Certes mon idée semblait un peu farfelue. Je n'étais pas extrêmement populaire dans le camp. Thompson non plus. Il était assez réservé, sortait peu. Et j'allais devoir en faire une bête de concours, apte à capter un auditoire.

Je passais toute l'après-midi à écrire un discours suffisamment convaincant pour qu'une majorité des villageois se rallient à nous. Il fallait trouver un moyen. J'étais écrivain. J'avais rêvé d'écrire autre chose que des lettres de dénonciation anonymes. C'était mon moment. Thompson avait passé l'après-midi à essayer de se soustraire à cet exercice. Il était peu à l'aise en public. Il m'avait répété une bonne dizaine de fois d'y aller moi-même. Mais je savais que c'était de lui que nous avions besoin. Tout le monde se méfiait de moi au village, à cause de ma proximité avec Cliff. Je préférais éviter de jeter de l'huile sur le feu. Thompson était un homme de compromis. J'étais sûr qu'il saurait trouver les mots pour apaiser les esprits. C'était souvent lui qui s'interposait entre Cliff et les autres lors des bagarres. Certains l'écoutaient.

Cliff passa me voir cette après-midi-là. Je lui expliquais mon plan.

- Pff, t'as trop de temps à perdre, gamin.

Il s'en alla sans un mot de plus.

Thompson était resté assis sagement dans un fauteuil tout le temps de l'apparition du fermier.

- Et si c'était Cliff qui y allait ? Après tout, c'est lui qui a le plus de poigne, il saura sûrement comment parler avec aplomb au maire.

- Personne ne voudra de Cliff comme porte-parole. Lui-même refusera.

Le soir, au dîner, je montais sur une table pour me faire entendre.

- Mes amis ! Nous sommes tous ici affamés, aucun de nous n'est écouté par les autorités. J'ai donc eu une idée. Elisons un représentant, qui parlera en notre nom au maire et à ses conseillers !

- Et tu penses que ça va être qui, Marlot ? Tu ne crois tout de même pas qu'on voudrait de toi ?

L'homme qui venait de parler, Milton, était réputé pour être le plus révolté des villageois. Il se battait régulièrement avec Cliff et avait une dent contre moi puisque je tentais d'arrêter leurs combats.

- Et tu penses que ça va être toi, Milton ? Tu sais que même si toutes les personnes que tu n'as pas encore frappées votaient pour toi, ça ne représenterait même pas un dixième du village ?

Certes, je dois avouer que provoquer Milton ne paraissait pas la chose la plus intelligente à faire. J'étais excédé de son manque de réflexion. Il cherchait constamment à provoquer tout le monde.

Comme tout un chacun s'y attendait, il se rua sur moi. Et mes capacités de défense ne s'étaient pas améliorées depuis l'incident qui m'avait mené à me réveiller attaché dans une cave. Thompson commença à parler.

- Ce n'est pas parce que certains veulent se battre que nous devons abandonner notre combat. Nous sommes ici pour survivre. Nous voulions des conditions de vie meilleures qu'en prison et pourtant nous avons à peine assez à manger. Est-ce normal ? Il nous faut un représentant que le maire saura entendre, sinon nous courrons à notre perte. Organisons un vote dès demain pour choisir qui parlera en notre nom. Nous battre ne servira à rien. Nous devons nous aider pour survivre. Je ne vous dis pas que nous devons tous nous aimer et être amis, ce n'est pas une question d'amour. Le maire ne pourra pas tous nous recevoir. Envoyons-lui toutes nos doléances portées par une personne capable de parlementer avec des mots.

Finalement, ma bagarre aura au moins servi de contre-exemple à son sublime discours.