Chapitre 20
Je suis à deux doigts de tout lâcher.
C'est le petit-déjeuner le plus bizarre que j'ai jamais vécu. Les petits regards par en-dessous d'Angel, son sourire irrépressible, le mien. Le fou rire quand papa nous demande si on a bien dormi. Plus flag', tu meurs.
— Tu vas au magasin avec Ree aujourd'hui, Angel ? demande mon père.
— Bien sûr, répond Angel comme si c'était sa nouvelle occupation.
Je me sens obligée d'expliquer.
— Il m'aide à emballer les cadeaux.
— Oui, Angel est d'une grande aide... soupire papa. Il sait tout faire. J'avais espéré l'avoir au cabinet avec moi aujourd'hui, mais visiblement, je ne peux que perdre face aux demandes de ma fille. Et on ne va pas commencer à se le disputer !
Sûrement pas. Tu perdrais définitivement, papa.
J'ai hâte de me retrouver seule avec Angel. Hâte de toucher sa peau, respirer ses cheveux, me blottir contre son torse dur et goûter ses lèvres à nouveau. J'y ai pensé toute la nuit. Non, je n'ai pas fermé l'œil. J'ai à peine dormi.
— Il reste quatre jours avant Noël, nous rappelle mon père. Vous avez fait tous vos cadeaux ?
Le regard félin d'Angel fuse sur le mien. Et on répond tous les deux en même temps :
— Non.
Nouveau fou rire.
Papa nous regarde tour à tour, interloqué.
— Eh bien... qu'est-ce qui vous arrive, ce matin ? Dire que vous faisiez la gueule hier... On dirait deux gosses amoureux !
Je rougis violemment. Angel dissimule son visage dans ses cheveux, et porte sa tasse de café à ses lèvres. La pointe de ses oreilles est écarlate.
— Ça va, Angel ? insiste papa, définitivement à côté de la plaque. On dirait que tu as de la fièvre...
Angel se lève brusquement.
— Ça va très bien, monsieur Vega. Bon, tu viens, Ree ? Je voudrais passer voir Shadow avant d'aller au magasin.
Quelle excuse. C'est sûr que le fae aux cheveux blancs sera là. Il ne quitte pas Jolène d'une semelle.
Elle a de la chance, elle. Elle peut dormir dans le même lit que lui... peut-être qu'elle pourrait nous inviter.
Non. Ce serait trop bizarre.
Je relève les yeux sur Angel, brièvement. Est-ce qu'il sait à quoi je pense ? Il me rend mon regard, et le coin de sa bouche se soulève légèrement.
Il est trop craquant.
Je le suis dehors, l'air détachée. Mais dès que la porte se referme sur nous... Je me jette à son cou. Il recule, surpris, puis rit, et me prend dans ses bras, m'aidant à atteindre sa bouche.
— J'en pouvais plus, lui soufflé-je en le couvrant de baisers. J'y ai pensé toute la nuit !
— Ree... attention à ce que tu dis.
— Je suis sérieuse, Angel.
— Moi aussi. Si tu continues, je sais pas si je vais réussir à me retenir jusqu'à...
— Te retenir de quoi ?
Il grogne, me mordille la lèvre gentiment, joueur. Je réplique en lui frottant la pointe des oreilles. Il éclate de rire.
— Arrête, ça me chatouille !
— J'ai bien compris que ça te faisait quelque chose. Et tu peux compter sur moi pour continuer !
Il réplique en me pinçant les côtes. C'est à moi d'éclater de rire. Il m'arrête, me plaque contre lui, colle ses lèvres contre les miennes. Et cette fois, il met la langue. Je m'arrête de bouger instantanément, m'abandonnant à son baiser passionné. Il a une telle façon d'embrasser...
— Eh bien !
Sans cesser d'embrasser Angel, j'ouvre les yeux et tourne le regard en direction de la voix. C'est la livreuse de lait. Je sais qu'elle connait Trevor, le frère de Trisha... j'espère bien qu'elle va lui répéter ce qu'elle a vu. Que Dan se rende compte que ma vie ne s'est pas arrêtée au moment où il m'a trompée.
Au contraire. Elle ne fait que commencer.
— Ne vous dérangez pas, dit-elle en venant déposer la bouteille à nos pieds. Je ne fais que passer !
Mais papa l'a entendue, et la porte s'ouvre à la volée. Angel et moi avons juste le temps de nous séparer.
— Encore là, vous deux ? s'étonne-t-il.
— Euh, oui... On a... pris du retard.
— Un peu, oui. Tu vas rater l'ouverture, Ree.
Angel s'éclaircit la gorge, passe la main dans ses cheveux (j'adore quand il fait ça) et se dirige d'un pas décidé vers la voiture. Je le suis, en mordant ma lèvre encore chaude.
— À ce soir, P'pa.
Je sens son regard dubitatif sur moi tout le long, jusqu'à ce que je claque la portière sur moi.
*
On s'est à peine engagés sur la route que je pose ma main sur le genou d'Angel. J'ai jamais fait ce genre de truc de ma vie. Mais là, c'est plus fort que moi. J'ai besoin de le toucher.
Ses yeux d'absinthe liquide glissent sur moi, mais il ne tourne pas la tête. Et, tout en continuant à conduire, il pose sa main droite sur la mienne.
Ses longs doigts caressent les miens. J'essaie d'échapper à cette prison, fais glisser ma main plus haut sur sa cuisse. Il me bloque un peu, mais n'essaie pas de m'en empêcher. Comme lui, je garde le visage tourné en face de la route. Il en encore neigé, et la campagne est toute blanche. Les arbres, les panneaux, les jardins, les toits des maisons, alors que nous entrons dans les faubourgs de la ville. Mes doigts sont tout près de son aine, à présent. Si je tends la main... il va se passer quoi ? J'étire mon index. Sens quelque chose de ferme, de dur. Son ventre... ? Je n'ose pas le regarder. Je sais que je suis aussi écarlate que ce feu rouge. Angel freine, et je sens, dans ma vision périphérique, qu'il m'observe. J'ai conscience de la tension que j'ai éveillée en lui. Soudain, sa main se referme sur la mienne. Et pose ma main plus haut, jusqu'à son...
Trois coups à la vitre, côté conducteur. Angel me lâche, et tourne la tête.
Un flic. L'adjoint du shérif. Il nous fait signe de nous garer sur le côté. Angel s'exécute, le visage fermé, puis il ouvre la vitre.
— Oui ?
— Montre-moi les papiers de la voiture.
Je m'empresse de les prendre dans la boîte à gants.
— C'est la voiture de mon père, expliqué-je en les tendant au policier.
Il les regarde, me les rend.
— Pourquoi c'est un type aux oreilles pointues qui la conduit ? Ton père est au courant que tu traînes avec ces mecs-là ?
— Je suis majeure, grogné-je, énervée par son ton condescendant. Et c'est discriminatoire de désigner quelqu'un par sa caractéristique physique, officier.
Angel pose une main apaisante sur mon épaule.
— Laisse tomber, murmure-t-il.
Le policier s'énerve.
— Justement. Je le répète : pourquoi c'est un elfe qui conduit ? Montre-moi tes papiers, le fae. Ça va, pas trop « discriminatoire », comme terme ?
— J'en ai pas, répond Angel sans le regarder.
L'adjoint hausse un sourcil.
— T'en as pas ?
— Non.
Le flic semble hésiter. Puis il recule, met la main sur la crosse de son arme.
— Sors de la voiture.
Merde. Ça devient sérieux.
— Mais je vous assure qu'on dit la vérité, officier ! protesté-je. Et je vais être en retard au boulot...
D'un coup d'œil, Angel me dissuade de continuer.
— Sors de cette bagnole, vite ! insiste le flic.
Angel lui obéit. Il se cale contre le capot, les bras tendus, et se laisse fouiller comme un criminel. Visiblement, ce n'est pas la première fois que ça lui arrive. Alors qu'il n'a rien fait de mal... c'est tellement humiliant, et surtout, tellement injuste !
Le flic le tâte partout, alors qu'Angel a horreur d'être touché par des étrangers. Je le vois grimacer, le visage partiellement caché par ses cheveux. Puis le type le relâche. Évidemment, il n'a rien sur lui... enfin, presque.
— C'est quoi, ça ? triomphe le flic en brandissant un couteau papillon au manche gravé.
— Je travaille comme assistant vétérinaire, répond Angel d'une voix sombre, en relevant le menton, un poil défiant. Souvent, je dois libérer des veaux emmêlés dans des clôtures. Je me sers de ça.
— Mais bien sûr ! Et moi, je suis vendeur à Costco !
Bon, ça suffit. Je sors de la voiture.
— Il vous dit la vérité ! intervins-je. Je suis la fille du Dr Vega. Angel me dépose au boulot avant de revenir chercher mon père pour faire la tournée... tous les fermiers du coin le connaissent, vous n'avez qu'à demander ! Il remplace l'assistante qui est partie en congé maternité le mois dernier.
Cet idiot d'adjoint semble hésiter. Il me regarde des pieds à la tête, s'arrêtant un peu plus longtemps sur ma mèche blanche.
— Le Dr Vega, hein... oui, je vois qui sait. Je savais pas qu'il avait une fille.
— Eh bien vous la connaissez, maintenant.
— Et lui ? Il a pas de nom ? « Angel », c'est un de leurs surnoms, pas vrai ?
— C'est un elfe. Vous savez bien qu'ils n'ont pas de papiers d'identité, ni de nom de famille, juste un prénom qu'ils ne donnent qu'à leurs très proches et un surnom.
— Ouais, je suis au courant. Et c'est tous des délinquants, membres de gangs violents... pourquoi ton père embaucherait un type comme ça, alors qu'il y a plein de bons gars sérieux qui ne demandent qu'à travailler ?
Ça y est. Il nous la sort. L'éternelle menace des elfes qui volent le travail des honnêtes citoyens... !
— À cause de ses pouvoirs elfiques, réponds-je en fixant ce flic raciste dans les yeux. Les animaux sont tout de suite apaisés, avec lui. C'est une compétence très précieuse, pour un vétérinaire. Surtout un qui travaille avec des grosses bêtes comme mon père. Et il n'est plus tout jeune, il n'a plus la force physique qu'il avait dans le temps. L'année dernière, il est resté coincé pendant deux mois à cause d'un taureau qui lui a foncé dedans. Au moins, avec Angel, ça n'arrivera plus.
Tout le monde connait les pouvoirs des elfes, et leur affinité étroite avec la nature. L'adjoint ne me conteste pas cela.
— Ok... Je trouvais qu'il ressemblait à ce chef de gang changeling sorti de taule, là. Sean je-sais-pas-quoi.
« Sean ». Je vois tout de suite à qui il fait allusion. Et je ne démens pas.
— Sean a les cheveux blancs.
— Nope. Il a les cheveux noirs, c'est ce qu'il y a marqué sur sa fiche. Grand, tatoué, cheveux noirs, yeux noirs. Dangereux et armé.
— Angel a les yeux verts ! exulté-je. Et les teintures et les perruques, ça existe.
Le shérif toise Angel, les mains dans sa ceinture.
— Mouais... (Il regarde soigneusement ses yeux.) C'est vrai, il a les yeux verts. Bon.
Il s'écarte.
— Allez, circulez.
Angel remonte dans la voiture et attend en silence, les mains sur le volant. Le flic continue de le zyeuter, bloqué sur les tatouages qui courent jusqu'à ses premières phalanges. Je remonte du côté passager, et Angel démarre.
Mais au lieu d'aller au magasin, il bifurque sur la droite et ressort de la ville.
— Où tu vas ?
— Je voudrais te montrer un truc avant que tu partes travailler. Ensuite, moi, j'irai retrouver ton père, comme t'as dit.
Il ne va donc pas rester avec moi. C'est Shadow qui va nous surveiller, et je vais le voir se bécoter avec Jolene toute la journée, alors que moi, je serai seule... mais je comprends Angel. Il tient à respecter sa parole. On a dit à ce flic qu'il allait retourner aider mon père, et il se sent mal de ne pas le faire. Tout le monde le traite de délinquant... mais c'est ce genre de type, Angel.
Rien à voir avec Shaun Blackfyre.
Shaun, que l'adjoint du shérif a décrit comme récemment sorti de taule... et brun.
Le glamour. Tout est possible avec les elfes.
Je regarde le paysage pour ne plus y penser. On vient d'entrer sur l'une des routes qui percent la forêt. Les sapins sont couverts de neige, et sur le bas-côté, je vois des traces fraiches d'animaux dans la neige.
Angel se gare sur un recoin de la route, sous de longues branches chargées de gouttelettes de givre.
— Tu n'as pas peur de tomber sur le clan ?
— On est loin du territoire du clan, ici, dit-il en claquant la portière. Et cet endroit, personne d'autre que moi ne le connait. Viens.
Il prend ma main, et m'aide à descendre le bas-côté. Je m'enfonce dans la forêt avec lui. Tout est silencieux, ouaté, et blanc. La lumière du matin perce à travers les branches enneigées.
Au bout d'une dizaine de minutes de marche, Angel me fait descendre dans une combe. Une espèce de clairière secrète, que le soleil n'éclaire qu'en rase-motte, et qui est percé par une rivière. Au loin, j'entends le bruissement d'une cascade. Et au milieu, entre deux rochers... un pont en pierre, surmonté d'un garde-fou en bois.
— C'est magnifique... C'est quoi, cet endroit ?
Angel se tourne vers moi.
— Le « pont des fées »... c'est comme ça que les gens l'appellent. Et plus bas, tu as la cascade d'Agon.
La cascade d'Agon. J'en ai déjà entendu parler, mais je ne suis jamais allée. Pour les gens du coin, c'est un lieu assez dangereux. Et un ancien lieu sacré pour la nation Chippewa.
— Il y avait pas une légende sur un cerf sacré, ou un truc comme ça, qui apparait aux gens une fois dans l'année et devant qui on peut faire un vœu ?
— Si, sourit Angel. C'est pour ça que je t'ai emmenée ici. Pour que tu puisses faire ton vœu.
— Je sais déjà lequel je vais faire.
Que tu restes chez nous.
— Espérons que le cerf se montre... on dit qu'il est assez particulier, dit Angel en regardant autour de lui.
— Tout blanc, il me semble.
— Ah ? Moi j'ai entendu dire qu'il était noir.
— Ça n'existe pas, un cerf noir. Albinos à la rigueur, bien que ce soit extrêmement rare... mais noir, non.
— Je t'ai dit que c'était un cerf magique. Et j'en ai parlé à ton père, qui lui, dit que même si c'est plus rare encore que le blanc, ça existe bel et bien. Moins d'1% de la population de cervidés, cela dit.
— Bon... on a peu de chance de le voir, alors. Tu l'as déjà vu, toi ?
— Moi ? Non. Mais j'espère bien que toi, tu le verras. Tu pourras lui transmettre mon vœu.
Mon cœur s'accélère.
— Pourquoi ? tu ne restes pas avec moi ?
— Je vais attendre plus loin. Le cerf ne se montre qu'à une personne à la fois. Ne t'inquiète pas, je serais à portée de voix.
— Et si le cerf est en rut ? S'il m'attaque ? Je connais un chasseur qui s'est fait éventrer par un cerf, c'était pas beau à voir !
— C'est pas la période. Tu ne risques rien, je t'assure. Et c'est un cerf magique. Il ne va rien te faire. Tu lui diras mon vœu, si tu le vois ?
— ... Ok.
Je n'y crois pas une seconde, à son truc. Mais Angel y tient. Il veut peut-être me faire une surprise.
— Je vais te le dire, dit-il en s'approchant.
Il pose ses mains sur ma taille. Se penche à mon oreille. Son odeur d'épicéa, de poivre et de musc envahit mes narines. Ses cheveux si doux brossent ma joue.
— Je voudrais qu'Alexandra Vega devienne ma sorcière... murmure-t-il. Rien qu'à moi. Et qu'elle dorme dans mes bras le dernier soir de Yule. Et tous les autres soirs.
Mes genoux flanchent, alors qu'une nuée de papillons tout petits et très nombreux s'éveillent dans mon ventre.
— Je dois... répéter ça au cerf ? soufflé-je, troublée.
— Avec ton vœu. En lui touchant le mufle.
Toucher le mufle d'un cervidé sauvage... en voilà une bonne idée qu'elle est bonne.
Heureusement, ce cerf n'existe pas.
Angel se presse plus étroitement contre moi.
— Tu le feras de la même façon que tu m'as touché tout à l'heure... murmure-t-il d'une voix rauque. Très doucement. Et tout ira bien.
La façon dont je l'ai... « touché ». C'était pas sur le mufle.
Oh il va me tuer... vraiment.
Je prends feu immédiatement. Est-ce qu'un garçon m'a déjà fait un tel effet ? Non. Je n'ai jamais ressenti ça de ma vie, jamais. Je ne savais même pas que c'était possible pour une fille d'être un tel état. Je croyais que celles qui en parlaient n'étaient que des poseuses, des nanas qui voulaient se donner un style « libéré » et attirer l'attention. J'avais tort, comme sur plein d'autres choses. J'étais juste trop jeune, ou n'avais pas rencontré le bon. Parce que ce n'est pas seulement le glamour des elfes. C'est autre chose. Quelque chose d'encore plus puissant.
Angel. Je crois que je t'aime.
Je ferme les yeux, m'énivre de son odeur, de sa présence. Mais quand je les rouvre, il est déjà parti.
Encore toute chose, je recule jusqu'à un gros rocher rond couvert de neige et de mousse, juste devant une falaise couverte de stalactites de glace et de lierre figé. C'est vrai que c'est un endroit enchanteur, tout à fait le genre où se promènerait un cerf magique. Sauf que ça n'existe pas, un cerf magique. Et que les animaux qui vivent ici doivent probablement dormir dans un coin tranquille, et ne viendront pas tant qu'il fera jour et qu'on sera là.
Mais encore une fois, je me trompe.
Car le cerf noir est là, juste devant moi.
Je regarde autour de moi, rapidement. Aucune trace d'Angel. Je ne le croyais pas... et voilà que cet animal est là. Il s'avance vers moi lentement, mais sûrement, d'un pas nonchalant, sans aucune peur. Il est immense. Ses bois, une véritable couronne... c'est un six cors, qui pourrait m'embrocher aussi facilement que le rôtisseur pendant un barbecue mexicain. Rien à voir avec un gentil renne de Noël. Et son poil est d'un noir d'encre, exactement comme l'avait dit Angel...
Je recule, manquant de trébucher. Surtout, ne pas lui montrer que j'ai peur : ça pourrait l'effrayer, ou même l'énerver. Les cerfs ont des réactions imprévisibles, même en-dehors de la période du rut. Mais il continue d'avancer, jusqu'à ce que je me retrouve dos au mur, littéralement. Que fait Angel ? J'ai peur qu'il débarque au pire moment et effraie l'animal. Sauf que ce dernier finit par toucher mon corps de son nez, me poussant gentiment pour que je lui donne ma main. Ce que je finis par faire. Il pose son mufle dedans... encore une fois, exactement comme l'avait dit Angel.
C'est pas possible. C'est un cerf magique.
— Je... j'ai un vœu pour toi, finis-je par dire. Deux, pour être plus exacte.
Je me sens vraiment stupide.
— Ou trois, même.
Je prends une grande inspiration.
— Bon, voilà le premier... Il vient d'Angel. Il demande... (Je me sens rougir bêtement.) Que je dorme avec lui le soir de Yuletide, et... tous les autres soirs.
Mon Dieu. Qu'est-ce que je suis en train de faire, qu'est-ce que je suis en train de dire.
Mais je continue. La situation est trop extraordinaire pour que je perde confiance.
— Mon vœu à moi... c'est qu'il reste avec nous. Que je puisse dormir avec lui, comme il dit... et aussi... (Je regarde autour de moi, rapidement.) Qu'il ne soit pas Shaun Blackfyre. N'importe quel elfe, mais pas lui, s'il vous plaît. Pas Shaun Blackfyre.
Le cerf relève sa tête noire vers moi. Et soudain, en croisant ses yeux, je comprends. Ce cerf, c'est Angel. Avec sa magie... il s'est changé en cerf.
Et redevient lui-même quasi-immédiatement, je ne sais pas comment. Le temps que je regarde ailleurs, distraite par un tas de neige qui tombe, et le cerf noir a disparu. À sa place, Angel, debout devant moi. Le visage insondable, il me regarde, les yeux d'un vert surnaturel et presque effrayant.
— Tu le déteste vraiment, dit-il seulement. Blackfyre.
Que répondre à ça ?
— C'est l'assassin de mon frère. Même indirect, c'est lui qui est responsable de sa mort.
Angel soupire.
— Un jour, il faudra que tu me parles de ton frère. Qu'on en parle tous les deux. Ensemble.
Je visse mes yeux sur lui.
— Tu le connaissais ?
— Oui.
Je le savais.
— Tu ne pouvais pas me le dire avant ?
— Pas une fois, tu ne m'as écouté.
Je lève les deux mains en signe de dénégation...
Non. Pas maintenant. Pas ici. Pas comme ça. Pas après cette soirée, cette journée, dans cet endroit magique.
Mais Angel ne me laisse pas me dérober. Ses mains encadrent fermement mes bras, les forçant à se rebaisser.
— J'ai juré de garder le secret. J'ai prêté serment sous l'arbre de notre clan, Ree. Mais la dernière nuit de Yuletide, quand tu auras pris un autre nom, je serais libéré de cette promesse envers toi. Je pourrais tout te dire. Pour le moment...
Oui. Pour le moment, on va faire semblant. Oublier.
J'agrippe les épaules d'Angel et l'embrasse fiévreusement, aussi vorace que si c'était la dernière fois. Il me répond de la même façon, avec férocité et fureur. Les larmes coulent sur mes joues, de joie ou d'appréhension, je ne sais plus trop. Je n'arrive pas à démêler mes sentiments. Toutes ces émotions si fortes et contradictoires qu'il m'inspire... c'est beaucoup trop. Un véritable tsunami, qui me fait comprendre qu'avant qu'il entre dans ma vie, je n'existais pas, je survivais.
Et je sais que je ne pourrais plus survivre, plus vivre sans lui. Je le sais aussi sûrement que je m'appelle Alexandra « Ree » Vega, que j'ai vingt-et-un ans et que je suis en train d'embrasser la plus sublime créature qui existe au monde.
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