La photographie
Faustine semble confuse, et ce n'est rien à côté de moi. Je ne sais tout simplement pas comment réagir. Cette impression de déjà vu est si étrange.
-Trois Pervenches, dis-je à haute voix... Où l'as-tu trouvée?
- Elle était dans la boîte aux lettres.
Je lui arrache presque des mains et retourne la photo. Aucune écriture. Ni date. Ni nom.
- Tu penses la même chose que moi? demande Faustine.
- "Mes trois pervenches"... C'est comme ça que maman nous appelait.
La curiosité s'échappe de mon esprit et laisse seulement la haine envers ce symbole du passé de notre famille.
- Je vais la jeter.
Faustine me prend le bras. Je sais ce qu'elle va me demander, j'anticipe donc.
- Hors de question qu'on montre ça à Gaëlle. Elle commence à oublier peu à peu qu'elle n'a pas de mère, on ne peut pas tout raviver.
Faustine croise les bras. Son air renfrogné m'alarme. Elle s'empêche de s'énerver, voulant probablement éviter une dispute. Cela fait si longtemps qu'on ne s'est pas pris la tête.
- Olga, dit-elle....Tu te souviens ce qu'on s'est promises, toutes les trois? De ne rien se cacher. De toujours se faire confiance et de tout dire. Afin qu'on se comprenne.
- Je sais.. Mais Gaëlle est jeune. Elle n'espère qu'une chose, c'est d'avoir une maman. Cette photo est une mauvaise blague, ou peut-être pas, mais peu importe. On peut lui épargner ce faux espoir, tu crois pas?
Elle soupire, comme pour montrer qu'elle est d'accord. Mais elle me fait par la suite promettre de la montrer à papa, en ajoutant qu'il aura plus d'explications. Après qu'on soit passées à table, je me retrouve seule avec lui dans la cuisine. J'en profite pour lui montrer la photo.
- Faustine l'a trouvée dans la boite aux lettres.
Il observe les pervenches, évidemment troublé et perplexe. Je regrette instantanément de lui avoir montré. Cette photo le perturbe plus qu'autre chose, et ne sert à rien à part semer la confusion. On aurait du garder ça pour nous.
- Je.. Je pense que c'est une mauvaise plaisanterie, finit-il par dire. Ne la prenez pas au sérieux. N'importe qui a pu la mettre.
- Brûlons-la, dis-je pour le soulager, et bien lui faire comprendre que je pense comme lui. Je m'en occupe.
Il me rend la photographie, mais je vois encore cet air triste d'un homme qui pense au passé. Je me sens coupable de lui avoir montré. Je file vers le salon et ouvre la cheminée. J'attrape une allumette et regarde l'image se consumer. Je la jette dans la cheminée et la ferme. Gaëlle arrive presque immédiatement après que j'ai terminé. Ne sachant pas quoi dire, je propose:
- On va à la rivière?
Elle sourit et j'attrape sa main. Assise dans l'herbe, tout en lisant son recueil de poèmes, je vois Faustine qui s'apprête à nous rejoindre quand elle nous voit. On prend le chemin que l'on connait si bien, jusqu'au sentier, puis, tandis qu'on se perd toujours plus dans la forêt, on entend le bruit de l'eau de la rivière à dix pas. Gaëlle et moi montons sur notre arbre. Faustine s'installe près de l'eau et continue de lire.
✽
Ces moments sont si fréquents qu'ils en deviennent rares et précieux. Tandis que je discute avec Gaëlle de l'été merveilleux que nous allons passer, je m'aperçois que Faustine ne dit pas un mot. C'est fréquent, quand elle lit, toutefois, quand on se trouve ici, c'est pour passer du temps ensemble.
- Toujours Baudelaire? dis-je afin de la mêler à la conversation.
- Verlaine, corrige-t-elle.
- Je ne comprends toujours pas ce que tu trouves d'intéressant à ça. Je ne comprends rien de mieux que ce qui est écrit.
- Celui-là est assez simple. Je t'en lis quelques vers.
Elle prend un air passionné tandis qu'elle se délecte de chacun des mots qu'elle prononce:
- "Tandis qu'un éclair Brutal et sinistre
Fend le ciel de bistre
D'un long zigzag clair,
Et que chaque lame,
En bonds convulsifs,
Le long des récifs
Va, vient, luit et clame.."
- Je ne vois pas ce qu'il y a d'intéressant. Il décrit juste une tempête sur la mer, non?
- La poésie est un art bien plus complexe. Il faut analyser, décrypter ce que veut nous dire l'homme qui tient la plume. Dans les vers que je viens de te lire, il y a beaucoup des messages cachés, et chacun s'approprie le poème dans sa subjectivité. Et c'est si bien écrit!
Nous regardant se moquer d'elle, elle ajoute en reprenant son sérieux:
- Je n'ai plus d'espoir pour toi, Olga. Je sais que tu ne t'y intéresseras pas. Mais toi, Gaëlle, j'espère que tu seras différente, et plus sensible aux choses.
- Gaëlle s'intéressera à ce qui lui plait, dis-je aussitôt en la regardant. Mais, avec ce visage d'ange, tu n'auras même pas besoin de t'intéresser à quoi que ce soit, chérie. Avec ce visage d'ange, tu pourras avoir ce que tu veux. Ton visage représente l'amour. Tu es une déesse.
- Olga, tu oses dire que tu ne comprends pas la poésie? dit Faustine. Tu viens de faire une anaphore, une allégorie et deux métaphores.
Je ne peux m'empêcher de sourire. Ce que j'ai dit me rappelle à quel point Gaëlle est magnifique. Ses cheveux longs aux reflets roux, son visage fin, ses grands yeux noirs, son sourire éclatant: elle resplendit. Mon père trouve qu'on est toutes les trois belles, de façon différentes, et c'est sans doute vrai. Quant à Faustine, elle a ce charme naturel des personnes brillantes. Et moi.. Je suppose que mon côté rebelle peut plaire?
✽
On passe l'après-midi à chercher des fraises. Il est tôt dans la saison pour en trouver, mais les fraises des bois valent toutes les peines du monde. Vers cinq heures, Gaëlle en trouve la première. Elles sont à peine mûres mais excellentes. On retourne à la rivière, puis on en apporte à papa qui semble ravi. Comme si tout ce qu'il s'était passé tout à l'heure était oublié.
On joue au badminton jusqu'au soir, où je laisse les filles faire des échanges pour préparer le diner avec papa. Après le repas, tandis que je l'aide à débarrasser, je trouve papa épuisé. Je lui propose donc d'aller se coucher, en lui assurant qu'on s'occupe de tout. Il me remercie et me serre dans ses bras. C'est si bon. Je suis heureuse, mais, même dans ces moments, j'ai toujours besoin de son affection rassurante.
Quand la nuit tombe, on s'installe toutes les trois dans le jardin, les unes contre les autres, regardant les étoiles qui scintillent. C'est merveilleux. Même moi, qui n'ait pas la sensibilité de Faustine, peux le voir. On distingue presque la voie lactée. Comme si elle lisait dans mes pensées, Gaëlle demande:
- Vous croyez, que, dans cette univers si grand, il y a quelqu'un aussi heureux que nous?
- Non, dis-je. C'est nous les plus heureuses. Les plus heureuses de l'univers.
Gaëlle serre ma main qu'elle tenait déjà. Faustine me regarde. A la lueur des astres, je vois ses yeux. Je comprends ce qu'ils disent. Elle me remercie de prendre autant soin de Gaëlle. Je soutiens son regard et les serre contre moi.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro