Chapitre 10
La sonnerie de mon réveil, que j'appréciai tout de même un minimum habituellement, m'avait semblée la pire torture qui soit ce matin. Je n'avais envie de rien d'autre que rester couchée sous ma grosse couette et ne jamais plus en bouger. Il fallait croire que les chiffres qui défilaient sur mon réveil étaient aussi puissants qu'un coup de pied aux fesses.
Après avoir bien passé un quart d'heure sans rien faire, je m'étais empressée de rejoindre la salle de bain pour une douche express et m'habiller le plus vite possible afin d'éviter d'être en retard. Malgré tout j'étais toujours d'aussi mauvaise humeur que la veille au soir et l'eau chaude ruisselant sur mon corps ne suffisait à me dérider.
Une fois toute propre, je descendis avec mon sac, attrapai des biscuits à grignoter dans le bus et pris la direction du lycée. Pour ne rien arranger à mon humeur de chien, il tombait des cordes. Il pleuvait si fort que j'avais peur de devoir mettre mes affaires à sécher en arrivant en cours. Tout allait finir trempé...
Bien évidemment, je n'avais ni parapluie, ni capuche. Ç'aurait été trop beau ! J'étais donc condamnée à passer les prochaines minutes sous l'identité d'un panda à la tignasse emmêlée. Formidable.
Heureusement, l'autobus arriva très rapidement, comme si lui aussi fuyait la pluie, et je pus m'abriter à l'intérieur. Mes éternels écouteurs noirs enfoncés dans les oreilles, j'attendais sans trop d'impatience que vienne mon arrêt. Celui-ci arriva d'ailleurs bien trop tôt à mon goût, et je me repris de la pluie jusqu'à ce qu'enfin je ne rejoigne mon bâtiment.
En ce jeudi matin j'avais deux heures de maths et une heure d'SES avant de pouvoir aller manger, autant dire que ce programme s'annonçait assez barbant.
Une fois dans mon établissement, je pris soin d'éviter mes deux seuls amis. Je pouvais bien prendre la peine de leur épargner ma mauvaise humeur, surtout que, me connaissant, je risquais de leur reprocher des choses qui n'avaient pas lieu d'être.
Lorsque j'étais dans cet état d'esprit, bloquée sur la source de mon incommodité, je m'enfermais dans un mutisme absolu. Je n'adressais plus un mot à qui que ce soit jusqu'à ce que je trouve le moyen de me calmer de moi-même.
Habituellement je me chantais quelques chansons mentalement mais cette fois-ci ça ne fonctionnait pas. La vraie musique non plus, j'avais essayé dans le bus mais elle m'agaçait plus qu'autre chose.
J'étais à fleur de peau. L'ignorance que m'avait portée ma mère me restait en travers de la gorge, j'avais beaucoup de mal à passer outre. Sans doute que ça irait mieux lorsque nous nous serions expliquées ce soir. D'ici là, je risquais de me montrer vraiment exécrable au point de m'agacer moi-même.
Je haïssais profondément ces moments de dualité. D'une part j'étais incapable de calmer la colère qui me rongeait mais, d'autre part, c'était mon plus grand souhait, ne voulant pas rester dans le brouillard obscur qu'était mon esprit. Je me sentais pourrir de l'intérieur et je pouvais affirmer sans nulle hésitation que c'était le pire sentiment qui soit.
Je fis un saut aux toilettes des filles, afin d'y rester le temps que les cours ne commencent - et accessoirement de réarranger un peu mon maquillage. C'était bien beau de se la jouer petit panda d'Asie mais actuellement je préférais une mine plus naturelle. C'était d'ailleurs bien la seule heure où cet endroit était vide, sans une fille pour se remaquiller, une autre pour lui raconter les derniers potins ou une dernière pour pleurer en paix dans une cabine. J'y étais seule.
Certes, les cabines aux parois bleu ciel n'étaient pas les plus belles du monde, encore moins avec toutes les inscriptions qui se trouvaient dessus et me donnaient envie de vomir des petits cœurs, mais le silence y régnait.
Je m'accoudai à un des lavabos - bacs serait plus adéquat au vu de leur forme rectangulaire et longiligne - puis m'observai dans la grande glace qui le surplombait. La fille que j'y voyais ne me ressemblait pas. Ses traits étaient sans vie, toute joie avait quitté son corps. tout était terne sur elle, plus rien ne rayonnait - et encore moins ses cheveux dégoulinant de pluie.
Je ne m'attendais pas à ce que mon visage soit si expressif mais ça me désespérait. Personne ne me ficherait la paix. Je tentai alors un sourire, sans succès.
Je réajustai correctement ma position sur la céramique afin de changer de jambe d'appui, non sans tremper la manche de ma veste au passage. Il y avait toujours cette petite flaque d'eau juste à côté qui n'existait que pour mouiller le bout des vêtements qui mettait des heures à sécher. Vraiment insupportable.
Nous pouvions au moins nous vanter que le reste des sanitaires soit un minimum propre et d'avoir du papier toilette à chaque pause. Je ne comptais plus les fois où, dans mon ancien lycée, j'allais aux toilettes et je devais faire face à une file de dix étudiantes qui attendaient toutes pour la même cabine, étant la dernière avec encore un peu de papier.
Enfin bon, au moins dans ces toilettes je ne risquais pas de transmettre ma mauvaise humeur à quiconque et c'était tant mieux. Je fis couler un peu d'eau du robinet face à moi pour me la passer sur le visage avec le mince espoir de me calmer. De toute façon mon maquillage était déjà fichu.
Cette tentative n'eut pas exactement l'effet escompté puisqu'évidemment, je n'avais pas pris en compte mon côté légèrement... maladroit. De ce fait, je me retrouvai avec un haut aussi trempé que ma manche gauche et un visage intacte.
Un cri de frustration m'échappa. Était-ce véritablement possible d'être empotée à ce point ? Il fallait bien le croire, finalement peut-être que ma mère avait raison de me croire incapable de quoique ce soit.
Je n'étais même pas foutue de me passer correctement de l'eau sur le visage, comment avais-je pu, ne serait-ce qu'un seul instant, penser que j'avais les capacités pour réussir des études de médecine ?
Je n'arrivais plus à voir une seule lueur positive, mon monde entier s'était obscurci, faussant ma vision des choses. Je n'étais plus objective et ça me rendait dingue, en un sens. Moi qui aimais contrôler la situation, il était clair que je ne maîtrisais absolument rien en ce qui concernait mes pensées, j'en devenais folle.
Un simple coup d'œil à mon téléphone et je sortis des toilettes le pas vif, ignorant le courant d'air froid que créait l'humidité de mon haut. Il était hors de question que j'arrive en retard en cours de maths, et heureusement pour moi j'arrivai juste avant la dernière sonnerie. Je pus rejoindre ma place sans encombres tout comme je parvins, cette fois-ci, à suivre la leçon sans vrai problème.
J'en avais presque cru ces derniers temps que j'avais perdu ma capacité de concentration. Ces deux heures de maths m'avaient vraiment aidée à me détendre bien que, paradoxalement, mes muscles se tendaient dangereusement à chaque fois que notre professeur répétait le mot "bac blanc" - chose qu'elle avait bien dû faire une quinzaine de fois dans l'heure.
J'étais donc de bien meilleure humeur maintenant, malgré mon estomac qui commençait à doucement me signaler sa présence. Il se tordait, se tortillait et se retournait, s'exprimant en une sorte de gargouillement pas vraiment discret.
Plus vite cette maudite heure de sciences économiques serait passée, plus vite je pourrais me retrouver face à un bon repas, bien que je comptais une fois de plus éviter mes amis. J'avais ce besoin de décrocher de toute trace d'affection qu'on pouvait me montrer avant d'aller voir ma mère, mais je ne comprenais pas vraiment pourquoi.
Peut-être qu'inconsciemment je préparais mon cœur à se briser ?
Je m'étais une fois de plus enfoncée loin dans mes pensées, coupant tout lien avec le monde extérieur, ma tête posée sur mes bras. Ce n'est que ce très cher Dan Katô qui me tira de mes songes en raclant la chaise à mes côtés.
Je levai les yeux et ils plongèrent immédiatement dans les siens. Je ne sus pourquoi mais nous restâmes ainsi à nous fixer. Le monde autour de nous semblait être de trop, parler semblait être de trop, bouger semblait être de trop. Nous respirions à peine.
Tant de choses semblaient passer par cet échange, un mélange de questions et de certitudes. Un mélange de souvenirs et de ressentis. Un mélange de tout et de rien. Inconsciemment, mes pupilles glissèrent sur ses deux croissants de chair tandis que les siennes jonglaient entre les miennes.
La tension était palpable, oh oui, mais elle n'était pas de ces tensions néfastes qui vous mettent mal à l'aise. Elle était de ces tensions qui vous font vous sentir pile à votre place, de ces tentions qui soulevaient le duvet de vos bras d'appréhension tout comme elles vous empêchaient de vraiment réfléchir plus que nécessaire.
Les secondes s'égrainaient et les centimètres entre nous aussi ; nos deux visages étaient à présent séparés de quelques minuscules millimètres et je louchais de plus en plus visiblement sur ses lèvres de la même façon qu'il le faisait sur les miennes.
Puis soudain, plus rien. Monsieur Danzo était entré dans la salle en claquant la porte, nous tirant de notre contemplation réciproque et, c'était les joues rouges de gêne que nous nous étions séparés. J'entendis même Dan toussoter, signe évident de son malaise actuel. Je choisis alors d'entamer une conversation, ignorant la course affolée de mon palpitant dans ma poitrine, pour reprendre contenance.
"Bonjour Dan, comment tu vas ?
- Comme un jeudi juste avant de manger, fatigué et affamé, répondit-il en riant légèrement. Et toi ?"
Après ses quelques mots, j'avais pu voir ses épaules se détendre et un léger sourire victorieux avait pris place sur mon visage. J'avais réussi à éviter un moment plus gênant encore et nous nous parlions comme d'habitude, comme si nous n'avions pas faillis nous embrasser en pleine salle de classe quelques instants plus tôt. Ouf.
"Eh bien disons que ça va comme un jeudi juste avant de manger, fatiguée et affamée", souris-je à mon tour.
Nous nous fîmes bien vite interrompre par le début du cours et nous décidâmes d'un commun accord de nous concentrer dessus. Ce n'était plus le moment pour les divagations, plus que onze jours avant les épreuves blanches.
Onze jours.
Le temps semblait me filer entre les doigts, je ne me rendais plus compte des heures qui passaient, vite. Trop vite. La preuve étant avec ce cours, lorsque Danzo mit le point final à son explication j'eus la sensation que seules quelques secondes avaient passées alors qu'une heure entière s'était écoulée. Certes le sujet du cours avait été passionnant, mais tout de même.
C'était donc assez étourdie par cette constatation que je rangeais mes affaires, prête à aller m'isoler encore un peu dans mon coin pour la pause du midi. Cela sans compter sur mon voisin de table qui m'attrapa la manche afin de me retenir.
« Dis Tsunade, ça te dirait de manger avec moi et... les autres...? » me proposa-t-il en désignant d'un regard un petit groupe de quatre personnes qui semblait attendre devant notre salle.
Je les observai un instant mais n'en reconnu pas un seul des membres qui le composait alors, ce fut avec un immense plaisir que je lui adressai mon plus grands sourire accompagné d'un :
« Aucun problème ! »
Dan eut un mouvement de recul face à ma réponse si joyeuse, sûrement ne s'attendait-il pas à une telle vivacité de ma part. D'un côté je pouvais le comprendre, je ne devais pas laisser cette impression d'être sociable et d'apprécier les nouvelles rencontres mais il fallait bien croire que c'était le cas.
Nous nous dirigeâmes alors vers ses amis qu'il me présenta rapidement. Je dois reconnaître que je n'avais retenu aucun nom. J'étais très mauvaise pour retenir les noms et visages, malheureusement j'étais incapable d'y remédier.
Ainsi, ce fut tous ensembles que nous nous rendîmes à la cantine. Sur le trajet, la seule fille du groupe, aux cheveux noirs colorés en un bleu très foncé qui, il me semblait, s'appelait Hana, discuta avec moi. Nous nous trouvâmes très vite de nombreux points communs notamment au niveau de nos goûts musicaux.
J'étais presque certaine que si quelqu'un regardait nos deux playlists, il serait incapable de les différencier. C'était franchement agréable de pouvoir enfin parler musique avec quelqu'un qui me comprenait. Pas que je n'aimais pas découvrir de nouveaux genres mais je n'avais personne avec qui m'extasier de la nouvelle tournée de Green Day, par exemple, alors c'était comme une bouffée d'air frais de discuter avec elle.
Le repas fila à toute vitesse dans une bonne ambiance. J'avais, au cours de celui-ci, aperçu de loin mes deux amis manger ensemble en jetant des coups d'œil indiscrets à notre tables. Ils ne devaient pas comprendre pourquoi je les avais abandonnés sans rien dire.
Malgré tout, j'étais incapable de regretter mon choix. J'avais besoin de m'éloigner de mon monde le plus possible aujourd'hui, de découvrir une autre réalité. J'avais besoin d'être capable de perdre un de mes piliers sans sourciller. Et cela ne serait jamais possible si je restais dans ma bulle.
Je devais changer d'air.
Étrangement, lorsque nous sortîmes de la cantine, je me sentais presque comme apaisée. Cet éloignement avec mon monde avait eu l'effet escompté et je me sentais vraiment mieux. Enfin, c'était jusqu'à ce que je passe à côté de Koharu pour rejoindre le bâtiment et qu'elle ne me chuchote un :
« Attention Tsunade, il faut apprendre à se maîtriser au risque de perdre ce qu'on a de plus précieux », non sans qu'elle ne l'ait accompagné d'un sourire mauvais évidemment.
Comment pouvait-elle être toujours au courant des détails les plus privés de ma vie comme ça ? Ce n'était pas normal ! Je n'en avais parlé à absolument personne, il était impossible que ce soit une rumeur ou autre.
A moins qu'elle ne parle d'autre chose ?
J'étais perdue et, c'est plantée au milieu du chemin entre le réfectoire et mon bâtiment, que je pris la décision, pour la première fois, d'ignorer son comportement. Elle ne méritait pas d'attention.
Je pris finalement la direction de mon prochain cours, le moral descendant tout de même au fur et à mesure des secondes qui passaient jusqu'à l'échéance finale. La bouffée d'oxygène que m'avait offert ce repas en compagnie de Dan et ses amis n'avait été que de courte durée et mon feu intérieur, rugissant de colère et de peur, avait bien vite fait de la dévorer afin de subsister.
*
Le bruit de la ville résonnait dans mes oreilles, voitures, usines, musique, discussions, pieds qui claquent sur le pavé, rien ne m'échappait. Paradoxalement, je n'entendais que les battements de mon cœur qui s'accéléraient toujours plus.
La main sur la poignée de la porte vitrée, abritée par le petit auvent en tissu brun, je ne bougeais plus. Une boule de stress me tordait l'estomac et la gorge. J'avais la sensation d'étouffer. Et si c'était la fin ? Si elle ne voulait plus jamais me revoir ?
D'accord, j'avais de nombreuses fois soutenu mordicus que je la détestais et qu'elle n'était rien de plus important dans ma vie qu'un grain de poussière mais c'était faux. Elle était ma mère bordel, je l'aimais.
Mais je ne savais pas aimer. Je ne savais pas montrer mes sentiments. Il étaient enfermés au fin fond de mon cœur, recouverts d'une couche de diamant brut. Impérissable, impossible à franchir, excepté pour quelqu'un dont le cœur était aussi abîmé que le mien.
Arrivait-elle à se rendre compte que je racontais n'importe quoi ? Savait-elle qu'elle était la femme de ma vie, que je l'aimais plus que n'importe qui d'autre, qu'elle était l'une des seules qu'il me restait ? Ou était-elle aveugle et déprimée au point de croire mes bêtises ?
Je n'en savais rien et ça me rendait malade, pourtant j'étais incapable de pousser cette foutue porte pour avoir mes réponses. Ça n'était pas très difficile, un petit peu de force dans mon biceps et elle s'ouvrait. Sauf que mes muscles étaient devenus aussi mous que du coton, malgré les nombreuses heures que j'avais passé à les façonner.
La peur était vraiment un sacré sentiment.
Finalement, je trouvais - je ne savais trop où - le courage de tirer sur la poignée et d'entrer. Il était évident que La Gourmandine était un joli salon de thé. Les murs droit et gauche, boisés jusqu'à un mètre du sol puis surplombés d'une peinture blanc cassé, étaient recouverts de diverses affiches dans les tons bruns. Celui du fond était lui d'un noir profond tandis que la porte d'entrée n'était encadrée que par une grande baie vitrée.
Quelques plantes vertes traînaient ça et là, apportant une touche de couleur supplémentaire et un doux fond musical emplissait appréciablement l'endroit. De nombreux étudiants, ordinateur à la main et café sur la table, travaillaient, dégageant une certaine sérénité dans toute la pièce.
Pourtant, moi j'étais stressée.
Pourtant, moi je risquais gros et même la beauté des lieux ne pouvait me détourner de l'échéance plus que proche. Les aiguilles couraient sur le cadrant de ma montre, sans s'arrêter. Plus la trotteuse avançait, plus ses deux comparses la suivait et plus l'heure approchait les seize heures.
Je regardai rapidement si elle n'était installée nulle part mais force était de constater que j'étais arrivée la première. Je pris donc une table, légèrement en retrait par rapport aux autres, contre le mur du fond. Elle donnait sur la porte couleur café marquée de l'écriteau "toilettes". Au moins si j'avais besoin de fuir la conversation, je savais où aller.
En l'attendant, je commandai un chocolat chaud pour me redonner un peu de courage et sortis quelques classeurs avec mes fiches. Même dans un tel état d'angoisse, je révisais. Je n'avais plus le temps d'attendre ni de perdre une quelconque seconde. Les jours me séparant du bac blanc étaient trop courts et les cours à retravailler trop nombreux.
Étrangement, les chiffres qui marquaient la page de mon chapitre de mathématiques me réconfortaient. Ils m'empêchaient de penser à la suite, m'happaient dans leur logique sans faille, bien plus compréhensible que celle des sentiments humains.
Malgré tout, le temps défilait et ce fut un raclement de chaise, dix minutes plus tard, qui me sortit de ma concentration. Je finis de lire ma page, de la façon la plus désinvolte possible et levai les yeux des x et y qui peuplaient le quadrillage, bien que je savais déjà qui était face à moi.
Comme je m'y attendais, mes pupilles noisettes accrochèrent celles ambrées de ma génitrice. Ses cheveux blonds, aussi indomptables que les miens, étaient lâchés sur ses épaules, elles-mêmes recouvertes d'un tailleur noir duquel dépassait une chemise blanche. Nul doute qu'elle rentrait du travail.
Ça faisait quelques temps que je ne l'avais pas vue et je devais avouer en avoir presque oublié sa beauté surnaturelle. Elle dégageait un charisme incroyable et avait un très sérieux don pour toutes les négociations commerciales. Par contre, elle avait une peur incommensurable de la perte de contrôle et j'étais celle qui en faisait le plus souvent les frais.
Son regard, légèrement souligné de noir, scrutait la moindre petite cellule qui constituait mon être. J'étais complètement effrayée à l'idée de recevoir une quelconque remarque de sa part sur mes quelques changements de style.
Oui, j'étais du genre à me fiche du regard d'autrui mais celui de ma mère était différent et j'étais incapable, la plupart du temps, d'aller à son encontre.
Finalement, elle ne dit rien, me laissant tout le loisir d'entamer une conversation entre nous. Je n'étais vraiment pas inspirée sur ce coup là, d'autant plus que c'était moi qui avais poussé un coup de gueule hier soir alors, qu'après réflexion, ses messages n'étaient que bienveillance et inquiétude.
J'avais été trop aveuglée par la rancœur pour m'en rendre compte et maintenant il était peut-être trop tard.
« Bonjour maman... tu vas bien ? » soufflai-je doucement, très peu sûre de moi.
Elle ne répondit pas, pourtant j'avais bien vu dans ses yeux qu'elle m'avait entendue mais elle n'avait fait qu'agiter la main afin d'alerter un serveur qu'elle voulait passer commande. Je restai alors silencieuse jusqu'à ce qu'à son tour elle ne daigne prendre la parole.
Une atmosphère lourde entourait notre table, me faisant sentir comme Atlas qui portait tout le poids du monde sur ses épaules, mais moi je n'étais pas un titan, je n'avais aucune force, j'étais écrasée.
Seulement, après cinq minutes et ma tasse complètement vidée, je commençai à perdre patience. J'avais énormément de révisions à mener, il n'était donc pas utile de m'éterniser pour rien face à un mutisme évident et délibéré.
Je me levai et rejoignis les toilettes, prenant l'excuse du chocolat chaud pour m'éloigner quelques instants de la tension qui s'installait dans le silence absolu qui régnait.
Au même titre que la salle principale de La Gourmandine, les toilettes étaient cosy et tranquilles. Je pris quelques instant pour respirer tranquillement, loin de notre table entourée d'un épais brouillard de dioxyde de carbone qui comprimait mes poumons.
Ça faisait du bien mais je ne devais pas trop m'attarder au risque de paraître suspecte. Je passais tout de même rapidement par une des cabines, me lavai les mains et, une fois celles-ci sèches, retournai dans la salle.
Bonne nouvelle, ma mère était encore là. Mauvaise nouvelle - quoique -, son regard était braqué sur moi. Je revins en vitesse, évitant de peu la personne qui souhait accéder aux cabinets, et m'assis à notre table. Je rivai mon regard sur son gobelet en carton orné du prénom "Ayae", inscrit à l'encre noire, d'une jolie calligraphie.
J'étais incapable de la regarder dans les yeux, c'était un fait. Elle me déstabilisait beaucoup trop et je me souvins d'une phrase que m'avait dit un jour mon père lorsque j'étais enfant. A l'époque je ne l'avais pas cru, pensant qu'il débloquait complètement, encore une fois, mais maintenant je comprenais que ç'avait été l'un de ses rares instants de lucidité.
Tu sais Tsunade, m'avait-il chuchoté comme un secret avant d'aller me coucher, ta mère a les plus beaux yeux du monde. Ils ont la couleur d'une pierre précieuse et lorsque tu te plonges à l'intérieur, tu peux être certaine qu'elle t'as entièrement percée à jour.
J'avais tout de même ris de sa phrase dont je n'avais pas compris le sens de tout les mots et avais accourut dans les bras de la précédemment citée afin de l'embrasser.
Ce temps me manquait énormément et, là, maintenant, tout de suite, je rêvais qu'elle me prenne dans ses bras comme à l'époque et me susurre que ce n'était qu'un mauvais rêve, que je n'avais pas à m'inquiéter.
Mais l'enfance était déjà loin et aujourd'hui je devais assumer la responsabilité de mes actes. Je n'en avais pas le choix. Et par un heureux coup du sort, ce fut cet instant que choisit mon culot légendaire pour refaire surface.
« Une fois de plus, comment tu vas maman ? Pas trop débordée par le travail ? »
Elle me jeta un regard si sombre qu'un frisson parcourut ma colonne vertébrale. Bon, ce n'était probablement pas la meilleure option. Mais quelle était-elle alors ?
« Tsunade, il serait temps d'en venir au fait sans s'encombrer de politesses inutiles tu ne crois pas ? » claqua-t-elle sèchement en guise de réponse.
Bon, elle était prête à parler, c'était déjà ça... Voir le côté positif. Le côté positif. Il le fallait. Vraiment.
« Mh, certainement, par où veux-tu commencer ?
- A toi de me le dire, tu veux qu'on parle de ton message franchement agressif et irrespectueux, de tes insinuations sur Han ou de la fameuse ordure dont tu parlais à la fin ? » répliqua-t-elle d'un ton sarcastique, presque cynique, en totale opposition avec sa voix de velours.
Le rouge me monta aux joues et aux oreilles ; elle avait totalement raison. J'avais dépassé les bornes et je me demandais bien comment j'allais pouvoir me rattraper sans complètement détruire notre relation...
« Maman je...
- Tu ? répéta-t-elle dédaigneusement.
- Je suis désolée, je ne sais pas ce qu'il m'a pris... »
A peine eu-je terminé ma phrase que les larmes me montèrent aux yeux. J'étais une fille indigne, comme avais-je pu faire ça ? Les émotions se bousculaient dans mon petit corps, passant de la colère, au désintérêt en passant par la tristesse mais par-dessus tout, régnait une profonde culpabilité.
Si on m'avait toujours dit que les yeux de ma mère pouvaient percer tous les secrets, on m'avait aussi répété à longueur de temps que les miens étaient le miroir direct de mon cœur. Tout ce que je ressentais s'y lisait clairement.
Ce fut sans surprise, donc, que ma figure maternelle comprit immédiatement mes troubles lorsqu'elle croisa mes prunelles. Sa douce main se déposa sur la mienne qui commençait à trembler, tout comme ma lèvres inférieure. Ce simple geste suffit à définitivement ouvrir la fissure du séisme qui parcourut mon corps tout entier.
Et je pleurai. Je pleurai comme jamais je n'avais pleuré avant, le plus silencieusement du monde. Je pleurais ma peine, ma peur et ma joie de savoir que même après un tel déchirement, elle se souciait de moi.
J'avais fermé les yeux et, doucement, je la sentis porter ma dextre à ses lèvres afin d'y poser une trace de son affection, parsemée de perles humides. Pleurait-elle aussi ?
Je n'osais pas regarder, alors nous pleurâmes ainsi, chacune l'une pour l'autre, sans un mot. Nos âmes étaient reliées par leurs sentiments, nos cœurs battaient à l'unisson et jamais encore je ne m'étais sentie si liée à elle.
Finalement les fleuves qu'étaient devenues nos joues se tarirent et, sans un mot, nous nous levâmes de notre siège. Les paroles étaient inutiles, le message était clair.
Je pouvais bien faire toutes les conneries du monde qu'elle m'aimerait encore.
***
J'ai cru que j'allais pleurer en écrivant la fin de ce chapitre, il était émouvant... Sachez qu'il n'y a rien de plus fort que l'amour porté par une mère pour son enfant. En plus en le relisant j'angoissait en même temps que Tsunade mdrr je sais pas si c'était votre cas aussi à la lecture mais cette histoire aura ma peau un jour...
Enfin bref ! Ce chapitre est littéralement le plus long de l'histoire jusque là mais je ne me sentais pas de le couper, même si j'aurais pu, pour plusieurs raisons. Tout d'abord je n'en avais pas envie (simple, sobre et efficace) et en plus certains d'entre vous attendaient un peu d'action, je trouve que ça en fait un peu quand même bien que ce ne soit pas à ce niveau que vous l'attendiez djdjd
Sinon c'est absolument incroyable d'être arrivée au chapitre 10 ! Certes je prends mon temps mais cette petite histoire commence à faire doucement son bout de chemin et ça me fait très plaisir, surtout de partager cette aventure avec vous tous !
Je vous fais des gros poutous !
Reya <3
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