Chapitre 2
Qu'est-ce que... Où suis-je?
Je ne sens pas mon corps... Ou plutôt, je le vois. Il est là, étendu devant moi, sur un lit blanc, dans un chambre aux murs eux aussi immaculés. Trop de blanc... Cela ne peut être qu'une chambre d'hôpital... Mais pourquoi suis-je là?
Je mis un certain temps avant de me souvenir. L'accident, les cris, les crissements de pneus... Je me sens défaillir alors que mon corps ne bouge pas d'un pouce. Je me tiens la tête entre les mains et là, le noir complet. Je ne vois plus mon corps ni la chambre. C'est un noir sans ombre ni lumière, ni reflets. Un noir complet où aucun contour n'est définissable. Je ne sais même pas si mes yeux sont ouverts ou fermés. Ce noir est tellement troublant....
Je suis seul, encore une fois...
Soudain, je me retrouve entouré d'arbres. Leurs ramures s'étendent au-dessus de ma tête, aussi effrayants que des serres de rapace. Il fait sombre et froid comme un jour de novembre... Je m'avance alors, peu rassuré dans ce décor inconnu. Me voilà assez vite dans une clairière: les doux rayons d'une lune pâle contrastent avec le frisson que me procure le reste de mon environnement. Il n'y a aucun bruit, hormis celui d'un cours d'eau.
Puis, soudain, dans la nuit noire, je distingue une vague forme humaine. Je m'approche et m'assois au bord de la rivière, pour mieux observer la silhouette. Et c'est donc ainsi que je me retrouvai face à une vieille grand-mère. Elle est debout, sur l'autre rive, et me tend la main. Ses yeux vitreux m'appellent d'un supplice silencieux et morne. J'hésite.... Que me veut-elle?
Avant que je ne puisse faire un mouvement, j'entends une voix. Une voix qui m'est inaccessible. Elle semble provenir du ciel sombre, comme un ange au milieu des ténèbres... Elle est douce et mélodieuse. Mais aussi paniquée ou plutôt... Attristée? Tout ce que je sais, c'est que dès que la voix résonna dans la clairière, la vieille dame se transforma instantanément en un spectre cireux, une faux flottant à ses côtés. La Faucheuse! La Mort me tendait les mains et j'ai hésité? Pourquoi? Pourtant ma vie n'est qu'un enfer...
Je m'élance donc vers elle dans un mouvement désespéré mais je n'ai pas le temps de prendre sa main que le décor changea d'emblée. Tout devient aussitôt flou, brouillant ainsi mes pensées sombres. Tout redevint noir comme avant. Ce même noir dont le silence est assourdissant. À la différence que maintenant, je me tiens entre des gouttes d'eau toutes différentes les unes des autres. Comme s'il pleuvait et que le temps avait décidé d'arrêter cette pluie. Ces gouttes flottes près de mon visage, de mes mains, partout, la manière d'une ondine. Chaque perle d'eau représente l'un de mes souvenirs et sonde mon âme à la recherche d'une nouvelle parcelle de mon passé. Perturbé? Je le suis! Je ne sais déjà dans quelle situation je me trouve et voilà que ces choses paranormales m'arrivent!
Qui suis-je, à l'instant? Un fantôme? Non, puisque j'ai vu mon corps il y a quelque instant et que je semblais vivant.... Une âme dans ce cas? Je ne peux pas dire corps car je ne ressens rien physiquement. Véritablement en tout cas. Rien ne me rattache à la réalité. Je ne sens pas si quelqu'un touche ma peau, ou si le vent passant par les fenêtres ouvertes m'effleure. Vraiment, c'est le néant de ce côté là... Je sais que j'ai été blessé. Obligatoirement, puisque je me suis fait renversé par un bus et qu'avant de sombrer dans l'abîme, j'étais dans une marre de sang, de MON sang. Mais pourtant je n'ai pas mal. Pas de douleur, rien. Je me sens même beaucoup mieux que tous ces jours-ci. Je suis au meilleur de ma forme, contrairement à ce qu'on pourrait penser. Mais alors, ais-je vraiment été renversé par un bus? Est-ce seulement moi qui divague?
-Oh je suis désolée, désolée, désolée!! sanglota une voix près de mon oreille.
Je me retourne vivement mais personne n'était derrière moi... Serait-ce quelqu'un qui me parle dans le monde réel? Pourtant je ne connais pas cette voix... Je n'ai donc jamais vu cette personne. Elle semble, par la voix, être une fille. Assez jeune je pense.... À en entendre sa tonalité... C'est la même voix que tout à l'heure, celle de cet ange providentiel... Cependant, pourquoi s'excuse-t-elle?
-Vous êtes de la famille du patient? demanda une autre voix au loin.
Je tique. "Patient"? Alors j'ai vraiment été emmené à l'hôpital.... Pleins de questions se bousculent dans ma tête. Dans quel état je me trouve? Je me souviens encore clairement de la douleur que j'ai ressenti au moment de l'impacte. Je me souviens aussi que j'avais l'impression que mon âme s'échappait avec mon souffle alors que j'étais étalé par terre, dans ce sang qui me répugne. Cette même odeur métallique et désagréable...
-Non, je faisais seulement partie des passagers du bus...
-Je vois... Je ne voudrais pas être impoli mais... Pourquoi restez-vous ici alors que vous ne le connaissez pas?
-Je me sens coupable... C'est moi qui ai distrait le conducteur pendant quelques secondes pour lui demander quelque chose. Mais ces quelques secondes ont changé la vie de quelqu'un... À cause de moi.
Oh si tu savais... Je ne t'en tiens pas rigueur tu sais... Cela me permet d'échapper à l'emprise de mon père et de mes camarades... Donc tu devrais plutôt dire "grâce à moi"...
Pourquoi je parle dans le vide? Je sais qu'ils ne m'entendent pas. Personne dans cette pièce ne m'entend. Ni cette fille, ni le médecin qui s'approche, à en croire le son de ses pas. Pourtant je crie, le plus fort que je peux. Mais à en juger par l'absence de réaction, mes cordes vocales ne doivent pas faire leur boulot... Ce que je pense être des cris ne sont que des pensées qui retentissent dans ce nouveau monde que je découvre: ma tête, mon cerveau... Tout ces mots qui pourraient décrire un peu tout ce que je vis ici.
-Mademoiselle. Je vais devoir vous demander de sortir quelques minutes le temps que mes collègues et moi-même diagnostiquons le patient.
Le patient? Arrêtez de m'appeler le patient merde! J'ai un nom! Mathis! Vous m'entendez? Mathis!! Argh.... C'est le chaos total. Toutes mes pensées, tout ce que j'aimerais pouvoir exprimer se retrouve coincé dans ma tête. Je n'arrive pas à démêler mes sentiments, mon impuissance face à ce nouveau problème dans ma vie.
-Oh.. Bien sûr.Je vous laisse. Prévenez-moi quand vous aurez fini! fit la voix d'ange, gênée de dérange les professionnels de santé.
-Bien sûr... lui répondit le médecin d'une voix fatiguée et las. J'appris plus tard qu'il s'appelait Pascal.
Non! Ne me laisse pas! Jeune inconnue... Je n'aime pas les hôpitaux!! C'est dans une chambre comme celle-ci que ma mère est morte...
J'entends plusieurs personnes près de moi. Mon esprit est toujours entouré des ondines... Toutefois, dans cette salle aux perle, je peux très clairement entendre le son des machines qui m'alimentent en oxygène. Leur "bip" incessant va finir par me casser les oreilles si ce n'est pas déjà fait!
-Qu'est-ce que... commença une voix de femme. Adulte cette fois-ci...
-Que se passe-t-il Alicia?
-Regardez, ces blessures ne sont pas dues à l'accident n'est-ce pas?
Non non non, je ne veux pas y croire... Elle a vu les bleus sur mon torse et... Une femme, je dis bien une FEMME, EST EN TRAIN DE ME REGARDER PRESQUE À POIL!!
Après quelques minutes où le cliquetis des instruments dont se servent les examinateurs se fait entendre, une voix répondit à la question. Pendant ce temps, de mon côté, je reste toujours aussi embarrassé par la situation.
-Non effectivement, les blessures de l'accident sont ultérieures à celles-ci...
-Elles semblent être dues à de violents coups...
-Ce jeune homme se fait battre?
-Assurément. À moins qu'il ne pratique un sport de combat et qu'il ne se les soit fait pendant un entrainement... Mais cela m'étonnerais car un pratiquant ne peut pas avoir de coups portés dans cette zone et que son corps n'a pas la carrure nécessaire. Il ne fait absolument pas de sport...
-Pauvre garçon... Si seulement on avait retrouvé des papiers sur lui... On ne peut même pas prévenir sa famille...
Ma famille? Le prévenir?? Jamais! Ça serait un enfer pour moi! Il m'engueulerait alors que je ne pourrais pas bouger pour me défendre! Me défendre? Mais je ne l'ai jamais fait de toute façon... Donc tant mieux si je n'avais pas emmené ma carte d'identité ce jour-là. D'ailleurs, quel jour on est? C'est à ce moment là que je me rendis compte que j'étais complètement perdu et que je n'avais personne pour me soutenir.
-Ne vaudrait-il pas mieux appeler la protection de l'enfance?
-Et s'il n'est pas mineur? rétorqua Pascal.
Je suppose qu'il a déjà été dans ce genre de situation, auparavant? Je suppose que cela ne fait jamais bonne figure que de les appeler alors que le patient ne rentre pas dans leur juridiction...
-Bien... J'ai fini son dossier. On peut prévenir la fille. reprit-il en fermant un dossier, à entendre le bruit sourd de feuilles en papier.
Déjà? J'avais l'impression qu'il ne s'était même pas écoulé une minute... Quoique... Imaginer cette Alicia me reluquer ne m'avait guère plu, et j'en avais fini par compter les secondes qui passaient.
-Une fille? Il a une petite amie? fit la voix fluette d'Alicia.
-Non, elle était dans le bus de l'accident. Je n'ai pas exactement compris pourquoi elle voulait rester avec lui mais... Elle dit se sentir "coupable" envers le patient...
-La pauvre... Cela à du être traumatisant de voir quelqu'un se faire renverser devant elle. Remarquez, si elle reste cela pourrait être bénéfique pour le patient qui est dans le coma...
Le coma? C'est une blague j'espère? Je ne veux pas rester un instant de plus sur ce lit d'hôpital! Ma mère est morte comme ça, mon père pourrait débarquer à tout instants et... J'ai peur. J'ai aussi envie de mourir. Cette mort me semble si douce... Mais j'ai aussi peur qu'en mourant, cette fille s'en veuille à mort pendant toute sa vie... Que faire? Je ne sais pas comment réagir dans cette situation...
-Alors? demanda la voix cristalline de la fille.
-Le patient est dans le coma pour une durée indéterminée. Son état est plutôt grave mais pour l'instant stable.
La voix profonde et traînante de cet homme me donna quelques frissons à l'échine.
J'entendis la fille pousser un soupir de soulagement. S'inquiétait-elle autant pour moi?
-Mais... commença le médecin, hésitant sur les mots.
-Mais?
-Je ne voudrais pas trop m'avancer mais... Il semblerait que ce jeune homme se fasse battre...
-Quoi? Il va bien? Ce n'est pas trop grave?? s'écria l'ange.
Non, ne t'inquiète pas pour moi... Vis ta vie et vas-t'en... Ce n'est pas bon pour toi de rester à mes côtés. Tu risque de souffrir et d'y perdre tes ailes. Imagines un peu si mon père arrivait?
-Certains coups sont récents d'autres plus anciens... Je ne peux même pas prévenir la famille...
-Pourquoi??
-Le patient n'avait pas de pièce d'identité sur lui. Nous ne sommes même pas sûr des origines des coups... Il n'est pas impossible que l'un des membres de sa famille en soit l'auteur! répondit Pascal.
-Donc vous le soignez sans savoir s'il pourra payez les frais?
-En effet. Mais la vie de quelqu'un est plus importante que l'argent n'est-ce pas?
-Vous êtes l'un des rares à penser de cette façon docteur... Je peux contribuer un peu si cela peut aider.
-Non pas besoin. Pour l'instant c'est la sécu qui paye.
-Mais pendant combien de temps? s'inquiétait la jeune fille dont je ne connaissais toujours pas l'identité.
-Je ne sais pas... Il est possible qu'un jour on ne puisse plus s'occuper de lui et que l'on soit obligé de...
De? De quoi?!
-De débrancher les machines... souffla Alicia, restée en retrait jusque-là.
Alors c'est comme ça? Ma vie n'existe que grâce à des machines? Tss... Je suis vraiment nul... Ma vie est entre les mains des médecins et de tous ceux qui me soignent... Je ne peux rien décider moi-même et c'est ceux qui m'énerve. Que puis-je faire pour qu'ils comprennent que je suis conscient de tout ce qu'il se passe?
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