Chapitre 1 : Un jour particulier
J'ouvre les yeux et la vie me paraît mille fois plus excitante qu'elle ne l'était déjà. J'ai le corps endolori, probablement dû à la position inhabituelle dans laquelle je me suis endormie la veille au soir. Je m'extirpe de la penderie en marchant à quatre pattes et me redresse finalement de toute ma hauteur pour détendre mes muscles contractés.
- Pouah, c'est la dernière fois que je dors ici !
Sur mon lit vide, un petit creux dans la couverture est la seule preuve restante que Patate-Douce y est venue assouvir son sommeil canin. C'est une bête adorable, d'une couleur orange flamboyante, mais elle déteste par dessus-tout que l'on perturbe son repos. Hier, j'étais si fatiguée que j'avais préféré dormir en boule dans mon placard que de redescendre à l'étage pour utiliser le canapé. Et puis, à coup sûr, l'oncle Norbert devait encore y cuver ses litres de bière, alors hors de question de partager la place avec ce gros ronfleur.
Finalement, une penderie c'est plutôt marrant, j'y dormirai à l'occasion si l'envie m'y reprend. Mais j'ai bien plus important à réfléchir et je me précipite à nouveau sur le meuble pour y tirer des vêtements : je prends ma jupe à froufrous verte à paillettes que j'enfile directement par-dessus mon pyjama kigurumi qui représente un cochon humanoïde. Pour finir, je noue une cravate courte jaune moutarde avec un petit blazer gris clair. En fixant mon regard dans la vitre de l'armoire, j'ai une moue dubitative si prononcée que mes sourcils châtains se froncent dans mon reflet.
- Il manque quelque chose, murmuré-je tout bas. Ah !
J'accroche mes doigts dans mes cheveux tombants et les redressent sur ma tête en y emmêlant un élastique. Le chignon que j'ai tenté de faire est un peu tordu, un brin penché comme prêt à tomber et la moitié des mèches sortent de-ci de-là mais il me convient. Je veux conclure avec un accessoire qui puisse accentuer l'importance que cette journée revêt pour moi mais j'ai beau farfouiller dans ma table de nuit et vider toutes les boîtes à bijoux sur le sol, je ne le retrouve nulle part.
- C'est pas possible ! crié-je comme une démente.
Assise par terre au milieu d'une centaine de breloques en tout genre, je me mets à taper des talons et des poings pour me libérer de mon anxiété. A un moment, je me demande si je ne vais pas réveiller Norbert avec tout le tintamarre que je fais. Mais ce n'est pas lui qui apparaît subitement sur le seuil de ma porte, mais mon frère agaçant.
- Qu'est-ce qui a, Riri ? demandé-je avec énervement. Tu vois bien que je suis très occupée !
- Je vois ça, Margie.
- M'appelle pas comme ça, menacé-je.
- M'man, Margie a pété un plomb ! hurle-t-il en accentuant le surnom ridicule juste pour m'énerver.
- Je vais te tuer !
J'empoigne des colliers et les jette sur lui juste avant qu'il ne referme le battant, me laissant seule et en pleine réflexion. Je n'ai pas à chercher davantage que la porte se rouvre et alors que je serre de nouveaux projectiles, je vois le regard de ma mère passer l'interstice.
- Ouah, tu fais du tri ? demande-t-elle d'un air surpris.
- Non, je cherche un truc.
- Je peux peut-être t'aider, tu peux me dire ce que tu cherches ?
- Nan, je veux faire la surprise pour tout le monde, grimacé-je avec une moue boudeuse.
Elle entre dans la pièce à petits pas en tentant d'éviter d'écraser les objets qui trônent au sol et s'assied sur le lit avec un soupir de contentement.
- Hum... oh ! Attends ma Maggie, je crois avoir deviné !
Elle se relève et s'approcha de l'armoire où j'ai passé la nuit. Elle s'y penche et soulève les vêtements en boule qui en parsèment le fond avant de pousser un cri de triomphe qui fait palpiter mon cœur.
- C'est ça que tu cherchais ? Je savais que tu l'aurais gardé près de toi en t'endormant pour ne pas le perdre !
J'avise ce qu'elle me tend avec le cœur au bord des yeux. Des paillettes doivent s'y être glissées car ils me semblent tout humides, comme si je ressentais trop de joie et que l'eau de mon corps débordait par mes cavités creuses. Je saisis l'objet et le pose sur ma tête où se trouve sa juste place. Je souris à ma mère et un air ravi illumine aussi son visage, mais de manière différente car elle semble drôlement anxieuse.
- Maman, réalisé-je soudainement, comment tu as su que j'avais dormi là-dedans ?
- C'est simple, depuis que tu es petite, j'aime venir te voir dormir. Mais tu es grande maintenant, alors je ne vais plus le faire... ça devenait glauque de te voir ronfler, grincer des dents et péter dans ton sommeil. Personne ne devrait voir ça, soupire-t-elle avec un sourire dans la voix. Au moins, quand tu étais bébé, tu étais mignonne à en croquer, même quand tu dormais !
Je me mets à rire en l'entendant parler, comme à chaque fois. Elle a ce pouvoir, ma mère, de toujours réussir à trouver l'objet perdu et de toujours pouvoir accrocher un sourire sur nos lèvres. A chaque fois, elle ne manque pas de me faire rire avec ses manières sans-gêne.
- Tu es prête, Maggie, il va bientôt être midi et tout le monde attend en bas. Je venais justement voir si tu t'étais bien réveillée.
- Oui, je crois que je suis prête ! Je suis comment ?
Je me lève et tourne sur moi-même, envoyant des boucles d'oreilles et des bracelets aux quatre coins de la pièce. Je sens ma jupe épaisse virevolter autour de mes cuisses et ma cravate se balance, elle aussi accompagnée par le mouvement. Je maintiens mon trésor sur ma tête de peur qu'il ne s'envole et souris en voyant ma mère devenir floue à force d'avoir trop tourné.
- Tu es sublime et étincelante, je vais t'attendre avec les autres.
Elle dépose un léger baiser sur ma joue et sort en me laissant seule. Avant de la suivre, je jette un dernier coup d'œil sur mon miroir. J'ai une trace de rouge à lèvres sur la joue, comme une marque d'amour qui reste un peu plus longtemps avec moi. Cette empreinte rouge est similaire à l'affection qu'elle me porte, même si elle se détache de moi, elle ne me quitte pas tout à fait, m'accompagnant dans cette grande journée. Elle m'offre une attention toute maternelle qui me donne la force d'affronter les festivités.
Mon coeur bat à cent à l'heure et mes dents sont toutes exposées quand je descends l'escalier pour rejoindre ma famille et les voisins. Toute notre petite communauté est regroupée devant la petite place où tout le monde a sorti des tables et des chaises, formant une sorte de buffet gigantesque. Chacun a sa place et seule une chaise est vacante, tout au bout de la table : ma place.
Je marche vers celle-ci et des acclamations retentissent avec ferveur. Même mon papi No semble en pleine effervescence, son chapeau haut-de-forme se balançant de droite à gauche au rythme de ses mains qui se frappent l'une contre l'autre dans une mélodie appréciable.
- Joyeux anniversaire, Maggie ! crient-ils tandis que je m'installe à la place d'honneur.
- Magnifique couronne pour une magnifique jeune femme, me complimente Mémé Gigi, assise à côté de son mari.
Ma grand-mère me lance un clin d'œil et ses rides fripent tout son visage quand son expression se réjouit. Je touche mon couvre-chef d'un air ravi jusqu'à sentir les grosses inscriptions qui sont exposées à la vue de tous. Ce n'est pas vraiment une couronne, mais un simple serre-tête pourvu de plusieurs antennes en plastique où l'on peut lire : "18 ANS". Il est couvert de sequins de couleur émeraude qui brillent dans les rayons du soleil et va parfaitement bien avec ma jolie jupe froufroutante.
J'observe les tables et suis happée par les couleurs et les odeurs qui ressortent de tous les plats qui sont disposés. Je vois bon nombre de mes mets favoris placés dans des récipients en terre cuite et en faïence.
Mamie Isa, la plus vieille habitante de notre communauté, lève les bras pour interrompre les autres afin de faire entendre sa voix chevrotante. La vieille femme appartient à la famille de Lucey, nos voisins, et elle a fêté ses quatre-vingt dix-neuf ans pas plus tard qu'il y a trois mois.
- Voyons... nous voilà réunis une fois encore, bande de sagouins, commence-t-elle en raclant sa gorge. La vie est belle et la jeunesse fleurie, la petite Margaret fête aujourd'hui ses dix-huit années, sous l'œil vigilant des anciens. Ce jour nous festoyons joyeusement mais à partir de demain, elle devra passer les épreuves du passage à l'âge adulte pour nous prouver sa ténacité, son caractère et pouvoir apprendre à gagner son indépendance. Mais avant que ne viennent ces tests, nous pouvons entamer toute cette bonne nourriture. À Margaret !
Toute la tablée se lève à ses mots et s'écrie en écho, sous le regard désapprobateur de Mamie Isa :
- À Maggie !
- Honneur à toi, dit mon père en me désignant les cuillers du plat le plus proche.
Je hume les effluves des plats pour choisir celui par lequel je vais commencer et tandis que je me décide, les autres sont suspendus à mes gestes. Je prends une grosse cuillère en bois, creuse allègrement dans le bol de tteokbokki, qui est un plat coréen extrêmement épicé. Je dépose les petites galettes de riz dégoulinantes de sauce bien rouge sur mon assiette avec contentement. Enfin, je repose le couvert et tout le monde à table semble de nouveau en vie : chacun se sert, quitte à voler les cuillers pour être le premier à manger.
Dans une bagarre généralisée, heureusement ponctuée de rires graves et de cris rauques, je passe un moment agréable avec ma famille et les voisins. Tout le village est réuni et tellement joyeux que leur présence me fait beaucoup de bien. Après tout, j'ai au moins besoin de cela pour attaquer les épreuves qui débuteront dès demain. J'espère réussir ce qu'ils m'ont concocté et d'en être vite débarrassée. Mais si cela va durer une journée ou tout un mois... cela ne dépend que de mes capacités !
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