La balade
Les jours passent. Le calme revient en maître et la vie reprend son cours, peu à peu. J'ai regardé chaque matin la boite aux lettres. Il n'y a aucune nouvelle lettre de maman. Mais je n'oublie pas pour autant l'avertissement de tante Elena, et reste sur mes gardes. Je me lève toujours la première, et garde un œil en quasi permanence sur mes sœurs. C'est peut-être de la paranoïa, mais on n'est jamais trop prudent.
✽
La chaleur estivale gagne toujours plus de terrain. Un matin, je propose à mes sœurs, ainsi qu'à mon père, qu'on parte en balade pour la journée. On ne l'a toujours pas fait depuis notre arrivée. Mes sœurs en sont ravies et mon père propose de nous accompagner, ce qui nous enchante davantage encore. Avec Gaëlle, on prépare un pique-nique que nous mangerons tout à l'heure.
- Tu ne trouves pas que Faustine est bizarre depuis notre visite chez tata ? me demande-t-elle.
En effet, Faustine est assez silencieuse ces derniers jours. Elle s'isole plus souvent pour lire, au point qu'il y a des jours où l'on n'a pas l'occasion de lui adresser la parole.
- Je crois juste qu'elle est perturbée par les évènements, dis-je. Il faut la comprendre. On ne vit pas tous cette situation de la même façon.
En disant cela, je suis surprise que Faustine ne se soit pas confiée à moi, ni à Gaëlle. C'est pourtant bien ce qu'elle fait, d'habitude, quand elle est inquiète.
- Au moins, cette balade lui changera les idées, dit Gaëlle.
Nous finissons de préparer le repas, que nous rangeons dans un sac que je mets sur mes épaules. Il est un peu lourd, mais nous le porterons à tour de rôle. Je ne donne pas une demi-heure à papa avant de me proposer de me décharger. Nous partons sans plus tarder, vers dix heures. Nous prenons le chemin habituel. Même si on y passe toutes nos vacances, je me sens plus intime avec la nature environnante. Mon père me fait rire pendant tout le trajet, et propose que nous dévions de la route, pour tenter un nouveau chemin, et quitter la boucle que nous faisons par réflexe. On accepte et apprécions les surprises que nous réserve la route inconnue. Je repense à ce qu'a dit Gaëlle à propos de Faustine. Je me rapproche de cette-dernière et lui souffle :
- Alors, tu nous récites un poème ?
Faustine esquisse un sourire et récite :
- "Tandis que les crachats rouges de la mitraille
Sifflent tout le jour par l'infini du ciel bleu ;
Qu'écarlates ou verts, près du Roi qui les raille,
Croulent les bataillons en masse dans le feu"
- Mais.. Tu récites des scènes de guerre! dis-je.
Mais Faustine m'ignore et reprend de plus belle :
- "Tandis qu'une folie épouvantable broie
Et fait de cent milliers d'hommes un tas fumant ;
– Pauvres morts ! dans l'été, dans l'herbe, dans ta joie,
Nature ! ô toi qui fis ces hommes saintement !..."
- C'est affreux ! s'écrie Gaëlle.
- Faustine, arrête ça tout de suite! dit mon père.
Les protestations de mon père nous font rire.
- Je croyais que tu détestais Rimbaud, dis-je à Faustine.
- Comment tu as deviné que c'était lui ?
- Qui ça pourrait être d'autre ? Tu n'as pas autre chose de moins.. glauque ?
Faustine nous récite un poème de Victor Hugo que je n'avais jamais entendu.
La journée suit son cours. Les montagnes sont incroyables. Nous pique-niquons près d'une petite clairière que Gaëlle aperçoit la première. L'herbe y est incroyablement verte et fine, très différente de celle du reste du bois, et la terre est moins rude qu'ailleurs. Faustine semble très occupée à scruter le paysage autour de nous, et parle très peu.
Nous mangeons dans la joie et la bonne humeur. On s'allonge tous les quatre et regardons le soleil filtré par les arbres.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro