La lettre
J'entends les oiseaux chanter autour de nous. Le soleil réchauffe ma peau. J'ouvre les yeux. Nous sommes toujours dans le jardin. Je ne suis pas surprise. Ça nous arrive si souvent de dormir à la belle étoile, mais c'est la première fois de l'été, et sûrement pas la dernière. Les filles dorment encore. Je me lève sans trop les bouger afin d'éviter de les réveiller. Il est tôt. Je me souviens que Gaëlle s'est endormie la première. On a discuté avec Faustine, comme on en a l'habitude.
Mon père, assis sur une chaise de bois peint, buvant son café tout en lisant un journal, rit en me voyant approcher.
- Je vous ai prises en photo tout à l'heure dit-il en souriant.
- Tu me la montreras? Je parie que la tête de Faustine est exceptionnelle.
Machinalement, j'entre et fait chauffer de l'eau pour préparer nos chocolats. Les filles ne devraient pas tarder à se réveiller. Je repense soudainement à la photo. Je crois même en avoir rêvé. Ma curiosité et ma prudence me poussent à regarder dans la boite aux lettres. S'il y a une autre photo, je ne veux pas que Faustine tombe dessus, encore moins Gaëlle. J'ouvre la boite. Il y a une enveloppe que je saisis. Je cours presque jusqu'à la cuisine tant il me tarde de l'ouvrir.
✽
Mes trois pervenches,
J'ai beaucoup hésité à vous écrire. Quand j'ai pris ma décision, je vous ai envoyées la photographie, afin de vous prévenir sans être brusque. Je vous donne simplement des nouvelles et aimerais en avoir en retour. J'espère que vous allez bien, toutes les trois. Vous me manquez terriblement. Vous devez à peine vous souvenir de moi, mais sachez que j'avais mes raisons de partir. Si j'en trouve le courage, comme j'ai trouvé celui d'affronter mon destin, je vous expliquerai tout en détails. Sachez aussi, que, de près ou de loin, j'ai toujours eu un œil sur vous. Et je vous aime. Et je vous protègerai. Cela ne rachètera pas mes erreurs, je le sais. Je veux simplement que vous compreniez que je suis toujours là, avec vous, dans les bons et mauvais moments. Je vous aime, mes filles.
J'espère que vous me pardonnerez un jour.
Maman
Je tremble en lisant. Des larmes ruissèlent sur mes joues. J'ai envie de hurler. Je ne comprends pas. Pourquoi nous dire ça?.. Pourquoi maintenant? Je relis la lettre dix fois, m'arrête sur chaque phrase, chaque mot, chaque virgule. Je n'en voulais pas de cette lettre. Je ne veux pas qu'elle revienne dans nos vies. On est si heureuses aujourd'hui. Je veux juste oublier cette maudite lettre. Je ne sens plus mon corps. Je me sens si vulnérable... Je m'agrippe à une chaise et m'assois dessus. Ma vue est trouble. Tout vire au blanc. Je suffoque. Je n'arrive plus à respirer. Je dois sortir, et vite...
Non... Je dois détruire cette lettre. Si mon père ou mes sœurs la lisent, leur réaction sera sans doute pire que la mienne.. Avant que je ne m'en rende compte, mon corps bascule en arrière. Je n'entends même pas mon père crier en me voyant, effondrée sur le sol.
✽
Quand je reprends mes esprits, je suis allongée sur le canapé. Mon père me tend un verre d'eau. Je ne vois pas Faustine, ni Gaëlle.
- Comment te sens-tu? Ne t'inquiète pas, tes sœurs dorment encore.
- Je vais bien.. Papa..
J'aurais préféré l'éviter, mais, quand tout me revient, une larme coule et en entraine une autre, puis encore une autre.
- Tout va bien, ma chérie. Tout va bien. Je regarderai dans la boite aux lettres tous les matins, d'accord? Quand je serai absent, ne l'ouvre plus.
- Je ne comprends pas... Pourquoi veut-elle revenir?
- Je crois qu'elle veut des nouvelles... Elle ne reviendra pas si on lui interdit. Repose-toi. Tu es sous le choc. Mais tu es forte, Olga. Tu vas reprendre tes esprits. Repose-toi. Et surtout, ne dis rien à tes sœurs.
Il tient ma main et caresse ma joue. Je suis tiraillée par l'envie de protéger Faustine et la promesse que je lui ai faite. Je n'ose même pas imaginer sa réaction. Je dois tout garder pour moi. Je n'aime pas mentir à mon père. Un mensonge en empêche un autre.
- Je ne dirai rien..
Je sais à quel point nous élever seul a été difficile pour lui. Il a tant de mérite. Tant de courage. Beaucoup se seraient effondrés, mais lui s'est relevé et nous a comblées. Il n'a pas seulement rempli son devoir de parent, il nous a offert une vie heureuse et plein d'amour. Je crois que la lettre l'a troublé. Je dois le soutenir.
✽
Après m'être reposée une demi-heure, je retourne dans le jardin et trouve Faustine et Gaëlle en train de déjeuner. J'essaie de paraitre la plus naturelle possible. Mais Faustine sent que quelque chose ne va pas. Je le lis dans ses yeux.
Quand on se retrouve toutes les deux, je sais qu'elle va me questionner. Mais je dois rester naturelle, et neutre. Nier jusqu'au bout. Me connait-elle au point de déjà savoir une partie de la vérité?
- Tu ne vas pas bien, Olga. Je le sais, dit-elle pendant que je fais la vaisselle.
- Pourquoi tu dis ça? J'ai une si mauvaise tête le matin? dis-je en riant.
J'essaie de jouer la carte de l'humour. Elle ne semble pas convaincue. Faustine... Tu es trop intelligente.
- Dis-moi, Olga. Dis-moi ce qui ne va pas. Maintenant.
Je continue de faire la vaisselle, tout en prononçant cette phrase qui a du mal à sortir de ma gorge sans trembler:
- S'il y avait quelque chose, je te l'aurais dit.
Elle me scrute pendant de longues secondes durant lesquelles je fais semblant de ne pas prêter attention à elle. C'est si compliqué de lui mentir. J'espère qu'elle va lâcher le morceau.
- C'est maman?
Mes mains s'arrêtent de frotter. Mes yeux se perdent dans le vague. Je me tourne enfin vers elle tout en essuyant mes mains. Je n'ai plus la force de résister. Désolé, papa.
- Oui, dis-je dans un soupir.
Je mords ma lèvre inférieure. Il est trop tard pour reculer.
- Il y avait une lettre écrite de sa main. Papa l'a jetée. Elle ne disait pas grand chose, au final. Seulement qu'elle était désolée. Qu'elle avait ses raisons. Qu'elle veille sur nous.
J'essaie d'être claire sans détourner des propos de maman. Je finis par m'excuser de n'avoir rien dit.
- Ce n'est pas grave, répond-elle aussitôt. Tu m'as dit la vérité, c'est le principal.
- Papa et moi, on veut vous protéger.
- Je pense que la vérité a un prix mais est légitime pour ceux qui la réclament. Je ne comprends pas pourquoi maman nous écrit... Ni ce qu'elle veut.. Mais je veux des réponses.
- Je préfèrerais oublier tout ça, dis-je en croisant les bras sur ma poitrine. Juste vivre normalement...
Faustine me serre dans ses bras. Je pose ma tête dans le creux de son épaule. Je devrais être forte et ne pas trop montrer mes sentiments afin de mieux les protéger, mais je n'y arrive pas. Faustine m'explique qu'on doit chercher la vérité et aller au bout de tout ça, car sinon, on ne sera jamais tranquille. Je sèche mes larmes et respire lentement. Cela faisait longtemps que je n'avais pas pleuré devant elle.
- Très bien, dis-je. On va chercher des réponses.
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