Premier chapitre.
"Nous ne devons plus que traverser mille océans. Traverser mille sombres années dépourvues de temps."
- Sardine. Tu vas encore être en retard.
Je note mentalement qu'Henry, mon grand-père, insiste lourdement sur le "encore". Ouvrant les yeux, je l'entends descendre les escaliers pour rejoindre le rez-de-chaussée. Bien sûr que je vais être en retard. J'y suis tous les matins. Mais par un miracle inexplicable, je me débrouille toujours pour arriver à l'heure à mon premier cours. La seule perspective de cette journée me donne envie de replonger sous la couette pour ne plus jamais en sortir. Après l'obtention de mon diplôme, j'ai décidé de poursuivre une année de plus dans le domaine des langues appliquées, espérant pouvoir devenir traductrice par la suite. L'école la plus proche se situant dans une petite ville, à une heure de chez moi, j'ai eu la malchance de tomber sur une classe que je qualifierai d'hautaine, centrée sur elle-même, et dont la plupart d'entre-eux sont des filles ou des fils à papa. La motivation pour aller en cours est donc quotidiennement au plus bas.
- Ta joie serait presque palpable..., commente Henry en me voyant descendre les escaliers pour le rejoindre à la cuisine.
- Mais je suis joyeuse, dis-je en caressant Murphy, mon labrador beige âgé de onze ans.
- Ne le sois pas trop, ça pourrait être contagieux.
Je ne peux m'empêcher de sourire et me hâte d'engloutir mon kiwi coutumier alors que Henry mélange son café à l'aide de sa cuillère.
- Jade a appelé hier soir mais tu dormais déjà. Elle voulait te dire qu'elle passerait ce soir.
- D'accord. Tu as quelque chose de prévu pour aujourd'hui ?
- Noah va passer. On va sûrement aller à la pêche donc ne t'étonnes pas si je ne suis pas là quand tu rentreras.
- Ça marche. Il faut vraiment que je file si je veux arriver à l'heure. Tu passeras le bonjour à Noah, bonne pêche !
Ajoutant le geste à la parole, je me lève en prenant ses clés, non sans une dernière caresse à Murphy et me hâte d'entrer dans ma vieille Bronco marron pour éviter le froid matinal de cette fin d'octobre. Cette voiture est un cadeau d'Henry pour mon 18ème anniversaire et, deux ans plus tard, elle commence à montrer de nombreux signes de vieillesse. N'ayant pas les moyens de m'en offrir une neuve, Henry s'est amusé à retaper celle-ci avec l'aide de Noah. Ces deux-là sont inséparables, d'aussi loin que je me souvienne. Noah m'a vu grandir, a été présent pour chaque anniversaire, m'a réconforté à la mort de mes parents, il a toujours été là. Quant à Henry, je vis chez lui, avec Murphy depuis cinq ans, depuis ce fameux accident de voiture qui a emporté mes parents.
Regardant mon téléphone avant de partir, je constate en effet que Jade, ma meilleure amie depuis mon entrée au collège, m'a appelé la veille. Posant mon téléphone sur le côté de la banquette avant, je démarre enfin et pars sans grand enthousiasme pour une énième journée de cours. Comme d'habitude, je gare ma Bronco en même temps que résonne la sonnerie et je dois traverser le campus à la hâte. Comme d'habitude, j'ignore superbement le groupe de potiche et vais prendre place à côté de la seule fille normale de ma classe. Elle s'appelle Anna et a deux ans de moins que moi, ayant sauté deux classes. Nous ne sommes pas vraiment amies, mais tout comme moi, Anna a en horreur les autres filles de la classe, alors nous affrontons cette année à deux. Comme d'habitude, la journée passe à une lenteur inouïe. Comme d'habitude, la dernière sonnerie sonne comme un air de délivrance et, assise dans ma Bronco, j'ai enfin l'impression de pouvoir respirer.
Le temps d'arriver chez moi, il est presque 18h, ma vieille Bronco refusant catégoriquement de dépasser les 95 kilomètres heure. Comme prévu, Henry n'est pas là. La pêche étant finie depuis longtemps, il doit sûrement traîner chez Noah devant un match de football. Quant à Murphy, il se fait une joie de me sauter dessus, manquant au passage de me renverser. Accompagnée de mon labrador beige, je monte dans ma chambre pour me changer et enfiler l'un de mes éternels maillots de basket trois fois trop grand pour moi, qui m'arrive quasiment aux genoux. L'idée de m'atteler à mes devoirs me déprime encore plus que celle de me lever le matin, alors je décide de retourner à la cuisine pour préparer le repas de ce soir. Après un rapide état des lieux du frigidaire, j'opte pour faire des pommes au four et le poisson préféré d'Henry. Faire la cuisine a toujours été pour moi l'une des meilleures manières de décompresser. Une demi-heure plus tard, Henry fait son entrée dans la cuisine, canne à pêche à la main droite, et seau à la gauche.
- Serait-ce une odeur de poisson frit ?
- En effet. Ça sera prêt dans une demie heure.
Henry opine du chef et monte prendre sa douche, me laissant à mes fourneaux. Le repas se passe ensuite dans le calme, comme pratiquement chaque soir. Grand-père est comme moi, introverti et meurtri part la perte de sa fille et de sa femme, quelques années auparavant.
- Bon, j'ai repoussé ce moment autant que possible, mais je vais devoir me résoudre à aller faire mes devoirs. Fais monter Jade, elle ne devrait pas tarder, dis-je à Henry en montant les escaliers après avoir fait la vaisselle.
Me concentrer s'avéra être une affaire aussi complexe que celle de me lever le matin et une fois plongée dans la traduction d'un énième texte plus complexe encore que le précédent, je n'entends pas Jade entrer et sursaute en la voyant faire son apparition en trombe dans ma chambre.
- Ah l'école, les devoirs..., commente-t-elle en me voyant. Ça ne me manque pas.
Jade a arrêté les cours après l'obtention de son diplôme que nous avions passé ensemble, et je regrette de plus en plus de ne pas avoir prit le même chemin qu'elle.
- Dommage, j'allais te proposer d'y aller a ma place.
- Sans façon ! S'exclame Jade en se laissant tomber sur mon lit. Mais, moi, j'ai quelque chose de bien meilleur à te proposer.
- Je t'écoute, dis-je en posant mon crayon et en me retournant pour lui faire face.
Souriant de toutes ses dents, elle sort de sa poche de manteau deux sortes de billet qu'elle me tend ensuite.
- Les Romanov organisent une soirée en l'honneur de la consécration de leur entreprise. Ma marraine y est invitée, mais elle est prise ce jour-là, donc, ne voulant pas faire faux bond, je suis chargée d'y aller à sa place. Et toi, bien sûr, tu es chargée d'y aller avec moi.
- Je ne sais même pas qui sont les Romanov.
- Mais moi si, continue Jade toujours tout sourire.
- Et c'est quand ?
- Samedi. Et j'ai déjà demandé à Henry, tu n'as rien de prévu donc inutile de me trouver une fausse excuse.
Je ne peux m'empêcher de sourire étant donné que j'étais justement entrain de chercher une excuse pour décliner l'invitation. Je crois que je ne vais pas pouvoir y couper cette fois. Jade, qui adore le luxe et l'élégance, m'entraîne toujours dans ce genre de soirée mondaine qui sont à mourir d'ennui. Et les fois où j'ai pu y échapper son rares, très rares...
- Je sais que tu comptais passer ta soirée en tête à tête avec Henry devant je ne sais quelle émission de vieux. Moi, je te propose la classe, l'élégance, la raffinerie...
- Une troupe d'hypocrites.
- Peut-être des beaux garçons.
- Des fils à papa.
- Un buffet digne de ce nom. Avec des aliments que tu n'as peut-être même jamais goûtés...
Je souris de nouveau. Jade sait toucher mon point faible. Je ne suis pas capable de dire non aux buffets de ce genre de soirée.
- Ok. Mais je viens uniquement pour le buffet.
- Et les beaux garçons.
- Je te les laisse.
- Génial ! S'exclame Jade en se levant, ravie. Maintenant que ma mission est réussie, je peux m'en aller l'esprit léger. Je passerai surement dans la semaine, ajoute-t-elle en ouvrant la porte. Et bon courage pour tes cours ! Je t'aime !
Je l'entends descendre les escaliers à la hâte et saluer Henry avant de partir aussi vite qu'elle n'est arrivée. C'est ça Jade. Un brin de femme pleine d'énergie et qui voit toujours le bon côté des choses. L'exact opposé de moi. Mais c'est pour ça que nous nous complétons. Son apparition a totalement fait disparaître le peu de motivation que j'avais trouvé pour faire mon devoir, et en soupirant, je m'y attèle de nouveau, le bâclant quelque peu.
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