CI-L'ENTR'ACTE
Une nouvelle coupure électrique vient d'interrompre le show. Tout autour de moi, j'entends les fans gronder et je me sens ballotée de part et d'autre par des mouvements de foule.
- Oh non ! Pas une nouvelle fois ! Grommelle Antoine derrière moi.
Il a laissé la lumière de son portable allumé, et son visage en partie éclairé semble flotter dans le noir, fantomatique.
- J'espère que le concert va vite pouvoir redémarrer, renchérit Malone, le grand garçon dégingandé.
- Ouais, parce qu'on reste sur notre faim, là ! Marmonne la jeune blonde agacée dont je devine la silhouette derrière Antoine, et qui répond au prénom de Fanny d'après les bribes de conversation que j'ai saisies entre elle et Simone.
- Tu voudrais bien reluquer mon Matt un peu plus longtemps hein, avoues ! Répond la voix de Simone d'un ton espiègle. Bah ! Je ne t'en veux pas, c'est vrai qu'il me donne faim moi aussi, à se trémousser comme ça sur scène ...
Son petit rire strident m'agresse les tympans et je m'assombris. Depuis quand cette garce considère-t-elle Matthew comme sa propriété ? Si seulement elle savait tout ce que nous avons vécu lui et moi ... Elle ne se doute pas qu'il a été bien plus épris de moi qu'il ne le sera jamais d'une fille comme elle, et ceci par deux fois ... Mais je m'interromps en secouant la tête. Je me laisse emporter par ma jalousie, c'est vraiment pathétique. Et puis peut-être qu'en 2003 les cartes ne sont plus les mêmes, au regard de mes premières rencontres avec le musicien, alors qu'il était plus âgé. Il est fort possible qu'aujourd'hui, les petites allumeuses comme Simone soient plus attractives à ses yeux que moi. Comme tout à l'heure pendant le show, l'avenir me semble compromis. Encore une fois j'éprouve une profonde amertume, je suis consciente que je lutte pour une cause perdue. Mais je ne sais pas pourquoi, il persiste une part infime de moi qui ne veut rien écouter et s'acharne à vouloir garder espoir ... Une part de folie.
- Ca va Anna ? La voix de Timothée se perd dans le brouillard de mon esprit et je l'entends à peine.
Il se tient juste à côté de moi et pose une main sur mon bras pour capter mon attention. Le jeune homme a remarqué que je suis restée à l'écart des conversations et il semble vraiment soucieux pour moi. Mes lèvres s'étirent en un sourire dépité. J'aurais tout de même réussi à attendrir quelqu'un, en entreprenant ce voyage ... Il est bien dommage que ce ne soit pas celui que je désire tant, me dis-je avec ironie.
Je m'apprête à rassurer le jeune homme mais je n'ai pas le temps d'ouvrir la bouche que des lumières nous parviennent depuis le fond de la salle. Une clameur de soulagement s'élève parmi la foule mais l'espoir est de courte durée. Un responsable de la salle s'adresse au public avec un megaphone pour s'excuser de la gêne occasionnée par la panne, et nous informer que des techniciens travaillent actuellement pour remettre l'installation électrique en toute sécurité, mais que le concert ne pourra reprendre que dans un gros quart d'heure. Il enjoint ensuite le public à quitter la salle pour profiter de cette pause en se désaltérant à la buvette gratuitement. Quelques cris de protestation surgissent de ci de là après l'annonce, mais bientôt le public résigné commence à se disperser et la salle se vide.
- Tu viens avec nous Anna ? Me demande Timothée en me tirant gentiment par l'épaule. On va prendre un verre au bar en attendant.
- Ok ...
Je me faufile derrière mes compagnons au milieu de la cohue, pour rejoindre la sortie de la salle. Quelques lumières nous montrent le chemin vers le grand hall, mais une fois sur place, je suis consternée de voir le monde déjà entassé autour du bar.
- Vous êtes sûr que l'on va arriver à avoir une boisson avant de mourir de soif ? Fais-je, maussade.
- Ne t'inquiètes pas, j'ai l'habitude de jouer des coudes ! Me glisse à l'oreille Antoine avec un sourire rassurant. Tiens-toi bien derrière moi et je te conduis juste devant le barman, tu vas voir !
Il joint le geste à la parole et me tend l'ourlet de son T-shirt. Sans trop y croire, j'agrippe son vêtement et me laisse entraîner dans la foule compacte. Et après coup, je dois avouer que le garçon n'a pas exagéré ses talents. Après quelques "pardon" lâchés de droite et de gauche, et plusieurs coups d'épaules, nous voilà enfin près du bar. Je jette un regard derrière moi et m'aperçois que nous avons perdu tous nos camarades en chemin, toujours empêtrés au milieu de l'affluence. Epatée, j'adresse un regard admiratif à Antoine.
- Chapeau Antoine, je n'y croyais pas ! C'aurait été moi, je n'aurais même pas tenté ma chance ... Je confie avec un sourire.
- Je sais, c'est un peu mon talent, ça ... Une chose est sûre dans la vie, il faut toujours y croire, ma jolie ... et surtout ne JA-MAIS baisser les bras trop vite ! Rétorque le blondinet avec un air narquois, en insistant sur le mot 'jamais'.
Je l'observe, intriguée. Que veut-il dire par là ? J'ai l'impression que son commentaire est loin d'être innocent. Aurait-il percé à jour mes atermoiements concernant le chanteur ce soir ? Ma question ne reste pas longtemps en suspens. En effet l'instant d'après, Antoine se penche vers moi et me montre le bar du doigt par dessus un petit groupe de fans, avant d'ajouter sur un ton de confidence :
- Tiens, la chance te sourit on dirait ... Regardes qui est justement de l'autre côté du comptoir !
Intriguée, je me hisse sur mes pieds pour voir ce qu'il me montre et comprends enfin pourquoi la foule est à ce point surexcitée et nous bouscule sans cesse contre le comptoir de bois. N'en croyant pas mes yeux, j'aperçois derrière la buvette le fameux trio de musiciens que j'admirais quelques minutes plus tôt sur scène, remplir des dizaines de verres posés devant eux. Christopher, Dominic et Matthew, tous trois privés de leur show n'ont pas trouvé mieux pendant cet entr'acte imposé, que de s'improviser barmen pour un quart d'heure. Tout sourire, ils assurent le service en vin, bière ou whisky pour le plus grand bonheur de leurs fans ...
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