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15. La belle au château dormant (3/3)

Florimond n'a même pas atteint le bout de l'esplanade que le sol tremble sous le poids d'une montagne en marche. Il freine des quatre fers. Une marmite émerge au ras de l'escalier, digne des repas plantureux de Mathurine. S'y ajoutent toutefois deux foyers rouges de mauvaise augure. Le faux chaudron s'élève sur des épaules larges comme un soc de charrue, suivi juste après par le reste d'un torse de glaise, jusqu'aux pieds massifs qui craquellent les dalles fragilisées : le colosse du seigneur de Candé !

Florimond recule. Dans son dos, sur les côtés, au ras des frondaisons et de l'entrelacs de pierres, des crissements furtifs rayent la quiétude d'une ville loin d'être aussi inhabitée qu'elle le promettait. Des éclats de pelage blanc se faufilent sous les feuilles. Le loup n'était pas seul. Ces animaux chassent en meute et se regroupent pour le partage convivial d'un morceau juteux. Florimond déglutit. Préfère-t-il finir en jambon sous des crocs tranchants ou en galette sous un poing de glaise ?

Tout en maintenant une distance prudente avec l'avancée du mastodonte, il quête une voie de sortie. Un obstacle imprévu le cueille au ras des genoux. Il bascule en arrière sur un siège inconfortable et retient un beuglement quand son coude fait connaissance avec plus dur que lui. Voilà ce qui arrive lorsqu'on n'a pas des yeux derrière la tête ! Il avait oublié cette maudite pierre, plantée au centre de la place par quelque plaisantin en mal de victime innocente.

Le géant ne se pose pas de question ; il avance droit sur lui. De part et d'autre, des grappes d'iris jaunes s'assemblent pour le spectacle, coupant tout espoir de retraite. Florimond s'aplatit au fond de son bloc de granit. Ce sera donc la version galette. Le meunier lève un poing de glaise, le sac de grain ferme les yeux.

Le coup ne tombe pas.

Un raclement, une trépidation, un balancement. Que trafique son agresseur ? Florimond entrouvre un œil et plonge dans deux braises luisantes, juste sous son nez. Le décor des bâtiments oscille dans le clapot languide d'une barque sur les bords de Loire. Le bout de ses galoches ballotte à cinq pieds du sol.

La pierre ! Le goliath s'est emparé de la pierre ! Sans même se préoccuper du moustique cramponné dessus.

Florimond remonte ses jambes et s'autorise un tour d'horizon. Son porteur redescend les degrés. La meute leur emboîte le pas, mais hésite à donner l'assaut sur une montagne glaiseuse.

L'un des loups, plus entreprenant, retrousse les babines. Un autre claque des mâchoires. Ils semblent déçus de ne pas avoir le moindre jambon d'apprenti à se mettre sous la dent. Tant pis pour eux ! En tant que propriétaire desdits jambons, Florimond s'y sent très attaché. Il se recroqueville dans le creux protecteur. Pas question de laisser traîner un bout d'orteil !

La promenade se poursuit dans un balancement heurté, le long de façades couturées, devant des fenêtres aveugles, sous les frondaisons d'arbres qu'il serait bien en peine d'identifier. Peu à peu, un nœud se dénoue dans son ventre, puis un deuxième, suivi de toute une joyeuse bande. Il relâche le souffle égaré au milieu de cet imbroglio. Les crocs ne peuvent l'atteindre.

Il adresse un sourire vacillant à son porteur et sauveur inopiné. Finalement, il l'a mal jugé. Ce n'est pas sa faute s'il a une gueule de chaudron des Enfers.

— Je te dois une fière chandelle, l'ami !

Sous les yeux ardents, le caquelon se fend d'une bouche caverneuse.

— Je N'Ai Pas Besoin De Chandelle. Je Vois Le Chemin.

Si Florimond n'avait pas déjà le postérieur bien calé dans son coussin granitique, il en tomberait à la renverse.

— Tu... Tu parles ?

— Je Parle. Ainsi L'A Voulu Ma Créatrice.

Il médite cette notion inédite. Les quelques mots échangés, qu'il oserait qualifier de conversation, élèvent d'un coup la créature au noble rang de compagnon d'infortune. En fait, il se sent même un subit élan de sympathie pour ce pilier anti-loup mobile. Une vague de curiosité emporte le reste de ses préjugés.

— Tu n'as pas peur de ces bêtes, ou des monstres de cette cité ?

— Je Ne Possède Pas Cette Peur Dont Tu Parles. Qu'Est-Ce ?

Bonne question ! Il y a l'embarras du choix en réponse : un filet glacé le long de l'échine, un tambour dans la poitrine, une poigne sournoise autour des tripes. Mais ces notions revêtent-elles un sens pour un être dépourvu d'entrailles et de leurs inconvénients ?

Les explications compliquées ne sont pas son fort, il se contente de hausser les épaules.

— Laisse tomber, on s'en passe très bien.

— Je Dois Porter La Pierre. Je Ne Dois Pas La Laisser Tomber.

La réponse parfaitement détachée, accompagnée de la lente compréhension de ce qui a failli se produire, plombe l'estomac de Florimond. Bravo, qui parle encore à tort et à travers ? La faute à un soupçon de nervosité, sans doute. Heureusement, le gaillard est suffisamment attaché à ses consignes pour ignorer celles d'un parfait imbécile, prêt à scier la branche qui le protège d'une meute de crocs.

— As-tu un nom ? interroge-t-il pour revenir vers des sujets moins risqués. Moi, c'est Florimond.

— Je Suis Magen, Je Suis Protecteur.

— Protecteur ? Ce n'est pas un nom, ça, s'offusque-t-il. C'est comme si je m'appelais Broyeur de couleurs !

— Je Suis Magen, répète l'obstiné d'un ton égal.

Florimond passe une main un peu fébrile dans son fouillis de boucles. La discussion le distrait de la ribambelle de pelages hostiles. Les loups les suivent toujours, dans l'espoir qu'une secousse déloge le repas de son perchoir.

— Tu pourrais t'en choisir un ?

— Je Ne Choisis Pas. J'Obéis.

— Comment ça, tu ne choisis pas ? Tout le monde peut choisir : Jean, Georges, Émeric, celui que tu préfères. Tiens, Rodolphe, par exemple, ça t'irait plutôt bien. Tu as une bonne tête de Rodolphe.

Le géant de glaise enjambe les restes d'une colonnade ; un cahot plus fort secoue le siège. Florimond se raccroche du bout des ongles pour éviter la culbute. Son véhicule souffre d'un manque flagrant de poignées, il faudra qu'il pense à déposer une réclamation aux spectres de la cité. En parlant de spectres... Il jette un coup d'œil à la ronde. Où sont passés les loups ?

Seules quelques nuées taquines flottent à la traîne. Un rire nerveux lui échappe. Ils ont dû renoncer. Après tout, les loups ne volent pas, même dans ce pays de fou. Ce n'est pas comme s'il avait affaire à un dragon, par exemple.

Au moment même où la pensée traverse son esprit, il sait que c'est une erreur. Il tente de retenir la rebelle, mais elle lui échappe, se nourrit au terreau fertile de son imagination, ouvre une gueule à jalouser un loup bien pourvu, déploie ses bras membraneux et s'envole dans un grondement. Son écho se réverbère entre les murs et déverse une douche glacée sur sa tête. Quel idiot !

Le brouillard se rassemble sur un battement d'ailes longues comme un dais royal. Un lézard nébuleux, équipé d'une crête d'écailles opalines, de griffes tranchantes comme des hallebardes, d'une gueule chauffée au rouge, s'élève au-dessus des toits.

— Non, non, non, je ne voulais pas penser ça, murmure Florimond.

Trop tard ! Le dragon pique du nez vers le hors-d'œuvre offert sur un plateau. Florimond plonge de côté. Une masse imposante le frôle. Les griffes crissent sur la pierre avec une gerbe d'étincelles à faire pâlir d'envie un rémouleur. Il roule sur lui-même jusqu'à sentir sous son ventre une absence plutôt fâcheuse. Son repas lointain remonte lui chatouiller le fond de la gorge. Il dégringole de son perchoir et s'écrase, l'instant d'après, dans un buisson de fougères pourpres.

Un cri déçu, au croisement entre un soufflet de forge et un glissement de terrain, s'éloigne, vire sur l'aile et repart pour un second service. Florimond referme les doigts sur sa branche, essuie son nez ensanglanté et se redresse d'un bond. Pas le temps de compter ses membres, il faut espérer qu'aucun ne manque à l'appel. Imperturbable au milieu de ce ballet écailleux, le colosse poursuit son bonhomme de chemin avec son fauteuil vacant.

Le dragon file en rase-mottes dans le corridor de l'avenue, dédaigne le tas de glaise trop coriace à son goût et dévoile une double rangée de rasoirs.

Florimond agite son bâton à grands moulinets, encouragé par un staccato endiablé contre ses côtes. La gueule béante se rapproche, grossit. Avec un meilleur éclairage, il pourrait presque observer jusqu'au fond de la queue. Foin d'enquête anatomique ! Il plonge derrière un pan de colonne au dernier instant, sacrifiant quelques boucles au passage.

Le cauchemar ailé le dépasse avec un cri de dépit et reprend de la hauteur. Cette fois, Florimond n'attend pas la prochaine visite. Il détale, de toute la vitesse de ses jambes disparates. Entre les hautes herbes, par-dessus les pierres éboulées, sous les branches basses. Il saute, caracole et chancelle dans une chute en avant permanente, rattrapée à chaque foulée par l'appui sur un mur, un battement de bras, une pression de bâton.

Il dépasse le pas imperturbable de son ex-porteur sans s'arrêter pour la causette. Un souffle chaud enfle dans son dos. Sa nuque se hérisse. Droit devant, la rue s'ouvre sur un flanc de colline. Il accélère. Son cœur menace de bondir et poursuivre seul sa course ; sa respiration se perd en chemin.

Florimond jaillit hors des dernières maisons, trébuche sur un obstacle, culbute dans le talus et atterrit bras en croix, vidé de son air. Le dragon est sur lui dans un claquement d'ailes. Il plonge, franchit les limites de la cité et s'étiole en filets de brumes.

Allongé sur la terre humide, le nez enflé dressé vers les étoiles, Florimond rassemble sa respiration et les bribes éparpillées de ses pensées. Il a réussi ! Il est sorti !

Il se relève, encore un peu vacillant, époussette le pan terreux de sa houppelande, réajuste la bretelle de sa besace et passe une main dans ses boucles dans une tentative douteuse pour leur redonner un aspect civilisé. Le géant à tête de chaudron émerge des derniers bâtiments avec son colis insolite. Les brumes trompeusement paisibles nimbent les toits oubliés. Il ne reste trace ni de loup, ni de dragon, ni de toute autre créature qui pourrait germer de son imagination trop féconde. Apparemment, les cauchemars ne peuvent quitter l'enceinte de la ville.

Une fierté indéniable enfle entre ses côtes. Il a traversé une cité maudite, dialogué avec le fantôme d'une reine et échappé au feu du dragon. Il lui suffit de retrouver la porte menant au château, de réveiller Léonore et de déguerpir en douce avant que le propriétaire des lieux ne s'aperçoive de leur disparition. Un jeu d'enfant pour un apprenti chevalier tel que lui ! Il a peut-être raté sa vocation.

Un arc conquérant se force une place au coin de ses lèvres. Florimond pivote, plein d'allant, et s'immobilise aussitôt. Le sourire détale plus vite qu'un lapin devant les aboiements de Filou.

À un jet de pierre, une silhouette en pourpoint étincelant l'observe avec une expression qui pourrait paraître amusée. Toutefois, aucune étincelle joyeuse ne réchauffe les iris d'un bleu hivernal. Florimond reconnaît le visage à la beauté inhumaine, mais un léger détail chagrine le souvenir qu'il avait conservé du personnage. Le gaillard ne porte plus son haut-de-chausses raffiné ; en fait, il ne porte plus de haut-de-chausses du tout – ni de bottes ou de chausses, soit dit en passant. Ses jambes velues, aux cuisses épaisses, se terminent en sabots.

— Ah, monsieur Florimond, salue le seigneur de Candé. Quelle délicieuse coïncidence !

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