Chapitre 6
Cible de la flèche et du fruit d'Aphrodite,
Le choix a été fait et la voilà favorite.
Bonheur, mais tout disparaît dans le vent,
Cible de la folie et de l'amour aveuglant.
Et la porte claque.
La sensation est terriblement enivrante, trop pour que tu n'imagines un seul instant qu'elle puisse prendre fin.
Dans ta certaine mauvaise foi, Marinette, tu ne pensais pas avoir besoin de sentir ses mèches blondes entre tes doigts avant de passer ta main dans sa chevelure, de respirer son parfum avant de finir envoûtée par son odeur.
Tu ne pensais pas avoir besoin de sentir son corps contre le tien avant qu'il ne finisse par t'enlacer, tu ne pensais pas désirer ses lèvres avec autant d'ardeur avant qu'il ne vienne t'embrasser passionnément.
Tu ne pensais pas en avoir besoin avant que cela finisse par arriver.
Et maintenant que tu sens ses mèches blondes entre tes doigts,
envoûtée par son odeur,
qu'il finit par t'enlacer,
t'embrasser passionnément,
tu as l'impression grisante quoiqu'angoissante de ne jamais pouvoir t'en lasser, de ne jamais pouvoir t'en passer.
La chaleur de ses mains sur ta peau, caresse délicate qui semble laisser une trace de brûlure sur son passage, ton épiderme déjà en feu, le sang et ton cœur qui palpitent, plus vite, plus fort, à chacun de ses baisers.
Ses expirations aériennes qui viennent balayer tes cheveux et ton cou comme le sirocco estival, qui laisse ta gorge sèche et aride comme le désert, assoiffée de ses lèvres, de son toucher, de sa peau sous la tienne – tes poumons reprennent vie quand vous vous décidez enfin à vous détacher, si ce n'est de quelques millimètres, ton souffle se mêlant au sien avec une douce frénésie.
Puis viennent se rencontrer vos yeux, et tu ne le sais pas, Marinette, mais les éclats de ses émeraudes ne valent rien aux étoiles qui dansent dans tes saphirs.
Il n'y a que vous et le monde s'arrête de tourner – ou peut-être qu'il tourne plus lentement, ou plus rapidement, ou peut-être que vous vous êtes échappés dans un autre espace-temps. Faille dans l'univers, tu as envie que ça dure, que ça s'étire, que ça frôle l'infini, puis tu as envie que ça s'accélère, tant que ton cœur en viendrait à lâcher, enraillé comme une machine qui tourne plus vite qu'elle ne devrait.
Tu sens la prise de ses mains sur tes cuisses alors qu'il vient de nouveau happer tes lèvres, ta gorge émet un gémissement à peine discret, ton corps rencontre les draps de ton lit – draps qui te paraissent soudainement moins froids qu'à l'accoutumée.
Son dos semble se courber sous la pression de tes mains, lui, comme fait de matériaux précieux qui t'appartiennent enfin, et tu sens ses musles rouler sous son épiderme, ses veines battre dans son cou sous tes doigts.
Lui, son parfum te captive comme un mauvais sort qu'il t'aurait lancé. Lui, ses cheveux blonds semblent scintiller sous la lumière pâle de la lune. Lui, ses soupirs enflammés sonnent comme une douce mélodie dans ton oreille.
Lui, lui, lui.
Il n'y a qu'Adrien ce soir,
et tu es naïve Marinette, prête à l'aimer,
prête à lui offrir le monde entier.
***
— Tu as des nouvelles de Luka au fait, Marinette ?
Tu as du mal à percuter, sur le coup. Lila qui parle de Luka, qui lance le sujet sur la table comme si de rien n'était, comme si tout était normal, comme si c'était votre pote – t'es à ça de l'insulter de cinglée, mais tu te retiens de justesse, te contentant de la fixer avec lassitude. Néanmoins, elle ne perçoit pas ton regard, les yeux rivés sur l'écran de son portable.
— Pourquoi j'aurais des nouvelles de lui ?
— Je ne sais pas. Ça fait un moment qu'il n'a pas posté de publications sur Instagram et les fans ont l'air de s'inquiéter.
Ah, et depuis quand Lila est inquiète pour Luka ?
Le masque qui tombe et l'ange qui devient le Diable, tout ça. Tu n'es même plus surprise, à ce point ; t'es à peu près sûre que Lila a toujours voulu se le taper, peut-être même qu'elle a réussi, qu'est-ce que t'en sais ?
Il y a deux mois, tu serais rentrée dans une colère noire à cette simple idée, éprise d'un jeune homme qui te considérait plus comme un objet que comme une véritable petite amie – qui ne vous voyait comme un couple que dans tes draps, jamais ailleurs.
Mais aujourd'hui, ça te fait ni chaud ni froid. Qu'elle aille voir Luka, tu le lui laisses volontiers.
— Il est peut-être parti faire le tour du monde, qu'est-ce que j'en sais ? réponds-tu simplement en haussant les épaules.
Chloé suit votre échange sans rien dire, son regard glissant de l'une à l'autre comme si elle était spectatrice d'un match de tennis.
Quatre semaines sont passées depuis la soirée en boîte, trois depuis ton rencard avec Adrien. Trois semaines que vous vous parlez sans cesse, que vous faites ce que vous pouvez pour vous voir dès que possible – comme si la distance vous tuait, vous faisait souffrir à ne plus savoir comment la supporter.
T'es en plein idylle Marinette, adolescente qui s'émerveille à la moindre attention que t'offre le blond, t'es stupide mais bon sang, qu'est-ce que tu t'en fiches. Les filles ont beau dire ce qu'elles veulent pour te ramener sur terre, rien à faire ; pour la première fois depuis que vous vous connaissez, elles n'ont plus aucune emprise sur toi.
Et tu ne le sais pas, mais ça les effraie plus que tu ne l'imagines.
Mais surtout, trois semaines que Kagami n'a pas daigné montrer signe de vie.
Enfin, si, vous savez au moins qu'elle est chez elle, enfermée dans sa tour d'ivoire, qu'elle ne sort plus du tout, même pour ses entraînements. Elle lit vos messages sur le groupe mais n'y répond jamais, elle poste de temps en temps sur Instagram mais est beaucoup moins régulière, elle a simplement coupé les ponts avec vous – avec toi, plutôt.
Car tu as déjà vu son nom apparaître sur l'écran de Lila, même si tu ne l'as jamais dit, même si Lila ne t'en a pas parlé non plus, tu as bien deviné que la Japonaise acceptait de discuter avec les deux filles si tu ne faisais pas partie de ladite discussion.
Tu trouves ça tout bonnement ridicule, et tu as bien tenté de la contacter de ton côté, en vain. Silence radio, Kagami t'ignore et peut-être même qu'elle t'a déjà rayé de sa vie. Tu ne laisses rien paraître comme elle n'a jamais rien montré, mais ça te fait mal au cœur, Marinette. Tu aurais aimé que ça se passe autrement, tu aurais aimé pouvoir mettre les choses au clair avec elle, tourné la page et passé à autre chose parce que, bien évidemment, tu sais que ce ne sera plus comme avant.
Honnêtement, tu étais prête à faire l'effort de passer outre, Marinette, malgré les conséquences, malgré ce que cela voulait techniquement signifier. Mais les tentatives ont perduré, sans rien donner, et voilà que tu as fini par jeter l'éponge.
Kagami la vaillante l'est trop pour toi. Tu n'as pas son courage, sa force, sa persévérance. Et tant pis.
Peut-être que c'est le destin. Tu n'as plus le courage de courir après les gens, Marinette – qu'ils viennent s'ils tiennent tant à toi.
Et c'est drôle de te faire cette réflexion quand tous finissent par s'en aller.
***
Trois mois, et vous filez le parfait amour.
Trois mois qui ont défilé devant tes yeux, aussi lentement que rapidement, trois mois que tu te sens enfin heureuse, peut-être pour la première fois de ta vie. Trois mois c'est peu, c'est rien, c'est beaucoup quand même.
Vous avez officialisé votre relation après plusieurs rencards, ce n'était pas grand-chose, juste pour la forme, vous le saviez depuis le premier que ça allait finir ainsi. C'est simplement pour faire bien aux yeux des autres ; c'est pour rentrer dans le moule de la société qui ne comprend pas que le coup de foudre existe. Qui n'y croit plus, du moins.
Les gens n'y croient plus et c'est compréhensible. Ils trouvent ça bidon, tu ne leur en veux pas, fut un temps où tu faisais toi-même partie de cette communauté. Quand t'as fini par baisser les bras, par abandonner, par te dire que ce n'était pas pour toi, ces bêtises.
Et puis, cliché, Adrien est arrivé.
Enfin, cliché ou non, c'est bel et bien la réalité. Tu l'aimes de tout ton cœur, Adrien, tu l'aimes trop vite, trop fort, trop follement pour ta propre santé mentale, mais qu'est-ce que tu peux y faire ?
Tu l'aimes trop naïvement, Marinette. Tu ne vois que ses regards, que ses sourires, que ses gestes, sa tendresse, son affection, ses compliments, sa présence, tu ne vois que lui, lui, lui.
Bulle que tu as, qu'il a, que vous avez créé, monde à part, loin des autres.
Bulle que tu ne voudrais éclater pour rien au monde – que se passera-t-il si cela venait à arriver ? Tu ne veux pas savoir,
peut-être que tu devrais.
C'est la sonnerie de ton portable qui te sort de ton sommeil léger.
Somnolante, lovée contre Adrien qui semble s'être lui aussi endormi devant la télé, tu te redresses prudemment afin de ne pas le déranger, puis tu attrapes ton cellulaire sur la table basse.
C'est Chloé qui t'appelle, alors tu décroches, perplexe.
— Allô ?
— Mari', dis-moi que tu arrives à joindre Kagami.
— Kagam... Pourquoi j'essayerais de la joindre ? Qu'est-ce qu'il se passe ?
L'inquiétude te prend de suite à la gorge, tu n'as même pas l'esprit de faire remarquer que, de toute manière, tu pourrais tenter de la contacter, tu n'y arriverais pas, puisqu'elle t'a bloquée absolument partout sur les réseaux.
Tu entends dans le ton inhabituellement paniqué de Chloé qu'il se passe quelque chose de grave.
— Tu n'as reçu aucun message ? Rien du tout ?
Tu vérifies ton écran, tremblante comme la voix de la jeune Bourgeois à l'autre bout du fil, mais aucune notification apparaît.
— Non, j'ai rien ! Tu peux me dire ce qu'il se passe ?! t'impatientes-tu, soudainement sur les nerfs.
— Je t'envoie un screen. On va chez elle avec Lila.
— Je vous rejoins là-bas, déclares-tu avant de mettre fin à l'appel.
Tu reçois le screen de Chloé dans la seconde même, tu ne te rends pas compte que tu es prise de spasmes de stress, qu'Adrien vient de se réveiller, qu'il te demande avec angoisse ce qui ne va pas.
Tu lis le message sur la capture d'écran une fois, deux fois, trois fois, histoire de l'imprimer dans ta tête – histoire d'être sûre que tu ne rêves pas.
Il est presque vide, étrangement court quoique terriblement clair.
"Je suis désolée. Pardonnez-moi pour ce que je vais faire, mais ça ne peut plus durer."
***
Tes poumons appellent à l'aide, pourtant incapables de se remplir d'air. L'organisme en panne et le cerveau qui vrille, tu crois perdre, l'espace d'un instant, l'équilibre. En vérité tu ne sais pas vraiment, tu ne sais plus Marinette.
Tu sens juste les bras d'Adrien autour de toi, qui te rattrapent et qui te serrent contre lui, tu crois l'entendre chuchoter des mots que tu ne comprends pas, tout se déforme dans ton champ de vision – tu crois devenir folle.
Il n'y a que les sirènes des pompiers qui te gardent encore consciente.
Et ta première lueur de lucidité dans cette pagaille sans nom te fait pourtant vaciller davantage ; peut-être que t'éclates en sanglots, peut-être que tu cries, peut-être que tu entends les pleurs des filles à côté, tu ne sais plus. Tu ne sais plus et ta tête n'est plus qu'un capharnaüm gigantesque dans lequel se mêle confusion, incompréhension, tristesse, regrets, douleur et culpabilité.
La culpabilité, plus immense que jamais, qui t'arrache le cœur sans la moindre pitié.
La culpabilité, quand l'un des policiers vous annonce quelques heures plus tard qu'elle a laissé une note, une lettre sur son ordinateur pour expliquer son geste, sa décision.
La cupabilité, terrible, fracassante, qui t'accable et t'écrase, te ronge et te hante, qui t'est tombée sur les épaules comme le ciel te tomberait sur la tête lorsque tu as cru les voir sortir le corps de la demeure.
Et même la voix douce d'Adrien n'a pas su apaiser ton chagrin.
Kagami est partie et tu te sens plus fautive que jamais. Tu n'as même pas besoin de lire sa lettre, tu sais que tu en fais partie, tu sais qu'il y a une part de toi dedans même si ton nom n'y figure pas.
Pourquoi ne l'as-tu pas rattrapée, ce soir-là ? Pourquoi ne l'as-tu pas suivie ? Pourquoi n'as-tu pas insisté, forcé pour renouer les liens avec elle, même minimes ?
Kagami est partie du jour au lendemain, et personne n'a rien vu venir.
Tu t'en veux, pendant des jours, des semaines, tu t'en veux à en perdre la raison. Et peut-être que toi aussi, tu aurais flanché, si Adrien n'avait pas été à tes côtés tout du long.
À t'épauler, te consoler, te rassurer, t'écouter, attentivement, avec toute la patience du monde, sans jamais broncher. T'aidant à faire ton deuil, lentement mais sûrement.
À t'accompagner à l'enterrement, puis au commissariat, quand ils ont voulu te poser quelques questions, après ouverture d'une enquête, à la demande de madame Tsurugi elle-même.
Madame Tsurugi, persuadée que sa fille n'aurait jamais pu se suicider aussi lâchement selon ses mots, une femme qui ne lâchera ses larmes que lorsqu'ils auront mis la main sur le coupable, sur celui qui, d'après elle, a tué Kagami.
Mais qui aurait pu s'en prendre à elle ainsi ?
Non Marinette, ça te dépasse. Tu as lu sa lettre, c'est bel et bien Kagami qui a écrit ça et tu ne peux remuer le couteau dans la plaie à la recherche d'un présumé meurtrier qui n'existe peut-être même pas. Les filles sont d'accord avec toi, Adrien aussi.
Les seuls coupables de la mort de Kagami sont le silence, le rejet, les secrets, les non-dits. Et alors tu dois vivre avec, tu dois l'accepter et le supporter, parce que tu n'as pas le choix, parce que c'est la vie.
C'est ce que Kagami aurait sûrement voulu, pas vrai ?
Le seul coupable de sa mort était son amour pour toi, Marinette.
***
Tu tiens la clé comme un objet précieux, fragile, comme une fierté. Symbole d'une nouvelle vie, la porte s'ouvre sur ton nouvel appartement – enfin, non, votre nouvel appartement.
C'est le soleil qui vous accueille en premier, rayons du jour qui illuminent la pièce à vivre spacieuse remplie de meubles et de cartons. Peut-être qu'il y a encore un an, tu l'aurais trouvé trop grand à ton goût, trop vide, à vivre en colocation avec ta meilleure amie la Solitude. Peut-être que tu n'aurais fait que ça, de lui trouver des défauts, comme tu ne cessais de te plaindre de ton ancien appartement qui était pourtant très correct.
Mais si il y a bien un élément qui te fait dire tout le contraire, c'est la chevelure blonde qui entre à son tour, te dépasse, vient se placer au centre de la pièce d'un air ravi. Et le bonheur éclaire son visage – et son sourire éclaire ton bonheur.
Tu laisses échapper un petit rire, alors que tu viens le rejoindre, enroulant doucement tes bras autour de sa nuque. Tu savoures la chaleur de ses mains sur tes hanches alors qu'il te regarde amoureusement, son nez frôlant le tien comme une caresse imperceptible.
Paroles surfaites, vous n'avez plus besoin de parler pour vous comprendre. Ton cœur bat la chamade comme au premier jour lorsqu'il pose ses yeux sur toi, deux émeraudes qui ne cessent d'embellir ton monde depuis que tu as passé la porte de la boutique.
— On pourra avoir un chat, maintenant ? minaudes-tu innocemment.
Il éclate de rire – rire mélodieux que tu pourrais écouter durant des heures.
— Et même un hamster, si tu veux, susurre-t-il avant de t'embrasser tendrement.
Tu es heureuse Marinette, malgré les hauts et les bas, peut-être que tu réussis enfin à frôler du bout des doigts ce que tu as cherché depuis si longtemps.
Oui, il embellit ton monde depuis qu'il en fait partie, Adrien.
Il le façonne, le sculpte et le modèle comme il le souhaite.
Parce que, promis juré Marinette,
c'est ma seule manière d'aimer.
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