Vingt-et-unième chapitre
J'ai pris une décision. Je ne sais pas si c'est la bonne, mais c'est la mienne. Je sais que je ne vais pas être capable de me refuser à toi éternellement. Je sais que je n'ai pas envie de me refuser à toi. Depuis que je suis ici, c'est comme si j'étais libérée d'un poids. Le poids de mes fantômes. Et personne n'a idée comme ce poids est lourd. Depuis que je suis ici, ma mère ne hante plus mes cauchemars. Depuis que je suis ici, mon père semble reposer en paix, où qu'il soit. Si loin ou si près de moi. Depuis que je suis ici, j'ai un peu moins peur. Un peu moins tort de faire du mal à Henry en lui causant tous ces soucis. Un peu moins peur de la vieillesse de Murphy. Un peu moins peur de l'avenir. De mon avenir. Avec ou sans toi. Avec ou sans moi.
Il me semble ne pas avoir connu de plénitude semblable à celle-ci depuis des années. Je ne savais plus ce que signifiaient les nuits paisibles. Je ne me pensais plus capable de sourire sincèrement. Pourtant, durant des années, je me suis murée derrière ce sourire. Que ce soit face à Henry, Noah, Jade, ou Anna, les sourires que j'affichais lors des derniers mois n'étaient pas réellement sincères. Depuis que j'ai appris que ma mère n'est pas morte, ce n'est plus pareil. J'avais surmonté la mort de mes parents. Mais surmonter la folie de ma mère, c'était autre chose. C'est, autre chose. C'est triste à dire, mais je trouve que sa présence sur terre, dans cet état, est pire que sa mort. Je me souviens avoir souffert durant des mois, mais pas autant que depuis l'annonce de cette nouvelle. J'ai envie de croire que j'ai atteint le summum de la souffrance. Que rien ne pourra m'arriver de pire. Mais je sais que c'est aussi vrai que le père noël existe.
J'ai pris une décision. Ce matin, en me levant. Dans cette cuisine, en déjeunant à tes côtés. Dans les rues de cette ville, que nous avons visitée. Dans tous ces endroits où je t'ai emmené au cours de la journée. Il y a une heure, en rentrant. À l'instant, en croisant ton regard. J'ai pris une décision.
Non, je n'ai jamais connu de plénitude semblable à celle-ci.
La nuit est tombée depuis longtemps alors que dans la salle de bain, j'essaye de me donner du courage. Si j'étais élève à Poudlard, je n'aurais clairement pas été placée à Gryffondor. Et ce soir, du courage, j'en ai besoin. Non... Pas vraiment du courage, mais plutôt de la confiance en moi. Pourtant, lorsque je me regarde dans le miroir, je perds le peu d'estime que j'ai de moi. Si peu, tellement peu d'estime, de confiance en moi... Non, lorsque je me regarde, je ne vois que les cicatrices sur mes poignets, mon corps trop mince, mes cheveux trop ternes, mes yeux, trop éteints. Et je n'ai plus aucun courage en moi.
Mais pourtant, j'ai pris une décision. Pour une fois, je suis sûre de ce que je veux. Je suis sûre de te vouloir. Je suis sûre de mon choix. Je veux que ce soit toi, ou personne d'autre. Je sais que de l'autre côté de cette porte, tu es allongé sur le lit, probablement pendu à ton téléphone. Je sais aussi que tu ne t'y attends pas. Tu es à mille lieues d'imaginer que j'ai pris cette décision. Mais pourtant, c'est le cas. À mon grand étonnement, j'ai pris une décision.
J'ai beau sortir de ma douche, je me passe un coup d'eau sur le visage comme pour me donner du courage. De mes mains, j'essaye de rendre un tant soit peu de volume à mes cheveux, mais je laisse rapidement tomber. Tu n'es même pas encore devant moi, et pourtant, je me sens déjà minuscule. Trop fragile, entre tes bras.
Je me fais face, et je prends une grande inspiration. J'essaye de me dire que ce n'est que toi, qui m'attends derrière cette porte, mais ce n'est pas réellement rassurant vu tout ce que tu représentes. Face à tous mes doutes, j'en suis presque à me demander si je prends la bonne décision. Mais je ne dois pas avoir peur. Je ne veux pas avoir peur. Je veux que ce soit toi.
Je n'ai jamais connu de plénitude semblable à celle-ci.
J'ai pris une décision.
Lorsque je sors de la salle de bain, tu es, comme je m'y attendais, sur ton téléphone. Tes yeux ne quittent d'abord pas l'écran, mais lorsque je le ferme la porte d'où je viens, ton regard vient se poser sur moi, et il n'en faut pas plus pour commencer à me dire que ce n'est pas une bonne décision. Je porte l'un de tes maillots noirs, qui me fait penser aux maillots de basket bien trop grands pour moi que je porte continuellement depuis des années, lorsque je suis chez Henry. Mais ce soir, pour une fois, je ne porte que ton maillot, et mes jambes nues me donnent l'impression de me montrer tout entière à toi. J'ai pris une décision.
Avant de perdre le peu de courage que j'ai réussi à trouver Dieu sait où en moi, je m'approche du lit où tu te trouves, et je vois dans ton regard les questions que tu ne me poses pas. Je m'installe à ma place, et par réflexe, je tire ton maillot pour couvrir un peu plus mes jambes. Je te vois sourire, un sourire presque imperceptible, mais je le vois quand même.
- C'est pourquoi ? demandes-tu, amusé.
- J'ai pris une décision.
Je me répète cette phrase depuis ce matin, elle ne me quitte pas. Peut-être pour me convaincre que c'est une bonne décision, je ne sais pas. Ai-je réellement besoin de m'en convaincre ? Je ne vois personne d'autre que toi.
- Qui est ?
- Toi, je réponds, d'emblée.
Tu lèves un sourcil et, silencieusement, tu analyses ma réponse. Toi. Que peut bien représenter ce toi ? Si tu savais, oh oui, si tu savais tout ce que ton toi représente. Peut-être trop. Sûrement trop. Je ne suis pas capable de faire dans la demi-mesure lorsqu'il s'agit de toi. Je m'appuie sur toi pour soulager mes craintes. Je laisse reposer tout le poids de mes pleurs sur tes épaules. Je m'abandonne entièrement à toi, émotionnellement. Je ne t'ai jamais dit ce que je ressentais réellement, mais tu connais toutes mes souffrances. Tu as connu trop rapidement mes pleurs, mes cauchemars, mes mains tremblantes. Tu y as fait face, sans le vouloir. Tu as fui. Tu es revenu. Avant de fuir de nouveau. Et de revenir encore. Combien de temps nous reste-t-il avant que mes fantômes ne te fassent fuir définitivement ?
- Et qu'attends-tu de moi ? interroges-tu finalement.
- Ne me fais pas dire ce genre de choses à voix haute, je souffle.
Tu verrouilles ton téléphone avant de le poser sur la table de nuit. J'ai maintenant toute ton attention. Tu te tournes sur le côté en prenant appui sur ton coude et tu regardes un instant mes jambes nues et blanches, tellement blanches, avant de sembler hésiter.
- Pourquoi ? demandes-tu encore.
- Pourquoi ?
- Pourquoi.
- Je ne pensais pas qu'il devait y avoir une raison, je réponds, mal-à-l'aise.
De nouveau, je te vois hésiter. Sur un coup de tête, et pour te faire taire, n'en pouvant plus de tes questions, je me penche pour venir déposer mes lèvres sur les tiennes. Je ne fais que les effleurer, comme souvent. Le temps de quelques secondes, ton regard s'ancre dans le mien, toujours à la recherche des réponses à tes questions. Il n'y a pourtant qu'une seule réponse possible. J'ai pris une décision, et je veux que ce soit toi. Du regard, je te supplie de te taire, de ne plus m'interroger, et lorsque tes lèvres s'emparent des miennes avec plus de fermeté, je sais que tu ne me poseras plus de question.
***
J'ai compris les intentions de Kate à la seconde où elle a quitté cette salle de bain. Du moins, l'intention de Kate. Celle que j'ai évoquée plus d'une fois depuis le début de ce séjour, sans toutefois oser l'espérer. Je n'ai jamais cru Kate prête pour ça. Je ne la crois pas prête pour ça. Mais ce soir, dans mon tee-shirt noir dix fois trop grand pour elle, elle semble croire le contraire. Elle a envie du contraire. De quelque chose de nouveau. Quelque chose que je ne mérite sûrement pas de lui offrir.
Alors que j'allais lui poser une nouvelle question pour lui faire comprendre qu'elle se trompait peut-être, qu'elle se trompait sûrement, elle m'a interrompue en m'embrassant. Non, pas en m'embrassant. En effleurant mes lèvres comme elle le fait à chaque fois qu'elle m'embrasse. Comme si elle craignait que je m'en aille à n'importe quel moment. Comme si elle n'était pas capable de me donner plus. Comme si elle craignait de me donner plus.
Tu es tout ce que je veux
Et tu as été là tout du long
Je donne à notre baiser une autre dimension, comme je le fais à chaque fois. Je ne sais pas me contenter de sentir ses lèvres effleurer les miennes. Je veux plus. J'ai besoin de plus, depuis déjà tellement de temps. Mais je ne dois pas oublier qui est la fille en face de moi. Je ne dois pas oublier à qui appartiennent ces mains tremblantes. Je ne dois pas oublier qui se cache derrière ces yeux qui ont déjà vu trop de malheur. Je ne dois pas oublier qu'il s'agit de Kate, et que ses fantômes ne sont jamais loin.
Trop...
Trop ne sera jamais assez
Mais pourtant, lorsque je sens son souffle contre le mien, lorsque ma main s'aventure sur sa jambe nue, lorsqu'elle passe son bras derrière mon cou pour rapprocher mon corps du sien, j'ai tendance à oublier. À vouloir oublier. J'amplifie davantage notre baiser et je me place au-dessus d'elle, mes bras encadrant son visage. Dans cette position, elle me semble encore plus fragile, plus frêle, plus brisée, et j'ai peur de l'abîmer encore un peu plus qu'elle ne l'est déjà.
Chaque fois que nous nous touchons, ça se passe à chaque fois
Ses yeux qui ont déjà tant connu de la souffrance et si peu du monde me regardent alors que je caresse sa joue délicatement. Mes doigts font le contour de ses sourcils qu'elle fronce si souvent et je ressens l'envie de lui murmurer que tout ira bien, qu'elle n'a plus de raison d'avoir peur. Mais je sais pourtant que je ne suis pas capable de lui promettre une telle chose. Je sais que tout n'ira pas bien, et je devine qu'elle a encore des raisons d'avoir peur. Tellement de raison. C'est à mon tour de froncer les sourcils, et lorsqu'elle me regarde, son doigt vient effleurer ma lèvre inférieure. Un effleurement, encore. Cet effleurement, si propre à elle-même. Elle effleure ma vie tout comme, doucement, elle commence à effleurer mon cœur. Elle effleure mon corps qui est réceptif et butte contre celui de mon frère, qui ne l'est pas.
Je dois me détourner et fuir
Je suis à deux doigts de rire lorsque Kate me murmure que tout ira bien. Le monde à l'envers. Je comprends peu à peu que, pour une fois, elle est réellement sûre d'elle. Je comprends qu'elle n'a pas pris cette décision à la légère, et ça me terrifie. Je ne sais pas si elle en a conscience, mais elle vient de déposer un nouveau poids sur mes épaules, en plus de celui de ses fantômes qui est déjà étouffant.
Ma belle je ne peux prendre ton amour
J'essaye de faire taire mes pensées en l'embrassant dans le cou, et lorsqu'elle soupire d'envie, j'y parviens presque. Mais il suffit que je sente ses côtes à travers mon maillot qu'elle porte, ou que je songe à ses cicatrices lorsque mes mains s'approchent de ses poignets pour que tout me revienne à la vitesse d'un boulet de canon. Kate semble prête, et elle essaye de me le faire comprendre. Mais moi, je ne sais pas si je suis prêt. Je ne sais pas si je suis capable d'accepter, et d'endurer, cette confiance aveugle qu'elle me donne. Je ne sais pas si c'est réellement ce que je veux. Je n'étais pas prêt à ce qu'elle soit prête si tôt.
Je ne peux regarder en arrière
J'ai l'impression de perdre pied lorsque, pour la première fois, elle m'embrasse réellement. C'est elle qui vient à moi et ses lèvres ne se contentent pas d'effleurer les miennes. Elles me donnent plus. Elles me donnent ce que je croyais vouloir. Ce que je veux, certainement, mais que je ne suis pas prêt à assumer. Comme si elle devinait mon trouble et qu'elle essayait de me rassurer, Kate fait abstraction de ses fantômes pour se concentrer uniquement sur moi. Et c'est le moment que je choisis pour me concentrer uniquement sur ses fantômes.
Chérie je souhaiterais pouvoir tout avoir
Elle n'a pas idée comme j'aimerais pouvoir faire abstraction de tout ça, moi aussi. Mais je crois qu'elle ne se rend pas compte non plus à quel point c'est compliqué. Ses doigts passent sous mon tee-shirt, et pour une fois, ils ne sont pas froids. J'ai l'impression de hurler à mes pensées de se taire, mais ni elles, ni Kate, ne semblent m'entendre. Ce que je veux, ce que je rêve, ce que j'espère depuis des mois est à portée de doigt, mais je ne suis pas capable d'y faire face. Je ne suis pas capable d'assumer une telle responsabilité.
Mais je ne peux pas, c'est simplement trop
Une dernière fois, je lutte, en vain. L'envie de Kate est là, irrémédiablement là. Elle est là depuis des mois. Mais ce que ça engage représente trop. Je sens mes murailles faiblirent lorsque mon intimité frôle la sienne et l'espace d'un instant, j'ai envie de tout laisser tomber. De mettre de côté les conséquences, ses faiblesses, la part si importante que j'ai dans la vie de Kate, et de voir ce que tout ça donnera demain. Mais je ne peux pas faire ça. Je ne peux pas lui faire ça. Je ne peux pas prendre ce qu'elle m'offre au risque de devoir partir prochainement. Je ne peux pas. Je ne suis pas celui qu'il lui faut.
Chaque fois que nous nous touchons, ça se passe à chaque fois
Je dois me détourner et fuir
***
Je sens que quelque chose ne va pas Je sens que tu n'es pas réellement là lorsque tu m'embrasses. Je devine que tes caresses ne sont pas ce quelles devraient être. J'ai peur de l'impact, et lorsque, toujours au-dessus de moi, tu te redresses en prenant appui sur tes bras, je comprends qu'il est imminent.
- Je ne peux pas.
Je fronce les sourcils tandis que tu évites mon regard. Depuis quand évites-tu mon regard ? Je sens qu'un nouveau fossé vient de se placer sournoisement entre nous. Comme s'il n'y en avait pas suffisamment comme ça... Mal à l'aise, je me redresse en essayant de m'éloigner de toi.
- Tu ne peux pas ?
- Je ne peux pas être ce mec.
Tu ne peux pas être ce mec... Mais que ce passe-t-il dans ton esprit, Tom Kaulitz Trümper ? Je m'éloigne davantage en repliant mes jambes et je ne peux pas passer à côté de l'air contrarié qu'affiche ton visage.
- Je crois que je vais avoir besoin d'un peu plus d'explications, je souffle.
Tu t'assois au bord du lit en te frottant le visage de tes mains, et je sais d'avance que je ne vais pas aimer ta réponse. Je crains même que ce "nous" que nous tentons de former difficilement ne survive pas à ta réponse. Je sens un frisson parcourir mes jambes, et je me rends compte que j'ai froid depuis que tu t'es éloigné de moi. Tu soupires et je me contente d'attendre. Attendre l'inévitable.
- Tu ne peux pas m'accorder cette confiance-là, reprends-tu.
Mes bras viennent entourer mes genoux relevés contre mon torse, et je ferme quelques secondes les yeux alors que tu t'obstines à regarder droit devant toi, en m'ignorant. Lorsque je les ouvre, je ne te regarde plus non plus.
- Pourquoi ?
- Parce que je ne serais probablement plus là demain.
Le silence nous entoure un instant. J'essaye d'analyser ta réponse, de comprendre ton comportement, de donner une raison à tout ça. Mais je n'en vois qu'une.
- Tu ne seras plus là à cause de ce que tu fais avec ton groupe, ou parce que tu ne voudras plus être là ?
- Je ne suis pas ce genre de mec, Kate, réponds-tu en ignorant ma question.
- Mais de quel genre de mec parles-tu ?
- Le genre de mec comme Adam. Je ne suis pas ce gars qui vit une vie de couple normale avec une fille.
- Je ne t'ai jamais demandé ça.
- Non, mais c'est ce que tu finiras par vouloir.
Je suis prête à te répondre, mais je me ravise au dernier moment. Tu sembles avoir décidé pour nous deux. Comme si tu es persuadé que tout est perdu d'avance. Je te regarde mais ne vois que ton dos. Lassée et peinée, je me lève sans dire un mot, et tu n'esquisses pas le moindre geste en ma direction pour me retenir lorsque je quitte la chambre.
***
Il est plus d'une heure du matin lorsque j'entends Kate faire un cauchemar. Je reconnais bien trop ses sanglots ensommeillés à mon goût. Presque malgré moi, je me lève pour rejoindre la chambre qu'elle occupe et en essayant d'ouvrir la porte, je constate quelle est fermée à clé. Dépité, je frappe à la porte mais n'obtiens aucune réponse. Agacé, en colère contre elle et contre moi-même, mais ne pouvant me résoudre à la laisser seule, je m'assois contre la porte pour attendre que ses cauchemars et sanglots se dissipent. Sans même le savoir, cette fille m'accapare entièrement. Dans quelques heures, nous devons prendre l'avion qui nous ramènera en Allemagne. Ensemble, ou séparément.
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