parce que tu sais très bien qu'à l'époque, nous n'avions aucun projet ensemble. Si tu lui avais dit que tu étais enceinte, il n'aurait probablement pas décidé de m'épouser, je serais rentrée dans ma maison et on ne serait pas allés aussi loin, mais à cause de toi, à cause de tes cachoteries, Roan a été contraint de se séparer de sa meilleure amie et de se dresser entre toi et nous.

Echo restait obstinément tournée dos à Clarke, mais son épaule gauche tressautait. Clarke n'aimait pas dire ses quatre vérités à quelqu'un, mais parfois, c'était nécessaire.

— Je n'avais aucune envie d'épouser Roan, Echo, dit-elle alors. J'aurais très bien pu me sortir du guêpier des chasseurs de tête toute seule, en me faisant oublier, mais tu connais ton Roi aussi bien que moi et il a toujours eu un faible pour les femmes au fort caractère...

Silence. Clarke baissa le nez.

— Echo, parle-moi, s'il te plaît... dit-elle.
— Clarke... grinça alors la jeune femme.
— Echo ?

Clarke contourna aussitôt le lit et s'agenouilla devant Echo.

— Hey, qu'est-ce qui se passe ? Echo... C'est le bébé ?

La guerrière hocha la tête, mâchoires serrées, et Clarke repoussa la main crispée sur le ventre. Elle appuya sa main et sentit très clairement une contraction. Elle remarqua alors le pantalon trempé et se leva aussitôt, mais Echo lui saisit le poignet.

— Non ! dit-elle. Ne me laisse pas, j'ai peur !

Surprise, Clarke déglutit puis décrocha les doigts et caressa le front de la Terrienne.

— Je reviens tout de suite, dit-elle doucement.
— Clarke, je t'en supplie... !

Clarke se jeta aussitôt sur la porte et sortit dans le couloir. Elle rentra de plein fouet dans Emori qui transportait du linge, et la Wastelander trébucha.

— Bon sang, Clarke... !
— Emori, je t'en prie, Echo a perdu les eaux, va chercher ma mère, s'il te plaît !
— Quoi ? Mais... Elle sort de l'infirmerie !
— Va chercher ma mère, s'il te plaît, insista Clarke.

Emori hocha la tête et Clarke lui prit la pile de linge, des draps tout propres. Elle retourna dans la chambre et décida de préparer la Terrienne, mais celle-ci était tendue comme un arc, pétrifiée par la peur et la douleur.

— Ani... Ani... bafouilla-t-elle.
— Je suis désolée, Echo, ta tante n'est pas ici... Il n'y a que moi, ma mère arrive, alors tu vas devoir faire avec...
— No... Ani...

Clarke la fit rouler sur le dos et entreprit de la préparer. Elle installa les draps propres sous elle et lui retira son pantalon trempé. La porte de la chambre s'ouvrit au même moment sur Abby et Emori qui grimpa aussitot sur le lit en prenant la main d'Echo dans la sienne.

— Les Esprit des Terriens sont avec toi, Echo d'Azgeda, dit-elle. Tu n'as pas à avoir peur, tu entends ? Nous sommes là !
— Ani... Ani...

Abby regarda Clarke sans comprendre.

— Elle veut sa tante, dit la blonde. Je crois qu'elle est terrorisée, elle ne m'entends plus...
— Va chercher Sasha, dit alors Abby. Elle fera l'affaire.

Clarke opina et sortit dans le couloir. Elle trouva la vieille Terrienne en train de coudre et elle lui souffla quelques mots à l'oreille avant de l'aider à se lever. Quand elles retournèrent dans la chambre, Abby était déjà en train de vérifier où en était Echo.

— Elle n'est pas encore au max, dit-elle en secouant la tête. Sasha, que faites-vous pour aider une jeune femme terrorisée ?
— Nous prions, répondit la vieille femme.

Elle prit un tabouret et s'assit de l'autre côté d'Echo en lui prenant son autre main. Elle regarda ensuite Emori et ensemble elles se mirent à psalmodier en Terrien. Les paroles eurent un effet immédiat et Echo se calma bientôt, mais elle gémissait de douleur à chaque contraction et Abby se désola de ne pas pouvoir les lui soulager. Elle avait aussi du mal à comprendre pourquoi elle n'avait pas remarqué le déclenchement imminent alors qu'elle l'avait auscultée à peine une heure en arrière...

.

— Huit centimètres.
— Pas assez, dit Clarke, les bras croisés. Ça fait combien de temps ?
— Trois heures, chérie... Elle ne va plus avoir la force de pousser...
— C'est une guerrière Azgeda, bon sang ! siffla Clarke. Si elle n'est pas assez forte pour accoucher, alors je ne sais pas ce qui se passe !

Emori croisa le regard de son amie et baissa ensuite les yeux sur Echo. Entre Sasha et elle, la future mère était trempée de sueur, elle était pâle et son visage était tordu de douleur. Elle n'arrêtait pas d'appeler sa tante, quand bien même Sasha se faisait passer pour elle.

— On attend encore un peu et si dans une heure elle n'est pas à dix centimètres col effacé, on l'emmène à l'infirmerie, dit Abby. Elle ne pousse même pas !
— Elle a peur, maman ! répliqua Clarke. Elle est terrifiée, elle n'a jamais eu d'enfant avant celui-ci, elle ne sait pas ce qu'elle doit faire et Roan n'est même pas là pour la soutenir !

Abby serra les lèvres. Elle demanda alors à Clarke d'aller chercher de l'eau fraîche et d'envoyer un oiseau à TonDC, juste au cas où il faudrait un Guérisseur Terrien.

.

Abby baissa le drap sur les jambes tremblantes d'Echo. Elle soupira et regarda sa fille.

— Abigail... souffla alors Echo. Aidez-moi, je vous en supplie...
— Ça va aller, dit Abby. Il faut pousser, Echo, dès que vous sentez une contraction, il faut pousser pour que le bébé descende vers la sortie...

Echo secoua la tête. Agrippée aux mains de Sasha et Emori, elle hoqueta.

— Je n'ai plus de forces... Aidez-moi, par pitié...
— Maman, il faut la soulager, dit alors Clarke, les sourcils froncés.
— Je n'ai plus rien, Clarke... se désola Abby. Il me reste un fond de morphine, mais...
— Où est-elle, ce sera toujours ça, coupa Clarke.
— Ce n'est pas recommandé...
— Oui, je sais, mais ça fait six heures, maman...

Clarke croisa les bras et regarda Echo. Sasha lui caressa le visage avec un linge humide tandis qu'Emori murmurait en Terrien. Clarke se secoua soudain et se rendit à l'infirmerie pour récupérer le flacon de morphine. Personne ne traînait là-bas, aujourd'hui, il faisait beau dehors, et tout le monde profitait du soleil ; la jeune femme n'eut aucun problème pour revenir dans le quartier des Terriens. Abby administra alors une très faible dose de morphine à Echo et l'effet fut immédiat tellement elle était stressée et agitée.

— Maintenant, Echo, il va falloir y aller, dit Abby.
— Je ne pourrais pas...
— Oh si, ma fille, tu peux ! grogna la femme médecin. Allez ! À la prochaine contraction, vous allez pousser aussi fort que possible et si vous devez hurler, hurlez !
— Les nôtres ne crient pas, Doc, dit Emori.

Abby ignora la phrase et la prochaine contraction se présenta. Abby ordonna alors à Echo de pousser et la guerrière s'accrocha à Sasha et à Emori comme si sa vie en dépendait. Elle retomba sur les oreillers quelques secondes plus tard et haleta bruyamment.

— Je peux pas ! Je peux pas ! sanglota-t-elle.
— Si, tu peux, dit Emori. Vas-y, on est là, tu n'as rien à craindre !
— Allez, on y retourne ! dit alors Abby.

Echo obéit et se contracta plusieurs longueur secondes d'affilées. Elle poussa un cri en retombant et haleta en pleurnichant.

— La tête est sortie, dit alors Abby en souriant. Allez, encore un petit effort, soufflez, Echo...

Elle lui montra de petits souffle rapides et Echo obéit malgré son épuisement. Abby sourit de nouveau et un nourrisson tout mou glissa sur les draps dans un bruit humide. Abby s'empressa de le frotter et Clarke s'approcha avec une serviette en cuir tanné.

— Allez, bébé, on respire ! dit Abby. Allez !

Le cri qui suivit soulagea tout le monde et, quand le couloir devant la porte de la chambre, on entendit soudain des hourras et des applaudissements. Les quatre femmes se regardèrent, amusées, puis Clarke récupéra le bébé et le déposa sur la table pour l'essuyer.

— Comment... ? souffla Echo, à bout de forces. Wanheda, comment... ?
— C'est un garçon, dit Clarke. Et il a tout ce qu'il faut, ou il faut, Echo...
— Doc, elle s'en va ! s'exclama soudain Emori. Echo ! Reste là ! Reste avec nous !

Elle lui secoua l'épaule en lui tapotant les joues. Sasha lui jeta de l'eau au visage et Echo revint brutalement à elle en prenant une inspiration. Les deux femmes la redressèrent alors, mais elle s'effondra sur Emori.

— Echo ! dit Abby. Echo, restez avec moi, écoutez-moi... Vous allez devoir fournir un dernier effort pour le placenta, après, je vous laisse tranquille. Echo !

Echo sursauta. Elle hocha la tête et Emori posa sa main sur sa tête posée contre son épaule. Echo lui murmura quelque chose en Terrien et Emori hocha la tête. La guerrière passa alors sa langue sur ses lèvres, serra les dents une dernière fois et Abby récupéra aussitot le pot de chambre dans lequel elle avait déposé une masse rouge et blanche informe.

— C'est fini, dit alors Sasha. C'est terminé, ma fille...

Echo soupira profondément puis s'écroula contre ses oreillers et se mit à pleurer. Clarke, le bébé dans les bras, la regarda et se mordit la lèvre. Elle regarda ensuite le nourrisson, encore tout froissé et croisa le regard d'Emori qui secoua la tête. Clarke ferma les yeux et annonça qu'elle emmenait le bébé à l'infirmerie. Personne ne protesta et, dans le couloir, on la laissa passer dans un silence presque mortel. Kane la suivit, ainsi que Jackson, et tous trois disparurent rapidement dans les couloirs de la station.