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Chapitre 98

Félix avait la désagréable sensation que Chaeyoung l’épiait. Depuis qu’elle lui avait dit qu’ils avaient besoin de discuter tous les deux, ils n’avaient pas eu l’occasion de se retrouver seuls. Il se sentait observé, même suivi. Il ne savait pas à quoi s’attendre, la jeune femme avait-elle envie de régler des comptes avec lui ? Il n’avait aucune idée d’à quelle sauce il allait être mangé. Chaeyoung voulait très certainement discuter à propos de Changbin, mais comme Félix ne savait toujours pas quoi penser de ce qu’il ressentait envers l’alpha, il ne voyait pas ce qu’il allait pouvoir répondre à la jeune femme.

— Quelque chose ne va pas ?

Félix fit un bond en entendant la voix de Wonpil derrière lui.

— Tu as l’air d’éviter Chaeyoung depuis plusieurs jours.

— Non, tout va bien, mentit l’oméga.

Après la conversation qu’il avait surprise entre l’alpha et Seungmin, il n’avait clairement pas envie de lui confier ses petits soucis concernant Changbin.

— Je ne sais pas si je me fais des idées, continua Wonpil, mais j’ai l’impression que tu m’évites aussi ces derniers temps, je me trompe ?

Félix baissa les yeux et fixa ses pieds, s’il y avait bien quelque chose dont il avait horreur c’était la confrontation.

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

— Eh bien pour commencer, ça fait plusieurs jours que tu ne m’as pas adressé la parole, à part pour me dire bonjour. D’habitude tu passes du temps avec moi, ou avec Seungmin, mais on dirait que tu l’évites un peu aussi. Alors je me demande si nous avons fait quelque chose pour mériter ça ou si tu as simplement besoin d’espace.

Wonpil était quelqu’un de perspicace, et si leur échange s'éternisait ainsi, Félix était quasiment sûr qu’il allait faire le rapprochement avec la nuit de cette fameuse conversation.

— C’est rien, j’ai simplement…

— J’ai dit ou fait quelque chose de mal ? Ou du moins qui t’a fait te sentir mal ?

L’oméga pinça les lèvres, Wonpil était l’une des rares personnes à laquelle il pouvait se confier en temps normal et ça le mettait mal à l’aise de lui faire des cachotteries ou du moins de ne pas réussir à faire preuve d’honnêteté envers lui. Il osa finalement croiser le regard de l’alpha, il pouvait lire dans ses yeux que la situation était pénible pour lui, que cette amitié avec Félix avait réellement l’air de lui manquer.

— Je suis certain que tu ne pensais pas à mal, dit-il d’une petite voix, mais oui, il y a quelque chose que tu as dit qui m’a blessé. Mais je ne pense pas que je suis encore prêt à t’en parler.

— Oh vraiment ? Mais je ne vois pas…

Wonpil s’arrêta au milieu de sa phrase, il avait beau y réfléchir, il ne voyait absolument pas ce qu’il avait pu dire à Félix qui aurait pu être mal interprété. Pourtant, il se contenta de sourire.

— En tout cas je suis désolé si j’ai été indélicat dans mes propos. Excuse-moi. Et si je peux faire quoi que ce soit pour me rattraper, dis-le moi.

— J’ai simplement besoin d’un peu de temps, lui répondit l’oméga en esquissant un sourire à son tour.

Il appréciait grandement que Wonpil se montre aussi compréhensif même s’il trouvait cela surprenant. Si cet échange avait eu lieu avec Seungmin, celui-ci lui aurait très probablement fait une scène pour savoir exactement ce qui s’était passé. Le comportement diamétralement opposé de l’alpha était une preuve de sa maturité.

— Fais-moi signe si tu as besoin de moi, dit-il avant de s’éloigner.

Il ne laissa pas l’occasion à Félix d’ajouter quoi que ce soit et il disparut dans la réserve. L’oméga se renfrogna, peut-être que sa réaction était un peu excessive ? Wonpil n’avait pas pensé à mal lorsqu’il avait discuté avec Seungmin, alors avait-il une réelle raison de lui en vouloir ?

— Tu as le droit de l’avoir mal pris, fit la voix de Jeongin juste derrière lui, tu as le droit de bouder et de prendre le temps dont tu as besoin pour lui pardonner.

Félix papillonna des yeux en croisant ceux de l’alpha. Comment faisait-il ça au juste ? C’était comme s’il était capable de lire dans les pensées.

— Je n’ai pas besoin d’être rassuré.

— C’est ça oui, comme tu voudras, souffla Jeongin en levant les yeux au ciel.

— Tu vas quelque part ? 

— Chan est parti faire le tour du territoire, je vais le rejoindre, je croyais que Changbin était parti avec lui mais je n’en suis pas sûr. Il vaut mieux éviter de se balader seul alors je préfère y aller aussi au cas où. Beomgyu est avec Seungmin dans la buanderie, ils s’occupent du linge je crois.

Félix hocha lentement la tête, en temps normal, il les aurait très probablement rejoints mais pour l’instant il aurait préféré voir Beomgyu seul et pas avec Seungmin. Voilà qu’il se retrouvait à nouveau à ne pas savoir quoi faire. Il resta planté au milieu du salon et regarda Jeongin se diriger vers la sortie. 

— Tu crois qu’on peut discuter maintenant ?

L’oméga fit un bond sur lui-même, Chaeyoung se tenait dans le passage entre la cuisine et la pièce à vivre. Elle était appuyée sur le bâti de la porte, les bras croisés. Son odeur de muguet vint chatouiller le nez de Félix, comment avait-il fait pour ne pas remarquer sa présence jusque-là ? Lorsqu’elle s’approcha de lui, il put clairement sentir le parfum de bois de santal de Changbin sur elle. Ca n’était pas si étonnant, ils passaient beaucoup de temps ensemble, ils partageaient régulièrement le même lit et devaient même s’adonner à d’autres loisirs beaucoup plus intimes, il était donc tout naturel que leur odeur mutuelle se retrouve sur l’un et l’autre.

La jeune femme lui fit signe de la suivre jusqu’au canapé qui faisait face à la cheminée. Félix déglutit mais obtempéra, il essayait de se ressaisir, pourquoi avait-il aussi peur de Chaeyoung ? Ce n'était pas comme si elle pouvait le manger. Il s’assit à une distance raisonnable et n’osa pas la regarder dans les yeux. Il préféra se concentrer sur les flammes qui s’agitaient dans l’âtre.

— Tu as peur de moi ? s’amusa Chaeyoung.

— Un peu, si je veux être honnête.

— C’est drôle, je pense que c’est la première fois que quelqu’un a peur de moi, ça me fait bizarre.

Félix pinça les lèvres, la jeune femme n’avait pas l’air de s’apprêter à le disputer bien au contraire, elle avait plutôt l’air de bonne humeur et Félix n’arrivait pas à dire si ça le rassurait ou si, à l’inverse, c’était encore plus inquiétant.

— Tu sais de quoi j’aimerais te parler ?

— J’ai ma petite idée sur la question.

Ce fut au tour de Chaeyoung de baisser les yeux. Ses mains se mirent à triturer des fils de laine qui dépassaient de son pull. Elle chercha ses mots avant de prendre une profonde inspiration.

— Il se passe quelque chose entre Changbin et toi ?

Félix se figea, s’il s’était attendu à ce que la conversation porte sur ce sujet, le fait que son amie se montre aussi directe était déstabilisant. Trop pris au dépourvu pour répondre, il se contenta de bégayer une série de syllabes déconnectées les unes des autres.

— Non, réussit-il finalement à articuler après plusieurs essais.

— Tu en es sûr ?

— Il ne s’est rien passé, je n’ai pas…

La main de la jeune femme se posa doucement sur son bras.

— Je ne parle pas forcément d’actes, mais de sentiments. Je ne suis pas en train de t’accuser de quoi que ce soit, je veux simplement qu’on en discute. Je ne suis pas stupide, même si c’est ce que certains peuvent penser, j’ai bien vu, et senti, qu’il y avait quelque chose entre vous.

— Est-ce que tu es en colère contre moi ?

— En colère ? s’étonna Chaeyoung. Non, on ne contrôle pas pour qui on développe de l’attirance ou des sentiments. J’en suis un bon exemple… Et puis, c'est Changbin qui s'intéresse à toi, depuis longtemps maintenant. Depuis même le premier jour si ça se trouve.

— Et ça ne te dérange pas ?

Chaeyoung haussa les épaules, que pouvait-elle bien y faire ? Ça n'était pas comme si elle pouvait empêcher son alpha de s'intéresser à un autre oméga.

— De toute manière, pour l'instant je n'ai pas grand-chose à faire dans cette équation, je crois que c'est d'abord à vous deux de comprendre et d'accepter ce qui se passe.

— C'est bien ça le problème, soupira Félix d'une voix à peine audible.

— Correction, c’est à toi de le faire. Je pense que du côté de Changbin c’est tout à fait clair. 

Félix fixa ses pieds, peut-être que tout aurait été plus simple si l’alpha ne lui avait jamais porté le seul intérêt pour commencer. Pourquoi ne pouvait-il pas se satisfaire de Chaeyoung ? 

— Si tu te sens prêt, reprit cette dernière, je pense que tu devrais lui donner une chance, je suis certaine que tu ne le regretteras pas. Changbin est vraiment quelqu’un de bien, et s’il fait tous ces efforts pour toi, c’est parce qu’il tient vraiment à toi.

— Tu es vraiment… bizarre.

— Pourquoi tu dis ça ?

— Tu serais prête à partager ton alpha ?

Chaeyoung haussa les épaules.

— Il ne m’appartient pas. Et puis ça ne serait pas le premier alpha à avoir plusieurs omégas. C’est quelque chose entre lui et nous, pas entre toi et moi. 

Félix sentit comme un étrange poids lui être retiré des épaules, ça n’était pas qu’il n’appréciait pas la jeune femme, mais il n’avait jamais eu l’envie d’une relation plus poussée avec elle. Il se figea soudain. Il n’avait pas envie d’un autre genre de relation avec Chaeyoung, mais alors, était-ce le cas avec Changbin ? Son cœur se mit à battre comme s’il avait couru un marathon et ses joues se mirent à chauffer. Il tenta de prendre de grandes inspirations pour se calmer. C’était comme si son loup s’agitait en lui, comme s’il courait en cercle dans une cage minuscule, comme s’il essayait désespérément de faire comprendre quelque chose à Félix. Et soudain, lorsqu’une odeur familière de bois de santal titilla ses narines, tout devint plus clair. Si lui avait encore des doutes, son loup lui, n’en avait plus : c’était Changbin qu’il voulait.

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