~ Écrire une histoire ~
Tout auteur est un jour confronté au problème de la page blanche. Des passages à vides, nous en ressentons tous un jour ou l'autre. Lassitude, perte d'énergie, impossibilité de se concentrer sur notre projet, on se disperse, on manque de motivation... Nous pouvons parfois expliquer ces difficultés par des problèmes personnels, notre quotidien impactant forcément notre capacité à écrire, mais il arrive que nous semblions buter sur notre histoire sans raison apparente.
Vraiment ? Eh bien non. Il y a toujours une raison, c'est simplement que nous ne parvenons pas à l'identifier. Quand il n'existe aucun facteur extérieur (comme du stress lié à notre travail, un problème de couple, de santé, etc) à même d'expliquer cette difficulté, c'est bien souvent que cette raison est liée au livre lui-même : si nous butons dessus, c'est que nous venons de nous attaquer à un élément auquel nous n'avions pas réfléchi et qui constitue de fait un blanc, un trou dans notre histoire.
Aucun auteur n'est immunisé contre ce phénomène mais j'ai remarqué que certains profils y étaient plus sujets que d'autres. Il existe grosso modo deux profils d'écrivains : les planificateurs et les instinctifs.
Les écrivains planificateurs (dont je fais partie) ont généralement la collectionnite aiguë : ils ne s'attèleront à l'écriture de leur histoire qu'une fois qu'ils estimeront avoir en leur possession tous les éléments nécessaires à celle-ci ; le risque étant que ces perfectionnistes ne soient jamais rassasiés. Nombreux sont les planificateurs à ne pas passer à l'étape de l'écriture parce que ce sont d'éternels insatisfaits : parce qu'ils n'auront jamais l'impression d'avoir assez de matériau à disposition, parce qu'ils pensent qu'il leur manque encore des éléments essentiels à l'histoire quand en réalité il s'agit souvent de détails. En revanche, une fois qu'ils se mettent à écrire, les planificateurs vont généralement jusqu'au bout de leur projet car ils sont rarement pris au dépourvu.
Les écrivains instinctifs n'ont définitivement pas ce problème de retenue. Non. Eux se lanceront dans l'écriture sans aucune hésitation... jusqu'à ce qu'ils butent sur une difficulté qu'ils n'avaient pas prévu. Cela les conduit assez fréquemment à abandonner leur histoire en court de route pour en commencer une nouvelle qui, à ce moment là, les inspirera plus... en se disant que ce sera différent alors qu'en fait ils reproduisent le même schéma.
Je présente les extrêmes et caricature un peu, bien sûr, mais pas tant que ça. Les planificateurs ont leurs forces et leurs faiblesses, les instinctifs aussi. Pour que la dynamique créatrice se maintienne, il faut un équilibre. Il faut parvenir à réunir le meilleur de ces deux profils : faire preuve d'un minimum de rigueur mais savoir aussi lâcher prise et se lancer quand il le faut. C'est une question de juste milieu.
Bon. Si vous avez lu le chapitre précédent, vous savez déjà ce que je pense du concept de « la bonne histoire », aussi vous savez que je ne vous donnerai pas de formule toute faite. Ici, vous ne trouverez pas de conseils (idiots) du type : « si vous souhaitez écrire une histoire à succès, voilà impérativement ce que vous devrez mettre dedans ». Non. Désolée, ce n'est pas le genre de la maison. La seule chose que je peux faire, c'est vous donner ma conception de l'écriture et quelques conseils.
J'ai pour habitude de comparer une histoire au corps humain. Pour que le corps humain soit fonctionnel, il doit être composé d'un certain nombre d'organes... et si l'un de ces organes est manquant ou défaillant, c'est l'ensemble du corps humain qui ne fonctionne plus comme il le devrait. Une histoire, comme un corps, est la somme de toutes ses parties.
De quoi a-t-on besoin pour avoir un corps humain complet ?
En premier lieu, le corps a besoin d'un squelette qui comprend des os mais aussi des articulations, avec du cartilage et des tendons, pour être correctement assemblé. Mais cela ne suffit pas. Pour mettre en mouvement ce squelette, il faut aussi des muscles. Ces muscles, en se contractant ou en se relâchant, permettront à ce squelette de bouger. Mais cela ne suffit toujours pas. Ce corps humain a besoin d'organes pour vivre : les poumons et le cœur pour apporter de l'oxygène à ces muscles et rejeter le dioxyde de carbone, un système digestif pour apporter de l'énergie et évacuer les déchets, un cerveau et un système nerveux sans lesquels aucune information ne circuleraient, etc etc. Mais là encore, ce n'est pas suffisant. Le corps a aussi besoin d'un peu de gras. Un peu mais pas trop, juste ce qu'il faut ; et il a besoin de bon gras, pas de mauvais. Et enfin, pour que tout cela se tienne ensemble, il lui faut une enveloppe : la peau. A partir de là, nous pouvons considérer que nous avons un corps en état de marche.
Le squelette, c'est le synopsis de l'histoire. Si le crâne est le début de votre histoire, les orteils en sont la conclusion. Et entre ce crâne et ces orteils, il y a tout un tas d'os : ce sont les différents éléments narratifs que vous avez envie de voir figurer dans votre histoire. Les articulations, ce sont les évènements majeurs de celle-ci, ceux qui permettront à votre histoire de progresser et non de stagner : c'est par exemple l'élément déclencheur qui pousse votre héros à partir à l'aventure. Cela peut aussi être un retournement de situation, la traitrise d'un autre personnage par exemple. Les articulations, ce sont les éléments-clés, les évènements incontournables, qui vous permettront de relier le début de l'histoire à sa fin. Plus vous détaillerez votre synopsis, plus votre écriture en sera facilitée. Mais attention ! Un synopsis n'a pas forcément à être complexe pour être génial ! Le squelette d'un serpent n'est finalement constitué que d'un crâne et d'une colonne vertébrale, et il s'en sort très bien ! Il n'a pas besoin de pattes ! Personnellement, même si j'adore la complexité parce que j'aime me triturer les méninges, je préfère lire une histoire dont l'intrigue est simple mais bien amenée, plutôt qu'une histoire dont le synopsis serait complexe mais bâclé dans ses transitions, qui partirait dans tous les sens avec des trames secondaires sans aucune conclusion, etc etc. Bref, une histoire plus frustrante que satisfaisante.
Les muscles sans lesquels votre squelette ne bougerait pas, ce sont vos personnages. Car oui, ce sont eux qui font avancer l'action. Et tout comme les muscles sont divers et variés dans leur forme car ils sont adaptés à certains os en particulier, vos personnages ne sont pas non plus des clones. Ils sont tous différents. Un muscle est un organe qui a sa propre complexité, et vos personnages aussi. Une bonne histoire cherchera toujours à imiter la vie, et dans la vraie vie nous avons tous nos nuances, nos forces et nos failles. Nous avons de bons traits de caractère mais nous en avons aussi de nettement moins agréables pour notre entourage. Nous avons tous une histoire personnelle avec, à des degrés divers, nos traumatismes. Et nous avons aussi nos propres ambitions et désirs. Vos personnages sont pareils : ils ne sont pas monolithiques, leur personnalité à plusieurs facettes, et ils ont toujours des motivations qui les poussent à agir d'une certaine manière plutôt que d'une autre. Si votre personnage agit de manière irrationnelle par rapport à ce que l'on sait de lui, soit c'est parce que vous avez décidé qu'il s'agit d'un fou (pourquoi pas ! C'est intéressant !) ou qu'il est envoûté (par exemple) ... ou alors, s'il n'y a aucune justification scénaristique, c'est que vous n'avez peut-être pas assez creusé sa psychologie. « Heu... ouais, d'accord... mais est-ce que ça vaut aussi pour le méchant de l'histoire ? » Oui ! Cela vaut aussi pour l'antagoniste (terme que je préfère à celui de méchant, car moins réducteur). Je dirais même que cela vaut surtout pour celui-ci ! Un bon ennemi, on en prend soin ! Beaucoup d'auteurs nous présentent un antagoniste auquel il nous est difficile de nous identifier : soit parce que sa personnalité est monolithique, soit parce qu'il n'aborde jamais son point de vue, soit encore parce qu'il s'agit d'une menace, tangible certes, mais aussi lointaine (un peu comme Sauron dans le Seigneur des Anneaux... pour vraiment comprendre Sauron, il faut lire le Silmarillon). Eh bien, vous savez quoi ? Les antagonistes incarnant le « mal absolu », qui se passent donc de toute explication, s'ils plaisent à certains, ne m'intéressent généralement pas (sauf Sauron, mais n'est pas Tolkien qui veut). Les meilleurs antagonistes que j'ai pu lire (ou voir dans un film) sont au contraire ceux dont j'ai pu comprendre les motivations. Et les meilleurs des meilleurs sont ceux qui parvenaient à me rallier à leur cause, à me faire douter du camp du héros et du bien-fondé de son combat. Non, ce n'est pas une blague. Les antagonistes que j'ai trouvé les plus charismatiques sont ceux qui ont réussi à m'émouvoir et pour lesquels je me suis dite : « ouais mais je comprends en fait. A sa place, je ferais sûrement la même chose ». Au final, le héros et l'antagoniste ne sont pas si différents car ils peuvent occuper la même fonction : ils peuvent soit défendre le système dans lequel ils évoluent, soit le remettre en question et décider d'agir contre celui-ci. La différence entre héros et antagoniste ne se situe pas forcément au niveau des idées mais plutôt des méthodes qu'ils vont utiliser... et rien ne nous empêche de penser, en tant que lecteur, que la radicalité des méthodes de l'antagoniste est peut-être plus adaptée au combat mené que les méthodes, généralement plus consensuelles, du héros. Pour conclure, si je peux tout de même les apprécier quand elles sont bien racontées, ma préférence ne va pas spontanément aux histoires manichéennes, celles qui me présentent le combat du bien contre le mal. Je préfère les histoires plus nuancées, celles qui me font me questionner sur la nature de ce « bien » et de ce « mal », sur ce qui fait cette différence de considération. J'apprécie les histoires qui m'amènent à conclure que, finalement, aucun de ces camps n'est meilleur ou pire que l'autre, qu'il ne s'agit pas de savoir qui a tort ou raison, qu'il y a juste des points de vue différents et divergents. A chacun ses préférences, ce sont les miennes. Si vous voulez une histoire avec un bon gros méchant, écrivez-la. Mais cela ne change rien au fait que l'antagoniste est un personnage à part entière et doit par conséquent être traité comme tel.
Les organes, ce sont les éléments qui constituent votre univers. Bien entendu, ils seront différents selon celui qui est le vôtre. Toutefois, que vous choisissiez d'écrire une fiction historique ou contemporaine, de la fantasy ou de la science-fiction, on retrouvera sensiblement toujours les mêmes éléments, à quelques différences près : une géographie avec des écosystèmes (faune, flore et climat), une Histoire, un ou plusieurs systèmes politiques, une ou plusieurs religions (des croyances, des cultes et des pratiques), des langages peut-être, des manières de se vêtir, des us et coutumes, une gastronomie, des technologies, des architectures... autant que vous en aurez besoin. Certains exigeront de vous un gros travail de recherches, quand d'autres demanderont peut-être plus un effort d'imagination, mais l'un n'exclura jamais totalement l'autre. Par exemple, ce n'est pas parce qu'une technologie de SF n'existe pas qu'elle peut s'affranchir de toutes les lois de la physique (sauf si l'on trouve une bonne explication à cela, auquel cas bingo ! Mais même ainsi... transgresser les règles implique qu'on les connaisse un minimum, sinon la justification risque de ne pas tenir la route). Ce n'est pas parce que vos personnages évoluent dans un monde fantasy que le climat n'obéit pas à quelques règles : en montagne, en hiver, on se gèle ! Si votre personnage tue un animal pour se coudre un manteau, la moindre des choses est de se renseigner sur le travail du cuir : de la découpe de la peau au tannage. Je force le trait avec des évidences, bien entendu, et l'écriture d'un roman n'exige pas de devenir un expert dans tous les domaines (encore heureux !) mais au moins d'être un bon généraliste. Si vous souhaitez que votre univers soit réaliste, un travail de recherche sera toujours nécessaire à un moment donné ou à un autre, et c'est particulièrement vrai pour les fictions historiques ou contemporaines puisque celles-ci prennent place dans des lieux et époques réels. Autant faire un maximum de ses recherches en amont de l'écriture, plutôt que de se voir coupé dans son élan plus tard. L'avantage, c'est qu'avec un synopsis bien détaillé, vous aurez déjà une assez bonne idée de ce dont vous aurez besoin.
Et le gras alors ? Qu'est-ce donc ? Le gras... ce sont tous ces petits éléments narratifs que vous pourriez enlever de votre histoire sans que cela ne change strictement rien à l'intrigue de celle-ci. C'est par exemple une scène de la vie quotidienne dont votre personnage est témoin tandis qu'il voyage. Le gras est superflu, votre histoire pourrait s'en passer... et pourtant, il n'est pas inutile car c'est lui qui donne de l'épaisseur, une réelle profondeur à votre monde. Le gras, c'est ce qui fait que le lecteur n'a pas l'impression que vos personnages se baladent dans un monde complètement vide, comme s'ils étaient les seuls êtres vivants dans l'univers que vous avez créé. Et je ne parle pas là des personnages secondaires ou tertiaires qui ont au moins pour eux d'avoir droit à un nom, une description et peut-être une esquisse d'histoire personnelle ! Non je vous parle des figurants, des grands anonymes de la fiction : Ceux que l'on voit juste en arrière-plan, rapidement et pas très nettement, mais qui existent quand même. Je vais paraphraser Caradoc, mais c'est qu'il a raison pour le coup : le gras c'est la vie (et vive Kaamelot !). Or, je ne le répèterai jamais assez, une fiction cherche toujours à imiter la vie. Attention toutefois au revers de la médaille (cet avertissement s'adresse plus particulièrement aux auteurs de SF et fantasy) : plus on a un univers riche, plus on est tenté de tout vouloir faire figurer dans son livre, au risque de submerger le lecteur et le noyer sous la masse d'informations. Il faut savoir doser, disséminer les informations de manière à ce que l'on ne se retrouve pas avec de gros pavés explicatifs. Vous écrivez une histoire, pas une étude anthropologique. Il se peut que tous les éléments de votre univers n'apparaissent pas dans votre livre, et ce n'est pas grave. Vous pourrez toujours écrire une autre histoire pour développer plus en détail ces aspects-là de votre univers.
Enfin, la peau, c'est l'écriture. C'est elle qui lie votre histoire et lui permet de former un tout. Et tout comme on prend soin de sa peau, on prend soin de son écriture. Pour avoir une belle peau, il faut la nourrir et l'hydrater. Votre écriture, elle, se nourrit de votre vocabulaire ; mais pour en prendre vraiment soin, il n'y a pas de mystère, cela passe par l'orthographe, la conjugaison, etc.
Bon ça y est là ! On a tout ce qu'il nous faut ! Il est temps de se lancer non ? Aaaaah... non. Pas tout à fait encore ! Il reste un tout dernier détail, un dernier point à éclaircir avant de faire chauffer le clavier : La narration. Car oui, il y a tout un travail de réflexion derrière la narration et son choix n'est pas le fruit du hasard. On peut y aller à l'instinct mais je vous assure que ça vaut le coup d'y réfléchir en profondeur, et qu'en plus la théorie est vraiment intéressante. Pour moi en tout cas (les courageux qui auront lu le chapitre précédent jusqu'au bout auront déjà une petite idée de ce dont je veux parler).
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