Chapitre 11
En décidant de s'installer chez Roan, Clarke avait imaginé qu'elle atterrirait dans un camp à peine mieux installé qu'Arkadia, mais elle avait été très surprise en découvrant qu'ils avaient tout le confort...
Plongée jusqu'au cou dans un grand baquet d'eau brûlante, elle réfléchissait à son avenir, qu'il soit ici, à Otawa, ou bien à Polis, ou encore à Arkadia, ou peu importe ailleurs dans le pays. Roan l'avait accueillie sans hésiter chez lui et il ne lui demandait absolument rien en retour. Soudain, on toqua contre la porte de la chambre et Clarke autorisa à entrer.
— Wanheda, désirez-vous sortir, à présent ?
— Oui, répondit Clarke en regardant Tihan, la servante qui lui avait été attribuée. Dis-moi, que pourrais-je offrir à Roan pour le remercier de m'avoir accueillie chez lui ?
— Ce que vous pourriez lui offrir ? Allons, nous le savons toutes les deux, n'est-ce pas ?
Clarke regarde la jeune femme sans comprendre avant que cela ne fasse un déclic. Elle plissa le nez et secoua la tête.
— Non, Tihan, je ne peux pas, je ne suis pas comme ça...
— D'autres ne s'en seraient pas empêchées, vous savez ?
— Je ne m'en empêche pas, je ne suis pas ainsi, c'est tout, répéta Clarke en fronçant les sourcils.
— Pardon, Wanheda, je ne voulais pas avoir l'air d'insinuer que...
Clarke agita la main. Tihan lui apporta alors une immense serviette de bain en lin dans laquelle elle s'enroula avant de s'asseoir devant la cheminée pour sécher. La servante lui apporta ensuite une collation chaude puis s'en alla, silencieuse. Clarke soupira alors et laissa son regard divaguer dans les flammes du foyer.
Elle avait mis quelques secondes à comprendre le sous-entendu de Tihan, mais quand elle avait compris, elle avait immédiatement repoussé l'idée. Pourquoi, elle n'en savait trop rien parce que Roan n'était pas laid, loin de là, mais non, quelque chose l'empêchait de...
— Elle a raison, soupira alors la jeune femme. Je m'en empêche... Je m'interdis d'être heureuse parce que je ne le mérite pas. Un assassin ne mérite pas d'être heureux...
— Tu as tort.
Clarke sursauta. Elle serra son bras sur sa poitrine, bien qu'enroulée dans la serviette, et Roan s'approcha en regardant fixement le feu de cheminée.
— Tu as tort de t'interdire d'être heureuse.
— Frapper avant d'entrer dans la chambre d'une fille, tu sais faire, sinon ?
Roan resta silencieux. Clarke se leva alors et fila derrière son paravent pour enfiler au moins sa robe de chambre.
— Tu sais que je ne peux t'obliger à rien, dit alors Roan.
— Encore heureux... Excuse-moi, Roi d'Azgeda, mais je ne suis pas à ton service pour ce genre de choses.
Roan grogna. Clarke se montra alors et soupira profondément en regardant le Terrien. Elle baissa le nez et s'approcha de la cheminée. Il la regarda en tournant la tête, le bras appuyé contre le manteau en bois, et il l'observa un moment.
— Tu sais, je suis peut-être un Terrien et un Azgeda, mais je ne te ferais jamais de mal, Clarke... dit-il.
La jeune femme ne répondit pas. Roan soupira, lui fit face et posa sa main sur sa joue. Clarke se laissa faire, fermant les yeux en appréciant la caresse, puis elle inspira en se redressant.
— Non, dit-elle. Je suis désolée, Roan... Ce n'est pas contre toi, tu es très gentil et regardable, mais je ne peux pas, je n'en ai pas le droit.
— Pourquoi, Clarke ? Pourquoi ne laisses-tu pas la vie te dicter les choses ? Tu restes ancrée dans le passé, à te torturer encore et encore alors que ton entourage continue sa vie. Tu crois vraiment que Bellamy va t'attendre ? Tu crois vraiment que moi, je vais t'attendre indéfiniment, même si je ne désire rien en particulier de toi, Wanheda ?
— Dans ce cas, pourquoi me dire ça si tu ne veux rien de moi ? répliqua Clarke, les sourcils froncés. Je ne suis pas aveugle, Roan, je vois bien comment tu me regardes... Mais est-ce Wanheda ou Clarke, que tu veux, hein ? Parce que Clarke Griffin n'est qu'une Skaikru insignifiante à tes yeux, alors que Wanheda...
Clarke n'eut pas le temps de finir sa phrase. Roan l'avait saisi par les cheveux à l'arrière de sa tête pour l'embrasser durement. Surprise, la jeune femme gémit et recula d'un pas. Elle trébucha sur le tapis et Roan la saisit par la taille.
— Arrête ! s'exclama alors Clarke en brisant le baiser. Roan, non, arrête...
— Clarke Griffin n'est pas insignifiante, dit-il alors en la regardant droit dans les yeux. De plus, Clarke est Wanheda !
Il la relâcha alors et quitta la chambre à grands pas. Clarke tenta de le retenir, mais la porte claqua sourdement et la jeune femme serra les mâchoires. Elle s'assit au bord du siège en bois où elle se trouvait quelques minutes plus tôt, et haleta. Elle posa alors ses doigts contre ses lèvres et sentit ses joues rougir. Elle ferma les yeux et posa sa tête contre le dossier du fauteuil. Pourquoi, pourquoi fallait-il que la vie soit aussi compliquée ? Roan avait raison, pourquoi est-ce qu'elle se punissait de la sorte ?
La porte de la chambre se rouvrit alors et Clarke sursauta, pensant que Roan revenait, mais ce n'était que Tihan avec des vêtements dans les bras.
— Vous en faites une tête, dit-elle, surprise. Qu'est-ce que qui se passe ?
— Rien... Ou plutôt si, répondit Clarke en se levant.
Elle se débarrassa de sa robe de chambre puis de sa serviette et se planta derrière son paravent. Tihan ramassa les affaires puis aida Clarke à s'habiller.
— Tihan, tu commences à me connaitre, non ?
— Un peu, Wanheda, pourquoi ?
— Tu sais que je m'interdis des choses, n'est pas ?
— Oui, ça je le sais... Vous êtes persuadée que vous avez mal fait en nous débarrassant des Maunons et de tous les autres, mais ce n'est pas vrai...
Clarke enfila une tunique en coton fin qui lui descendait sur les cuisses, et couvrait son boxer fatigué. Tihan noua le lien qui serrait la tunique sous les seins pour les soutenir.
— Si ce n'est pas vrai, Tihan, répondit alors la jeune femme. Dis-moi pourquoi je n'arrive pas me convaincre que je ne suis pas une meurtrière ? Roan est venu, tout à l'heure, il... Il m'a encore dit que j'avais tort de m'interdire de vivre, que je devais laisser la vie dicter la mienne, mais j'en suis incapable, pourquoi ?
— Parce que vous êtes engluée dans le passé, Wanheda, répondit la servante. Vous n'arrivez pas à vous convaincre que toutes les âmes qui vous suivent ne vous en veulent pas de les avoir tuées, alors vous en souffrez, vous refusez de prendre ce que la vie vous agite sous le nez, parce que vous pensez que vous n'avez pas le droit d'être heureuse. Croyez-moi, si mon Roi faisait comme vous, il serait prostré au fond d'un placard à pleurnicher sur son sort !
Clarke baissa le nez. Tihan l'aida à enfiler un corset de cuir par-dessus la tunique crème, et elle le lui laçait dans le dos quand elle reprit la parole.
— Mon Roi a raison, Wanheda, vous avez tort de vous interdire de vivre. Je sais d'expérience que c'est difficile de remonter la pente après les horreurs de la guerre, mais cela fait quatre lunes maintenant, et le monde a recommencé de tourner...
Elle se tut le temps de ranger les lacets du corset et d'aider Clarke à enfiler son manteau de cuir, puis elle reprit :
— Je ne vous demande pas de sauter au cou de mon Roi, non, mais il vous apprécie, Wanheda... Il reconnait la puissance que vous avez en vous, et je ne parle pas des pouvoirs de Wanheda, mais de la force que vous, Clarke, avez pour convaincre les gens. Vous aviez presque réussi à faire comprendre au vieux chef des Maunons que ce n'était pas la bonne méthode qu'ils employaient...
— Et il a été supplanté par son fils, et j'ai tué Dante, coupa Clarke.
— Et puis, vous avez convaincu Lexa que répondre à une attaque par une attaque ne servait à rien...
— Et elle a été tuée car jugée faible par Titus.
— Et puis vous avez convaincu mon Roi de prendre la tête des Terriens pendant qu'un nouveau Natblida était cherché...
Clarke ne trouva rien à répondre à cette tirade-là et Tihan esquissa un sourire. Elle fit pivoter la jeune femme et la regarda droit dans les yeux.
— Vous êtes jeune, dit-elle. Vous avez la vie devant vous. Vous allez la passer à pleurnicher sur votre sort, recluse dans une maison des Ancêtres, à parler avec les photos de leurs propriétaires morts depuis un siècle ? Ou bien vous allez vous secouer un peu, allez faire des excuses à mon Roi, et recommencer à vivre ?
Clarke eut un hoquet
— Des excuses ? Pourquoi ?
— Je connais mon Roi, Wanheda, et s'il est venu dans votre chambre tout à l'heure, ce n'était sûrement pas pour prendre le thé.
— Mais que... ? Tihan !
— J'étais derrière la porte, dans le couloir, quand vous vous disputiez, répondit la servante, pas gênée du tout. Je vous ai entendu lui crier dessus, et quand il vous a fait taire, j'ai immédiatement compris qu'il vous avait embrassée. Mais vous, bien entendu, vous l'avez repoussé.
— Comment ça, bien entendu ? Tihan, tu es en train d'outrepasser ta fonction, tu...
— Laissez ma fonction où elle est, Wanheda, la coupa la servante, les sourcils froncés. Je parle d'une femme à une autre, là, et vous avez loupé une magnifique occasion de vous amuser en repoussant mon Roi. Il ne vous fera jamais de mal, Wanheda ! Après ce rejet, je ne suis pas certaine qu'il soit encore de bonne disposition envers vous.
Clarke fronça les sourcils.
— Il me veut, je l'ai compris, dit-elle. Mais moi je n'en sais rien... Je n'ai pas eu de relation avec un homme depuis mon arrivée sur cette planète, et cet homme, je l'ai tué de mes mains ! Tu crois vraiment que je pourrais le laisser faire sans penser à tout ça ?
— Et voilà le retour du passé ! siffla Tihan. Vous êtes incroyable, Wanheda... Le passé, le passé, encore le passé ! Mais bon Dieu, laissez-le où il est ce fichu passé !
Clarke eut un sursaut quand Tihan haussa la voix. La jeune femme avait peut-être sept ou huit ans de plus qu'elle, elle était une femme accomplie, cela se voyait, et Clarke eu l'impression de se faire sermonner par sa mère. Elle baissa le nez, souffla, et retourna dans la chambre. Tihan l'écouta se vautrer sur son lit en marmonnant et elle termina de ranger les affaires de sa maîtresse avant de quitter la pièce.
Dans le couloir, la servante tomba nez à nez avec Echo et s'inclina.
— Wanheda te fais des misères, strisis ? demanda la Guerrière avec un sourire.
— Elle est encore plus bornée que toi, sis...
Echo sourit puis secoua la tête. Tihan s'éloigna alors et elle la suivit en discutant de tout et de rien avec elle, mais surtout de Wanheda. Elle venait de rentrer de Polis où elle avait vu Bellamy, et elle s'était demandé comment cette espèce de cafard avait fait pour se retrouver Garde Personnel de Heda. Sa petite sœur lui avait confirmé ses craintes, Roan avait obtenu ce poste pour le Skaikru, et Echo était donc de retour à Otawa pour avoir des plus amples explications sur le sujet...
.
Clarke passa le reste de la journée dans sa chambre à lire ou à dessiner. Roan lui avait offert un carnet à dessins, peu après son arrivée chez lui, et quand elle avait un moment, elle s'amusait donc à dessiner ce qu'elle voyait, les gens, les animaux, les lieux... Tout y passait.
En tournant une page, Clarke tomba sur le dessin de Roan posé dans le trône de Heda. Elle sourit en passant son doigt sur le fusain noir puis soupira et ferma le cahier en posant son menton dans sa main. Roan l'avait embrassée, de force certes, mais il l'avait embrassée, soit pour la faire taire, soit pour lui monter qu'il tenait à elle et qu'il avait envie d'elle.
— L'un peut aller sans l'autre, ceci dit, soupira la jeune femme en quittant sa chaise.
Elle s'étira et s'approcha de la cheminée dans laquelle elle remit deux énormes bûches. Elle s'approcha ensuite des hautes fenêtres qu'on avait pourvues de nouvelles vitres, et elle regarda dehors. La neige partout, à perte de vue et dans des quantités qu'elle n'avait jamais espérées voir un jour en étant sur l'Arche... On toqua soudain à la porte et elle pivota presque aussitôt. Clarke regarda le visiteur par le biais de la fenêtre et croisa les bras.
— Je venais juste te proposer de partager mon thé, dit Roan. Mais tu sembles bouder donc on se reverra au dîner.
Il recula et fit mine de partir, mais Clarke souffla et se retourna vivement.
— Excuse-moi pour ce matin, dit-elle en s'approchant du fauteuil devant la cheminée. Tu... Tu m'as surprise, Roan, je...
La jeune femme secoua la tête et Roan jeta un œil dans le couloir. Il referma ensuite la porte et s'approcha de quelques pas.
— Je n'avais pas à te crier dessus, reprit alors Clarke. Je suis navrée... Et quoique ce baiser ait voulu dire, là encore, tu dois m'excuser, tu m'as surprise et j'ai eu peur...
Roan resta silencieux un moment puis releva le menton et se redressa.
— Crois-tu que je sois assez fou pour tenter de violer le Commandant de la Mort ? demanda-t-il. Clarke, tu aurais pu être nue dans ton bain que je n'aurais rien tenté... Contrairement à la majorité de mes hommes, je sais contenir mes ardeurs devant une belle femme.
Clarke se mordit la lèvre, le nez baissé, sentant ses joues se teinter. Roan lui prit alors le menton et lui releva la tête pour qu'elle le regarde. Elle se dégagea, et le Roi d'Azgeda referma son poing.
— Tu n'es visiblement pas encore prête à accepter mes avances, Clarke, dit-il. Tu as peur de quoi, au juste ? Tu as déjà couché avec un homme, je crois non ?
— Là n'est pas la question, Roan...
— Non, elle n'est pas là, tu as raison, et je sais que tu n'as pas peur de moi non plus, répondit celui-ci. Alors c'est quoi ? J'ai cru comprendre que Tihan t'avais fait la leçon ce matin, non ? Et tu as passé toute la journée enfermée dans ta chambre, j'espère donc que tu as au moins pris du temps pour réfléchir à tout ça, non ?
Clarke resta silencieuse. Roan soupira et se détourna.
— Rejoins-moi au salon que tu serras décidée à me reparler.
Il quitta la chambre et Clarke serra les mâchoires en montrant les dents. Elle donna un coup de poing sur le dossier du fauteuil puis ferma les yeux. Une larme solitaire glissa sur sa joue et elle chassa de sa manche en reniflant. Ses convictions étaient en train de s'effriter, elle le sentait. Plus Roan s'acharnait sur elle, plus elle sentait qu'elle perdait le contrôle. Elle n'aurait jamais dû venir s'installer à Otawa, jamais ! C'était la pire mauvaise idée qu'elle avait pu avoir ces derniers mois, la pire de toutes !
Une idée traversa alors l'esprit de la jeune femme, mais elle hésita. Roan connaissait la Maison Blanche. Si elle partait d'ici sans rien dire, et qu'elle rentrait chez elle, il allait la retrouver là-bas, et arriver peut-être même avant elle...
— Si je pars, je ne peux pas le faire comme ça, sans préparation, souffla Clarke en regardant les flammes dans la cheminée. Non, ce serait de la folie, je suis en sécurité ici, j'ai de quoi manger, je suis au chaud, et j'ai des amis... Roan serait furieux si je lui faussais compagnie maintenant.
S'asseyant sur le tapis devant la cheminée, Clarke jeta dans les flammes une écorce oubliée et soupira en la regardant brûler. Elle resta là, immobile, le regard perdu dans l'âtre, jusqu'à ce que son postérieur lui demande grâce. Là, elle se releva, enfila un gilet et rejoignit Roan au salon...
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro