CXXV-DELIRIUM
Enroulée sur le canapé à ses côtés et ma tête posée sur son torse, je me laisse bercer au creux des bras de mon amoureux, qui me retiennent dans la plus délicieuse des prisons. Mon amoureux ... Le seul énoncé de ce qualificatif provoque en moi une explosion de bonheur et fait crépiter chaque parcelle de mon être, comme sous l'effet d'une décharge électrique. Je ne veux plus qu'il me libère, jamais.
- Matt. I love you.
J'ai besoin de lui exprimer ce que je ressens et je ne me lasse plus de le faire, maintenant. Ce sentiment qui m'étreint est si intense. J'en suffoque. Mon cœur est prêt d'éclater comme un ballon gonflé à l'excès. Le trop-plein de mes états d'âme est-il seulement dû aux effets intoxicants des champignons ? Trop d'émotions émergent à la fois et étouffent mon corps. Mon cœur s'enflamme et bat beaucoup trop vite ... Inexplicablement, je commence à prendre peur. Je ne sais pas pourquoi mais une angoisse sourde me comprime la poitrine. La sensation que tout s'emballe et que je ne peux rien arrêter ... Que ce moment de ravissement est un mirage, que tout est sur le point de basculer ... Comment peut-on se sentir à la fois si euphorique et si oppressée ? Décidément ces drogues ébranlent tous mes sens ...
- I love you too ...
Les mots tant rêvés résonnent contre mon oreille collée à sa poitrine, légèrement étouffés par le martèlement vigoureux de son cœur. J'oublie tout le reste.
Pris d'un élan, Matthew s'agite sous mon poids et me soulève avec lui. Il m'installe sur ses genoux et s'empare aussitôt de mes mains. Son regard amoureux voilé d'une brume opiacée m'embrase. Il se penche vers moi et ses lèvres se pressent longuement sur mon front. Lorsqu'elles s'en détachent enfin, j'ai la conviction qu'elles ont marqué ma peau brûlante de leur empreinte comme l'estampille d'un sceau sur de la cire fondue. Elles continuent leur voyage initiatique, embrassent mes paupières closes, mes joues, la naissance de mon cou tout aussi langoureusement ... Elles flattent au passage tout mon visage de leur modelé délicat, tandis que ses mains lâchent les miennes et glissent doucement le long de mes bras jusqu'à mes épaules dans une étreinte sensuelle. La sensation est étourdissante, je suis catapultée dans un nirvana constellé d'étoiles.
Mon ange-gardien m'allonge délicatement sur l'assise du divan puis il s'installe à genoux sur le sol, tout près de ma tête. Ses mains ne quittent plus mon corps, elles câlinent mon flanc, parcourent mon décolleté, et je frissonne de la tête aux pieds. Les paupières closes, je m'abandonne aux délicieuses sensations qui me traversent. Son visage renversé au-dessus du mien, il part à la découverte de ma bouche, la picore de petits baisers du bout des lèvres. Le bout de sa langue entame une danse voluptueuse le long du pli jusqu'à la commissure, sur la fossette juste au-dessous de mon nez. Ses caresses s'interrompent un instant, il hésite encore avant d'approfondir notre baiser. Ses lèvres entr'ouvertes effleurent mon menton, puis se décident enfin et se mettent à jouer avec les miennes sans retenue ...
Un véritable feu d'artifice de plaisir déflagre dans tout mon corps. Emportée par des volutes de sensualité, je m'évade vers un monde onctueux de jouissance. Si bien que j'ai l'impression qu'on m'ampute une part de moi quand son visage se détache du mien. Non Matthew s'il te plaît, J'en veux bien plus ...
Avides de ses attentions, mes yeux s'ouvrent et le cherche mais je suis vite comblée lorsque j'aperçois son visage tout près et son regard se plonger dans le mien. En dépit du brouillard qui intoxique mes sens, je vois clairement le désir brûler et assombrir ses yeux. Un regard bouillant de promesses voluptueuses. Les battements de mon cœur s'affolent. D'exaltation ? D'effroi ? Tout se mélange, je ne sais plus.
Mais l'angoisse est plus forte et l'emporte finalement sur le reste, un pressentiment qui ne me quitte pas depuis tout à l'heure. Instinctivement, mon regard dévie du sien et cherche l'horloge sur le mur. 00h15. Ma gorge se serre. Mais comment est-ce possible ... Je me crispe sous les mains de Matthew, glacée.
- Anna ... Ca va ?
Je lève les yeux vers lui. La flamme de désir dans ses prunelles s'est amenuisée, j'y lis de la sollicitude à présent.
- Matt ... Je bredouille. Le temps ... Il ne s'écoule plus ...
- C'est normal, je le comprends. Fait-il avec un petit sourire, en me dévorant des yeux. Lui aussi est frappé par tant de beauté ...
- Je t'assure, je ne plaisante pas ... Ca fait au moins trois heures qu'il est 00h15 !
- Ne t'en fais pas Anna. Ton esprit est engourdi par les hallucinations et ...
- Mais si, c'est grave ! Je proteste énergiquement en me redressant, alors que les palpitations dans ma poitrine s'accélèrent. Et si ... Et s'il s'était bloqué pour toujours ! Tu imagines ??
- Tout va bien je te dis, le temps ne s'est pas arrêté ...
- Mais tu ne m'écoutes pas !! Je m'écrie d'une voix stridente, la panique me gagnant.
J'ai l'impression que ma poitrine contient à grand peine un ouragan qui gronde, menaçant et prêt à éclater d'une seconde à l'autre, pour tout emporter sur son passage. Je glapis en sanglotant :
- On va rester coincé ici, dans cet état, pour toujours Matt !!!
- Hey Anna ... Le chanteur m'attire dans ses bras et emprisonne ma joue dans sa paume. Calme-toi, je suis là. Et personne ne va être coincé, je te le promets ...
- Q-Qu'en sais-tu ... Je begaye. Je ne veux pas rester comme ça ...
- Tu ne veux pas rester avec moi ?
-Si bien sûr ! Mais pas dans cet état. J'ai trop peur, Matthew.
- De quoi mon ange ? Dis-moi ce qui te fait tant peur ... Déjà tout à l'heure au concert, tu as fait une crise de panique, pourquoi ?
- Je -Je ne sais plus ... Je secoue la tête pour dissiper les vapeurs hallucinogènes qui m'oppressent. Et ça me terrorise d'autant plus. Je me sens si seule et perdue ...
Je fixe Matthew d'un air désemparé. Son visage se plisse d'affliction. Penché sur moi, il m'arrache au canapé et m'enlace dans une fervente communion, une main pressée sur mes reins et l'autre fourrageant dans mes cheveux.
- Cesses de t'inquiéter, je suis avec toi maintenant ... Tu n'es plus toute seule, on est deux pour affronter tout ça.
Je me blottis dans sa chaleur, mon menton calé sur son épaule. Les paupières closes, je lâche prise et me laisse cajoler. Au bout d'un moment, ma tension s'est un peu relâchée et j'ouvre à nouveau les yeux.
C'est alors que je la vois. Mon sang se glace instantanément dans mes veines. Elle se tient dans le dos de Matthew au beau milieu de la pièce, les bras ballants, son regard atone fixé sur moi. Son visage est pâle comme un linceul. Si ce n'est qu'elle est campée sur ses jambes, elle ressemble à une morte. Devant ce spectacle, mon cœur se brise en mille morceaux.
- Oh mon Dieu, non ... Qu'ai-je fait ...
Je me sépare de Matthew brutalement et bondis sur mes pieds hors du canapé .
- Tu m'as laissé tomber maman, énonce calmement la fillette. Tu m'as oublié ...
- Non, non je te jure ... Je sanglote en tendant une main vers elle. Je t'en supplie, viens vers moi mon amour ...
Les jambes flageolantes, je fais quelques pas vers l'apparition, mais je prends conscience en l'approchant qu'il s'agit d'un voile de fumée translucide et impalpable, et qui s'évapore déjà sous mes yeux ... Une illusion née de mon esprit. Chancelante, je m'écroule à genoux sur le tapis.
- Anna ! Qu'est-ce qui t'arrive ?! Deux mains m'attrapent les épaules et le visage inquiet de Matthew s'abaisse à ma hauteur.
- Je l'ai abandonné ... Je murmure en larmes, plus pour moi-même que pour le chanteur.
Les pensées se bousculent dans ma tête, désordonnées ... 'C'est certain, Alice n'existe plus désormais... Ou alors ... Cette vision d'elle à moitié effacée ... Serait-elle en train de disparaître en ce moment même ? Aurais-je encore le temps ? ... Mais peut-être est-ce déjà trop tard ... '
- Anna explique-moi, que se passe-t-il ? Je ne comprends rien ! S'exclame Matthew, bouleversé.
- Il faut que j'y retourne avant qu'il ne soit trop tard ...
- Mais ... Où ça voyons ?! Ecoute-moi, tu délires Anna ! Tu paniques à cause de ces stupéfiants qui déforment tout dans ton esprit ...
Les paroles du chanteur me parviennent mais je ne réagis plus. Je reste recroquevillée sur le sol, pétrifiée. Matthew me prend fermement le visage dans ses mains et me force à lever les yeux vers lui.
- Regarde-moi Honey ! Souviens-toi ce que je t'ai dit sur le bad trip, ne t'enferme pas dans une psychose, tu es forte ... Tiens ma main ... Il serre mes doigts glacés dans les siens et ajoute d'un ton farouche. Je t'aime Anna. Ne pense qu'à ça, tes peurs vont finir par partir ...
- Non, non ... Je secoue la tête en pleurs, dégageant mes doigts des siens. Il ne faut pas ... Tu ne peux pas ...
- Mais bien sûr que si, je ne t'abandonnerais pas !
Mes mains moites s'agrippent au T-shirt du chanteur, je veux le repousser mais n'y parviens pas. Mon corps s'est couvert d'une pellicule de sueur froide et se met à trembler comme une feuille sans que je puisse le contrôler ... Des palpitations affolées pulsent dans mon crâne, j'ai l'impression que ma cage thoracique va exploser ... Des flash de lumière scintillent devant mes yeux et m'aveuglent ... Délirante, je ne parviens pas à interrompre le flot de paroles échevelées qui m'échappe.
- Non ! C'est inutile Matt, non ... Le destin nous a déjà séparé ... Il va le faire encore et encore, c'est sans espoir ...
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