Cinquième chapitre.
Mon cœur bat fort, trop fort, mais un battement différent de ceux qui l'animait ces dernières 24 heures. Ce battement ne me tiraille pas la poitrine, ne me donne pas l'impression que ma cage thoracique va exploser. Non, bien au contraire. Ce battement trop fort et irrégulier me donne l'impression de revivre, de respirer à nouveau. Tu en es le responsable et tout en descendant les huit étages, je me surprends à sourire en repensant à ton visage. Hans, ton garde du corps posté au bout du couloir m'adresse un regard en coin suivit d'un petit hochement de tête alors que je passe devant lui. Certaines fans sont encore là et parlent entre elles en faisant de grands gestes, un sourire immense collé au visage, visiblement heureuses de vous avoir vu. Comme ce matin, je fuis cet hôtel et monte dans ma Bronco en soupirant. Henry m'attend...
- Kate, ne monte pas dans ta chambre et vient t'asseoir ici, m'ordonne Henry alors que je m'apprête à monter les escaliers.
En levant les yeux au ciel, je fais demi-tour et vais le rejoindre dans la cuisine où il m'attend. Je m'assois lourdement, Murphy à mes pieds. Dos à moi face au plan de travail, grand-père se retourne et dépose une assiette contenant un sandwich sous mon nez.
- Tu m'as fait un sandwich ? Je m'étonne.
- Visiblement.
- Tu ne m'as jamais fait de sandwich.
- Je n'avais pas besoin de le faire puisque tu te nourrissais toute seule, ce que je sais ne pas être le cas depuis hier soir.
En soupirant, je lève enfin le regard vers lui. Son visage semble avoir pris cinq ans d'un coup, ses yeux sont cernés et ses joues me semblent plus creuses même si ce n'est surement qu'une impression. Pour apaiser sa conscience, et la mienne, je coupe un bout du sandwich pour le manger.
- Tu vas la voir quelques fois ?
- Toutes les semaines.
Surprise, j'arrête de mâcher et le regarde avec de gros yeux. Toutes les semaines...
- Quand tu étais censé être chez Noah ?
Il hoche la tête et je lutte contre moi-même pour réussir à avaler ce satané pain de mie qui m'est resté au travers de la gorge.
- Et toi ? Tu y es allée ce matin ?
- Je... J'étais à l'hôpital, répondis-je d'une voix rauque. Mais non, je ne l'ai pas vu.
- Tu sais Kate, elle ne te reconnaîtra pas, murmure Henry en s'asseyant.
- Je sais.
Le silence s'installe lentement entre nous tandis que j'émiette petit à petit mon sandwich entre mes doigts.
- Tu sais, je ne sais pas ce qui est le pire. Je devrais être heureuse de savoir que maman est vivante, mais je n'arrive pas à ressentir une quelconque joie. Elle est encore parmi nous, mais elle n'est plus là. Elle est vivante, mais ne peindra plus jamais, ne m'engueulera plus jamais. Je préférerais qu'elle soit là où je l'ai toujours cru. Car je la pensais en paix, et avec papa. Alors que maintenant, je sais qu'elle est seule dans un hôpital, et bien loin d'être en paix...
- Kate, je suis désolé...
- Ne t'excuses pas. Je te comprends maintenant. Je comprends pourquoi tu ne m'as rien dit.
C'est comme si je voyais tout le poids qui s'est abattu sur ses épaules s'évanouir et je m'en veux de l'avoir tant inquiété depuis hier soir. Levant les yeux sur le mur d'en face, la pendule m'indique qu'il n'est que 13 heures. Cette journée semble s'éterniser...
- Je vais aller me coucher, je suis fatiguée.
En me levant, je m'approche d'Henry pour l'embrasser sur la joue puis monte à l'étage, Murphy sur les talons, en ayant préalablement pris ta veste que j'avais laissée à l'entrée. Je l'enfile après avoir enlevé mon pull et me laisse lourdement tomber sur mon lit.
- Viens, dis-je à Murphy en tapotant le matelas.
La queue zigzagant dans tous les sens, il ne se fait pas prier pour monter sur le lit, et je me blottis contre lui après qu'il se soit couché. Son odeur familière mêlée à celle de ta veste me crée un cocon rassurant. Soudain, le visage de Jade me traverse l'esprit, elle va me tuer pour l'avoir ainsi ignoré et compte sûrement passer dans la journée pour comprendre ce qu'il se passe. Je prends mon portable que j'ai laissé tomber à mes côtés pour lui écrire un message.
"Je sais, tu me hais. J'ai plus de trucs à te raconter que je n'en ai jamais eu en 10 ans, mais aujourd'hui, je préfère rester toute seule et dormir avec Murphy.
Je passe dormir chez toi un soir dans la semaine.
Je t'aime tout plein."
Un soir dans la semaine... Qui dit semaine dit cours. Dit devoirs que je n'ai pas faits. Et que je n'ai pas la force de faire. L'idée d'aller en cours me paraît irréelle après le week-end que je viens de passer. Week-end mélangé entre la douleur de savoir ma mère en vie et l'étrange sensation d'être à tes côtés. Je ne te connais ni d'Eve ni d'Adam, et pourtant tu m'as laissé passer la nuit dans ta chambre d'hôtel. Le souvenir de ton visage et de l'air de guitare que tu m'as joué me revient en tête et je me lève pour ensuite revenir sur le lit avec mon ordinateur portable. Comment s'appelle ton groupe déjà ? Ah oui, Tokio Hotel...
Ces deux mots à peine tapés, une dizaine d'images apparaissent et je souris. Tu avais des dreads. Mon Rappeur-Rockeur était auparavant un dreadeux. Ça t'allait tout aussi bien, peut-être même mieux, constatais-je en regardant de plus près l'une des photos de ton groupe. Visiblement, ton frère est passé par de nombreuses coupes de cheveux qu'il porte toutes très bien. Les deux autres membres du groupe n'ont pas vraiment changés, d'après ce que j'en ai vu aujourd'hui.
Tom Kaulitz Trümper. Mon cœur se serre lorsque je lis ton nom en entier sur l'un des sites, sans que je ne sache pourquoi. Changeant de page web pour écouter vos chansons, je clique sur la première à apparaître, "Durch Den Monsun". Je souris de nouveau en te voyant si jeune et, fermant les yeux pour ne pas être obnubilée par ton visage d'adolescent, je me concentre sur tes accords de guitare. Le fait que ce soit toi, que ce soit ton groupe fausse sûrement mon jugement, mais j'apprécie la musique. Je ne m'attendais pas à ça. Moi qui te pensais faire du rap, je comprends pourquoi tu en riais.
Une fois la chanson terminée, je veux te voir sur scène et plus dans un clip. Je veux te voir réellement, voir tes émotions lorsque tu joues. Après avoir lancé la recherche, je tombe sur plusieurs vidéos d'un concert à Oberhausen. Et je ne suis pas déçue. Vous voir sur scène est tellement plus révélateur que de vous voir en clip. Visiblement, Bill se donne à fond, bien que ce soit également le cas pour vous trois. Le sourire sur ton visage est le même que tu arborais au bas de ton hôtel, au milieu de tes fans. Je reste un petit moment ainsi, à naviguer de vidéos en vidéos tout en caressant Murphy. Le moment que j'ai le plus apprécié, si on met de côté tes accords de guitare, est le petit solo du batteur que j'ai trouvé dans l'une des vidéos du concert. J'adore écouter de la batterie, et le petit blond au fond de la scène se débrouille comme un chef. La tête pleine de vos chansons, je me couche sur le lit en t'imaginant dans ta chambre d'hôtel. Peut-être es-tu sur le départ pour une autre ville, voire un autre pays. Tu es sûrement entrain de te demander ce qui t'as pris de me laisser monter dans ta chambre, deux fois.
Je me réveille en sueur et constate par la fenêtre que la nuit est tombée. En me redressant, je manque de faire tomber l'ordinateur portable qui a glissé vers le bord du lit et attrape mon téléphone pour constater qu'il est quatre heures du matin. Murphy n'est plus à mes côtés mais je sais qu'il dort dans le couloir, pour être au près de ma chambre, de celle d'Henry et de la porte d'entrée qui se trouve juste en bas des escaliers. Je sais que je ne me rendormirai pas et me lève pour aller prendre ma douche, songeant à la nouvelle journée de cours m'attends dans quelques heures...
En montant dans ma Bronco, je me rends compte que j'aurai très bien pu faire un mot d'absence pour ne pas venir deux jours. Mais je ne crois pas que ruminer mes pensées noires dans ma chambre va m'aider à quoi que ce soit. En arrivant, je retrouve Anna dans la salle et vais m'asseoir à ses côtés en laissant tomber mon sac plus lourdement que je ne le voulais.
- Tu vas bien ?
- Tu ne me demandes jamais comment je vais, je rigole en la regardant.
- Oui, mais là, tu as vraiment une sale tête.
Je souris tout en commençant à sortir mes affaires. Anna a le don d'être franche, c'est principalement pour cette raison qu'elle n'est pas intégrée au reste de la classe, qui n'est qu'une bande d'hypocrites les uns envers les autres.
- J'ai connu des jours meilleurs.
Elle hoche la tête tout en mâchouillant le bout de son stylo et ne m'en demande pas plus. C'est aussi pour cette raison que j'aime passer du temps avec elle. Elle n'est pas comme Jade et ne me forcera pas à dire ce que je veux garder pour moi. Elle est le silence quand Jade est le bruit.
- Et je n'ai traduit aucun des textes.
Elle me sourit en mettant son devoir entre nous deux pour que je puisse voir ce qu'elle a fait et le cours commence lentement, bien trop lentement. Nous restons dans la même salle, avec le même professeur, toute la matinée et j'ai déjà décroché au bout de 10 minutes. La tête appuyée contre ma main, je griffonne des espèces de choses incompréhensibles sur mon cahier et je pense à l'hôpital où se trouve ma mère. Jade va vouloir que j'aille la voir. Mais je ne sais pas ce que je veux. Je sais juste que si je le fais, mon échappatoire ne sera plus là. Tu ne seras plus là. Mais ma mère, elle, est là, elle n'était qu'à quelques mètres de moi.
- Kate.
Je sursaute quand Anna me met un coup de coude et entend des rires derrière moi. Allez brûler en enfer. Anna me montre du regard que le professeur s'adresse à moi et je me redresse.
- Miss Hunderel, auriez-vous l'amabilité de reprendre là où nous nous sommes arrêtés ?
Je regarde le livre qui est posé devant moi, je ne sais même pas si je suis sur la bonne page. Quel livre traduisons-nous déjà ?
- Je...
Je me sens complètement idiote d'être ici alors que ma mère est vivante, quelque part. Complètement ridicule d'être obnubilée par ton visage. Je vois Anna tourner les pages de mon livre pour me mettre sur la bonne page et me montrer à quelle phrase nous nous sommes arrêtés. Traduit, Kate, traduit.
- Hardin... Hardin n'était pas vraiment là et pourtant...
- Je crois qu'il n'y a pas qu'Hardin qui n'est pas vraiment là, ricane l'une des filles assises au fond de la salle.
Je ferme les yeux deux secondes avant de prendre mon sac et de me lever pour sortir de la salle sous le regard étonné de mon professeur et les rires des autres. Je me maudis en sentant les larmes tomber sur mes joues tandis que je traverse les couloirs à grands pas pour rejoindre ma voiture. Je ne réfléchis pas, je sais que tu n'es plus là et ne tarde pas à me retrouver devant chez Jade. Elle est au travail et ses parents ne sont pas là, mais par chance, j'ai le double de ses clés depuis des années. En refermant derrière moi, je monte dans sa chambre et me laisse tomber sur son lit en regrettant que Murphy ne soit pas là pour me tenir compagnie.
Je me réveille en entendant un bruit sourd et la porte de la chambre s'ouvre pour laisser apparaître Jade en peignoir, une serviette enroulée autour des cheveux. Elle me sourit et s'approche de son bureau pour prendre sa brosse avant de venir s'asseoir près de moi.
- Alors la belle au bois dormant, tu m'expliques pourquoi je te retrouve avachie dans mon lit en rentrant du travail ?
Je la regarde enlever sa serviette pour commencer à démêler ses cheveux et me laisse tomber sur l'oreiller en soupirant.
- Ma mère est vivante.
Jade butte sur un nœud en m'entendant et esquisse l'une de ses plus belles grimaces de douleur, mélangée à la surprise.
- Ta mère est vivante ? Répète Jade en posant la brosse devant elle.
- Oui. C'est une vieille dame qui me l'a dit à ta soirée mondaine. Elle l'a vu il y a trois ans et voulait prendre de ses nouvelles.
- Mais... Il y a trois ans, elle était...
- Morte. Mais en fait non. Elle est dans un hôpital psychiatrique à une heure d'ici.
- Mais...
Le visage de ma meilleure amie change peu à peu de couleur, mais je ne lui laisse pas le temps de s'exprimer.
- Elle est à une heure de route et ne se rappel de rien. Elle ne sait plus qui je suis, qui est Henry ou qui était son mari.
- Attends deux secondes...
- Je suis allée la voir. Mais je n'ai pas pu aller plus loin que la réception. Elle était quelque part derrière une porte et je n'ai pas eu le courage d'aller jusqu'à elle.
J'ai versé ce flot de paroles continu en fixant le plafond et en sentant ma cage thoracique se resserrer autour de moi. Jade change de position et je la sens venir s'allonger à côté de moi en prenant ma main dans la sienne.
- Je sais que tu vas me demander de retourner la voir, mais...
- Je ne t'aurai jamais demandé ça, me coupe-t-elle. Tu iras le jour où tu seras prête et on sait toutes les deux que ce n'est pas aujourd'hui.
Je ferme les yeux et Jade se rapproche pour venir caler sa tête contre la mienne.
- Où as-tu passé la nuit après la soirée ? Tu n'étais pas chez Henry.
Je ne peux m'empêcher de sourire et Jade se redresse sur son coude pour me regarder en haussant un sourcil.
- Eh bien... Tu connais les Tokio Hotel ?
- Oui, mais ne change pas de sujet.
- Non, je réponds en souriant. Ils étaient à ta soirée mondaine et...
- Quoi ? Mais je ne les ai pas vus !
Jade se redresse maintenant de manière à être assise et me regarde fixement.
- Continue.
- Le guitariste est venu me parler et m'a en même temps glissé son adresse d'hôtel.
- Pardon ? S'exclame Jade en écarquillant les yeux.
- Attends. C'est après que j'ai vu cette vieille femme. Je suis retournée chez Henry et...
- Oh mon dieu Henry ! Mais il était au courant lui ?
- Oui... Il le sait depuis le début et les médecins et lui ont jugé préférable de ne rien me dire.
- Ils ont jugé préférable de ne pas te dire que ta mère est vivante ? Répète Jade, incrédule.
- Il paraît que j'étais trop faible.
Elle fait une grimace et je sais qu'elle repense à l'état dans lequel je me trouvais cinq ans plus tôt. Heureusement qu'elle était là.
- Et alors ? La suite de la soirée ? Intervient Jade pour changer de sujet.
- Euh...
- Guitariste. Son adresse. La vieille femme. Retour chez Henry.
- Merci, dis-je en souriant. Donc à peine revenue chez Henry, je voulais partir mais ne savais pas où aller.
Jade me lance un regard noir et je lui adresse mon plus beau sourire.
- Dois-je te rappeler que tu étais encore à cette soirée ? Bref, je ne savais pas où aller et l'adresse de Tom était posée sur la banquette.
- Ah voilà, Tom. Je ne me rappelais plus de son prénom. Tu es allée à son hôtel ?
- Pas tout à fait. Je suis allée devant son hôtel, me suis assise sur un banc en face et j'ai craqué. Il est venu me chercher après m'avoir visiblement vu depuis sa fenêtre et m'a conduite dans sa chambre.
- Je ne sais pas si je dois trouver ça romantique ou carrément culotté, grimace Jade.
- Et bien, il m'a laissé dormir dans son lit et est resté toute la nuit sur un fauteuil.
- Ok. Romantique.
Je regarde le plafond en t'imaginant sur ton fauteuil et me trouve totalement ridicule. Je raconte la suite des événements à Jade qui n'en perd pas un mot et qui me regarde tantôt en faisant la moue, tantôt en souriant.
- Et aussi. Il m'a embrassé.
- Quoi ? S'exclame-t-elle en écarquillant les yeux. C'est la première chose que tu aurais dû me dire ! Tom Kaulitz t'a embrassé !
- Tu connais son nom ?
- Qui ne le connaît pas ?
- Moi, jusqu'à ce que son garde ne me l'apprenne.
Elle lève les yeux au ciel et s'apprête à se démêler pour de bon les cheveux avant de se rendre compte qu'ils sont déjà secs. Elle tend le bras pour prendre un élastique sur sa table de nuit et les noues en une sorte de chignon sans prendre la peine de les coiffer. J'aurai fait la même chose. Une fois secs, ils sont indomptables.
Les semaines passent lentement, les cours me semblent durer des années. Ça fait désormais un mois que je sais que ma mère est vivante et je n'ai toujours pas trouvé le courage d'aller la voir. Je trouve ça impensable qu'une fille n'aille pas au plus vite retrouver sa mère qu'elle pensait morte, mais j'ai tellement peur de voir l'état dans lequel elle se trouve. J'ai peur de ne pas pouvoir le supporter et d'affliger de nouvelles tortures à Henry. Alors je ferme les yeux. Je fais comme si de rien n'était. Je me mens à moi-même. Henry ne m'en parle pas et Jade a essayé de me convaincre une ou deux fois ces derniers jours. Mais j'ai beau me faire violence, me dire cent fois qu'il faut que je le fasse, j'en suis incapable. Et aussi, tu as disparu de la circulation. Tu étais bien plus qu'éphémère. Je m'arrête quelque fois devant ton hôtel pour aller m'asseoir sur ce banc, et même si je me trouve vraiment ridicule et idiote, cela semble m'apaiser. J'ai toujours ta veste, mais elle a perdu ton odeur. Je ne sens maintenant plus que mon odeur ainsi que celle de Murphy.
J'ai été obligée d'aller présenter mes excuses au professeur et à peine assise dans la classe, je ne cesse de me dire que je ne devrais pas être là. Comme je ne devrais pas être là, assise devant mon bureau, à travailler sur un de mes foutus devoirs, avec votre premier album en fond sonore. Les cours me semblent futiles, ridicules, inutiles. Mon téléphone vibre contre le bois de mon bureau, et, me donnant une bonne raison d'arrêter mon devoir, je lâche immédiatement mon stylo pour le prendre.
"Ma Kate, tu vas bientôt recevoir un message, voire un appel, du beau Tom."
Je fronce les sourcils en lisant le message de ma meilleure amie et ne peux m'empêcher de l'appeler sur le champ. Elle m'explique que Gisèle, la personne qui avait organisé la soirée mondaine, a reçu un appel d'un jeune homme qui souhaitait mon numéro. Ne le connaissant pas et ne me connaissant pas non plus, Gisèle a contacté Jade qui n'a pas hésité une seconde avant de le lui donner pour qu'il remonte ensuite jusqu'au dit jeune homme. Jade est surexcitée au bout du fil, mais quand je raccroche, je sens la petite flamme qui s'était allumée en moi s'éteindre. Il peut s'agir de n'importe quel jeune homme ayant été présent à la soirée. Pourquoi quelqu'un comme toi, Tom Kaulitz Trümper, chercherait mon numéro, qui plus est un mois plus tard. Non, Jade s'est fait de faux espoirs et elle a réussi à me contaminer quelques minutes. Mais je commençais à apprécier ces quelques minutes d'espoir...
Comme je m'y attendais, je n'ai reçu aucun message de ta part, ni aucun de la part d'un quelconque jeune homme. Je ne sais pas qui a appelé Gisèle, puisque ce n'est pas toi, mais il a visiblement changé d'avis. Et il a bien fait. Car j'aurai supprimé le premier message qui ne venait pas de toi. Je n'y croyais pas, mais j'ai pourtant attendu une semaine en mettant toujours mon téléphone en évidence. Que ce soit sur le tableau de bord quand je conduis, à côté de mon assiette quand je mange, sur mes cahiers quand je fais mes devoirs et dans ma main durant les longues heures de cours. Mais rien. Silence, néant. Et moi, ridicule.
Je suis en cours, en train de traduire un long, trop long texte à haute voix, quand mon portable posé à côté de mon livre se met à vibrer. D'un coup de l'œil, je remarque qu'il s'agit d'un numéro inconnu et qu'un message attend d'être lu. Je marque un arrêt dans ma lecture et le professeur m'adresse un regard noir. Depuis le fâcheux épisode remontant à plus d'un mois, il a pris la mauvaise, très mauvaise habitude de m'interroger quand personne ne se porte volontaire. Il me reste encore la moitié de la page à traduire et secrètement, je n'espère qu'une chose. Que ton prénom se cache derrière ce numéro inconnu. Je n'arrive plus à me concentrer et butte sur de plus en plus de mots et Anna à mes côtés fait de son mieux pour me les souffler discrètement. Mon portable, qui est réglé pour sonner une deuxième fois quand je ne réagis pas, vibre de nouveau, me déconcentrant encore plus. Je termine le texte tant bien que mal avec l'aide d'Anna et attend que le prof interroge quelqu'un d'autre avant de me jeter sur mon téléphone, le cœur battant.
"Que sont devenus tes fantômes ?"
Je retiens ma respiration en lisant le message et un sourire vient immédiatement étirer mes lèvres. Ainsi donc c'était bien toi. Tu n'as pas pris la peine de signer mais qui d'autre sinon toi me parlerais de mes fantômes comme on parle de la pluie et du beau temps ?
"Ils gagnent."
Oui, ils gagnent. Ils gagnent car je n'ai toujours pas trouvé le courage d'aller voir ma mère. Ils gagnent car je fuis toujours. Ils gagnent et m'épuisent lentement. Et je suis là, à traduire un texte. Et tu es là, à chercher mon numéro. Je ne sais pas si j'attends une réponse, mais pour l'instant ce seul message me suffit. Même s'il me rappel ma mère, il me fait du bien. Mon portable qui est toujours dans ma main sonne à nouveau.
"Ou tu n'as pas essayé."
Bon point. Mon sourire devient grimace et je vois Anna me jeter un regard en coin. Sais-tu toujours tout sur tout ? Comme toujours, je décide de fuir.
"Tu n'as pas une vie de star à mener ?"
"Il nous arrive de dormir."
"À 11h ?"
"Non, à 2h du matin."
Surprise, j'ai le réflexe idiot de regarder par la fenêtre de la salle pour vérifier que nous sommes bien en pleine journée. Devant moi, le professeur interroge un autre élève, mais je n'entends pas le nom qu'il prononce tandis que je commence à comprendre.
"Où es-tu ?"
"LA."
Los Angeles... Tu es bien loin, Tom Kaulitz Trümper. La pensée qui m'assaille soudain est digne d'une collégienne qui tombe amoureuse pour la première fois. Penserais-tu à moi avant de dormir ? J'oublie un moment de t'écrire, ne sachant pas vraiment quoi te répondre. J'aimerais fuir et aller à Los Angeles. Ou n'importe où du moment que je quitte l'Allemagne et son flot quotidien de problème. J'ai toujours voulu aller en Australie. Y es-tu déjà allé ?
"À quoi penses-tu ?"
Tu interromps le flot de mes pensées et je me mets à t'imaginer, soit allongé sur ton lit, soit devant la fenêtre de ta chambre. Je ne comprends pas pourquoi tu prends la peine de m'écrire. Le monde entier s'ouvre à toi, et pourtant, tu es là, à me demander ce que je pense. Irrationnel. Irréel.
"À fuir. En Australie."
"Il y fait trop chaud."
Bien entendu, tu y es déjà allé. Quel bonheur ça doit être de vivre ta vie. Tu veux aller en Australie ? Tu n'as qu'à claquer des doigts pour obtenir des billets d'avion. Alors que dans ma vie, il faut passer par la case "prêt à la banque" ou faire des économies pendant des années et tout ça pour rien puisque je suis incapable de mettre un pied dans un avion. Mon portable sonne de nouveau.
"LA c'est pas mal."
Je souris en ayant de nouveau l'air d'une idiote. Los-Angeles ne me tente pas particulièrement. Trop de strass, de paillettes, de faux-semblants. La seule chose qui me donnerait envie d'aller à Los Angeles est le fait que tu y sois.
"Je préfère la chaleur."
Le cours se termine au moment où j'envoie ce message et par chance, ma journée aussi. Le mardi est devenu mon jour préféré depuis que j'ai appris que l'on finissait à midi ce jour là. Je referme le livre sans savoir où nous nous sommes arrêtés et part rejoindre ma Bronco après avoir dit au revoir à Anna.
En rentrant chez moi ce jour-là, je ne savais pas encore qu'une semaine plus tard, j'allais recevoir un coup de fil qui modifierait à jamais le cours de ma vie...
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