Choc
La psychologue tapait régulièrement sur la table avec le bout de son stylo. Le nez plongé dans ses feuilles, ses lunettes glissant sur son nez pointu, ses cheveux roux tellement tirés en arrière qui lui écartelaient la peau du visage, on aurait dit que c'était elle qui était nerveuse.
Elizabeth n'avait été aussi raide de toute sa vie. Même avec la goutte de sueur qui lui courrait lentement dans le dos, elle n'esquissait pas un geste. Elle osait à peine respirer. La clim glacée séchait ses sueurs froides mais elle ne pouvait pas s'empêcher de transpirer. C'était la première fois qu'elle consultait un psychologue. Toute sa vie elle avait cru maitriser ses problèmes toute seule. En parler à ses amis lui suffisait. Or cette fois-ci ses amis l'avaient trahie, et ils l'avaient forcée à aller dans ce cabinet.
- Donc votre petit ami vous a quittée ?
Lisy remarqua à peine que la femme avait de nouveau levé les yeux vers elle. Le temps s'écoulait si lentement dans ce genre d'endroit. Elle avait déjà l'impression d'être ici depuis trois jours. Lisy aimait bien parler de ses problèmes, elle espérait que cela la soulagerait. Or comme à chaque fois, elle finissait déçue car rien ne changeait jamais.
- Non...non pas vraiment. On est juste...en pause.
La jeune étudiante haussa désespérément les épaules et la psychologue hocha la tête. Elle devait en voir passer des filles en peine de cœur qui n'arrivaient pas à passer à autre chose, mais là c'était différent. C'était différent car Lisy se trouvait maudite.
- Qu'est ce qu'il vous a dit ?
Lisy soupira tellement bruyamment qu'elle cru un instant avoir couvert le ronflement sonore de la climatisation qui lui gelait les entrailles.
- Il était distant. Je voyais bien qu'il s'éloignait de moi, mais j'ai fait semblant, jusqu'à ce que je lui demande si j'avais fait quelque chose de mal.
Le regard qu'elle lui lança par dessus ses lunettes rondes l'incita à poursuivre.
- Il a dit que non, qu'il avait juste besoin de temps pour lui, et qu'il ne voulait pas me faire du mal inutilement. Il est parti, on ne se parle plus depuis.
Lisy repensa à leur récente conversation. Elle l'avait attrapé entre quatre mur, et elle l'avait confronté, comme elle avait l'habitude de le faire pour avoir des réponses. Les réponses qu'elle méritait. Elle le voyait bien, qu'il venait de moins en moins lui rendre visite dans son petit appartement d'étudiante, qu'il ne répondait plus aux messages, qu'il ne proposait plus rien. Alors oui, Liam était contrarié, mais il avait fallu qu'elle le coince pour qu'il crache le morceau, comme toujours. Elle avait accepté de le laisser respirer. Mais pendant combien de temps allait-elle devoir attendre ?
- Vous vous êtes revus ?
- On se croise de temps en temps.
- Et comment trouvez vous votre relation ?
- Depuis qu'on a pu se parler, ça va mieux.
- Mais vous n'êtes pas satisfaite.
Elle lui tendit un petit sourire en coin. Les psychologues étaient là pour poser les bonnes questions, c'était aussi pour ça que Lisy avait cedé pour aller à cette consultation.
- J'aurais préféré que tout reste comme avant. Là je me retrouve comme une...une idiote à devoir attendre quelqu'un qui ne reviendra peut être jamais.
Elle avait failli dire un gros mot. Elle leva les bras pour les laisser retomber lourdement sur ses cuisses, le regard perdu vers la fenêtre derrière la femme qui donnait sur la rue ensoleillée.
- Vous ne voulez pas l'attendre ?
- Si, si je veux l'attendre, parce que ce n'est pas de sa faute. Il m'énerve, mais je sais que ce n'est pas de sa faute. Il avait besoin de prendre du temps pour lui, et je l'accepte.
- Mais ?
- Mais comme il ne m'a pas dit ce qui n'allait pas, j'ai toujours l'impression que c'est moi le problème et qu'il ne reviendra jamais.
Ce ne serait pas nouveau. Depuis des années, Lisy se pensait hantée par une malédiction étrange, qui éloignait tous les êtres qu'elle aimait le plus. Maintenant Liam et avant...
Et avant il y avait eu Alba.
- Est ce que vous pensez avoir la force d'attendre ?
- Oui, oui je pense que je peux.
- Et est ce que votre petit ami serait vraiment la meilleure personne pour vous ?
Lisy leva imperceptiblement les yeux au plafond. Toujours la même question. Même ses amis la harcelaient avec ça. Peut être que Liam n'était pas son âme sœur, mais tout ce qu'elle pouvait dire c'était qu'elle était bien avec lui. Point final. Et elle aurait voulu que ça ne change jamais. Bien sûr, toutes ses amies avaient sorti les armes en hurlant à quel point ce n'était qu'un idiot, un connard né, qu'elle ferait mieux de l'oublier et de se trouver quelqu'un d'autre, qu'encore une fois elle était mal tombée mais que la prochaine fois serait la bonne...
Mais Liam n'était pas quelqu'un de mauvais.
Alba non plus n'était pas quelqu'un de mauvais.
Mais il était certain que Lisy en avait marre de n'avoir "pas de chance avec les relations sociales".
"Mais pourtant tu es si gentille !" lui disaient toutes ses amies. "Ce sont juste les autres qui sont cons avec toi".
- On a pas encore inventé des techniques pour trouver son âme sœur, alors peut être qu'il n'est pas le bon pour moi, mais qu'est ce que j'en sais ?
- Il n'y aurait pas une autre chose à laquelle vous pensez ?
Le corps de Lisy se raidit. Elle n'avait pas parlé d'Alba depuis plus de trois ans. Elle avait cessé d'en parler le jour où elle s'était rendue compte qu'elle avait disparu pour de bon, et qu'elle ne reviendrait plus jamais. Mais c'était aussi pour ça qu'elle était là non ? Pour parler de celle qui avait détruit son adolescence et qui hantait toujours ses jours et ses nuits, même des années après sa disparition subite ? Mais ce n'était pas en parler à une psychologue qui allait la faire revenir.
- On pourra en parler une prochaine fois si vous voulez.
Lisy secoua la tête.
- Non, non c'est...
Elle inspira bruyamment, le regard cette fois ci braqué sur le parquet en bois ciré.
- Vous pensez que c'est une maladie de faire fuir tous les gens qu'on aime sans le vouloir ?
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