Après avoir donné mon accord à Louis, il me raccompagna dans mes appartements et me conseilla de me reposer autant que je le pouvais tandis qu'il me quittait pour préparer notre voyage hors de la capitale.

J'étais dans un état brumeux, incapable de raisonner correctement, et il me semblait que m'éloigner de ces lieux serait plus judicieux. Je ne me sentais guère à l'aise dans un endroit où mon enfant avait été assassiné de sang-froid.

Je marchai lentement en direction du lit à baldaquin lorsque j'entendis un bruit qui ressemblait étrangement à la notification d'un téléphone. Je me retournai, les sourcils froncés, à la recherche de ce son.

Avais-je imaginé ce son ?

Je tendis l'oreille, mais la pièce demeura silencieuse. Je poussai un long soupir et allai me coucher. Je fermai les yeux, incapable de me plonger dans le sommeil. Je n'avais plus que l'image de ce sang qui coulait, de ce sang qui représentait la vie de mon enfant qui s'en allait sans que je ne sois capable d'y changer quoi que ce soit, impuissante face à son destin.

J'eus à peine le temps de grincer des dents que je sentis mon âme être violemment retirée de mon corps. C'était si douloureux que j'en avais les larmes aux yeux. Je ne comprenais pas ce qui était en train de se passer, et étais quelque peu anxieuse, me demandant si j'allais être envoyée dans une autre époque car la sensation de tiraillement et cette douleur m'étaient quelque peu familières.

Lorsque je pus rouvrir mes paupières, je me trouvai dans l'espace, protégée dans ce qui semblait être un dôme transparent.

— Bienvenue Transmigratrice 0007658 à bord du Transvaisseau, je suis la Transcoordinatrice 2620943.

Je fus choquée par l'apparition soudaine d'une sorte d'hologramme de type féminin d'un âge mûr.

— Bon sang, où est-ce que je suis ? Qui êtes-vous ? Comment ai-je fini ici ?

— Vous êtes à bord du Transvaisseau. Je suis la transcoordinatrice...

— Épargne-moi ton charabia ! la coupai-je, exaspérée. Pourquoi suis-je ici ?

— Si vous me permettez de finir, vous saurez pourquoi et comment vous avez atterri entre nos mains, Transmigratrice 0007658, dit l'hologramme d'une voix presque sarcastique.

Je me mordis la langue pour m'empêcher de jurer, et tentai tant bien que mal de me calmer. M'énerver ne m'apporterait aucune réponse, et j'avais l'horrible intuition que mon voyage dans le temps avait quelque chose à voir avec cet agaçant hologramme.

— Tout d'abord, je tiens à vous féliciter pour la première tâche que vous avez accompli avec brio, reprit-elle d'un air impassible.

Un écran géant apparut brusquement devant moi, et je me vis en train de déboucher le nez d'Henri pour lui permettre de mieux respirer avant de demander à ce que l'on m'apporte de l'eau pour l'hydrater. La vidéo prit fin lorsque je m'éloignais de Louis, tenant Henri dans mes bras.

— Vous avez réussi où tant d'autres ont échoué. Soyez fière de votre exploit car débloquer cette tâche était importante pour la suite de votre mission, me félicita-t-elle, toujours impassible.

— Mission ? Quelle mission ? Qui sont ces personnes qui ont échouées avant moi ? Et bordel, qui êtes-vous ? Pourquoi suis-je ici ? m'agaçai-je.

— Vous avez été choisie par le Bureau de la Transmigration pour accomplir certaines tâches. Tant que vous menez à bien chacune des missions qui vous seront assignées, vous pourrez retourner à votre époque où votre fille vit toujours, en sécurité dans votre ventre.

— Fille ? relevai-je, abasourdie. C'est une fille ?!

— Oui, me confirma-t-elle, vous attendez une petite fille. Et si vous voulez qu'elle vienne au monde, vous devriez vous efforcer de remplir chacune des tâches assignées.

— Cette foudre, c'était vous, n'est-ce pas ?

— Comme attendu de la Transmigratrice 0007658, vous êtes perspicace.

— Si je refuse, vous laisserez mon enfant mourir, conclus-je.

— L'enfant, mais vous également, rectifia-t-elle. Pour l'instant, vous n'êtes qu'une âme qui erre de monde en monde. Sans le soutien de notre Bureau, votre âme finirait par disparaître et votre corps à votre époque ne deviendrait rien d'autre qu'un cadavre prêt à nourrir les vers de terre.

— Qu'est-ce qui me prouve que ma fille est toujours vivante ? Devrais-je vous rappeler que je viens de faire une fausse couche ?

— Le corps que vous occupez n'est pas le vôtre, Transmigratrice 0007658. Marie-Thérèse n'a jamais été enceinte puisqu'elle n'a jamais connu d'homme. Le corps que vous occupez est toujours vierge, et le sang que vous avez perdu n'était dû qu'au poison que vous avez ingéré pour provoquer un avortement chez une femme enceinte. Vous êtes médecin, alors, il serait inutile de vous expliquer ce qu'est une grossesse nerveuse, n'est-ce pas ?

J'écoutai ses explications, stupéfaite. Était-ce vraiment cela ? Juste une grossesse nerveuse ?

— Et si nous revenions à l'essentiel dès à présent ?

Je pris une profonde inspiration avant d'hocher la tête. J'avais toujours été quelqu'un de pragmatique et savais quand reculer et quand avancer. Aujourd'hui, je me trouvais dans une situation désavantageuse et ne pourrais y faire. Pour l'instant, il valait mieux coopérer en attendant de trouver une porte de sortie.

Je détestais ce sentiment de perte de contrôle et encore plus cette sensation d'être manipulée.

— La première tâche essentielle de ce monde pour pouvoir débloquer la mission principale était de sauver l'enfant que vous avez nommé Henri. Personne, avant vous, n'avait encore réussi cet exploit et n'avait pu avoir la chance de me rencontrer. De nouveau, je vous présente nos sincères félicitations, Transmigratrice 0007658.

— Je ne suis pas une machine, j'ai un prénom !

— Maintenant que cette tâche a été accomplie, vous avez gagné 5000 points, mais puisque vous avez parlé du fait que vous veniez du futur à la famille royale, vous avez été puni d'une déduction de 10000 points. La punition aurait été plus sévère si vos mots avaient été sérieusement considérés.

— Comment pourriez-vous me punir alors que je n'étais pas au courant de telles règles ?! J'ai atterri dans ce monde sans rien savoir ni comment j'avais fini là-bas ! m'offusquai-je.

— Si vous révélez une fois encore d'où vous venez ainsi que la mission qui vous a été assignée, le Bureau de la Transmigration considérera votre mission comme un échec. Ainsi, vous et votre enfant mourrez, m'avertit-elle.

Puis, un nouvel écran apparut sous forme de jeu vidéo. Toutes les informations me concernant y étaient affichées comme si j'étais un personnage clé d'un jeu.

— Vous pourrez retourner à votre époque et dans votre corps lorsque la jauge de l'énergie astrale sera complètement verte. Quant à l'énergie vitale, elle indique l'état de santé du corps que vous occupez. Quant au reste, il est assez simple à comprendre, m'expliqua l'hologramme.

— Pourquoi ai-je l'impression que le corps que j'occupe a une durée de vie assez limitée ? demandai-je, perplexe.

— Marie-Thérèse d'Autriche est morte à l'âge de 44 ans. Le corps que vous occupez ne peut vivre au-delà. La mort de l'hôte que vous occupez est déjà programmée et ne peut être changée. Si vous mourrez avant cette date, votre mission sera considérée comme un échec, même si vous remplissez à bien la mission principale.

Je calculai assez vite le temps qu'il me restait et poussai un soupir de soulagement en pensant que j'avais présentement vingt-trois ans pour remplir la mission. C'était assez de temps.

— Quelle est la mission ? questionnai-je.

— Votre mission est de faire d'Henri le dauphin de France, répondit-elle. En plus de cette mission qui vous rapportera un total de 10000 points si vous la remplissez, vous pourrez également gagner 5000 points supplémentaires en achevant la mission secondaire qui est de conquérir le cœur de Louis ...

— Attendez ! la coupai-je, ahurie. Qu'avez-vous dit ? La mission principale est de faire d'Henri, dauphin de France ?! Vous vous moquez de moi ? C'est comme si vous me demandiez de vous apporter la preuve que Dieu existe ! C'est mission impossible ! C'est le 17ème siècle bon sang !

— Vous trouverez une solution, dit l'hologramme en affichant un sourire hautain. Après tout, vous n'êtes pas le genre de personne à abandonner au moindre obstacle. Vous êtes tellement obstinée que même si vous deviez échouer, vous trouverez tout de même un moyen de nous entraîner dans votre chute. J'ai confiance en vos talents. Après tout, j'ai été responsable de votre recrutement, et j'aime croire que je suis assez perspicace pour dénicher les meilleurs talents.

— Pourquoi Henri ? Pourquoi ne donnerais-je tout simplement pas naissance au fils de Louis ? l'interrogeai-je, confuse.

— Henri est le protagoniste de ce monde et pour un personnage aussi important, il ne peut avoir qu'une destinée hors du commun, me répondit-elle. Ce monde est un univers alternatif de celui que vous avez appris dans les livres d'histoires. Vous serez amenée à changer la destinée de protagonistes réels ou fictifs. Dans ce monde, le destin de celui que vous devez changer est celui d'Henri. Les tâches sont attribuées par le Bureau de la Transmigration et les raisons derrière ces tâches ne peuvent être questionnées. Avez-vous d'autres questions ?

— En quoi consiste exactement la mission secondaire ? Serai-je pénalisée si je ne la remplis pas ?

— La mission secondaire consiste à conquérir le cœur de Louis de Bourbon et, non, vous ne serez pas pénalisé si vous refusez de l'assumer ou si vous échouez. Elle est secondaire. Mais, avoir le cœur de Louis vous permettra sûrement de mener à bien la mission principale.

— Comment saurais-je que j'ai parfaitement accompli la mission secondaire ? poursuivis-je.

— Il vous suffira simplement de suivre l'évolution de votre mission dans la barre des tâches.

Et un nouvel écran apparut, affichant des données qui m'étaient jusqu'à lors inconnues. Il affichait les données essentielles sur chaque membre de la famille royale ainsi que quelques nobles de la Cour de France. Je pus voir qu'une jauge symbolisée par un cœur affichait un pourcentage de trente-cinq.

— Que signifie cette jauge en rose ? interrogeai-je, intriguée.

— Il symbolise le degré d'affection de Louis envers vous, répondit-elle. Il semble que vous soyez sur la bonne voie.

— 35% ?

— Lorsque la jauge atteindra 100%, la mission secondaire sera achevée.

Je ressentis un mal de tête écrasant en pensant à toutes les informations que je venais de recevoir.

— Si vous n'avez pas d'autres questions, je vous renverrai à votre première mission. Vous serez assisté dans votre mission par l'I.A 303. Il pourra répondre à certaines de vos questions et vous permettra de consulter régulièrement l'avancée de vos tâches et de débloquer des missions secrètes.

— Mission secrète ? relevai-je, sur mes gardes. Qu'est-ce que c'est encore que ça ?

— Des missions non obligatoires mais qui peuvent vous rapporter des points supplémentaires.

— À quoi me serviront ces points ?

— Ces points vous permettront d'effectuer des achats dans notre boutique. Certains objets pourraient vous être utiles dans l'achèvement de certaines missions.

— Comment puis-je accéder à cette boutique ?

— I.A 303, ouverture de la Transboutique.

— Ouverture de la Transboutique, entendis-je résonner dans ma tête, incrédule.

— Il est... dans...

— Oui, il a été installé dans votre cerveau lors de votre envoi dans le premier monde et n'a pu être activé que maintenant.

Puis, je reçus des informations de la boutique directement dans mon esprit. Je pus visualiser les articles qui étaient vendus et tous étaient indisponibles car mon solde négatif ne me permettait pas d'effectuer un achat mais je remarquai qu'il y avait des articles de tout genre, des vêtements aux médicaments aux produits de beauté à des armes ainsi qu'à des aliments. Il y avait une section littéraire ainsi qu'un sex-shop. Je choisis de l'ignorer et voulus fermer la boutique. Elle disparut aussitôt de mon esprit par la pensée.

— Maintenant que tout a été réglé, je tiens à vous souhaiter bonne chance. Ne me décevez pas.

Je voulus rajouter quelque chose mais je n'en eus guère la chance car mes paupières se fermèrent aussitôt et la sensation familière de tiraillement me fit perdre connaissance.

— Activation de la mission : Henri, Dauphin de France et de Navarre. Taux d'achèvement de la mission en cours : 15% .