[Arc 1] Chapitre 3
Eridan se sent mal à l'aise, de trop. Sollux et Karkat sont arrivés il y a de ça quelques minutes, brisant le moment de tranquillité qu'il partageait avec Gamzee, et à présent ils sont assis autour de la table basse, à échanger des regards gênant, en se demandant qui sera le premier à briser le silence.
Eridan hésite, balaie le trio du regard, avant de désigner Sollux et Gamzee :
« Donc vous deux, vous... ensemble... ?
- Oui. » confirme tranquillement celui aux yeux vairons.
Eridan désigne ensuite Gamzee et Karkat :
« ... et vous deux aussi, ensemble vous...? »
Karkat, un peu plus mal à l'aise que les deux autres, hoche la tête doucement.
Gamzee se marre :
« Faut dire que je peux pas lui résister, Karkat est tellement mignon au lit~ »
Le concerné s'empourpre brutalement :
« MAIS VA TE FAIRE ENCULER CONNARD, JE T'AI PAS SONNÉ !
- En l'occurrence, c'est moi qui t'encule~
- TA RACE ! »
Sollux roule des yeux, habitué aux cris de son meilleur ami mais également toujours autant agacé. Il soupire et se lève, invitant Eridan à le suivre tandis que les deux autres se chamaillent.
Ils vont jusqu'à la cuisine, Sollux se sert dans le frigo comme si ce fut chez lui, sortant un pack de bières qu'il pose sur le plan de travail, avant d'en décapsuler deux en en tendre une à Eridan. Celui-ci l'accepte, quoiqu'un peu timidement, toujours pas très à l'aise dans cette situation.
« ... J'espère que Gamzee t'as pas foutu mal, il a aucun tact.
- Ouai, je... enfin... »
Eridan se massa la nuque, agacé de sa propre hésitation :
« Si, si en fait il m'a foutu mal. Je me retrouve au beau milieu d'un plan à trois, comment veux-tu que ça me foute pas mal ? Surtout après que... Enfin... Bref, peu importe.
- Il t'a touché ?
- Qu-Quoi ?
- Gamzee. Il t'a touché ? »
Eridan déglutit, le regarde nerveusement, et une nouvelle fois il a la sensation que l'autre lit en lui avec une facilité déconcertante :
« ... non...
- T'es pas ouf dans le mensonge, t'en as bien conscience ? »
L'Ampora grimace, détourne les yeux en soupirant, énervé contre lui-même :
« Ouai...
- ... Ne stresse pas, si Gamzee venait à nous tromper, ce serait contre lui qu'on serait en colère, pas contre toi. »
Sollux hausse les épaules :
« Et puis, tant qu'il t'a pas forcé, il sait très bien qu'on dira rien si c'est toi. »
Silence, avant que Eridan ne le regarde avec de grands yeux perplexes :
« ... Pardon ?
- Mm ?
- ... Pourquoi vous.. enfin... Ça change quoi, que ce soit moi et pas un autre ? »
Soudain, c'est Sollux qui paraît s'embarrasser. S'il reste neutre, ses joues prennent une légère teinte rouge:
« ... Et bien, c'est que... Enfin... Gamzee sait qu'on dira rien, parce qu'il sait que... qu'on t'aime...bien... »
Eridan cligne des yeux, ahuris. Il fixe Sollux, longuement, attendant un sourire moqueur, une phrase comme 'Je t'ai bien eu', mais rien ne vient. Sollux reste aussi sérieux qu'il l'a toujours été, et ce malgré son visage qui devient de plus en plus rouge.
« ... Vous m'aimez...bien... ? répète-t-il, comme s'il avait mal entendu. Mais... Tu... »
Il craque :
« Mais arrêtez de tous vous foutre de moi putain ! J'ai été un tel connard que vous m'avez tous bloqué ! Que ce soit pour rire ou non, vous avez tous convenu que vous vouliez PLUS me parler ! Que vous me supportiez plus ! Et là, tous les trois, vous venez comme des fleurs pour me voir, vous me balancer dans le plus grands des calmes que 'Vous m'aimez bien' ?! Mais vous me prenez vraiment pour le dernier des cons?! »
Sollux se crispe :
« ... Eridan.
- Il aura fallu que Feferi vous balance mon 'tragique passé' pour que vous ayez finalement pitié ? 'Ô, pauvre Eridan maltraité, trop con pour se faire des amis! Si faible qu'il devient dépendant de la première personne qui lui file de l'attention !'
- Eridan !
- 'Mais peut être qu'on devrait être gentil finalement, ce gars est tellement pathétique, soyons de bons samaritains! Ce serait con qui retente de crever par notre faute!'
- ERIDAN !
- JE SUIS PAS SUICIDAIRE ! J'AI FAIT UNE TENTATIVE, CA VEUT PAS DIRE QUE JE VAIS LE REFAIRE! »
Sollux saisit son visage brusquement, lui fait lâcher sa bière qui s'éclate au sol. Les éclats de verre, par miracle, ne les blessent pas, mais à présent ils pataugent dans une flaque donc l'odeur d'alcool envahit la cuisine. Mais Sollux l'ignore, se concentre sur Eridan, le regarde droit dans les yeux, crispé, presque dévasté :
« Eridan... Elle a rien dit de tout ça... ! Elle nous a jamais parlé de suicide ! »
Et le silence retombe, plus lourd que la première fois. Dans l'encadrement de la porte, Gamzee et Karkat les ont rejoint, aussi bouleversés que Sollux. Mais Eridan ne les voit pas. Il est livide, muet, rendant son regard à Sollux avec l'expression de celui qui a dit la plus grosse connerie de sa vie.
Alors.... Feferi ne leur a pas dit...? Et il vient, de lui-même, d'avouer que...?
Il s'écarte vivement, fait deux, trois pas en arrière, sent son dos heurter le mur. Il a la tête vide, complètement vide, et le corps qui tremble, ses jambes qui faiblissent. Son coeur bat fort, beaucoup trop fort, toujours, toujours putain de trop fort. Il se laisse glisser au sol, cherche de l'air, ferme les yeux désespérément. Quelle image il renvoie ? Quel spectacle il donne ? A quel point il se rend pathétique, toujours plus pathétique ?
Il va chialer, il va vraiment chialer, et il ne va rien pouvoir faire contre ça. Il sait déjà que ça va se rompre, ce nœud dans sa gorge, ce poid qu'il essaie de ravaler, d'étouffer, de cacher au monde entier.
On pose une main sur son épaule, il se crispe, se recroqueville.
« ... Eridan... tout va bien... tout va bien, je t'assure... » lui murmure Karkat, accroupi face à lui.
Le plus petit caresse son bras d'une main, et de l'autre il vient caresser ses cheveux. Il se rapproche, un tout petit peu plus, lentement, doucement.
« ... Shhh... Tout va bien... »
Un sanglot s'élève, Eridan est secoué d'un soubresaut. Karkat le prend dans ses bras, le serre fort contre lui, caresse son dos en continuant de lui murmurer des mots doux, en continuant de répéter que tout va bien, et ce malgré qu'Eridan fonde finalement en larme.
Gamzee les laisse tranquille, il sait qu'il ne sera d'aucune utilité à ce stade. Alors il se rapproche de Sollux, qui a commencé à ramasser les bouts de verre. Il l'aide, aucun mot n'est échangé. Les morceaux sont jetés, la bière est nettoyée. Mais Sollux tremble. Trop légèrement pour qu'on le remarque tout de suite, mais Gamzee le connait, il le regarde beaucoup, alors il prend sa main dans la sienne, vient déposer un baiser contre ses lèvres. Il espère que ça va le calmer, au moins un peu.
Sollux lui rend un regard étonné, mais serre sa main en retour. Gamzee lui fait un un sourire réconfortant.
Ils retournent leur attention sur les deux autres : Eridan respire fort, renifle, laisse échapper encore quelques sanglots, tandis que Karkat lui a retiré ses lunettes et essuie patiemment ses joues avec ses pouces.
Sollux inspire, reprend son calme, et ose se rapprocher pour venir s'asseoir à la droite de Eridan. Gamzee l'imite, mais s'installe à sa gauche. Avec Karkat en face de lui, Eridan n'a aucune échappatoire, il est complètement encerclé, et ça lui donne envie de se faire plus petit encore, de se cacher aux yeux du monde.
« ... C'était quand ? interroge enfin Sollux. Cette tentative...? »
Eridan n'ose pas les regarder. Il hésite à répondre, referme les yeux en sentant Karkat reprendre ses caresses sur ses joues. Ca l'encourage à murmurer :
« ... Il y a deux ans... Quelques semaines avant la rentrée universitaire... »
C'est un nouveau coup de poignard pour le trio, qui échange un regard glacé. Ca leur parait beaucoup trop récent. Eridan, devant leur silence, se sent le besoin de se justifier, mais ne parvient qu'à bégayer :
« Je...J'étais au lycée.. Feferi n'était pas là... Elle était dans un autre établissement et... on devait se retrouver, dans une université privé... j'ai attendu t-trois putain d'années pour la retrouver... tout ça pour...pour... »
Il s'étrangle sur le dernier mot, et par réflexe il attrape les poignets de Karkat, par besoin de saisir quelque chose, piètre façon de maîtriser ses spasmes.
Sollux vient lui caresser le dos :
« ... pour ... ?
- ... Pour apprendre qu'elle irait pas... Pour apprendre qu'elle préférait une université publique, plutôt que la privé où on devait se retrouver. Pour apprendre que mon... que mon PUTAIN de père refusait de m'y envoyer, que c'était pas mon rôle d'y aller, que c'était pas de mon rang, que... »
Il serre les dents, et se fait violence pour lâcher Karkat et serrer les poings, préférant se blesser lui et non le plus petit. Karkat remarque sa réaction, pose une main sur ses poings serrés, essayant de les détendre, qu'il ne se griffe pas la paume sous la colère.
« ... J'avais tenu trois ans sans elle... j'avais tenu les regards, j'avais tenu les rumeurs, j'avais tenu les bousculades... j'avais maintenus mes notes, mon comportement, tout pour être impeccable, tout pour être avec elle... ! Et j'ai été récompensé par ... ça ? Par juste... Par rien ? Par son absence, encore...? »
Les mots s'écoulent sans qu'il ne parvienne à les arrêter. Pourquoi il leur raconte ça ? Pourquoi il raconte tout ça ?
« ... je me suis enfermé dans la cuisine... les employés étaient en pause, la maison était vide... j'ai ouvert le gaz, je me suis allongée contre le carrelage, et j'ai.... j'ai fermé les yeux, et j'ai attendu que ça passe. »
Il a fini d'une voix blanche, ayant rouvert les yeux seulement pour regarder dans le vide, comme s'il rejouait la scène, qu'il revoyait le moindre de ses gestes.
Il sort de sa transe quand le bras de Gamzee lui enlace la taille.
« ... quand j'ai repris connaissance, j'étais à l'hôpital. Les pompiers étaient arrivés à temps. Il n'y avait eu aucun dégât. Je n'étais même pas aux portes de la mort. Rien d'exceptionnel.
- ... Rien d'exceptionnel ? répète Karkat, ahuris. Tu te fous de moi ? T'aurais pu... Tu... Merde, et Feferi? Et ton père ?
- ... Pas là...
- ... Pas là ? »
Eridan détourne les yeux, secoue la tête :
« ... Non... Ils étaient pas là... J'ai vu un psy. C'est lui qui a convaincu mon père de m'envoyer dans notre université. Il a aussi appelé Feferi, l'a mise au courant de ma situation. »
Il a un sourire amer :
« ... C'est pour ça qu'elle m'a présenté à votre groupe. Parce qu'elle avait pas le choix. Elle a jamais eu d'autres choix que de s'occuper de moi. Comment on pourrait dire 'non' lorsqu'on vous demande de vous occuper d'un taré suicidaire ?
- T'es pas taré, rétorque Gamzee.
- Ahah, c'est ça...
- T'es pas taré putain ! »
Gamzee le serre plus fort, les dents serrés, la colère vrillant son regard :
« Moi je suis taré ! Je suis un putain de taré ! Donc je sais que tu l'es pas, tu l'es p-
- Gamz, c'est bon, il a comprit ... intervient Karkat.
- Non, il comprend pas ! Il comprend quedalle ! Tavros aussi a tenté de se buter, il est pas taré pour autant!»
Eridan se pétrifie. Si l'éclat de voix l'a surpris, les informations sont d'autant plus choquantes :
« Quoi... ? Tavros...?
- Il s'est jeté d'un toit ! crie Gamzee en le saisissant par les épaules, si fort que Eridan en grimace. Il se faisait harcelé, sa putain de mère faisait rien ! Il s'est jeté du toit et il s'est foiré ! Il s'est rompu les jambes, c'est pour ça qu'il est dans un putain de fauteuil roulant mainten- ! »
La gifle claque, sèchement. Gamzee écarquille les yeux, Eridan également. Sollux, lui, l'a vu venir.
Karkat vient d'en coller une à Gamzee, le visage déformé par la colère :
« C'est pas à toi d'en parler ! l'engueule-t-il. Et c'est pas le moment ! Tu crois que ça fait du bien à Eridan?!»
Le plus grand des quatre reste muet, regarde Eridan, puis Karkat, et à nouveau Eridan, avant d'avoir un spasme à l'œil, et brusquement se lever, s'écarter, et quitter la cuisine en trombe.
Karkat blêmit, se jette à sa suite :
« Gamzee !! Où t'as foutu tes cachets ?! »
Laissé seul avec Sollux, Eridan est pétrifié, complètement noyé d'informations. Il tourne lentement la tête vers l'autre :
« ... Gamzee a... ?
- ... des troubles du comportement. Il prend un traitement pour ça, ne t'en fait pas. Il a juste dû manquer la dose d'aujourd'hui. »
Sollux se relève, lui tend la main pour l'aider à faire de même :
« Pour l'instant, essaie de...mettre ça de côté. Karkat sait comment le gérer, et moi je vais m'occuper de toi, d'accord ?
- ... Je ... Je sais pas quoi dire.
- Y a pas grand chose à dire, je pense. On s'ouvre une bière, on se met dans le canapé, et ... on essaie de discuter tranquillement ? »
Eridan hésite un peu, remet nerveusement les lunettes que Karkat lui a retiré :
« ... Je sais pas... j'ai l'impression que je devrais pas rester ... »
Sollux se rapproche, vient doucement prendre ses mains dans les siennes, un peu malhabilement :
« Ecoute... j'ai compris que ça allait trop vite, j'aurai pas dû te dire si abruptement que... qu'on t'aimait bien. Du moins ... j'ai sauté l'étape la plus importante : je suis désolé. De t'avoir bloqué, sans me dire un instant que ça allait te foutre mal, sans me dire un instant qu'on était tous en train de te blesser, volontairement en plus ...
- ... Ouai, Gamzee m'a un peu plus expliqué, que c'est devenu une 'blague' entre vous...
- Non, c'était pas...C'était ... Argh putain, si, oui, c'était une blague cruelle... Je suis vraiment désolé.»
Eridan ricane :
« Désolé... ? Ce serait à moi de m'excuser. Comment vous avez fait pour me supporter tout ce temps ? Dès ma première lecture je me suis insupporté ...
- Première lecture ?
- J'ai relu nos conversations, en boucle. J'ai fait que ça ces derniers jours. Tu m'étonnes que vous m'ayez bloqué... je cherche pas à ce que vous vouliez à nouveau de mes messages, je veux même pas être réintégré au groupe, je suis juste...
- Ok, t'arrête ça, tout de suite.
- ... quoi ?
- De parler, de ça. Tu vas dire de la merde, alors dit dien. Si c'est pour dire que t'as mérité d'être seul, que tu veux plus nous emmerder, alors tu la fermes, et tu viens boire cette bière avec moi. »
Sollux lui tourne le dos, récupère le pack et le décapsuleur, puis l'entraîne à sa suite et le pousse à s'écrouler dans le canapé. Il lui fourre de nouveau une bière dans les mains et prend une gorgée de la sienne.
Le silence qui s'installe est gênant, bien plus gênant que les précédents.
« ... Hey... commence Eridan.
- ... Mm...?
- Pourquoi tu m'aimes bien ? »
Sollux manque d'avaler de travers. Eridan dissimule un sourire et insiste, l'air sérieux :
« Tu dis que vous m'aimez bien, ça t'inclus toi, n'est-ce pas ? Alors, pourquoi tu m'aimes bien ? »
L'autre grogne, paraît agacé, mais ses rougeurs trahissent sa gêne. Il retire ses lunettes, les nettoie nerveusement, la mine pensive. Il ne les retire que rarement, et durant un instant Eridan retient son souffle, fixant les pupilles vairons dont les couleurs sont similaires aux verres opaques, soient rouges et bleus, rappelant évidemment les lunettes 3D -encore un détail qui donne à Sollux un aspect 'nerd'.
Sollux qui finit par les remettre sans avoir remarqué l'intérêt de son camarade.
« ... Parce que. » répondit-il enfin.
Et Eridan lui jette un coussin :
« C'est pas une réponse ! »
Sollux réceptionne le projectile et s'outre :
« Hey, fais gaffe, je tiens une bière ! »
Ils se fusillent du regard, avant que Sollux ne peste :
« En tout cas, je t'aime pas pour ta sanguinité, ça c'est clair.
- Je suis pas sanguin !
- A peine, c'est pas comme si t'avais voulu me tuer y a 2 secondes !
- Ca va, c'est qu'un coussin connard !
- Je t'aime pas non plus pour tes insultes.
- Bordel, va te faire foutre sale nerd !
- Ni pour ta langue de reptile, sale serpent ! »
Eridan roule des yeux :
« C'est bon, j'ai compris, tu m'aimes pas et j'aurai pas du te foutre au pied du mur, pardon !»
Sollux fait la moue, rompt la distance entre eux, tire sur son col, et Eridan met bien quelques secondes avant de prendre conscience que son ami a posé ses lèvres contre les siennes. Il s'empourpre, figé net, louchant sur le visage face à lui... et Sollux se met à rire contre ses lèvres, à rire si fort qu'il est obligé de s'écarter pour reprendre son souffle :
« Oh mon dieu... Oh la tête, quelle tête ! Ahah ! »
Eridan devient plus cramoisie qu'il ne l'est déjà, la honte le submergeant :
« J-Je... Tu m'as surpris !! Arrête ! Te fous pas de moi ! Sollux, putain !
- Mon nom. »
L'Ampora ne comprend pas :
« Quoi ... ? »
Sollux lui sourit timidement :
« ... j'aime comment tu prononces mon nom. »
Eridan ouvre la bouche, pour ne sortir aucun son. Il n'y a aucun mot pour décrire sa gêne et sa surprise mêlées. Sollux en profite pour revenir vers lui.
« ... j'aime tes différentes expressions. Ce moment où ce visage que tu essaies de garder neutre laisse échapper ce que tu ressens réellement. Parce que t'es pas quelqu'un d'inexpressif, même si tu essaies de l'être. »
Il vient glisser son pouce sur ses lèvres :
« ... tu as cette manie de vouloir tout cacher, même le plus beau. Lorsqu'on parvient à t'arracher un sourire, ou qu'on peut enfin entendre ton rire, tu le refoules aussitôt, tu reprends ce masque. Mais pendant un petit moment, ce petit instant éphémère, tu as laissé passé un éclat si beau que l'on aimerait le voir encore. »
Sollux ricane :
« Gamzee dit que ces moments-là sont 'miraculeux'.»
Mais soudain il se tait. Il se tait et il observe comment, en cet instant, Eridan peut être expressif, émotif. Il observe le rouge de ses joues, l'écarquillement de ses yeux, son frémissement, ses lèvres tremblantes. Il observe tout ça, il s'en délecte même. Et finalement, à nouveau, il revient prendre possession de sa bouche, plus tendrement, plus patiemment.
Il s'écarte encore, mais garde son front contre le sien :
« ... j'aime....vraiment beaucoup les expressions de ton visage...
- ... seulement mes expressions ...?
- ... ça... et tout le reste... »
Mais une porte claque, et Eridan s'écarte subitement, se retourne, pour apercevoir Gamzee et Karkat qui sont revenus dans le salon. Un ange passe, personne ne prend la parole, personne ne sait vraiment comment engager la conversation. Eridan, plus rouge encore qu'une belle tomate mûre, se détourne et prend une grande gorgée de bière pour étouffer son malaise.
« Va pas te saouler trop vite. » grogne Karkat en venant s'asseoir à côté de lui.
Gamzee, lui, passe devant Eridan sans lui jeter un regard et s'écroule à côté de Sollux, venant poser sa tête sur ses genoux. Sollux le laisse faire et vient caresser ses cheveux tranquillement.
« Alors ? interroge-t-il.
- ... j'les ai pris... » répond piteusement Gamzee, à voix basse, et Eridan devine bien la honte qu'il doit ressentir.
Sollux et Eridan échangent un regard, celui aux yeux vairons fait un signe de tête, et celui à la mèche mauve comprend la demande silencieuse. Il lève timidement la main, et vient caresser le visage de Gamzee. Ce dernier a fermé les yeux, mais les rouvre aussitôt en ne reconnaissant pas la main de Sollux. Il s'étonne, observe la main, relève les yeux pour regarder Eridan.
Eridan qui, comme d'habitude, se sent le besoin de se justifier :
« ... Tu sais, je m'en fou que tu prennes un traitement, tu restes le Gamzee qu'on aime tous. »
Bon, il ne voulait pas vraiment utiliser le verbe 'aimer'. En fait, il voulait s'arrêter à 'je m'en fou que tu prennes un traitement', mais au moment de le dire il a eu peur que ce soit mal interprété. Et maintenant il se retrouve à nouveau complètement déboussolé par son propre embarras, en sentant qu'il a encore dit quelque chose de ridicule.
Pourtant le regard de Gamzee s'illumine, et le plus grand se redresse avec davantage d'entrain, retrouvant même son sourire :
« C'est vrai ? Putain, c'est génial, t'es génial ! »
Comme si on ne l'avait pas suffisamment embrassé, Eridan sursaute aux lèvres de Gamzee qui ne font qu'effleurer les siennes furtivement. Mais comment pourrait-il songer à l'engueuler lorsqu'il voit son camarade aussi heureux qu'un gamin la veille de noël ?
« J'avais tellement le flippe que tu ais peur de moi ! Je perds pas le contrôle, je le perds plus, je te jure. Mais j'étais tellement inquiet de te trouver aujourd'hui, j'ai complètement zappé mes cachets, et puis tu nous parle de ta tentative de suicide... je suis désolé, je me suis emporté. »
Eridan force un faible sourire :
« C'est bon... Vraiment, c'est rien.
- Je t'ai empoigné vachement fort ... t'es sûr que je t'ai pas fait mal ?
- Sûr, j'ai connu pire, t'inquiète pas. »
Cette fois, Eridan est persuadé d'avoir dit une connerie, car les trois autres ont à nouveau froncé les sourcils. Pourtant, Karkat vient se coller à son dos, mais seulement pour lever la main et mettre un stop à Sollux et Gamzee :
« Ça suffit, on arrête de le noyer de questions. Si Eridan veut en parler, il peut en parler. Sinon, on profite d'une soirée tranquille.
- Mais il parlera pas si on l'oblige pas ! s'offusque Gamzee.
- ... Les gars, je suis juste là vous savez ? s'agace Eridan. Qu'est-ce qu'il y a encore ? »
Les autres hésitent un peu, se demandant surtout qui va poser la question. C'est Sollux qui finit - encore - par s'y coller :
« Quand tu dis que tu as connu 'pire', ça veut dire quoi ?
- ... vous me donnez vraiment la sensation d'être retourné chez le psy...
- Eridan, s'il te plait... »
Le concerné soupire. Dans son dos, Karkat à poser ses mains sur ses épaules qu'il masse en douceur, pour le détendre, qu'il se livre à tête reposée. Eridan ne se serait jamais douté qu'il était si doué pour les massages...
« ... 'pire' ça veut pas dire grand chose... j'ai pas... Je me suis pas jeté d'un toit, c'est déjà ça. »
Son trait d'humour n'arrache pas un sourire aux autres - rien de vraiment surprenant. Il soupire encore :
« Gamzee m'a juste choppé aux épaules, c'est rien du tout... Mon père fait ça tout le temps, de m'attraper, de serrer fort. Il peut pas lever la main sur moi, il a une image à tenir et y a trop d'employés à la maison, trop de journalistes près à répandre de nouvelles rumeurs. Alors il peut juste me saisir, et serrer, serrer, serrer encore. »
Il relève sa manche, on y perçoit un léger bleu :
« Ca laisse pas vraiment de marque, généralement ça part après quelques jours, et la douleur est seulement sur le coup. Mais voilà, c'est rien, c'est... »
Karkat le retourne, avec brusquerie, le regard en feu :
« C'est RIEN ? Ton père te fait du mal, et c'est rien ? Tu veux te suicider, et c'est rien ?! C'est quoi la prochaine étape ? Putain Eridan, t'as une gueule de première de la classe mais t'es vraiment qu'un abruti ! Un abruti fini ! Je croyais que t'étais au moins assez mature pour prendre soin de toi, mais là tu nous apprends que tu pourrais te jeter sous un train et que ce serait 'rien' pour toi ! »
Eridan se crispe. Il se serait bien énervé à son tour, répliquant que 'non' il n'allait pas se jeter sous un train, qu'il en avait terminé avec ses idées suicidaires... mais Karkat, malgré ses cris, a les yeux humides, le regard fragile. C'est lui qui semble sur le point de pleurer à présent, et Eridan n'a juste pas le cœur à être la cause de ses larmes.
« ... non ... pardon Karkat, tu as raison...ce n'est pas 'rien'... »
Cette fois c'est lui qui le prend dans ses bras, et le plus petit ne se fait pas prier, venant se blottir contre lui, cachant -par honte- son visage dans son cou.
Il n'y a plus de bruit, et Sollux décide d'allumer la télé pour bercer la soirée qui se profile.
Plus tard, lorsqu'il sent un poid contre son épaule, Eridan sursaute, quitte la télé des yeux pour observer -non sans surprise- Karkat qui s'est assoupi contre lui. Mon dieu, il à l'air tellement paisible lorsqu'il dort... C'est bien loin de l'attitude furieuse qu'il peut aborder, qui fait trembler les murs tant il crie fort.
Il se surprend à sourire tendrement devant cette vision, vient replacer une mèche du plus petit avant de retenir un autre sursaut. Il tourne la tête, pour voir que Sollux s'est également endormi contre sa seconde épaule, alors que Gamzee s'est assoupie sur ses genoux.
Eridan soupire discrètement. Il ne se sent pas de s'extirper de là, surtout en risquant de les réveiller. Mais une autre envie lui vient et, furtivement, il saisit son téléphone et le tend du bout du bras. Une ou deux manipulations pour lancer l'application photo et vérifier que le flash est éteint, et Eridan choisit un angle afin d'avoir tout le monde dans le cadre.
Quelques secondes après, il observe la photographie et s'empourpre. Est-ce qu'il vient vraiment de faire ça? Il referme l'application et éteint le téléphone, comme cherchant à effacer la preuve de son méfait. Mais malgré sa gêne, là, maintenant, il se sent surtout terriblement heureux.
Et il n'est pas seul.
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