Chào các bạn! Vì nhiều lý do từ nay Truyen2U chính thức đổi tên là Truyen247.Pro. Mong các bạn tiếp tục ủng hộ truy cập tên miền mới này nhé! Mãi yêu... ♥

2. Trois rois pour une couronne

 Au travers du jet irisé de la fontaine, Léonore suit du regard le jeune assistant trempé qui s'éloigne vers l'arrière du château. Elle espère qu'il ne va pas attraper un mauvais rhume après sa fâcheuse immersion. S'est-il blessé dans sa chute ? Il boite un peu. Elle se mordille la lèvre sous une bouffée d'inquiétude.

L'Italien qui pilotait l'étrange appareil, en revanche, ne paraît pas s'angoisser pour la santé de son compagnon ; il l'entraîne sans beaucoup de ménagement, dans une démonstration de mauvaise humeur. Elle croit se souvenir de son nom : Francesco Melzi. Il est arrivé d'Italie, il y a plus de deux ans, en disciple de Leonardo da Vinci. Tout le monde le sait, à la cour : le roi a invité le célèbre génie à séjourner en France aussi longtemps qu'il lui plaira. Nommé « Premier peintre, Ingénieur et Architecte du roi », il a reçu pour modeste demeure ce château du Cloux, au calme dans la campagne amboisienne, en plus d'une pension de mille écus d'or.

L'apprenti ruisselant, lui, s'exprimait en français dans les quelques mots qu'il a bredouillés. Il a donc été reconnu et choisi par l'artiste ici même, à Amboise. Quelle chance de vivre chaque journée aux côtés d'une si illustre figure, d'apprendre de l'exemple d'un tel maître ! Il possède sûrement un don unique pour mériter un tel honneur.

Dans le petit cercle de la noblesse de Touraine, nul ne tarit d'éloges sur les merveilles du grand da Vinci. C'est à qui renchérira sur les peintures criantes de vie, les couleurs éclatantes, les inventions prodigieuses. Pour une fois que son père acceptait qu'elle participe à un événement social de cette importance, Léonore se faisait une joie d'assister aux festivités de la journée et de contempler ces chefs-d'œuvre de ses propres yeux. Après la machinerie retraçant la course des astres sur un drap azur aux étoiles d'or, l'automate crachant de faux boulets de canon qui rebondissaient en tous sens, la vis volante devait représenter le clou du spectacle. Un léger pincement de déception s'immisce dans ses réflexions. Les démonstrations ne reprendront sans doute pas. Déjà, la foule s'égaie, plongée dans les mondanités d'usage.

À deux pas de là, le roi ne paraît pas se formaliser du changement de programme. Sa voix de tonnerre roule en contraste de celle, plus mélodieuse, de l'artiste.

— Ah, Padre, je ne doute pas que votre vis aérienne s'élève jusqu'aux clochetons de ce château, dès qu'elle sera au point ! Mais vous m'avez parlé également d'autres machines, fort ingénieuses.

Aux côtés de la jeunesse éclatante du roi, da Vinci fait figure de vieillard avec ses épaules voûtées sous sa houppelande bleu saphir et sa main droite paralysée. Son rideau de cheveux d'un gris poudré se perd dans sa barbe. Pourtant, sur son visage, les ridules s'animent d'un plaisir presque enfantin.

— Bien sûr, Sire. J'ai les plans et les croquis de toutes sortes d'engins de guerre qui vous apporteront la victoire sur le champ de bataille : le char d'assaut capable de bombarder de tous côtés, l'éventail à canons qui peut tirer pas moins de dix coups de concert, l'arbalète géante qui sèmera la panique dans les rangs adverses, le pont tournant qui protégera les accès des incursions...

Tandis que l'ingénieur égrène les capacités redoutables de ses inventions, l'attention de Léonore couve à la dérobée la prestance élégante de son interlocuteur. Elle n'a jamais eu l'occasion de côtoyer le roi de si près. Impossible de manquer sa stature de géant, ses larges épaules, son pourpoint rutilant de rubans et pierreries. Le souverain de vingt-quatre ans rayonne d'une puissance virile qui force le regard. Pas étonnant que les ragots aillent bon train autour de ses affaires de cœur ! Léonore sent une rougeur déplacée lui monter aux joues.

Peut-être alertée par un froissement de tissu, Sa Majesté François tourne la tête en cet instant. Ses prunelles l'épinglent ; son sourire s'élargit. D'autres préoccupations, bien plus frivoles, chassent les discours guerriers.

— Mademoiselle, veuillez pardonner mon indélicatesse. J'en oubliais de vous saluer. Je ne crois pas avoir déjà eu l'honneur de vous rencontrer ?

Il s'avance, s'incline avec grâce, puis marque un imperceptible temps d'arrêt devant son visage. Comme tout le monde. Léonore suspecte son père de la tenir écartée de la cour précisément pour la prémunir des commérages sur ses yeux vairons. Pourtant, elle n'est plus une enfant effrayée d'un cauchemar ; elle est capable d'endurer quelques moqueries.

Quand on parle du loup... Son père se précipite à cet instant, comme si la vertu de sa fille se trouvait menacée par une simple question.

— Excusez-moi, Sire. Je manque à tous mes devoirs. Permettez-moi de vous présenter mon aînée, Léonore.

— Ah, Monsieur de Bléré ! Je suis comblé de faire la connaissance de cette fleur tout juste éclose que vous cachez d'habitude précieusement.

Serré dans son pourpoint dernier cri, Urbain Bérard, seigneur de Bléré, se raidit d'une infime réticence. Sur les lèvres charnues du roi, le sourire s'accentue. Ses prunelles pétillent.

— Ainsi, vous êtes la fille de Jehanne. Permettez-moi de vous dire que sa beauté se retrouve sublimée dans vos traits par un parfum de jeunesse.

Léonore est persuadée qu'un brasier s'avive sur ses joues, tandis qu'une ombre s'invite sur le visage sévère de son père, comme chaque fois qu'il est question de son épouse. Depuis cinq ans, Jehanne Bérard s'est en effet retirée au prieuré de Moncé pour y louer le Seigneur. Toute la maisonnée sait que la moindre mention de son nom plonge le mari esseulé dans des profondeurs de morosité.

— Sa Majesté est trop aimable, réfute Léonore sur une génuflexion.

Elle sait avec une conscience aiguë à quel point l'asymétrie de son regard déstabilise ses interlocuteurs. Qui peut parler de beauté devant une telle tare ?

— Elle va se fiancer, ajoute le seigneur de Bléré avec une certaine précipitation.

— Toutes mes félicitations, Mademoiselle. Qui est l'heureux élu ?

Dans ses joues, le brasier gêné s'éteint, soufflé par le dernier échange. Léonore se recompose une figure de jeune fille obéissante. Son père ne lui a annoncé la nouvelle que deux jours plus tôt et la digestion reste difficile. Sa langue se colle au fond de son palais sur un goût amer. Urbain répond pour elle.

— Un seigneur du pays de Flandre recommandé à mon attention, Hugues de Wied.

Le roi arque un sourcil.

— De Wied, vraiment ? Serait-il parent avec l'archevêque de Cologne, Hermann de Wied ?

— Un petit cousin, Sire, qui s'est vu récompensés ses faits d'armes par une seigneurie de quelque importance et se cherche maintenant une épouse pour assurer sa descendance.

— Ah, médite le roi sur un ton soudain plus sérieux. Il faudra que vous m'entreteniez de cet Hugues. Cela fait plus d'un mois que je tente de communiquer avec l'archevêque sans recevoir de réponse. Peut-être qu'il offrirait une oreille plus complaisante à un cousin. Vous savez que Monseigneur de Wied est l'un des sept princes-électeurs au trône du Saint-Empire, n'est-ce pas ? Un trône qu'il me siérait bien d'occuper.

Au fil de la discussion, plusieurs courtisans se sont approchés, telles des mouches attirées par un pot de miel, avides d'un fragment d'attention royale ou d'une bribe de potin. Les mots du roi répandent un murmure sur les lèvres.

Urbain Bérard plonge dans une courbette respectueuse.

— Qui pourrait l'ignorer, Sire ? Depuis le tragique décès de l'empereur Maximilien – paix à son âme –, les sept princes-électeurs sont sous les feux de l'attention.

Léonore n'en doute pas. Même au fond du château de Bléré, elle a entendu prononcer leurs noms. On raconte que, depuis la lointaine Espagne, Charles de Habsbourg, le petit-fils du défunt, les courtise de promesses. Henry le huitième tourne son regard par-delà la Manche et lorgne sur le trône vacant.

— Charles et Henri rivalisent de courbettes pour s'attirer leurs faveurs, déclare le roi en confirmation de ces rumeurs, mais leurs belles paroles ne résisteront guère à un bataillon armé des éventails à canons de maître da Vinci, non plus qu'à un escadron de chars d'assaut. Devant la menace turque, les princes-électeurs se rangeront aux côtés d'un fervent défenseur de la Chrétienté. Avec la couronne du Saint-Empire, avant trois ans, je serai aux portes de Constantinople ! Voilà mon serment !

François bombe le torse. Sa voix s'élève en emphase sous un bruissement appréciateur. Un rayon de soleil vient coiffer d'or le glorieux vainqueur de Marignan. Ainsi nimbé, il irradie une prestance martiale. Sur un mot, il entraînerait la foule des invités dans une charge mémorable. Le curé Besnard se signe avec une pieuse ferveur. Même Léonore sent les coups plus marqués dans sa poitrine.

Au milieu de cette admiration béate, un homme trapu, aux cheveux dégarnis par une quarantaine bien tassée, joue des épaules dans la foule des courtisans. Elle ne se souvient pas l'avoir déjà rencontré. Son pourpoint de drap noir contraste avec la mode plus enrubannée de ses voisins et lui confère un air sévère de précepteur.

— Sire, si vous me permettez une opinion, avance-t-il. Charles d'Espagne étaie ses promesses d'espèces sonnantes et trébuchantes. Avant d'aligner chars ou canons, nous pourrions le contrer à son propre jeu.

— Et où allez-vous trouver l'or pour cela, Monsieur de Château-Renault ? raille le baron de Preuilly.

Pour appuyer le sens de sa remarque, le seigneur de la plus importante baronnie de Touraine prend un malin plaisir à toiser de haut en bas la sobriété flagrante de son interlocuteur. Lui-même arbore, en fils d'or et bijoux, une coquette fortune qu'un archevêque ne dédaignerait pas.

— Ma foi, intervient une voix suave que Léonore reconnaît aussitôt. S'il le faut, je serai quant à moi ravi d'avancer une partie de la somme nécessaire à notre bon roi.

Preuilly pivote sur les talons pour foudroyer du regard l'opulent Thomas Bohier, baron de Saint-Cirgues, général des finances, et voisin de Bléré depuis sa récente acquisition de la châtellenie de Chenonceaux.

Léonore se penche en avant, l'oreille tendue sur ce jeu de pouvoir. Tout fluctue autour de la subtilité d'un mot lâché, d'un ton piquant, d'un moulinet de manche. C'est donc cela, la cour ? Des échanges permanents de sarcasmes et de sous-entendus sous un voile de politesse ? Hélas, un tiraillement insistant sur sa manche l'arrache à cette discussion fascinante. Son père l'entraîne loin de la réplique suivante et du nœud, bien plus dense maintenant, de toute la noblesse. Quel dommage ! Elle aurait aimé assister à la conversation et même, si elle l'avait osé, avancer son opinion.

Le seigneur de Bléré a d'autres soucis en tête qu'une lointaine élection au trône de l'ancien empire de Charlemagne.

— Maître ! Puis-je vous entretenir, un instant ?

Leonardo da Vinci interrompt sa lente remontée vers les portes du château et tourne vers eux sa longue barbe, fendue d'un sourire poli.

— Que puis-je pour vous, Messire ?

— J'aurais souhaité vous commander un portrait – de ma fille – pour que son fiancé puisse prendre connaissance de sa future épouse.

Au fond des poils argentés, le sourire s'adoucit de tendresse. Sous les paupières tombantes, des yeux pétillants d'une vive intelligence confrontent ceux de Léonore, sans marquer la fraction de surprise usuelle. Ils la détaillent avec une précision d'orfèvre.

— Ah, une bien charmante demoiselle. Un portrait intéressant, fort intéressant... ce regard...

Sous l'intensité des prunelles, Léonore sent une nouvelle fois sa carnation trahir son trouble.

— Hélas ! reprend le peintre avec un geste las vers sa main droite repliée. Je vieillis. Je ne me déplace plus guère hors du château. Je vous enverrai mon apprenti, Florimond : un brave garçon bien plus adroit avec ses dix doigts qu'avec ses deux pieds. Il réalisera une première esquisse au crayon.

Son père hoche la tête avec une attention polie, mais Léonore repère la grimace plantée au coin des lèvres – deux lignes minces qui ignorent tout sourire depuis cinq ans. La récente démonstration du jeune homme ne plaide pas en sa faveur.

Plongé dans sa planification, da Vinci ne semble pas s'apercevoir de cette réticence.

— Nous verrons après comment procéder. Mais un portrait complet prendra du temps. Tout dépend de l'impatience du futur époux.

— Le plus vite sera le mieux. Voici déjà un premier acompte pour votre défraiement.

Urbain tend une bourse cliquetante que l'artiste empoche avec un remerciement appuyé. Il s'excuse ensuite, arguant de sa fatigue, et prend congé.

Léonore le regarde s'éloigner sur l'allée de graviers. Un mélange confus lui barbouille l'estomac. En fille obéissante, elle devrait se sentir heureuse de ces épousailles, surtout après avoir souvent désespéré devant son miroir face aux iris inconvenants ; et l'idée que le célèbre da Vinci réalise son portrait devrait la transporter de joie. Toutefois, elle ne trouve aucune trace de cette félicité dans l'inconfort croissant qui la tenaille. Juste un grand vide d'inconnu.

— Où donc est passé ton frère ? s'agace son père d'une sèche impatience qu'elle ne connaît que trop bien. Nous allons repartir sous peu.

— Je vais le chercher ! offre-t-elle en palliatif de la colère naissante. Il ne doit pas être bien loin.

Sans attendre de réponse, elle s'éloigne d'un pas un peu plus vif que ne le demanderait la stricte bienséance. Ses yeux explorent la foule en quête des touffes brunes ébouriffées de ce sacripant de Jacques. En vain. Quelle bêtise a-t-il encore inventée ?

Elle parcourt le dais royal, large d'au moins trente brasses et tout damassé de draps céruléens. Le roi a repris place sur la tribune, aux côtés flamboyants de sa sœur, la lettrée Marguerite d'Angoulême, et de sa mère, Louise de Savoie. La reine Claude, de nouveau grosse d'un futur prince ou princesse, si discrète et austère sous son chaperon brodé de perles, berce dans ses bras le Dauphin emmailloté dans une longue robe blanche aux lys d'or.

En hommage au premier anniversaire de l'héritier, l'attroupement de tantôt s'est ordonné sur une file de solliciteurs. Tous les notables viennent présenter leur respect, déposer un cadeau dans l'espoir d'une prochaine faveur ou simplement briller, le temps d'une révérence, sous l'éclat du souverain.

L'attention de Léonore s'arrête sur l'homme qui s'avance à cet instant. Sa mise de sobre élégance souligne la perfection de ses traits, sortie tout droit d'une statue d'Apollon, ciselée dans le plus laiteux des albâtres. Les crevés grenats de son pourpoint rehaussent le velouté noir de sa chevelure, ondulée dans une cascade satinée. Son sourire étire des lèvres plus délicates qu'un fil de soie.

Léonore sent son cœur chavirer. Elle se rapproche à petits pas, happée par un magnétisme irrésistible, et cligne des paupières. Le vent de mars s'immisce dans son cou avec un frisson. Elle relève son col de fourrure sans parvenir à chasser le froid de ses os.

Le courtisan plonge dans une révérence d'une maîtrise impeccable et présente au roi un tableau au cadre doré à l'or fin. De sa position, elle distingue à peine le sujet de la toile : quelque paysage forestier planté d'un château.

La curiosité l'appelle d'un pas en avant lorsqu'un inconfort lui hérisse la nuque. Elle fait volte-face pour tomber presque nez à nez avec une récente connaissance : le seigneur de Château-Renault au costume aussi sombre que son expression. Le gaillard la dévisage sans vergogne ! Elle a l'habitude des réactions tantôt gênées, tantôt insistantes devant la couleur inusitée de ses iris, mais là, ce malotru dépasse les limites de la bienséance ! Une bouffée de colère lui pique le nez.

Elle ouvre la bouche pour le remettre à sa place d'une semonce bien sentie lorsque quelqu'un se pend à son bras avec un petit cri aigu.

— Il est beau comme un dieu, n'est-ce pas ?

Coupée dans son élan réprobateur, Léonore tourne la tête vers la coiffe brune et la mine énamourée de son amie Isabeau. À l'évidence, l'incorrigible pipelette ne parle pas du sinistre individu tout de noir vêtu. Ses yeux sont rivés sur le svelte personnage de conte de fées qui se redresse près du dais, presque aussi grand que le roi. Ses prunelles brillent d'une adoration tout à fait inconvenante, tout à fait typique.

— Tu le connais ?

Pourquoi pose-t-elle la question ? Isabeau Bohier connaît tout le monde à la cour du comté. Elle y parade depuis qu'elle sait tout juste marcher. Après avoir servi quatre rois successifs comme secrétaire puis général des finances, son père navigue dans ces eaux traîtresses avec l'aisance d'un requin. Léonore étouffe un léger pincement de jalousie. Heureusement, en véritable amie, Isabeau lui rapporte toutes les rumeurs, particulièrement les plus croustillantes. Sans surprise, elle se révèle une fois de plus une source de renseignements précieuse.

— Blaise Fayet, seigneur de Candé, souffle-t-elle dans un papillonnement de cils. Ses terres se situent un peu en amont, au confluent entre la Loire et le Beuvron. C'est rare de le croiser. Il vient peu aux festivités et ne se mêle pas de politique.

Elle baisse la voix d'un cran.

— Et à ma connaissance, il est veuf, appuie-t-elle avec un clin d'œil.

Tandis que le courtisan suivant s'avance devant le roi, le regard de Léonore s'attarde sur la silhouette élancée qui s'éloigne d'une démarche aérienne. Sa chevelure soyeuse oscille au rythme de ses pas. Sans qu'elle sache pourquoi, un étrange mélange de répulsion et d'attirance lui soulève le cœur.

Quand elle perd enfin de vue le surprenant personnage dans la foule et tourne la tête, le seigneur de Château-Renault a disparu, lui aussi.

Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro