Chapitre 19
''Comprendre, ce n'est pas seulement pardonner, mais finalement aimer''
Walter Lippmann
Ça y est, nous sommes la veille du départ. Deux semaines sont passées depuis ma ''discussion'' avec maman, et à ma grande surprise elle a trouvé un peu de temps pour revoir Yvan, afin de mettre les choses au clair. Je ne sais pas exactement ce qu'ils se sont dit, et maman n'a pas l'air de vouloir s'étendre sur le sujet. Une chose est sûre, j'ai l'autorisation d'aller lui rendre visite, donc le rendez-vous n'a pas dû trop mal se passer. Je ne me fais pas d'illusions, je sais bien qu'ils ne se remettrons pas ensemble. Mais ça, c'est leurs affaires, tant qu'ils me laissent aller où je veux, je suis heureuse.
Ma valise est quasiment bouclée lorsque quelqu'un sonne à la porte. Je sais pertinemment que c'est Jess. Elle m'a proposé d'aller faire quelque chose avec elle, mais je ne sais pas quoi. Elle m'a seulement dit de me couvrir avec des habits qui ne craignent pas l'eau.
Je ne sais pas si je suis heureuse de repasser du temps avec elle. Je suis perdue, mais je laisse les choses avancer comme elles le veulent. La vie est faite de hasards et de rencontres. Je ne veux pas fermer la porte à ce qui nous lie avec Jess, mais je ne sais pas si j'ai réellement envie de me rapprocher à nouveau d'elle. Je l'aime bien, le problème n'est pas là, mais pourrais-je à nouveau lui faire confiance ? Parfois j'aimerais que le livre m'aide un peu plus. Il m'abandonne lui aussi, en quelque sorte. C'est vrai qu'il revient comme par magie lorsque je suis au plus mal, mais j'aimerais qu'il m'accompagne plus souvent, sans être là quotidiennement. Peut-être devrais-je débuter un journal intime ? J'ai toujours trouvé cette manie totalement puérile et inutile, mais peut-être qu'écrire les choses me permettrait d'y voir un peu plus clair ? Après tout, les mots de Destin me font réfléchir et m'apaisent.
J'ai souvent l'impression que les mots se bousculent dans ma tête, sans forcément trouver leur place dans une des phrases qui passent la barrière de mes lèvres. Je n'ai jamais réellement écrit, non que je n'aime pas ça, mais plutôt que j'ai toujours trouvé quelque chose de ''mieux'' à faire. Je suis partie du principe qu'écrire sans être lue est une perte de temps. Mais peut-être devrais-je écrire pour moi ?
Je descends rapidement l'escalier puis attrape mon K-way® avant de me diriger vers la porte d'entrée. Je l'ouvre puis fais la bise à Jess. Nous marchons vers... Vers quoi ? Je n'en sais rien. Et j'ai beau supplier Jess de me dire où on va, elle reste muette. Depuis quelques temps, notre relation est moins tendue. Je ne vais pas jusqu'à dire que je lui aie totalement pardonné, mais je commence à moins lui en vouloir. Le temps a fait sont effet. Et mon amie a accepté d'attendre que je sois prête à la revoir. Donc j'ai décidé de faire un effort. Après tout, je dis toujours que je veux comprendre les raisons de ce qu'il se passe, et Jess me les a clairement exposées. Et puis c'est elle qui a fait le premier pas pour notre réconciliation. Je pense qu'elle mérite que je lui accorde une seconde chance, même si c'est la dernière.
Malgré le fait que nous ne sommes qu'au début du mois de juin, le soleil commence à être bien présent et je ne tarde pas à avoir trop chaud. Heureusement, nous sommes bientôt arrivées à destination. Enfin, ça, c'est Jess qui le dit, puisque de mon côté, je ne sais toujours pas où nous allons.
Nous longeons le fleuve depuis un bon moment déjà lorsque nous descendons sur une espèce de plage aménagée. Des canoës reposent paisiblement sur le sable, et il y a quelqu'un dans la petite cabane en bois sur notre droite. Un grand panneau indique qu'elle loue des canoës. Un grand sourire éclaire mon visage, du canoë ! On va faire du canoë ! Ça fait longtemps que je rêve d'essayer, mais avec les horaires irréguliers de maman, nous n'avons jamais eu l'occasion. Je ne me souviens pas d'en avoir parlé à Jess un jour, mais j'ai dû le faire sans m'en apercevoir. Ou alors elle a mené sa petite enquête.
Nous nous dirigeons vers le cabanon afin de louer un canoë pour 2h. Jess se charge de toute la logistique. Heureusement car, de toute façon, je suis bien trop excitée par cette nouvelle expérience pour me concentrer sur ce que le jeune loueur propose. Nous n'avons même pas encore quitté le sol que je m'imagine déjà comment va se passer la descente du fleuve.
Le jeune homme s'approche de moi et me donne les principales règles de sécurité. jamais enlever le gilet de sauvetage,... Perdue dans mes pensées, je n'entends que des bribes de son monologue. pas aller plus loin que point de rendez-vous... Tant pis, je me débrouillerai seule, et mon amie a sûrement dû écouter mieux que moi.
Lorsque notre loueur a terminé de nous exposer les règles et interdictions lorsque l'on fait du canoë, nous enfilons un gilet de sauvetage et nous nous munissons de deux pagaies doubles. Elles sont étonnamment légères, mais c'est vrai que ce serait bien plus dur de pagayer si elles étaient plus lourdes. Un fois que nous sommes équipées, nous entrons dans le canoë. Je manque de me casser la figure à plusieurs reprises avant de parvenir à m'asseoir, sans pour autant abandonner mon sourire enfantin. Une fois bien installées, le jeune homme met notre embarcation à l'eau, sans oublier de nous souhaiter un bon voyage.
J'ai lu de nombreux articles au sujet des descentes en canoë. Beaucoup disent que ce sont les premiers mètres les plus compliqués. Le temps de s'habituer au pagaies, à ramer, au rythme de l'autre personne, à comment bouger le canoë, toute ces bêtises quoi ! Et je me suis toujours plus ou moins moquée d'eux, me disant que ça ne devait pas être si compliqué que ça et que, quand même, ils exagéraient un peu. Et bien je pense que je dois des excuses à un paquet de canoéistes.
Parce que, pour moi, la descente du fleuve dans ce genre d'embarcation, c'est de la détente, deux trois coups de pagaie, le canoë qui avance quasiment tout seul, porté par le courant. Tout ça sur une eau limpide, absolument vierge de toute algue et de tout rocher, et avec le soleil en prime.
Et là, bin, comment dire qu'on a que le soleil. Et comme ni Jess ni moi ne sommes spécialement douées pour manier les pagaies, ça donne un résultat pour le peu... Anarchique et désordonné. Voir carrément hilarant. Il faut savoir que le canoë, peut être qu'il avance un peu tout seul, mais pas tout droit. Et là, on est en train de galérer à le remettre dans le sens où on veut aller, en essayant tant bien que mal de ne pas se casser la figure dans l'eau froide.
Après une bonne vingtaine de minutes de dur labeur, nous finissons par maîtriser cette embarcation indomptable. L'éclat de nos rires résonne lorsque nous passons sous les arches d'un pont, puis se perd dans le vent. Le sourire est revenu sur mon visage, et je me doute qu'il en est de même pour Jess. Je me rends compte que nous sommes encore capable de communiquer et que nous pouvons faire de grandes choses toutes les deux.
Parfois, nous passons entre deux rochers, là où le courant est un peu plus fort. Et nous crions de joie car le canoë accélère un peu. D'autres fois, nous nous contentons d'augmenter le rythme, et nous glissons silencieusement sur l'eau. Évidemment, il nous arrive que nos pagaies s'accrochent dans les longues algues qui poussent dans le fond du fleuve, là où il est un peu moins profond. Mais rien ne pourrait nous retirer notre bonne humeur.
Lorsque nous sommes presque arrivées au lieu de rendez-vous, nous cessons de pagayer, sans même nous parler. Et je suis heureuse. Heureuse d'avoir découvert toutes ces sensations en compagnie de mon amie. Et je me mets à rire. Je ris, je ris et mon rire est presque hystérique. Les gens me prendraient pour une folle, si ils m'entendaient. Mais Jess... Non, elle est différente. Elle se retourne vers moi, intriguée, puis sourit avant de se joindre à moi. Je ris, et elle rit et nous rions sans savoir pourquoi. Juste parce que nous sommes bien là, toutes les deux, au milieu du fleuve. Partout et nulle part à la fois. Les oiseaux gazouillent, le vent souffle dans les branches et les libellules nous entourent dans un étrange ballet silencieux. Et nous sommes bien, là, trempées et complètement frigorifiées au milieu de ce canoë. A rêver de tout ce qu'on pourrait faire demain, toute suite, un autre jour. Et nous rions. Nous rions parce que, malgré tout, nous ne voudrions être nulle part ailleurs.
Si on me demandait où je veux être, à cet instant précis, je paraîtrais sûrement niaise. Mais je m'en ficherai. Je répondrai simplement ici, dans cette coque de noix à moitié remplie d'eau, dans les bras de Jess, savourant notre amitié retrouvée. Et nulle part ailleurs.
On se réchauffe mutuellement, serrées l'une contre l'autre, et heureuses d'être à nouveau réunies.
Elle me demande si je lui pardonne, et je n'ai plus à réfléchir. ''Oui, évidemment que je te pardonne. A vrai dire, je crois que tu l'es depuis le début. Mais je voulais juste être sûre que tu ne repartirais pas dès la première difficulté.'' Elle approche sa bouche de mon oreille, puis me murmure un tout petit mot de rien du tout. Mais pourtant, il veut dire tellement de choses à cet instant précis. Rien qu'un mot, ''promis'', mais il me va droit au cœur.
Mon amie me fait un bisou sur la joue, je tourne la tête pour lui en faire un également. Elle ne s'était pas reculée. Nos lèvres se frôlent. Les siennes sont douce, bien que gelées. Je ferme les yeux, un peu gênée, mais elle rit de notre maladresse et je me joins à elle, les yeux clos pour savourer la douce mélodie de son rire. Je sens qu'elle presse, volontairement, ses lèvres sur les miennes, puis répète ''promis'' avant de s'écarter à nouveau. Je me recule vivement en ouvrant les yeux, choquée de son attitude. Je sens mes joues s'empourprer. Pourquoi ?
Elle m'explique qu'avant, c'était une façon de sceller un promesse. Je me calme peu à peu, puis souris. Nous rions à nouveau et toute la gêne de cette étrange situation s'envole avec nos rires. Ce baiser... C'est pour tout dire et rien dire à la fois. Une promesse, une envie. Un secret entre nous.
La voiture qui va nous ramener arrive près de la berge. Alors, nous reprenons nos pagaies pour accoster. Le petit nuage de légèreté reste, et après avoir récupéré nos affaires, nous nous blottissons l'une contre l'autre dans le véhicule. Jess m'explique que le loueur est un ami de sa famille, et que c'est pour ça que nous avons pu partir que toutes les deux. Normalement, il faut au minimum un adulte par embarcation.
Je remercie le conducteur, et il n'a pas besoin de demander comment la descente s'est passée, nos grands sourires parlent pour nous.
Lorsque je rentre à la maison, après avoir passé la fin de l'après-midi à bavarder avec Jess, la réalité me rattrape de plein fouet. Demain, nous partons à l'aventure. Pour trois jours, nous allons vivre le quotidien d'une famille qui gère un cirque.
Je suis tellement impatiente que j'ai du mal à m'endormir. Mais je finis par me calmer, et sombre enfin dans les bras de Morphée, non sans avoir fait la crêpe pendant plusieurs heures.
Le lendemain, le réveil de mon téléphone a à peine sonné que je m'empresse de l'éteindre. Je sors de sous ma couette, beaucoup plus rapidement que lorsque je vais en cours. Ce n'est pas que je n'aime pas entendre les profs blablater au sujet du dernier contrôle, ou nous expliquer l'exercice qu'on va devoir faire, mais bon... Quand même, la perspective de partager le quotidien d'une famille de forains est bien plus réjouissante.
Je me prépare, puis récupère ma valise avant de claquer la porte de la maison. Enfin, façon de parler, car ma mère dort encore étant donné qu'elle ne travaille pas ce matin. En plus elle a travaillé jusqu'à tard dans la nuit, alors je n'ai pas envie de la réveiller. Je lui ai simplement laissé un mot en lui souhaitant un bon début de semaine.
Je débarque au collège et file directement là où se garent les cars. Nous avions rendez-vous à 8h tapantes à cet endroit, et, pour une fois, j'ai un peu d'avance. Pas suffisamment pour être seule sur le parking, mais quand même, ça mériterait presque du champagne ! Habituellement, je ne suis pas du tout organisée, et j'ai tendance à arriver pile à l'heure, voir un peu en retard, lors de mes rendez-vous. Mais aujourd'hui est un jour spécial, et je ne comptais pas rater le bus, ç'aurait été trop dommage de passer à côté d'une telle expérience !
Une dizaine de minutes plus tard, mes amis arrivent à leur tour. Puis c'est au tour des 2 professeurs qui nous encadrent, celui de sport ainsi que notre professeur principal qui enseigne l'histoire géographie. Lorsque tout le monde semble être arrivé, nous rangeons les bagages dans les soutes, puis montons nous installer dans le bus tandis que les profs nous comptent.
Je m'assoie à côté de Jess, désireuse de passer à nouveau du temps avec cette folle qui compte vraiment pour moi. Elle me regarde attacher ma ceinture, un grand sourire aux lèvres. Je sens qu'elle est heureuse que notre différent soit réglé, et je ne peux qu'être du même avis qu'elle.
Comme tous les élèves semblent être présents, les profs montent à leur tour dans le car puis s'assoient, non sans avoir rabâché une énième fois les consignes de sécurité. Nous n'avons pas tant de route que ça pour arriver là où est le cirque, une petite heure tout au plus. Étonnamment, tous les élèves sont plutôt calmes, comme endormis par les vibrations du car.
Je ferme à mon tour les yeux, profitant de la sérénité qui plane dans l'air du car. Je laisse mes pensées dériver à leur guise, sans essayer de comprendre le sens de chacune d'entre elles. Je me contente des bribes que je peux saisir et, une fois n'est pas coutume, je me sens apaisée. Pas parce que quelqu'un me rassure, non. Je me sens bien car rien ne me tracasse, je n'ai rien d'autre à faire que me laisser porter par les événements qui vont suivre. Je ferme les yeux afin de profiter de cette sensation agréable et, sans que je ne m'en rende vraiment compte, ma tête se penche pour se poser sur l'épaule de mon amie.
J'ai dû finir par m'endormir puisque lorsque j'ouvre à nouveau les yeux, le bus est arrêté et le prof est debout dans l'allée. Je mets quelques secondes à comprendre qu'il est en train d'expliquer ce que nous allons faire durant ces quelques jours. Je n'ai sûrement pas tout entendu, mais je pense avoir compris le principal, et de toute façon il me suffira de suivre le groupe. Je trouve que je suis de plus en plus tête en l'air en ce moment... Déjà que je le suis un peu normalement...
Lorsque le prof de sport à fini de nous donner ses consignes, nous descendons rapidement du car, impatients de découvrir les lieux. Je m'étais imaginé un petit cirque familial, avec un pittoresque chapiteau de toile cirée, composée de bandes rouges et blanches évidemment. J'avais également pensé que nous verrons des roulottes, probablement tirées par de grands chevaux de trait lorsqu'elles se déplacent. Je pensais trouver quelques petits enclos dans lesquelles gambaderaient des chèvres, des chiots ou des poneys, ainsi que de grandes cages qui renfermeraient quelques animaux plus sauvages.
Mais lorsque je pose le pied au sol et que j'observe l'environnement dans lequel je me trouve, je manque de tomber à la renverse. Face à moi se dresse un majestueux chapiteau rouge orné de grandes étoiles blanches. A vu de nez, il doit mesure plus de quinze mètres de haut, et je n'ose même pas imaginer le nombre de personnes que ses gradins doivent pouvoir accueillir. Moi qui pensait me retrouver dans un petit cirque familial, la splendeur de celui-ci me laisse béate d'admiration. Je pense que, vue de l'extérieur, je dois ressembler à un gamin qui, un matin de Noël, vient de recevoir le cadeau dont il rêvait.
Je tourne rapidement sur moi-même afin d'avoir une vue d'ensemble du lieu où je me trouve. Nous sommes au cœur d'un cercle composé par des caravanes bariolées et de vastes enclos mobiles abritant chèvres paisibles, poneys dormeurs, chevaux câlins, chiens agités ou encore chats paresseux. A mon étonnement, je ne vois aucun animal qui ne soit pas domestiqué par l'Homme, j'espère que c'est un signe de bienveillance et d'amour envers ces animaux qui n'ont aucunement leur place dans un cirque qui les exploiterait.
Une jeune femme, sortie d'on ne sait quelle caravane, nous souhaite la bienvenue au sein du ''Cirque Rêveur'', puis nous invite a laisser nos affaires dans le bus afin de la suivre sous le chapiteau. A l'intérieur de celui-ci, nous nous asseyons sur de vieux bancs en bois, pourtant parfaitement entretenus. Le silence s'impose de lui-même dès que notre guide monte sur l'estrade et commence à parler.
- Bon, je ne sais pas trop par où commencer, alors nous allons partir du début. Moi, c'est Marlène. Je suis la fille du propriétaire de ce cirque, et vous êtes tous les bienvenus ici. Est-ce que ça vous intéresse si je commence par vous raconter l'histoire de ce cirque et de son nom, ou vous préférez directement passer au programme de votre séjour ?
La voix de Marlène est très agréable à écouter. Malgré un timbre assez fort, elle reste douce et chaleureuse. D'un commun accord, nous choisissons de découvrir l'histoire du Cirque Rêveur, dont le nom nous intrigue fortement.
- Excellent choix ! J'adore raconter son histoire, qui est un peu la mienne également puisque j'y suis née. Alors... Il était une fois un jeune homme nommé Raphaël. Tout le monde le trouvait extrêmement rêveur, les professeurs s'échinaient à tenter de le garder concentré, son moniteur d'équitation avait le plus grand mal à le maintenir intéressé lors du cour, et tous s'accordaient pour dire qu'il ne ferait rien de sa vie. A votre âge, sa sœur Inès, totalement désemparé par l'attitude de son frère, que rien ne passionnait, mais que tout intéressait, a décidé de l'emmener à une initiation aux arts du cirque. Après avoir beaucoup insisté, - et un peu négocié, il est vrai -, elle a fini par le convaincre d'essayer. Et là, surprise ! Raphaël s'est réellement intéressé aux arts du cirque, et a même décidé de s'inscrire de lui même dans l'école où il avait découvert cet art. Et, contre toute attente, il n'eut plus qu'une idée en tête à partir de ce moment là : monter son propre cirque. Et le voici ! Entre temps, il a assisté a de nombreuses représentations et, traumatisé par le traitement des animaux sauvages dans certains des cirques, il a décidé que son cirque serait différent. Il voulait transmettre sa façon de voir les choses au travers de ses spectacles. Il voulait vendre du rêve à tout le monde, et mettre des étoiles dans les yeux à tous, animaux et acrobates y compris. Il a toujours imaginé son cirque en accord avec lui-même, tout en respect de l'autre et de l'animal. Voilà donc la philosophie et la petite histoire de ce cirque qui est aussi devenue une école de cirque ambulante.
Maintenant, vous devez encore vous demander pourquoi son nom est le Cirque Rêveur. C'est très simple ! Comme je l'ai dit précédemment, mon père a toujours été un rêveur, et il a voulu créer un cirque à son image. De plus, il met un point d'honneur à ce que chaque spectacle soit une histoire qui fasse rêver petits et grands, sans mettre quiconque en danger et dans le respect de chacun. Le Cirque Rêveur, c'est donc un cirque un peu venu d'une autre planète, c'est un cirque différents, c'est un cirque qui vous fera rêver un insomniaque !
- C'est une très jolie histoire ! intervient l'un de nous
-J'aime beaucoup leur philosophie... renchéri un autre
- Ce cirque me fait déjà rêver rien qu'en y entrant ! s'exclame une fille
-Je me demande ce qu'on va y faire... murmure une petite voix inquiète
- On commence quand ? ajoute un autre, plein d'entrain
Tout le monde y va de sa petite question, de son observation, de son murmure ou de sa grosse voix, de son affirmation ou de sa grande interrogation. Et bientôt, c'est toute la classe qui se met à parler, à rire, à imaginer, à penser, et d'ors et déjà à rêver.
- Hep hep hep ! Les p'tits rêveurs ! intervient Marlène dans un éclat de rire, sans doute provoqué par notre impatience. Je n'ai pas fini ! Vous ne voulez pas savoir ce que nous allons faire durant ces deux jours ?
- Bien sur que si ! répondons-nous en cœur
- Alors, écoutez-moi bien. Avec les autres qui composent la troupe, nous avons décidé de vous faire voyager en s'appuyant sur les talents et envies de chacun d'entre vous. Nous avons imaginé faire une sorte de voyage autour du monde poétisé par les différents arts du cirque. Si cette idée vous plaît, nous allons mettre en place différents ateliers qui représenterons la culture ou les habitudes des habitants des différentes parties du monde. Chacun pourra choisir et travailler sur l'activité où il est le plus à l'aise et qui lui plaît le plus. Bien sûr, les plus timides pourrons toujours participer aux changements de décors, mais nous avons besoin de tout le monde pour que ce projet aboutisse dans le temps impartit ! Êtes-vous prêts ?
C'est un oui des plus enthousiastes et unanimement crié qui valide la proposition de Marlène. Elle descend de l'estrade sous nos applaudissements, se prend au jeu en réalisant quelques courbettes, puis nous invite à sa suite pour nous installer rapidement dans les caravanes prévues à cet effet. Comme garçons et filles sont séparés, je suis obligée de lâcher la main de Léo, que je tenais depuis le début du speech de la jeune femme. Je choisi de m'engouffrer à la suite de Jess, dans l'une des rares caravanes prévue pour seulement deux personnes.
Nous posons rapidement nos affaires, sans même prendre le temps de les déballer, puis ressortons et entourons à nouveau notre guide. D'un vaste geste de la main, elle nous désigne le panneau où sont notées les différentes activités possibles, puis nous présente ses acolytes avant de nous inviter à choisir deux tableaux que nous allons travailler durant notre séjour.
Je me dirige donc vers le panneau en même temps que les autres. Par chance, je parviens à me trouver une place d'où je peux facilement voir tout ce qui est écrit. Le nom des différentes parties du spectacle, appelées ''tableaux'' sont inscrites au crayon rouge. On y retrouve un thématique autour de la guerre et des Indiens, ainsi que différents endroits du monde tels que les Antilles, le Japon, Venise et l'Everest. Sous les grands titres, on retrouve les différentes activités correspondantes, comme le jonglage avec des balles et la gymnastique pour le tableau sur la guerre ; le maniement de marionnettes géantes et le théâtre pour celui sur le Japon ; ou encore la monte à cheval et l'utilisation de lassos pour celui qui met en scène des Indiens. Le nombre de personnes nécessaires à la création du tableau est également précisé. Il y a d'ailleurs généralement besoin d'une dizaine de personnes par tableaux, ce qui colle bien avec le fait que nous sommes trente et un dans notre classe.
Après avoir fait le tour des différentes activités proposées, je ne parvient pas à arrêter mon choix sur l'une d'entre elles. Je m'aperçois alors que j'ai oublié de lire les dernières lignes inscrites sur le tableau car elles étaient masquées par les gens devant moi. Dès que je commence à les lire, un grand sourire illumine mon visage : je sais ce que je veux faire. Le spectacle nécessite en effet une personne pour être le fil conducteur du voyage. Il est précisé que celle-ci devra principalement faire du théâtre et être à l'aise pour pouvoir parler devant le public, mais aussi marcher sur une poutre, monter à cheval et faire du trapèze. Je sens que ce rôle va me plaire, j'espère vraiment pouvoir l'obtenir.
Lorsque chacun d'entre nous a choisit ce qu'il veut travailler, nous retrouvons Marlène, sa sœur Élodie, leur cousin Nicolas et son mari Jérôme. Nous nous mettons d'accord, et après quelques ajustements au niveau des rôles, il est convenu que, cette après-midi, nous travaillerons sur les trois premiers tableaux, à savoir celui sur la guerre, sur les Antilles et sur le Japon, et demain sur ceux au sujet de Venise, des Indiens et de l'Everest. Demain en début d'après-midi, nous ferons une répétition générale, comme lors de vrais spectacles, et nous présenterons notre voyage poétique en fin de journée, avant de repartir en bus vers Redelas.
Quant à moi, j'ai réussi à obtenir le rôle que je voulais, celui de la jeune fille qui s'enfuie à la découverte du monde car elle veut voir autre chose que la guerre. Mais, avant de nous lancer dans la pratique du cirque, nous commençons par reprendre des forces avec le pique-nique prévu par le collège.
Nous nous installons donc sur les tables prévues à cet effet, puis commençons notre déjeuner tout en discutant des rôles que nous avons choisis ainsi que de notre enthousiasme au sujet du spectacle final. Pour beaucoup d'entre nous, ce n'est pas la première fois que nous ferons du cirque, et nos différentes expériences aideront sûrement à monter un spectacle aussi rapidement. Ce projet paraît un peu fou, mais qu'importe, pour une fois nous sommes tous motivés et chacun a hâte d'en découdre avec le rôle qui lui a été attribué.
A côté de moi, Jess m'explique qu'elle aurait voulu monter à cheval et faire du trapèze, mais comme elle ne peut pas travailler les deux en une matinée, elle s'est rabattue sur le tableau sur les Antilles, ainsi que sur celui de l'Everest, où elle pourra faire du trapèze. Assis en face de moi, Léo ne perd pas une miette de notre conversation, et rajoute que lui a choisit le tableau sur la guerre ainsi que celui sur les Indiens, qu'il mime à grand renfort de cris d'animaux et autres chants loufoque, faisant s'esclaffer toute la bande.
Après le déjeuné, Marlène me prend à part et m'explique qu'elle me fera travailler à part afin de me montrer les différentes attitudes que je dois avoir. Elle m'indique aussi ce que je devrais faire exactement, tout en m'exposant le scénario précis de chaque tableau.
Après deux bonnes heures d'explication et de rectification sur mes postures, de choix des costumes et de mise en scène, elle m'accorde une pause. Comme je lui ai dit que j'adore monter à cheval, elle me propose d'aller voir les chevaux islandais du cirque afin de choisir celui que je monterai lors de la partie sur les Indiens, dans le but de faire connaissance. A la fin, je devrais réussir à monter sur son dos, à cru, alors qu'il sera lancé au petit galop ! J'ai déjà réussi à le faire quand je montais en club, avant de déménager ici. J'espère ne pas avoir tout perdu...
Dès que nous entrons dans le champ, Marlène me présente les chevaux, puis elle me propose de sortir l'une des juments, nommée Ulka. D'après elle, elle se montre parfois peu coopérative, mais si le courant passe bien entre elle et le cavalier, alors elle fera avec plaisir tout ce que celui-ci lui demande. J'accepte de relever le défi et lui passe un licol autour de la tête avant de l'emmener dans un chemin un peu plus loin afin de nous isoler des autres.La jument me suis sans trop rechigner, malgré le fait que ses oreilles sont souvent couchées vers l'arrière, dénotant un certain agacement vis-à-vis de ma présence. Je l'accompagne vers une sorte de rond de longe, un cercle entouré de barrières en bois démontables. Là, je ferme la barrière et retire le licol qui contraignait Ulka avant de m'asseoir près des barrières, attendant qu'elle m'accorde de l'importance. J'ai déjà vu plusieurs personnes faire ça au club où je montais avant de déménager, et il paraît que cela permet de renforcer la complicité entre le cavalier et l'animal puisqu'on lui laisse le choix de venir ou non. J'ai toujours été sensible au comportement des animaux qui m'entourent, et aujourd'hui plus encore. Chacune de notre côté du cercle, nous nous scrutons. Non comme deux ennemis qui se jaugent avant de s'attaquer, mais plutôt comme deux inconnus qui tentent de deviner les intentions de l'autre. Je sais que c'est dangereux d'être assise là, alors que la jument peut me charger et me menacer d'une ruade, mais je reste confiante. J'ai toujours été convaincue qu'il faut simplement laisser le temps à l'animal de nous apprivoiser et que, si on ne le brusque pas, il ne nous fera aucun mal. Ulka s'approche de quelques pas, inspire fort par les naseaux, puis s'immobilise à un mètre de moi. Je tend ma main vers elle. Elle sursaute, fais un pas de côté, mais ne recule pas. En l'observant, je me rends compte qu'une étincelle de malice semble briller dans ses yeux d'un noir de nuit sans lune. Je pense qu'elle me teste plus qu'elle ne me craint. Jouant la carte de la sérénité, je ne m'avance pas, et continue à patienter.
Quelques temps plus tard, je ne saurais dire combien, la jument pose ses naseaux dans mon cou, puis soupire avant de fermer les yeux. Dès cet instant, je sais que j'ai gagné son estime et que je pourrais créer de belles choses avec elle pour le spectacle. Je sais qu'il faut que je parvienne à monter à cru sur Ulka tandis qu'elle galopera avec les autres, mais ce n'est pas une tâche facile, surtout en si peu de temps. Je ne compte pas abandonner sans avoir essayé, alors, sans dire un mot, je me lève et repousse l'islandaise vers la piste.
Docile, celle-ci ne résiste pas et se laisse guider. De la voix, je l'encourage à aller au pas, puis au trot et enfin, au petit galop. Elle m'écoute bien, mais je sais que ce n'est pas vraiment dû à la patience dont j'ai fait preuve, mais surtout à son excellent débourrage. Je m'approche d'Ulka, puis me met à courir à côté d'elle de manière à pouvoir prendre une touffe de crins dans ma main gauche. Rassemblant mes forces et mes souvenirs, je tente de donner une impulsion qui devrait me déposer sur le dos de la jument. Évidemment, je ne réussi pas directement, on est pas dans un western américain ! Mais, au bout de nombreuses tentatives m'ayant fait mordre la poussière, et avec les conseils de Marlène, je parvins finalement à mon objectif. Elle me sourit et lève les pouces en l'air pour me féliciter, mais m'encourage vivement de recommencer dans la foulée, histoire d'y arriver à tous les coups.
Comme parvenir à monter sur le dos d'Ulka est l'une des seules choses que je dois faire avec elle pour le spectacle, j'en profite pour récupérer quelques sensations et pour accroître l'écoute de la jument.
A la fin de ce moment de complicité, je ramène l'islandaise au pré, puis rejoins mes camarades qui travaillent d'arrache-pied pour monter en temps et en heure ce spectacle prometteur mais si exigeant. Jusqu'à la fin de l'après-midi, je les aide à améliorer les transitions et à trouver ce que je dirais ou ferais pour chacune des trois premières scènes.
Vers 20h, nous nous rassemblons au milieu des caravanes pour dîner avec tous les encadrants. Réunis autour d'un feu de camp, nous dégustons en silence nos pommes de terre à la braise et nos grillades. Personne ne parle, chacun profite de l'instant. Certains pour faire le point sur leur journée, sur leurs espoirs et sur d'autres choses qui ne me regardent pas. D'autres pour écouter la nature s'endormir peu à peu, ou pour simplement profiter d'un repas bienvenu après une après-midi d'efforts intenses et d'émotions en tout genre. Puis, chacun s'éparpille pour rejoindre sa caravane et nous nous couchons, des étoiles plein les yeux et impatients d'être au lendemain.
J'ai mis du temps à m'endormir ce soir-là, je ne sais pas si c'est à cause de toutes les émotions de la journée ou de la présence de Jess dans le même lit. Une chose est sûre, je me suis rarement sentie aussi bien. La sensation d'être partie à l'aventure peut-être.
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