/Ce chapitre contient des sujets qui pourraient heurter la sensibilité de certaines personnes, merci d'en tenir compte lors de votre lecture./

Une fois nettoyé, Félix avait enfilé des vêtements propres et s'était installé dans un nid improvisé. Wonpil leur avait préparé du thé et avait pris place près de lui tout en gardant néanmoins une distance de sécurité afin de ne pas lui faire peur. Le poêle à bois avait réchauffé la petite pièce et la température y était désormais agréable. L'oméga fixait le contenu de sa tasse, emmitouflé dans les couvertures.

— Pourquoi est-ce que tu es si différent des autres alphas ?

Wonpil but quelques gorgées de son thé avant de lâcher un soupir las. Il avait promis à Félix qu'ils pouvaient se confier l'un à l'autre alors il était temps qu'il se lance.

— Je n'ai pas de ruts.

— Quoi ? Comment ça ?

Wonpil attrapa un coussin qu'il cala dans son dos. Il s'allongea, les yeux rivés vers le plafond.

— La seule fois où j'ai eu mes ruts, c'est lors de ma présentation. Mes parents ont su que j'étais un alpha mais il y avait quelque chose de bizarre. Comparé aux autres, j'ai eu des ruts vraiment faibles, et après ça, je n'en ai plus jamais eu.

Félix hocha doucement la tête, tout prenait sens. Ça devait être la raison pour laquelle il se sentait si à l'aise avec Wonpil, car contrairement aux autres alphas, il n'avait pas de rut, il ne dégageait donc pas les mêmes hormones que les autres. Félix ne le voyait pas comme une menace.

— Je pensais qu'une fois ici ça changerait, reprit Wonpil. J'ai rencontré de nouvelles personnes, des femelles aussi. Je pensais que ça pourrait réveiller quelque chose en moi, mais rien. Ils m'ont gentiment surnommé "le bêta", mais en fait je suis juste un alpha cassé. Je ne suis pas un vrai alpha.

Félix eut un pincement au cœur, c'était douloureux de voir son aîné avoir une si piètre image de lui-même. Il tendit la main et la posa sur son genou.

— Est-ce que tu sais à quoi c'est dû ?

Wonpil secoua négativement la tête.

— Non, je n'ai jamais su. Mes parents ont essayé de me faire voir des spécialistes, mais en ville, un alpha sans ruts ça n'est pas un problème pour eux, bien au contraire. J'ai essayé des plantes et autres remèdes naturels, mais ça n'a rien donné non plus, alors j'ai juste accepté ma condition.

— C'est la première fois que je rencontre quelqu'un qui a ce problème, je ne savais pas que c'était possible.

— Quand Chan a annoncé que des omégas allaient rejoindre la meute, je me suis dit que ça allait peut-être débloquer quelque chose en moi, mais ça n'est pas le cas.

Félix pensa aussitôt à quelque chose.

— Est-ce que c'est pour ça que tu évites de te retrouver seul avec Seungmin ?

Un sourire amer étira les lèvres de Wonpil et il ferma les yeux.

— Je vois bien qu'il a des attentes, mais j'ai peur de ne pas pouvoir le combler. C'est pas juste une question de ruts, c'est aussi… Est-ce que j'arriverais un jour à me lier ? À avoir des enfants ? Tout ça me travaille beaucoup et je pense que je fais un blocage.

— Pourquoi tu n'en parles pas à Seungmin ? Je suis certain qu'il comprendrait.

— Et si ça n'est pas le cas ? J'essaye de faire des efforts pour prendre en compte ses besoins, mais dès qu'on commence à être un peu trop intimes, j'ai l'impression que quelque chose dans mon corps se bloque. Sauf tout à l'heure, je crois que mon loup s'est un peu réveillé. Je crois que je suis partagé entre vouloir le combler et avoir peur de ne pas y arriver. Et si Seungmin me rejetait une fois qu'il saurait ce que je suis vraiment ?

Wonpil lâcha un long soupir et ferma les yeux, voilà qu'il se laissait emporter par la peur et le stress. Félix l’observait en silence, il lui faisait mal au cœur et à part être une oreille attentive pour lui, il ne voyait pas comment il pouvait l’aider.

— Tu as peut-être simplement besoin de temps ? Si tout ça c’est nouveau pour toi c’est plutôt normal que tu ne saches pas comment agir ? Être avec Seungmin va certainement te faire découvrir de nouvelles choses sur toi-même. Regarde moi, j’étais incapable de simplement rester dans la même pièce qu’un alpha et voilà que maintenant j’arrive à avoir une conversation sans trembler. Bon, pas avec tout le monde mais on peut dire que c’est un début. Alors si j’ai réussi à changer, il n’y a pas de raisons pour que toi tu n’y arrives pas.

L’alpha ouvrit les yeux et tourna la tête juste assez pour croiser le regard de Félix.

— Merci Félix, ça me fait du bien de pouvoir parler à quelqu’un sans me sentir juger.

L’oméga esquissa un sourire avant de baisser les yeux. Il prit une profonde inspiration ce qui ne manqua pas d'interpeller Wonpil.

— Félix, pourquoi as-tu aussi peur des alphas ?

Le concerné déglutit et se recroquevilla dans sa couverture. Il posa sa tasse désormais vide sur le sol et amena ses genoux contre son torse.

— C’est à cause de quelque chose que tu as vécu dans ton ancienne meute ?

— Oui.

Wonpil se redressa.

— Est-ce que ça a aussi un rapport avec les marques et les cicatrices que tu as sur le corps ?

Félix se renfrogna, essayant au maximum de cacher son visage contre ses genoux.

— Oui.

Il se mit à trembler et Wonpil posa une couverture supplémentaire sur lui. Il voyait bien que le sujet avait l’air particulièrement sensible et il n’avait aucune envie de mettre l’oméga mal à l’aise avec ses questions.

— Je comprendrais tout à fait que tu n’aies pas envie d’en parler, alors surtout ne te force pas Félix.

Ce dernier émit un son de gorge étrange, comme s’il avait ravalé un sanglot, il se racla la gorge et pinça les lèvres. 

— On ne peut pas dire que ce sont des bons souvenirs, dit-il d’une petite voix à peine audible, et c’est toujours douloureux d’en parler. Je n’en ai jamais parlé à personne. Les autres doivent se douter de quelque chose, mais je crois qu’ils n’ont aucune idée d’à quel point la vérité est horrible. 

— Tu n’as jamais voulu leur en parler parce que tu avais peur que ça soit trop dur à entendre pour eux ?

— Oui, ils ont tous eu la chance de naître dans des meutes bien moins horribles que la mienne. Je ne dis pas qu’ils ont tous eu la belle vie, mais ça n’est pas comparable.

Wonpil écoutait attentivement. Il ne voulait pas forcer Félix à parler mais il ne pouvait pas nier qu’il était curieux, curieux de connaître les pratiques ignobles auxquelles certaines meutes n’avaient pas peur de s'adonner. Il voulait savoir ce que Félix avait vécu, mais surtout pour avoir une idée de l’ampleur des dégâts afin de pouvoir l’aider au mieux. Une fois qu’il aurait réussi à mettre des mots sur ses maux, il serait bien plus à même de pouvoir offrir de l’aide à l’oméga. Il n’avait cependant aucune idée de la gravité de ce qu’il était sur le point de découvrir.

— Dans la meute où je suis né, commença Félix d’une voix faible et tremblante, les omégas ne sont bons qu’à assouvir les besoins des alphas pendant leurs ruts.

Ce fut au tour de Wonpil de déglutir, cette mise en contexte ne présageait rien de bon.

— Pour faire simple, reprit l’oméga, j’ai été violé pendant des années. Dès ma présentation, à chaque fois que j’ai eu mes chaleurs, à chaque fois qu’un alpha était en ruts, je n’ai jamais eu mon mot à dire sur quoi que ce soit. Heureusement pour moi, si je peux dire ça comme ça, j’ai vite arrêté d’avoir des chaleurs, je crois que mon corps les a comme bloquées afin de me protéger, c’était déjà ça de moins à endurer, ça me permettait d’avoir un peu de répit. Mais dès qu’un alpha était en ruts, j’étais amené de force dans sa chambre, de jour comme de nuit et j’étais juste bon à les soulager. Je devais supporter les viols, les coups, et les morsures. J’ai été marqué plusieurs fois de force, heureusement temporairement mais c’était encore pire après. Pendant que j’étais marqué, mon coeur me faisait croire à des sentiments totalement faux envers ces alphas. La marque me faisait croire que j’aimais ça alors que c’était faux. J’avais beau pleurer, me débattre, supplier qu’on me laisse tranquille, rien n'a jamais changé.

 Il arrivait à raconter tout cela d’une manière détachée qui surprenait Wonpil. Au début de son récit, il aurait cru que Félix se mettrait à pleurer, mais tout ce qu’il laissait transparaître, c’était de la colère, de la rancœur et de la haine. Wonpil tendit précautionneusement la main vers la sienne et il la serra doucement, jaugeant les réactions de Félix pour ne pas risquer de le brusquer. À sa grande surprise, il la serra à son tour comme si l’action lui procurait le soutien dont il avait besoin à cet instant.

— Je comprends mieux ta peur des alphas, et elle est totalement légitime, lui dit gentiment Wonpil. Et je comprends encore plus pourquoi les savoir en ruts et les sentir te met dans des états comme tout à l’heure. Ce que tu as vécu c’est… Je n’ai même pas les mots, c’est horrible, je ne comprends pas comment des gens peuvent se comporter ainsi et ceux qui ont laissé faire ça ne valent pas mieux. Je suis désolé qu’il te soit arrivé toutes ces choses et si je peux faire quoi que ce soit pour t’aider à aller mieux, alors tu peux compter sur moi.

Félix esquissa un sourire triste.

— Tu en fais déjà beaucoup Wonpil. Prendre soin de moi comme tu le fais déjà c’est… Je t’en suis reconnaissant. 

— Je pense que tu es la personne la plus forte qu’il m’ait été donné de rencontrer Félix. Malgré ce que tu as vécu, tu as su t’intégrer ici avec des alphas, tu dois prendre énormément sur toi et je ne sais pas comment tu fais ça mais tu es très courageux.

Un long silence s’installa entre eux pendant plusieurs minutes mais c'était confortable. Ils s’étaient ouverts l’un à l’autre et savaient désormais qu’ils avaient quelqu’un sur qui compter. Une dernière question brûlait néanmoins les lèvres de Wonpil et il hésita longuement avant de finalement oser la poser.

— Comment est-ce que tu as réussi à quitter cette meute ? Ça n'a pas dû être facile.

Félix secoua la tête et prit une nouvelle inspiration.

— Je ne sais pas comment l’expliquer, je crois que je n’étais plus assez bien, plus assez agréable pour eux. Je n’avais plus de chaleurs, mon corps et mon loup se défendaient comme ils pouvaient et j’essayais de faire passer aux alphas le pire moment possible lorsqu’ils étaient avec moi. J’ai dû les avoir à l’usure. Ça m'a pris du temps, des années pour réussir à les faire craquer mais ils ont fini par me trouver trop inutile alors ils m’ont envoyé à la réserve, ils n’avaient plus aucun intérêt à me garder avec eux et c’était bien mieux ainsi.

Wonpil hocha la tête avant de réaliser quelque chose. Il écarquilla les yeux, horrifié. 

— Mais alors, quand tu as su que tu allais retourner dans une meute d’alphas tu…

— J’ai cru qu’avec un peu de chance je savais comment repousser les alphas maintenant et que j’arriverais à faire en sorte qu’aucun ne veuille m’approcher. Et puis il y avait les autres, on s’est promis de veiller les uns sur les autres. Et même si je déteste les alphas, je sais que toutes les meutes ne sont pas comme la mienne, alors même si j’ai peur, je sais que je ne risque rien. Enfin ça ne m’empêche pas d’être parfois terrifié comme tout à l’heure… 

— Et c’est tout à fait compréhensible. Mon dieu Félix tout ça c’est… Tout ce que tu as vécu je… Je me doutais qu’il avait dû t'arriver des choses terribles, mais certainement pas atroces à ce point. Je sais que ça n’effacera pas le passé, mais sache qu’ici tu es en sécurité, en tout cas je ferai tout pour que tu le sois.

Félix leva un regard reconnaissant vers son voisin, son instinct lui confirmait qu’il pouvait lui faire confiance. Il lui sourit.

 — Merci Wonpil.

— Et bien sûr, je ne dirai rien à personne sur notre conversation.

— Et ton secret est bien gardé avec moi.

Ils se serrèrent la main et échangèrent un sourire, touchés d'avoir pu trouver en l'autre un ami à qui ils pouvaient se confier et sur qui ils pouvaient désormais compter.