• Chapitre 15 •
''Faire confiance à la vie. Oser y croire. Et rallumer les étoiles. Une à une s'il le faut.''
Elora Maisie
- Qui est mon père ?
- Ma chérie... On en a déjà parlé de nombreuses fois et je n'ai pas changé d'avis. Il n'y a aucun intérêt à ce que tu connaisses cet homme, il n'est que celui qui t'a créée, il n'a jamais été là pour toi.
- Maman, je suis grande maintenant. J'ai l'âge de comprendre. Donc quoi qu'il ait fait, qui qu'il soit, dis moi.
- Non. Et c'est non négociable.
- Tu es vraiment qu'une égoïste ! T'as pas le droit de me faire ça, t'entends ? T'as pas le droit de me laisser dans d'ignorance comme ça. J'ai besoin de savoir d'où je viens maman. J'ai BESOIN ! Tu peux comprendre ça ? Ah bah non, c'est vrai, t'es bien trop bornée pour écouter ce que ressente les autres !
Je suis désormais debout, face à ma mère toujours assise sur le canapé en cuir. Je m'emporte, lui criant presque dessus tandis que des larmes de rage me montent aux yeux. Je ne comprends pas pourquoi elle agit comme ça, pourquoi elle tient tant à me cacher l'existence de cet homme. Quoi qu'il ait fait, je veux le retrouver. Savoir. Comprendre. Et juger par moi même.
- Jeny, tu te fais du mal pour rien...
- Non. Non, parce que je saurais. J'irai jusqu'au bout du monde si il le faut, mais je le retrouverai
- Arrête, tu dis n'importe quoi...
Le ton conciliant de ma mère m'insupporte de plus en plus. Elle semble vouloir me calmer, mais elle n'a rien compris. Elle n'a pas compris que ce dont j'ai besoin, ce n'est pas d'être rassurée, mais de savoir, de faire disparaître toutes les zones d'ombres de ma vie. Je me sens plus vivante que jamais, et déterminée à rencontrer cet homme pour enfin faire corps avec mon passé. Je reprends la conversation avec une voix plus posée, mais mon état d'esprit n'a pas changé le moins du monde.
- Et ce Yvan qui t'envoie des lettres, qui c'est ?
- Je ne vois pas de qui tu veux parler ma puce.
- C'est vrai ce mensonge ?
- Je ne comprends plus rien à ce que tu racontes. Quelles lettres ? Tu sais bien que personne ne m'écrit en dehors de notre famille et que personne ne s'appelle ainsi.
Son aplomb lorsqu'elle ment m'impressionne. Combien de fois m'as-t-elle ainsi dissimulé la vérité ? Je ne veux même pas l'imaginer. Je regrette de ne pas avoir gardé la dernière lettre. Ç'aurait été une preuve irréfutable que ma mère les reçoit et qu'elle y répond.
- Je sais qu'un certain Yvan t'envoie des lettres, inutile de le nier, j'en ai lu certaines. Mais elles disparaissent mystérieusement dès que tu rentres à la maison. C'est étrange, n'est-ce pas ? Alors cesse de me prendre pour une idiote et dis moi la vérité, TOUTE la vérité. Du début à la fin. C'est pourtant pas si compliqué !
- Ma puce, arrête tes caprices, je ne peux pas t'en parler.
- Si. Tu peux. Tu pourrais si tu le voulais. Mais tu préfères me laisser dans l'ignorance. Alors, sache une chose. Rentre bien ça dans ta petite tête de vieille arriérée. Je veux savoir qui est mon père. Et je le saurais. Crois moi, je n'ai jamais été aussi déterminée à découvrir quelque chose. Je parcourrai le monde si il le faut. Mais je le rencontrerai, avec ou sans ton aide !
Je tourne les talons, non sans avoir gratifié ma génitrice d'un regard noir comme l'encre. Mon sang pulse dans mes veines, chargé d'adrénaline et de liberté. Je suis furieuse. Furieuse contre cette femme, tranquillement assise sur le canapé tandis que mon cœur est serré du manque de cet homme que je n'aie jamais vu. Il est pourtant présent en moi, c'est son sang qui coule dans mes veines. C'est grâce à lui que mon cœur bat. Je dois savoir. Je dois le retrouver. C'est devenu une nécessité.
Je monte rapidement dans ma chambre préparer mes affaires pour aller chez Léo, même si il est plus tôt que prévu. Je ne peux pas rester une minute de plus dans cette maison. J'hésite un moment, puis finis par ajouter le vieux livre dans mon sac. En sortant, je n'adresse aucun regard à ma mère, l'ignorant parfaitement. Elle tente de me parler, mais les mots qui sortent de sa bouche se perdent dans mon esprit embrumé avant même que je n'en comprenne le sens. Je ne la fais par répéter. C'est inutile, je me fiche totalement de ce qu'elle peut me dire à cet instant précis. Je claque violemment la porte d'entrée et sors dans la rue enveloppée de pénombre.
Je marche, la tête remplie de questions et le pas déterminé. J'avance, pas à pas, vers ce que j'ai décidé. J'ai changé depuis ce début d'année. Ma mère ne s'en est pas rendue compte. Pas encore du moins. Je ne suis plus la petite fille fragile qu'elle a connu. Évidemment, je ne prétends pas être devenue invincible, seulement un peu plus forte. Un peu plus robuste face aux aléas de la vie. Un peu plus courageuse et téméraire. Plus entreprenante. Plus décidée à suivre ma propre voie, à laisser ma propre trace dans ce monde éphémère. Ais-je changé pour le meilleur ? Pas forcément. Je suis juste plus proche de ma véritable personnalité. Plus proche que jamais. Je la frôle du doigt, elle est tout prêt de moi. Il me reste encore des choses à découvrir pour combler cet espace, notamment retrouvé celui qui m'a donné la vie. Renouer avec mon passé pour me lancer vers le futur la tête haute et le pas assuré.
Je marche dans les rues de ma ville, suivant la route, me laissant guider par mes jambes qui connaissent la direction. Je la suis instinctivement, sans même chercher à me repérer. Je sais où je vais, et j'y vais rapidement. C'est presque une métaphore de ma vie.
J'avance vers le futur, poursuivant mon destin avec la même détermination que celle dont je fais preuve à l'instant. Je vais chez mon petit-ami, je marche vers mon futur. Les deux sont étroitement entremêlés. Je l'aime, c'est certain. Mais je ne lui donnerai pas le pouvoir de me détruire. J'ai un jour lu une citation qui disait que, quand tu es au fond, tu es au meilleur endroit pour rebondir car la seule direction où tu peux aller, c'est vers le haut. Je suis totalement d'accord. J'étais au fond du gouffre et je voulais en finir. Et puis,... Et puis il y a eu ce livre. Plus j'y réfléchi, plus je me dis qu'il m'a poussé à savoir qui je veux réellement être. Et à faire les choix en conséquence.
Une dizaine de minutes plus tard, j'arrive devant chez Léo. Je sonne puis attends patiemment que quelqu'un vienne m'ouvrir. J'espère sincèrement que ses parents ne seront pas là, je n'ai aucune envie de m'effondrer devant eux. Aucune envie de m'attirer leur pitié. Je sais pertinemment que, si Yvan se révèle être mon père, je me mettrais à pleurer. De joie, de rage, d'espoir. D'espoir de comprendre enfin d'où je viens. De percer tous les non-dits et les mensonges qui entourent ma conception. Et toute ma vie jusqu'à aujourd'hui.
La porte s'ouvre sur un jeune homme qui ressemble trait pour trait à Léo. Il semble cependant un peu plus vieux que lui. Ses yeux sont du même bleu envoûtant que ceux de mon petit-ami. Ses pectoraux saillent sous son tee-shirt à manches longues. Un grand sourire éclaire son visage quand son regard trouve le mien, et il s'empresse de me faire rentrer dans la maison, non sans me prendre dans ses bras au passage. Je ris contre son torse musclé. Gabriel ne changera jamais, au grand dam de son petit frère. Sa voix nous parvient depuis le salon.
- Gaby ! C'est qui ?
- Je crois que c'est pour toi !
Tout en répondant malicieusement à son frère, Gabriel me serre un peu plus contre lui et me gratifie d'un clin d'œil. Il sait que Léo enrage dès qu'il me voit dans les bras d'un autre homme que lui, même si c'est son frère. Mais ça l'amuse de le provoquer.
Il me considère comme se petite sœur, et est très protecteur envers moi, presque plus que mon petit-ami ! Gabriel ne me le dit jamais, mais je sais qu'il tient beaucoup à moi, son attitude me le prouve régulièrement.
Lorsque je me promène dans la rue en compagnie des deux frères Lazio, le moindre homme qui me regarde un peu trop longtemps à leur goût est immédiatement fusillé par quatre yeux énervés. Contrairement à son petit frère, Gabriel est roux même si, suivant la lumière, ses cheveux tirent parfois sur le blond vénitien. Il doit ses muscles aux nombreuses heures qu'il passe sous l'eau, étant passionné par la natation, tout comme son frère.
En parlant de lui, il déboule dans l'entrée avec un grand sourire, qui se transforme en grimace dès qu'il me voit dans les bras de son frère. Je lève les yeux au ciel tandis que Gabriel lui tire la langue avant de me lâcher.
Je vais rejoindre mon petit-ami, non sans adresser un clin d'œil complice à son frère au passage. Dès que les lèvres de Léo se posent sur les miennes, je sens une nuée de papillons envahir mon ventre, et tout disparaît autour de nous.
Nous nous séparons trop rapidement à mon goût, et mes questions reviennent directement me tourmenter. Je suis Léo dans sa chambre, puis m'affale en travers de son lit. Il me décale pour pouvoir s'asseoir aussi, puis me regarde dans les yeux avant de m'embrasser à m'en couper le souffle.
- Désolé, je n'ai pas pu résister.
- Ouah ! Recommence dès que tu veux, beau gosse
- C'est bon à retenir ! dit-il avec un clin d'œil complice
Décidément, ça fait beaucoup de clins d'œil d'un seul coup ! Je me renfrogne quand, une fois de plus, mes interrogations reprennent le dessus.
- Dis, ton frère, il reste avec nous ?
- Non... Il va voir un film avec ses potes. Tu voulais qu'il reste ?
Dans sa voix, il n'y a aucune jalousie, aucun reproche. Il s'intéresse seulement à ce que j'ai derrière la tête. Je sais bien que leur apparente rivalité n'est qu'un jeu entre frères, mais le voir ainsi, presque déçu que son frère ne reste pas avec nous, me fait chaud au cœur. Je sais bien que je ne suis pas comme toutes ces héroïnes d'histoires abracadabrantes, qui finissent avec le frère de leur petit-ami, mais ça me touche quand même. En posant cette question, je me suis dit qu'il serait peut-être jaloux que j'accorde autant d'importance à son frère, mais non, il paraît seulement touché que j'apprécie autant celui qu'il considère comme son modèle.
Prise dans mes pensées, j'en oublie presque de répondre à la question que m'a posé mon petit-ami.
- Non, justement, c'est mieux ainsi.
- Pourquoi tu es venue plus tôt ? C'est pas que ça me dérange, hein ! Juste que d'habitude tu es plutôt en retard qu'en avance...
- J'ai parlé à ma mère.
Je lui explique sa réaction, plus que perturbante. Son attitude si sûre d'elle lorsqu'elle m'a menti. Mon emportement, le livre dans le sac et la porte claquée. Puis ma fuite jusqu'à chez lui, avant même d'avoir dîné.
Son sourire disparaît progressivement et son visage se ferme, au fil de mes révélations. Lui non plus ne comprend pas pourquoi ma mère refuse de me parler d'un sujet aussi important que celui-ci. Il me propose de manger un peu avant d'appeler le numéro qui était au dos de la photo reçue avec la lettre.
J'accepte volontiers et nous nous dirigeons vers la cuisine. Tandis que Léo met à chauffer de l'eau pour faire des pâtes carbonara, je lui explique comment j'ai trouvé l'étrange livre intitulé Destin et ce qu'il m'a apporté. Il m'écoute attentivement, sans pour autant cesser la préparation du repas.
Je récupère le livre dans mon sac, puis lui lis la dernière devinette, espérant qu'il saura y répondre. Il réfléchit quelques instants puis, tout naturellement, m'explique qu'il pense qu'elle parle du passé.
En effet, il faut accepter son passé pour avancer, hier appartient au passé et, en conjugaison, il peut être simple ou composé. Un grand sourire éclaire mon visage. Je m'empresse de piquer mon doigt avec le stylet. Mon petit-ami me regarde faire avec étonnement, mais ne dit rien. Comme d'habitude, j'écris le mot puis ferme le roman. Je compte jusqu'à sept avant de le rouvrir.
PASSE
PASSE : nom masculin (du latin passare). Ensemble d'événements qui ont eu lieu avant le moment présent, partie du temps qui est révolue.
''Tout ça est parti d'une lettre. Une simple lettre et puis... Tout s'est écroulé. C'est ce qu'il y a dedans, qui a fait couler les larmes sur son visage crispé par la douleur. Elle ne s'est pas fait d'illusions. évidemment, ce n'est pas marqué noir sur blanc. Non... Sinon ça serait trop... Trop quoi d'ailleurs ?Triste ? Officiel ? Définitif ? Ouais, c'est pas mal ça, définitif. Ils ne l'ont pas noté comme ça, évidemment. Mais sa tristesse est la même. Elle pleure, à moitié cachée derrière ses cheveux blonds en bataille. Les cernes sous ses yeux sont noires, symbole de l'enfer qu'elle vit depuis qu'il est parti. Souvenir, marque laissée par les nuits blanches où, inquiétée par le silence, elle tournait en rond, cherchant désespérément le sommeil qui, lui, s'obstinait à fuir. A la fuir. Comme lui. Elle sait qu'il n'a pas choisi tout ça, mais quand même. Elle lui en veut. Elle lui en veut parce qu'elle a besoin de lui. De l'avoir à ses côtés, en chair et en os, comme dirait la grand-mère. Pas seulement sur une vieille photo de mariage, pliée en quatre dans son porte-monnaie. Elle lui en veut, d'avoir choisi ce métier-là. Il aurait pu faire tellement d'autres choses. Boulanger, maraîcher, cordonnier. Facteur. C'était bien ça, facteur ! Ça te fait voir le monde, c'métier là. Tu voyages sur ta bicyclette, tu rencontres des gens. Tu parles, tu ris, tu bois café sur café. ''Vous en r'prendrez bien un p'tit voyons !'' Ouais, il aurait pu faire ça. Il aurait dû faire ça, comme il se l'était promis enfant, les yeux pleins d'étoiles. Il voulait pas faire comme son père, il avait dit. Il voulait avoir une grande et belle famille. Bah tiens ! Voyez où ça l'a mené. Il a fait pareil, l'gamin. Et puis, il l'a laissée, sa p'tite femme aux cheveux blonds comme les blés. Il l'a laissée sur le carreau, comme on dit chez nous. Il est parti. Et puis elle l'a attendu. Oh que oui, elle l'a attendu. Elle a guetté son retour, chaque soir, les avant bras posés sur le bord de la fenêtre. Elle l'a attendu, fidèle au poste. Elle n'a plus d'ongles même, à force de les ronger, inquiète chaque fois qu'il quittait la maison.
Mais là, aujourd'hui, elle sait que c'est fini. Il ne reviendra plus, son homme. Alors elle pleure, elle pleure parce qu'elle sait qu'il va falloir qu'elle travaille dur, qu'elle travaille tard, pour subvenir aux besoins. Elle va devoir bosser comme une folle, malgré son ventre qui s'arrondit. Il y a quelqu'un là-d'dans, elle en est persuadée. Il lui a laissé un souvenir dont il ignore l'existence.
Elle pleure, la pauvre dame. Elle pleure, mais elle sait qu'elle ne doit pas rester là. Elle ne peut pas, sinon elle se laissera mourir de chagrin. Elle doit oublier, passer par dessus et regarder l'horizon sereinement. Et, quand son ventre sera de nouveau plat, elle avisera. Elle dira, elle brodera autour de la vérité. ''Il est parti, il reviendra pas, il ne veut pas'', elle dira. Elle n'expliquera pas tout. Elle ne confiera pas l'angoisse à chaque fois, la peur qui prend tout le corps, les pleurs, l'attente désespérée. Non, ça, elle le gardera enfoui en elle. Elle le recouvrira de sourires, de cris et de rires, jusqu'à l'oublier totalement. Elle ne veut pas se souvenir de la vérité. Elle n'est pas assez forte pour ça. Alors, c'est décidé, elle part.
Elle prend ses affaires, elle s'en retourne chez sa mère. Elle retourne là où tout a commencé. Voilà, les valises dans le coffre, les économies dans le vide-poche, et la clef sur le contact. Elle sait conduire, il a bien fallu apprendre, puisqu'il n'était plus là. Elle chasse ses idées d'un signe de tête, efface les dernières larmes du bout des doigts. Le moteur ronronne, elle appuie sur l'embrayage, passe la vitesse. Ça y est, elle est partie. Elle s'enfuit, elle veut retrouver sa liberté. Oublier, tout oublier, ne penser qu'au futur. Ouais, casser les rétroviseurs, et avancer. Elle roule dans la campagne, les fenêtres ouvertes. Elle sent le vent jouer avec ses cheveux. Elle sourit, se laisse guider par ses souvenirs. La dernière fois qu'elle a pris c'te route, c'était après la nuit de noces. Elle était heureuse et, dans l'autre sens, elle essaie de l'être aussi. Elle remonte le temps, la jeune fille redevient môme. L'air d'été a un parfum de liberté fleurie. Elle inspire à pleins poumons cet air pur. Puis se met à rire. Elle rit, et le son de sa voix sort par les fenêtres, envoûtant. Lorsqu'elle en a assez de rire, elle fredonne. Une vieille chanson dont elle a oublié les paroles. Elle tape sur le volant, suivant le rythme de la mélodie que lui chantait sa mère pour l'endormir, enfant. Ses lèvres bougent légèrement, sa gorge vibre, et elle replonge dans ses souvenirs. Des souvenirs ornés de jupes à froufrous et de fleurs multicolores. D'odeurs de pain chaud et de tarte aux pommes qui sort du four.
Elle retourne là où d'où elle vient. Elle ne parlera pas de ce qu'il s'est passé. Elle ne dira rien. Juste ''j'ai préféré revenir''. Elle veut renouer avec ce qu'elle a connu avant. Prendre un nouveau départ. Faire un bond dans le passé pour créer un nouveau futur.
Elle roule. Elle roule, les fenêtres ouvertes, et ses soucis s'envolent dans le vent. Elle veut se réinventer, elle veut changer. Elle veut tout effacer pour tout recommencer.
Elle se promet d'oublier qu'un simple mot vient de tout bouleverser.
Disparu''
Je crois que je n'aurais pas dû lire à voix haute pour que Léo sache de quoi parle ce nouveau texte. Des larmes venues de nulle part ont atteint le bord de mes yeux. Elles se sont amassées là, attendant d'être plus nombreuses, puis ont dévalé mes joues. Je pleure, comme cette femme. Je pleure pour elle. Je pleure avec elle. Les gouttes d'eau salée roulent sur mes joues, et je comprends. Je comprends qu'il me faut connaître mon passé. Et je sais. Je sais pourquoi ma mère ne veut pas m'en parler. Parce que le passé lui fait mal. Ce n'est pas qu'elle ne veuille pas m'en parler, c'est qu'elle ne peut pas. Elle n'y arrive plus. Quelque chose s'est brisé en elle le jour où mon père est parti, j'en suis persuadée.
J'ai beau savoir que l'histoire de cette femme n'est pas celle de ma mère, je ne peux m'empêcher d'y trouver des similitudes. Le père est parti, comme le mien, et je ne sais pas pourquoi, le texte ne le dit pas.
Léo comprend à son tour pourquoi une boule s'est formée dans ma gorge, et il vient vers moi. Il me prend dans ses bras, m'offrant le réconfort silencieux dont j'ai besoin. Je reste là, blottie contre lui, sans savoir la raison de mes pleurs. Je reste là, à écouter son cœur battre dans sa poitrine, à respirer son odeur sucrée. Une sonnerie retentit, nous forçant à nous séparer. Je reviens brusquement dans le monde réel. Les pâtes sont cuites.
Nous nous attablons devant la télévision et mangeons tout en se moquant de l'émission niaise qui passe sur l'écran plat. Je ne la suis pas vraiment, détaillant seulement quelques images, sans plus chercher à comprendre ce que racontent les hommes et femmes qui sont filmés.
Le repas prend fin, et nous montons dans la chambre de mon petit-ami après avoir débarrassé la table.
Assise sur son lit, mon téléphone entre les mains, j'hésite. Et si cet homme n'était pas celui auquel je pense ? Et si c'était juste un usurpateur d'identité, comme ma mère semble le craindre ? Un dangereux psychopathe ? Plus les minutes passent, plus mes hypothèses sont abracadabrantes. Pourtant, je sais que j'appellerai ce numéro. J'en suis persuadée, car je ne veux pas rester dans l'ignorance. Je ne veux plus. J'ai besoin de savoir, et je crois être très proche de la vérité. Je la frôle du doigt, sans pour autant parvenir à l'attraper, comme les papillons qui se posent sur moi l'été.
Léo me regarde, tentant de m'encourager comme il peut. Il sait que je suis agitée par le doute. Je tords mes mains, indécise. Il les prend, caresse mes paumes avec ses pouces, comme pour me dire qu'il sera là quoi qu'il arrive.
Il se penche vers moi, m'embrasse, tentant de me donner le courage dont j'ai besoin. Il se donne à moi, me laisse faire, reprend parfois le contrôle, comme pour insister. Il y met tout l'amour qu'il a pour moi, toute sa détermination à me rendre heureuse.
Lorsque je me détache de lui, ma décision est irrévocablement prise. Confiante, je saisi mon téléphone, puis appelle le numéro que j'avais enregistré dans mon répertoire. Je mets sur haut parleur pour que Léo puisse entendre aussi.
Le répondeur ne se met pas en route. A l'autre bout, quelqu'un a décroché.
- Allô ?
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro