Chapitre 5
Une bataille gagnée ne vaut pas une guerre victorieuse,
Lumière se fait sur celle que l'on croyait mystérieuse.
Mais si rivalité il y a, alors rivalité il faut écarter,
Et les pions tombent un par un sur l'échiquier.
Et les cristaux tintent.
Tu ris aux éclats ; on pourrait dire que le champagne hors de prix te monte déjà à la cervelle, tu dirais plutôt que c'est un garçon en particulier qui te fait tourner la tête.
Adrien est un ange et tu es au Paradis, Marinette.
Il paraît que tu ne tiens pas très bien l'alcool mais tu ne sais pas trop, tu te sens bien, encore lucide, pas comme la semaine dernière.
Tes émotions sont une pelote de coton, douces quoique toutes emmitouflées les unes aux autres, impossibles à délier, à défaire, à discerner. Amas de sentiments incontrôlables, te voilà incapable de constater que l'histoire semble se répéter.
Tu l'apprécies tant, Adrien, tu ne cesses de te demander ce qu'il te trouve, à toi. Pourquoi ne semble-t-il n'y avoir personne qui lui court après ? Pourquoi donne-t-il l'air de n'être qu'à toi – toi et personne d'autre ?
Peut-être parce que c'est le cas.
La musique en fond semble devenir plus forte, les conversations polies quoiqu'animées se multiplient et vos rires fusent. Vous semblez comme deux exclus de cet univers normalement trop plat, trop lisse, trop satiné, à rester près du buffet, à engloutir les petits fours bien trop délicieux pour s'en priver, à enchaîner les taquineries enfantines.
Comme emprisonnés dans votre bulle, loin des autres, loin du monde.
Néanmoins, vous vous reprenez lorsque quelqu'un vient à votre rencontre, ou plutôt à celle d'Adrien, car plus inconnue que toi, ici, il n'y a pas. On se contente de te saluer brièvement, par respect, pour s'assurer que tu n'es pas qu'une plante verte dans le décor.
Ainsi, à tour de rôle, des grands noms viennent serrer la main du jeune homme d'une poigne amicale et paternelle, sourire ravi que tu trouves un peu faux, ceci dit, que ce soit sur leur visage ou celui d'Adrien.
Puis tu entends des bribes de conversations qui viennent chanter les louanges de son père, Gabriel, qui était soit-disant un homme très respecté dans le milieu, dont la perte est une véritable tragédie, qu'il doit être fier de son fils maintenant. Du coin de l'œil, tu crois voir la mâchoire d'Adrien se crisper à chaque fois que le nom de son géniteur est prononcé, mais tu n'y prêtes pas plus attention.
Quand l'énième homme d'affaires les salue et repart à ses occupations, Adrien reprend un amuse-gueule, l'air ironiquement blasé, et se met aussitôt à critiquer les gens qui vous entourent. Paria qui semble avoir tourné le dos à sa classe sociale et à l'entourage de son père, sur le coup, ça t'amuse, Marinette. Mais y aurait-il quelque chose de plus sombre derrière toutes ces histoires ?
Peut-être. Ça t'intrigue un peu, alors que tu le regardes manger un énième mini-toast et observer les personnes qui se trouvent autour de vous – non sans un sourire amusé aux lèvres et une lueur attendrie dans les yeux.
Et la bulle éclate, encore une fois. Sauf que, cette fois, tu manques de peu de lâcher la coupe de champagne que tu tiens entre les mains.
— Marinette ?
— Kagami ? Qu'est-ce que tu fais là ? demandes-tu, troublée.
Tu ne te rends pas compte que la question devrait plutôt se poser pour toi – car il est moins surprenant de croiser Kagami Tsurugi à un gala de charité que Marinette Dupain-Cheng, sans nul doute.
— Je ne pensais pas te trouver ici, déclare-t-elle d'un ton presque las, ignorant ta question.
Son regard glisse vers Adrien, qu'elle examine de haut en bas sans grande discrétion ; tu soupires silencieusement, te demandant si il est préférable de jouer l'idiote ignorante ou non.
Tu joues l'idiote ignorante quand même.
— Ravi de te revoir, Kagami, fait Adrien, la voix mélodieuse.
— De même.
Celle de Kagami est bourrée d'hypocrisie et son visage ne reflète que froideur et antipathie. Tu sais qu'elle peut donner cette impression aux inconnus en temps normal, prêtresse de la resting bitch face en puissance – cependant, cette fois, Kagami le fait exprès.
La façon dont ses traits du visage se sont crispés dès que ses yeux se sont posés sur Adrien ne laisse place à aucun doute pour toi, Marinette.
— Marinette, est-ce... est-ce que je peux te parler, une seconde ?
Kagami a la voix douce et inoffensive, soudainement, alors que son regard est rivé sur toi.
Et pourtant, tu te retrouves à hésiter, Marinette. Il y a des flashs qui apparaissent dans ta mémoire, comme un rappel que fait ton cerveau sur la situation actuelle avec Kagami. Elle qui ne cesse de t'éviter, puis de se rapprocher, de tenir ses distances avec toi aussi vite, manège qui te donne le tournis ; manège qui t'agace plus qu'autre chose, désormais.
D'accord, elle a peut-être raison. Il est temps de parler.
Tu poses ta coupe sur le buffet, puis jettes un regard désolé à Adrien, qui secoue légèrement la tête avec un sourire bienveillant aux lèvres, te faisant comprendre que ce n'est rien.
— Merci, lui murmures-tu en frôlant son bras de ta main.
Puis tu suis Kagami jusqu'au hall du bâtiment, en dehors de la salle, endroit bien plus silencieux que celui que vous venez de quitter. Il n'y a personne, pas un chat, et les portes fermées viennent rapidement étouffer le brouhaha des discussions d'à côté.
Vous voilà seules avec le silence.
— Qu'est-ce qu'il se passe, Kagami ? Écoute, si c'est pour me mettre en garde par rapport à Adrien...
— Tu ne te souviens de rien, pas vrai ?
Elle te coupe net, mais l'unique élément qui te trouble véritablement est l'air mélancolique qui vient soudainement se peindre sur son visage.
Kagami qui a peur, Kagami qui est triste, Kagami que tu ne reconnais plus, Marinette.
— Me souvenir de quoi ? bredouilles-tu.
Tu ne sais pas pourquoi mais tu commences à paniquer, ton cœur tambourinant sauvagement dans ta cage thoracique.
— Rien, laisse tomber, siffle-t-elle, brusque retour en arrière alors qu'elle reprend son masque d'indifférence, comme si de rien n'était. Oui, je viens te mettre en garde. Adrien ne me dit rien qui vaille.
— Tous les garçons que j'ai pu rencontrer ne te disent rien qui vaille, Kagami. Et d'accord, tu as peut-être eu raison à propos de Luka, mais je commence sérieusement à me demander si tu fais pas ça pour me voir célibataire jusqu'à ma mort.
Tu lâches un rire jaune – Kagami ne cille même pas. Son sérieux te stoppe rapidement dans ton faux amusement.
— Bien sûr que non, Marinette. Je veux juste que tu sois avec quelqu'un qui te mérite, qui sache prendre soin de toi et t'aimer comme tu devrais être aimée.
Tu tombes des nues, il faut dire. Jamais tu n'aurais pu imaginer que quelqu'un puisse te dire une telle chose ; jamais tu n'aurais pu imaginer que ce quelqu'un soit nul autre que Kagami.
Ses paroles te touchent autant qu'elles te perturbent. Tu sens que tu ne grattes que la surface, que tu n'as pas encore véritablement brisé la glace, les non-dits emplissent l'air et tu te demandes ce qu'elle est en train de te cacher.
Tu as un peu peur de le découvrir, en toute honnêteté.
Qu'est-ce qui est en train de se passer, là ?
— Kagami...
— Je ne te comprends pas. Tu t'obstines à souffrir continuellement et ça m'agace de te voir comme ça.
— Je te remercie de t'inquiéter pour moi, Kagami.
— Je tiens à toi, répond-elle du tac au tac, bien trop vite pour que tu ne trouves pas ça louche.
— Et je tiens à toi aussi, prononces-tu calmement.
Tu sens que l'atmosphère est tendue, et, d'un regard furtif, tu vois ses mains se serrer en poings – très mauvaise signe. Il faut que tu apaises les choses avant que ça ne dégénère, bien que tu ne sois pas sûre de comment ça pourrait réellement dégénérer.
— Mais il faut que tu arrêtes de vouloir contrôler ma vie et de me rendre parano comme ça, je t'assure que ça me fait plus de mal que de bien. Si tu n'as confiance en personne c'est ton problème Kagami, pas le mien...
Tu sembles lui faire des reproches, mais dans un même temps, tu t'efforces de prendre un ton placide pour ne rien envenimer. D'un geste prudent, tu prends ses deux mains dans les tiennes et cherches son regard qui se fait particulièrement fuyant depuis que tu t'es mise à parler.
— Je t'en prie, aies au moins confiance en moi...
— On s'est embrassées.
Plus brutal, il n'y a pas. Toi voulant briser la glace, c'est une grenade que Kagami vient de lancer sur la banquise.
Tu les ressens alors de nouveau ; ton cœur qui bat plus vite et plus fort qu'il ne le devrait, et chaque coup qu'il envoie dans tes côtes toujours plus violent que le précédent.
— Quoi ? marmonnes-tu, décontenancée.
Elle se libère de ton emprise sans même que tu ne t'en rendes compte et errige la dernière barrière de ses immenses remparts lorsqu'elle croise les bras sur sa poitrine, dans un geste bien plus défensif qu'à l'accoutumée, lorsqu'elle fait ça pour se montrer autoritaire.
— La semaine dernière, après la soirée, chez toi. Je t'ai embrassée et tu ne m'as pas repoussée, mais tu étais saoule alors je... Je ne sais pas pourquoi j'ai fait ça.
Elle a fait... quoi ?
Les mots se bloquent dans ta gorge, Marinette. Tu pourrais remettre en cause ses propos, dire qu'au fond, elle n'a aucune preuve pour avancer cela, mais tu la connais, Kagami. Jamais elle ne mentirait sur ça. Pas comme ça. Pas quand cela lui est plus néfaste que si elle disait la vérité.
— Tu...
— C'est bon, t'as pas besoin d'un dessin, crache-t-elle, presque méprisante. Et moi non plus, d'ailleurs.
— Kagami, je suis désolée...
Tu tentes un geste vers elle, une main sur son épaule, sur son bras, sa main, tu ne sais pas vraiment – mais elle t'anticipe et attrape ton poignet pour t'arrêter dans ton élan avant que tu ne puisses la toucher.
Inatteignable, plus que jamais.
— C'est moi qui le suis.
Elle te lâche sans plus attendre et voilà qu'elle s'élance vers l'immense porte d'entrée – tu n'as à peine le temps de prononcer un seul mot qu'elle disparaît déjà, Kagami, te filant entre les doigts.
Une voix dans ta tête te crie de la rejoindre, tu sens même ta jambe débuter un mouvement dans sa direction, mais encore une fois, tu es coupée net lorsque tu sens une main chaude se poser dans la chute de tes reins, te faisant sursauter.
— Tout va bien ? demande Adrien avec douceur, les sourcils plissés, visiblement inquiet.
— Je...
Tu ne sais pas. Tu ne sais pas, tout s'embrouille dans ta tête, Luka, Kagami, et les filles, et Adrien, qu'est-ce que tu fabriques dans ce tourbillon insensé, Marinette ? Qu'as-tu fait pour te retrouver au milieu de tout ça ?
— Oui, oui, dis-tu, te reprenant difficilement alors que tu tentes de chasser tes pensées, en vain. Tout va bien.
— Tu es sûre ?
Tu te contentes d'un hochement de tête ; tu ne saurais faire plus.
— Viens, on s'en va, te chuchote-t-il en te prenant délicatement la main.
— Quoi ? Non, non, ça va aller, ne t'en fais pas. Je ne veux pas gâcher ta soirée, je...
— Tu ne gâches rien du tout, Marinette, bien au contraire.
Puis il esquisse un sourire taquin alors qu'il se place devant toi, déjà prêt à sortir alors qu'il tient toujours ta main.
— Et puis j'ai envie de partir, il n'y a plus rien à manger au buffet.
Tu t'esclaffes – et vous sortez du bâtiment sans plus attendre.
***
Tu t'en voudrais, d'oublier Kagami, si tu t'en rendais compte. Tu t'en voudrais de ne pas l'avoir suivie, de ne pas l'avoir rattrapée, d'être restée sans voix devant sa déclaration.
Parce qu'elle était subtile, mais bel et bien là. Tu le sais, tu as bien compris – mais tu es une idiote qui n'a pas su quoi lui répondre, Marinette.
Pour ta défense, ce n'est pas facile. Forcément, que ce n'est pas facile. Est-ce que les filles étaient déjà au courant ? Tu ne serais pas étonnée ; et puis zut, tu n'as pas envie d'y penser. Pas maintenant, pas aux côtés d'Adrien.
Adrien qui fait tout pour te changer les idées, pour te faire rire, ou au moins sourire, parce qu'il voit bien que quelque chose ne va pas depuis ta conversation avec Kagami. Lui qui n'ose pas poser trop de questions, même si il essaye de te connaître davantage, comme lors de vos longues conversations par messages.
Adrien, terriblement adorable, et ton cœur fond comme de la neige au soleil.
Le voilà qui chante à tue-tête au volant de sa voiture une musique pop un peu démodée, et toi tu ris aux larmes.
— OK, tu sais quoi ?
Il s'empresse de baisser le volume de la radio pour pouvoir parler sans crier – bêtement, tu te retrouves pendue à ses lèvres, curieuse.
— J'ai faim, et je sais pas toi, mais j'ai envie de manger tout sauf sainement.
— J'ai cru comprendre, pouffes-tu, le revoyant dévorer ces amuse-gueules comme un affamé.
Tu entends le son distinct du clignotant et, à peine as-tu reposé ton regard vers l'extérieur que tu aperçois un immense M sur le toit du bâtiment que vous approchez.
— Non mais... sérieusement ?
— Eh, je te le paye ! s'exclame-t-il en se garant à une place libre. Qu'est-ce qu'un bon rendez-vous sans fast food, pas vrai ?
Tu éclates de rire devant l'air malicieux qu'il t'offre, quoique les sourcils haussés semblent vouloir dire qu'il est tout à fait sérieux dans ses propos.
— Très bien, proposé si gentiment, finis-tu par dire en t'extirpant de la voiture. J'avoue que je n'ai rien à redire à ça.
— Tu vois !
Puis c'est bête, parce qu'en entrant dans le restaurant plus ou moins rempli – te te demandes même si il n'est pas tout le temps rempli, à vrai dire –, tu te rends compte que vous êtes encore habillés comme des adeptes des soirées mondaines, et si tu pensais faire tâche au milieu de la richesse en personne, ici, tu attires vraisemblablement l'attention. Ça te gêne, d'habitude, mais en compagnie d'Adrien, ça te fait rire plus qu'autre chose.
— Oh, y'a plus les pailles pour souffler dans l'emballage, jerémiade-t-il comme un enfant lorsque vous vous êtes enfin installés avec vos plateaux.
— Pas grave, y'a encore les frites.
Sur ces mots, tu en attrapes une que tu lui lances au visage et tu étouffes ton rire en posant ta main sur sa bouche, hilare devant la tête décomposée qu'il tire.
Tu ne sais pas vraiment ce que ça donne, l'image de toi en magnifique robe sirène, les cheveux relevés en un élégant chignon, le maquillage remarquable ; assise à une table de restauration rapide, un sandwich dans les mains. Tu te doutes que ce doit être surprenant, toi ça t'amuse, et t'oublies un peu plus Kagami.
Du moins, pendant un temps. Es-tu si horrible que ça ?
— Tu sais, commence-t-il alors qu'il est en train de finir tes frites, je comprends si tu ne veux pas vraiment en parler... De ce qu'il s'est passé avec Kagami tout à l'heure, j'entends.
Tu poses ton regard sur lui, affalée sur ton siège, le ventre plein – tu as encore moins d'allure, si c'était seulement possible, mais tu ne fais plus attention. Tu bois une gorgée de ta boisson, l'écoutant attentivement.
— J'espère au moins que ce n'est rien de grave, mais si jamais... je suis là.
Tu souris, presque reconnaissante. Puis tu soupires et poses ton gobelet sur la table, le tout d'un geste las.
— Elle m'a avouée ses sentiments, et... je n'ai pas su quoi répondre.
Le silence se fait, tu sens les yeux d'Adrien rivés sur toi – tu ne sais pas vraiment quelle émotion lui passe dans la tête à ce moment-là, si il garde un état très neutre ou si, au contraire, il est sérieusement en train de juger. Mais tu détournes le regard pour éviter de connaître la réponse, justement.
— Je sais, c'est nul. Je ne savais juste... pas comment réagir, parce qu'on est amies depuis des années, et j'ai... enfin, j'ai jamais su. Ce n'est pas comme si elle m'avait envoyé des indices, ou si elle avait tenté de me draguer...
Tu marques une pause, pensive.
— Ou peut-être que si, j'en sais rien. Peut-être que je suis juste aveugle. Chloé et Lila le savaient déjà, c'est sûr.
— C'est normal, tu ne dois pas t'en vouloir comme ça. Ce n'est pas évident comme situation.
— Je confirme, souffles-tu avec désespoir.
Tu hausses une épaule, un sourire un peu triste aux lèvres, et tends ton bras pour récupérer de nouveau ta boisson.
— J'essayerai de lui parler dans la semaine, j'imagine... Si elle me répond... Bref !
Tu finis ton gobelet d'une traite, te retrouvant avec un regain soudain d'énergie qui fait presque sursauter Adrien.
— Parlons d'autres choses.
— Et bougeons, continue-t-il en se levant, les deux plateaux dans chaque main, un sourire espiègle aux lèvres.
***
Ce sont les rues de Paris, aussi simple cela soit-il, qui finissent par vous accueillir. Marchant côte à côté dans une tranquillité particulièrement confortable, vous vous mettez à parler de vos vies, de votre enfance, de vos anciens amours, d'anecdotes drôles.
Discuter avec Adrien t'apaise avec une aisance presque terrifiante. Tu ne t'es jamais sentie aussi bien aux côtés de quelqu'un – et peut-être que tu te contentes de peu, peut-être que, jusque-là, tu n'étais pas retombée sur de bonnes personnes, c'est tellement possible que c'est surtout ça, qui t'effraie.
Que fais-tu de ta vie, Marinette, honnêtement ? C'est désolant, à bien y réfléchir. Que ce soit en amour ou en amitié, tu n'arrives pas à trouver ce qui te rendrait véritablement heureuse, ou au moins ce qui ne te rendrait pas malheureusement.
Tu es sûrement maudite, à ce stade. Et tu espères, si fort, qu'Adrien ne fasse pas partie de cette malédiction.
— Merci beaucoup pour ce soir, murmures-tu dans la fraîcheur de la nuit, alors que le silence vient tout juste de tomber entre vous.
— Merci pour quoi ?
— Je ne sais pas. Merci de m'avoir invitée, de m'avoir changée les idées, de... d'être là, tout simplement.
— Je ne sais pas quel genre de rendez-vous ça aurait été si je t'avais laissée seule, pas vrai ?
Tu laisses échapper un rire léger, bientôt suivi du sien.
— Pas aussi bien qu'un rendez-vous dans un fast food, je le conçois.
— Touché.
Nouveau rire. Tu l'observes du coin de l'œil et tu as un sentiment de déjà vu, comme lorsque tu l'admirais dans le taxi, enivrée par sa beauté mais surtout par l'alcool.
Cette fois, ce n'est que par sa beauté, sans doute. En tout cas, tu n'as pas bu, mais dans ta poitrine, ça bat aussi fort que la semaine dernière. Et tu te dis que ce n'est pas qu'une coïncidence, pas vrai ?
Parce que tu es naïve, Marinette. Malgré tous les masques que tu portes et qu'on te porte à forcer, tu es terriblement naïve, et peut-être que tu le sais, peut-être que tu n'y peux rien, au final.
Tu y crois, aux signes du destin. C'est bête et stupide, les filles seraient les premières à te le dire – mais assez de penser toujours aux filles, d'imaginer à chaque fois ce qu'elles te répliqueraient selon tes choix et tes décisions qui ne sont pas toujours aussi désastreux qu'elles le croient.
Tu pousses un soupir qui se transforme en nuage de vapeur. Tu réfléchis trop et pas assez en même temps, paraît-il. Ou tu réfléchis aux choses auxquelles tu ne devrais pas réfléchir, certainement – tu ne sais pas. C'est trop compliqué. Tu n'as pas la tête à examiner ça de plus près, ce n'est pas le moment.
— On devrait peut-être rentrer, finit par dire Adrien, alors que vous vous approchez de l'endroit où il a garé sa voiture, ayant visiblement fait un tour dans le coin. Il se fait tard.
— C'est vrai, réponds-tu en jetant un œil à ta montre.
Et puis, tu hésites un instant. Alors que vous arrivez à hauteur de l'automobile, tes doigts s'enroulent autour de la poignée, presque délicatement, tandis qu'Adrien, de l'autre côté, ouvre déjà sa portière, prêt à rentrer dans l'habitacle.
— Adrien, lances-tu bêtement.
Il arrête tout mouvement, relevant le regard vers toi d'un air intrigué et interrogateur – et tu te sentirais idiote, là, à finalement lui dire "non, rien, laisse tomber".
Puis, de toute façon, tu n'en as pas l'envie. Non, tu n'as pas envie de ça, pas envie de faire demi-tour, d'avoir peur, de regretter. Tu n'as pas envie de te poser plus de questions, parce que tu finis toujours pas faire les plus mauvais choix quand tu t'y attardes trop longtemps.
Peut-être que tu n'as pas envie de faire preuve de patience et de sagesse, et alors les voix de Chloé, Lila, même celle de Kagami finissent enfin par se taire.
— Tu veux venir chez moi ?
C'est ridicule. T'as l'air ridicule, en tout cas, tu le sens. Tu souris timidement, mais une lueur d'assurance se lit pourtant dans ton regard céruléen ; aux premiers abords, Adrien semble vraisemblablement surpris, ne s'attendant sûrement pas à ta proposition.
Tu aimes bien prendre les gens au dépourvu, Marinette, bien que tu détestes l'inverse, hypocritement.
Mais pour la deuxième fois depuis que vous vous êtes rencontrés, son sourire fait disparaître le moindre doute qui aurait pu rester ancré en toi – alors qu'il acquiesce avec toute la douceur possible.
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