Paris - Aéroport Charles de Gaulle, Automne 2014.

- Madame, Monsieur, en vue de notre proche atterrissage, nous vous invitons à regagner vos sièges et à attacher votre ceinture.

Je m'attache d'un geste distrait et jette un regard par le hublot. L'ombre crépusculaire se substitue aux lueurs éclatantes du jour, l'horizon se parant de grandes traînées roses et orangées dans un feu d'artifice de couleurs. L'avion s'incline légèrement pour amorcer sa descente vers la piste. Je pose ma tête endolorie contre le dossier du fauteuil. Une migraine commence à me gagner. Mon cerveau fonctionne toujours à cent à l'heure, extrapolant à tort et à travers sur les bribes d'informations que j'ai reçues ce matin. Ce coup de fil impromptu au studio d'enregistrement m'a mis sens dessus dessous, occultant au passage la déprime qui m'affligeait depuis le début du séjour italien.

Mon interlocutrice a eu beau tout faire pour garder la maîtrise de ses nerfs au bout du fil, ses propos décousus m'ont paru incompréhensibles, et surtout complètement délirants. Comment croire à cette histoire de fous dont elle m'a parlé ? De quels dangers imminents peut-elle bien parler, et qui puissent nous concerner tous les deux, Anna et moi ? Et en quoi pourrais-je apporter mon aide ?

Je ferme les yeux et tente d'apaiser la douleur naissante en me massant doucement les tempes d'un mouvement circulaire. Tout cela n'a aucun sens. Plus j'y songe, plus je crois que je n'aurais pas dû agir sur un coup de tête et entreprendre ce voyage à la dernière minute, sur la simple foi de ce coup de téléphone. Peut-être n'etait-ce qu'une excuse pour m'attirer dans un traquenard. L'image menaçante du compagnon d'Anna m'apparaît derrière mes paupières baissées, comme pour confirmer mes doutes. Les yeux toujours clos, je fronce les sourcils. Si c'est le cas, cela me permettra au moins de régler mes comptes avec ce type, ainsi que j'aurais dû le faire ce soir-là dans l'ascenseur ...

- ... Nous vous remercions d'avoir choisi la compagnie Air France et nous vous souhaitons un agréable séjour.

Chassant ses idées de mon esprit, je réajuste mes lunettes de soleil sur mon nez et me lève pour récupérer mon bagage à main. J'aurais encore le temps de réfléchir à tout ça lorsque j'aurais quitté l'appareil.

*****

- Monsieur ... Monsieur ? ... Mister please !

J'arpente le long couloir reliant le terminal des arrivées au cœur de l'aéroport quand une voix m'interpelle dans mon dos. Je tourne le tête et aperçois trois individus d'une trentaine d'années marcher dans mes pas en affichant un grand sourire. Deux d'entre eux se murmurent quelques mots en français en me dévisageant avec insistance.

- Vous êtes Matt Bellamy, c'est ça ? Questionne le troisième en anglais.

Après une seconde d'hésitation et quelques coups d'œil à la foule éparse, je me retourne pour leur faire face et acquiesce d'un signe de tête avec un sourire poli. Mieux vaut faire bonne figure et éviter que ces jeunes gens n'attirent l'attention en devenant un peu trop insistant.

- Wow le vrai Matt Bellamy ! Vous êtes ici en vacances ? Fait l'un. Ou pour une interview ? 

- Il y a un concert de Muse prévu à Paris ? Renchérit son voisin.

 - On est des grands fans ! On peut avoir un autographe ? Lance le dernier à la cantonnade.

Au bout de cinq minutes, je laisse enfin les trois fans derrière moi, non sans leur avoir signé leurs autographes, et presse le pas vers la sortie. Je descend du trottoir devant l'entrée de l'aéroport et intercepte un taxi d'un signe de la main. Il me tarde de pouvoir démêler toute cette histoire.

Une heure plus tard après avoir traversé toute la ville, le taxi me dépose enfin à l'adresse indiquée. Je récupère ma valise et sonne à l'interphone. Mes réflexions pendant le trajet ont conforté ma décision. Tout ce que m'a dit la jeune femme au téléphone est absolument insensé mais je ne peux courir le risque d'ignorer cet appel au secours. Si Anna court réellement un grand danger et qu'il lui arrive malheur, je m'en voudrais toute ma vie de n'avoir pas bougé le petit doigt pour lui venir en aide. Malgré la découverte brutale de sa vie maritale et la rupture qui en a découlé, je suis toujours aussi amoureux d'elle. Et je me sens un peu honteux de contaster qu'une part de moi se réjouit de l'occasion inespérée qui m'est donnée de prendre soin d'elle. 

- Oui ? Répond une voix en français dans l'interphone.

- It's me, Matt.

Un bourdonnement électrique m'indique l'ouverture de la porte d'entrée et je pénètre dans l'immeuble en coup de vent. Une fois arrivé à l'étage, je n'ai pas le temps de frapper à la porte qu'elle s'ouvre devant moi. C'est elle. Elle m'adresse un sourire chaleureux en me reconnaissant.

 - Hey Matt ... Heureuse de te revoir ...

La gorge serrée, je lui rend son sourire sans pouvoir prononcer un mot. Son visage se crispe et le coin de ses lèvres s'affaissent, tout en elle reflète son angoisse. Son état de tension n'est pas pour me rassurer. La peur m'étreint, la situation semble vraiment très grave. 'Anna mon Dieu, que t'arrive-t-il ?' je songe impuissant, rongé par l'inquiétude.

- Dis-moi tout s'il te plaît, il faut que je sache ... Je parviens enfin à articuler en prenant le bras de la jeune femme.

Elle m'adresse un regard rempli d'émotions et hoche la tête avant de s'effacer pour me laisser entrer. Je m'engouffre dans l'ouverture avant qu'elle ne referme la porte sur moi.