Levinson n'était pas un homme fort et vigoureux, mais il fut l'un des plus résistants à la maladie. Milton en mourut en une semaine. Petit à petit, elle gagnait du terrain. Son avancée était encore lente. Deux des cinq médecins étaient tombés malades. Ils n'avaient pas survécu plus longtemps que le fermier. Ceux restant en vie tentaient de trouver des gens à qui passer leur savoir, au cas où la fièvre toucherait fatalement chacun d'entre eux. Le médecin de Levinson tenta de ma convaincre d'apprendre. Il disait que j'étais suffisamment intelligent pour aider, au moins comme infirmier dans un premier temps. Je refusais net. Je n'avais pas réfléchi. A peine avait-il annoncé son offre que j'étais envahi par les images de Levinson délirant. Ses bras qui s'agitaient, sa voix qui se perdait dans les airs et se grimace de douleur... Non. Je ne pouvais pas supporter ça. En y repensant, j'ignore si ce qui m'effrayait le plus était d'être contaminé ou de voir sa souffrance. Je n'aurais pas su rester une journée entière dans l'hôpital. Quand j'étais en Angleterre, j'étais toujours perturbé pendant un long moment lorsque des clients avaient besoin de moi pour écrire des faire-part de décès. Qu'aurais-je pu faire en tant qu'infirmier ? Rester cloué dans un coin de la pièce, parce que j'avais trop peur de la douleur des autres ?

- L'empathie, y'a rien de pire. C'est ce qui nous mène à nous mêler des affaires des autres. Et c'est là que la catastrophe arrive.

Cliff appliquait totalement cette philosophie de vie. J'étais étonné qu'il continue à me parler. Je m'attendais à ce qu'il me rejette une fois sa maison finie. J'étais le seul contact qu'il avait vraiment dans le village. Il lui arrivait d'adresser un ou deux mots désagréables à l'un ou l'autre des habitants, mais aucun dialogue ne se poursuivait au-delà de six répliques.

- Qu'est-ce qu'on doit faire, alors ?

- Travailler. C'est la seule chose qui puisse nous permettre de survivre.

Avec Levinson à l'hôpital et Thompson fort occupé, je travaillais trois parcelles au lieu d'une. Mes journées étaient remplies et épuisantes. Mais je le faisais. J'avais la chance de pouvoir le faire. Je préférais mille fois travailler du soir au matin plutôt que d'être à la place du peintre.

- Pourquoi tu restes en contact avec moi ? Ta maison est finie, je ne peux plus rien faire pour toi.

- Je te l'ai dit, p'tit. Rien de pire...

Je pris congé. Je voulais voir comment allait Thompson.

- Ce n'est plus un enfant, me dit Cliff. Il doit être capable d'affronter ce qu'il a semé.

C'est moi qui l'avais mis dans le pétrin. Sans moi il serait sagement en train de travailler sa terre au lieu de se croire responsable de la future mort de son meilleur ami. Ou alors il serait déjà mort de faim puisqu'il n'aurait rien su faire pousser. En échange de son travail pour la ville, chaque habitant lui donnait une petite partie de ses récoltes. Thompson n'avait pas exigé beaucoup, juste assez pour survivre aussi difficilement que nous autre. Je lui donnais toujours les plus beaux légumes que j'avais récolté chez lui. J'en portais également à l'hôpital. Il en avaient besoin.