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11. Tel père, telle fille (2/3)

Elle enfile un couloir plus étroit et franchit l'arche du fameux atelier – un terme bien pompeux pour désigner une pièce plus modeste sur l'arrière du corps de logis, encombrée d'un fatras qui ferait sans doute le ravissement puéril d'un certain broyeur de couleurs. Par la grande baie à colonnes, les rayons rasants de fin d'après-midi inondent des ébauches de figures, des dessins tronqués, des esquisses mystérieuses. Sur ce flanc à pic du château, aucun rempart ne tranche la vue imprenable sur le rideau des saules. En guise de douve, les eaux verdâtres du Beuvron lèchent le pied du promontoire avant de s'épancher un peu plus loin dans la Loire.

Un unique personnage trône dans ce capharnaüm : Blaise Fayet, seigneur de Candé et l'homme à la beauté la plus insolente qu'elle connaisse. En dépit de la nature quelque peu délicate de son activité, il étale l'élégance du courtisan à son premier bal. Pour être parfaitement honnête, il aurait sans doute l'air élégant même en braies et bras de chemise. Le seigneur des lieux relève la tête de derrière son chevalet, pose pinceau et palette et étire ses lèvres minces.

La Flèche frémit. Le sourire s'enroule autour de son cou pour l'inviter à approcher. Comme chaque fois, son traître de cœur décide de son propre chef d'accélérer la cadence. Elle ne s'habitue résolument pas au bleu hivernal du regard, au noir corneille de la longue chevelure, au teint d'albâtre. Le sourire s'accentue sur les lèvres ciselées. Blaise Fayet connaît l'effet de son apparence et en joue avec un plaisir malsain.

La Flèche s'incline avec une certaine rigidité.

— Ah, voici ma Flèche affûtée. Quelles nouvelles de notre convalescente ?

La voix mélodieuse, presque voluptueuse, glisse jusqu'à elle avec la délicatesse d'une caresse. La Flèche se redresse, le regard fixé droit devant elle. Elle se refuse à tomber sous le charme de ce dameret.

— Elle s'est réveillée et a demandé à ce qu'on prévienne sa famille. Je lui ai fait boire une potion contre la fièvre, assaisonné du nécessaire pour qu'elle reste un peu tranquille. De toute façon, il vaut mieux qu'elle garde le lit encore quelques jours.

— Excellent ! Vous me voyez ravi qu'elle ait repris connaissance et que ses jours ne soient pas en danger.

Les poings de La Flèche se crispent d'un sursaut de suspicion.

— Sauf votre respect, Messire. Qu'est-ce que vous lui voulez à cette gamine ? Elle doit même pas avoir seize ans.

La question claque plus agressive qu'elle ne l'aurait voulu. Une colère latente lui irrite les nerfs sans qu'elle sache pourquoi. Voilà qu'elle s'inquiète pour une rupine ! Rien ne va plus.

— Oh, rien d'affreux, je vous assure ! Je souhaite juste réaliser son portrait.

La Flèche s'attendait à beaucoup de réponses au travers de ses propres spéculations, mais certainement pas à celle-là.

— Son portrait ?

Un amusement frémit sur les lèvres du seigneur, qui n'éveille aucune hilarité similaire chez elle – le frémissement de moustaches que le chat adresse à la souris.

— Oui, vous l'avez vue. Ne trouvez-vous pas son visage fascinant ? La peinture est l'une de mes passions.

— Sans blague ? J'avais pas remarqué ! marmonne-t-elle trop bas pour qu'il l'entende.

Ou pas ? Une étincelle éclaire le bleu pâle des iris ; La Flèche serre le bide sur un pincement d'inconfort. Sa grande gueule finira par lui jouer des tours. Les puissants aiment manier la plaisanterie, mais apprécient rarement qu'on leur serve le même ragoût.

Elle enchaîne, sans lui laisser le temps de relever :

— Vous avez de la chance que je sache nager ou c'était un portrait mortuaire que vous faisiez. Même ainsi, il faudra surveiller que la congestion n'emporte pas la poitrine.

Il écarte reproches et préoccupations d'un revers négligent sans se départir de son flegme. Le sourire outrageux campe toujours au coin des lèvres.

— Je n'en attendais pas moins de vous. Tout comme je sais qu'elle est entre de bonnes mains pour cette mauvaise fièvre.

— Je suis arrivée il y a cinq jours, vous ne connaissez rien de moi, rétorque-t-elle sur un pur ton factuel. Je pourrais aussi bien empoisonner cette gosse par erreur.

— Détrompez-vous. J'ai toute confiance dans les talents de mire de la fille du célèbre Salomon Sagreda.

La Flèche vacille. Le nom explose en gerbe glacée dans son esprit. Elle a l'impression d'avoir sauté une seconde fois tout habillée dans la Loire. Tous ses muscles se contractent. Elle ignore juste si c'est pour se carapater en vitesse ou bondir à la gorge de l'arc narquois. Le cabotin se délecte de sa déclaration fracassante !

Inutile de nier. S'il s'agissait d'un coup de bluff, sa réaction l'a déjà trahie.

— Qui vous l'a dit ?

Ses sourcils se concertent sur une soudaine suspicion. Est-ce Achéric qui a vendu son nom ? A-t-il fait le lien lui aussi ?

— Personne en particulier, mais j'ai bien connu votre père. À travers vous, je reconnais son sang, son intelligence et ses connaissances.

Il s'accote à l'imposant dossier sculpté de sa chaise, toujours affublé de son air matois. C'est qu'il est rudement content de son petit effet, le sagouin ! Et maintenant ? Va-t-il la vendre au curé et à ces messieurs du guet ? La regarder brûler pour l'exemple ? S'amuser d'abord un peu ? La Flèche grince des dents. Sa brusque transformation en rongeur pris au piège attise sa colère. Un feulement se réveille au fond de ses tripes. Ce gros matou risque de découvrir à ses dépens que la proie visée n'est pas l'inoffensive souricette qu'il imagine !

— Vous l'avez bien connu, dites-vous, attaque-t-elle la première. Pourtant, je ne me souviens pas de vous.

Il écarte son accusation d'un haussement d'épaules. Comment parvient-il à maîtriser ce mélange de dédain et de grâce insolente ?

— Vous étiez jeunette. Il faut croire que votre père ne vous mettait pas dans toutes ses confidences. Nous avons partagé quelques discussions théologiques fort intéressantes sur la nature de l'âme, figurez-vous. Aussi, n'ayez crainte, votre secret sera le mien.

La Flèche plisse les yeux sans savoir que penser. Est-ce tout ? Pas d'exigence foireuse, pas de menace ? Juste un « Je sais, mais je ne dirai rien » ? Toute cette histoire pue la gabegie ! En attendant d'affiner son opinion sur l'outrancier personnage, elle décide de biaiser.

— En parlant de cachotteries, Léonore Bérard m'a dit que son frère se trouvait avec elle dans les bois. Vous n'aviez pas mentionné de garçon. Elle s'inquiète pour lui.

Blaise Fayet agite une main négligente.

— Ah, oui. Le jeune homme n'était pas invité. Les corneilles les ont séparés. Après avoir cherché sa sœur jusqu'à la nuit, il a fini par rentrer chez lui. À pied, je le crains, mais en un seul morceau. Vous pourrez la rassurer sur son sort.

La Flèche prend note d'un signe de tête. Elle n'aurait pas versé de larmes sur la noyade d'un rejeton de seigneur – cet Urbain Bérard n'en a sûrement pas gaspillé une seule autrefois sur le sort de toute une communauté juive –, mais elle préfère autant ne pas affronter le déluge d'une gamine éplorée. Garde-malade, passe encore. Consolatrice, très peu pour elle !

Un battement d'ailes attire son attention vers la rambarde. Un oiseau noir vient se poser à côté d'un premier compère, suivi juste après d'un troisième. Quatre autres larrons débarquent en formation serrée. Cet équipage s'aligne comme des soldats à la parade. La Flèche bascule la hanche pour dégager l'accès à son épée. Il faut bien plus qu'une brochette de volatiles pour l'effrayer, mais les becs dardés sur elle composent une ambiance irréelle à désarçonner un briscard endurci.

— Comment faites-vous cela ? grommelle-t-elle.

Une lueur espiègle qu'elle n'est pas certaine d'apprécier s'allume dans les prunelles du seigneur.

— Quoi donc ?

Elle balaie d'une main la rangée d'yeux aviaires, plus nerveuse qu'elle ne veut bien l'avouer.

— Les corneilles. Elles vous obéissent. La fille a surgi des bois là où vous m'aviez dit d'attendre en chevalier bienfaiteur.

Il se penche très légèrement en avant et l'épingle d'un regard aussi glacial qu'une bise dans un ciel dégagé.

— C'est un don de ma lignée depuis la nuit des temps. Certains peuvent communiquer avec l'âme des animaux, parfois leur souffler leur volonté, comme d'autres peuvent éveiller celle de la matière inanimée.

La Flèche serre les dents, à la fois déstabilisée et subjuguée par l'intensité des deux disques pâles. Elle n'aime décidément pas la tournure de la conversation. Pour un peu, elle sentirait encore l'eau de son précédent plongeon ruisseler sur sa peau.

— Que voulez-vous dire ?

— Voulez-vous voir mon tableau ? Je l'ai terminé, propose-t-il d'un ton redevenu badin.

Elle bat des cils, interloquée par ce brusque changement de conversation.

— Votre tableau ?

Il se lève dans un raclement de chaise, lisse les plis déjà parfaits de son haut-de-chausses bouffant et l'invite du geste affable d'un cavalier au bal. Ainsi debout, il la domine de la tête et des épaules.

La Flèche a l'impression que le sol se dérobe sous ses pieds. Elle se rattrape d'un pas en avant, puis se rapproche d'un deuxième, hameçonnée de curiosité.

Du coin de l'œil, elle surveille la brochette de volailles, aussi impassibles que des trophées empaillés. Le seigneur n'est pas armé, du moins pas en évidence. Pourtant, tous ses instincts se hérissent. Quelque chose lui échappe, mais quoi ? Son esprit mouline dans le vide. Ses bottes progressent de leur propre initiative. Elle contourne le chevalet et pose les yeux sur la peinture encore fraîche.

En plein centre, une créature humanoïde couleur de glaise tient tête à une armée de grimaces vindicatives. Fourches, piques et épée se brisent sur son torse nu. Une file de femmes et d'enfants apeurés s'abritent dans son sillage.

Un golem.

Une bouffée de haine pure lui saute au visage. Elle vacille, étourdie par la sensation. Un feulement enfle dans sa gorge. Son père avait créé l'homme de terre cuite pour leur protection. C'était un don de Dieu pour le Peuple élu, les ignares y ont vu l'œuvre du Diable ! Aiguillonnés par les mensonges du curé, menés par Aymard, les mangeurs de crucifix les ont massacrés : le sage Salomon, la douce Méira, son frère Caleb et tous les autres. Elle est la dernière. Elle seule peut réclamer justice !

Elle sombre dans un tourbillon de ressentiment. Elle avait cru haïr, avant. Ce n'était qu'écume en regard de la lame qui l'entraîne sous les eaux.

Une main se pose sur son épaule. Le contact léger se propage en un millier de fourmillements dans tout son corps. Son bras la démange de trancher quelques gorges, d'effacer ces rictus pervers, de lutter aux côtés du Protecteur.

Une voix onctueuse s'insinue au milieu de ses visions de carnage.

— Vous sauriez le refaire, n'est-ce pas, Rachel ? Tel père, telle fille.

Elle raccroche les brins éparpillés de sa conscience pour réfléchir à la suggestion euphorisante. Le refaire ? Elle n'y avait jamais songé. Pourrait-elle ? Elle a assisté à la genèse, autrefois.

Elle secoue la tête, à regret. Elle s'en consume d'envie en une lente agonie, la soif de réparation lui râpe la gorge, ses entrailles se tordent de désir, mais elle ne peut pas. Elle répond d'une voix lointaine, sans détacher son regard du front noble du Protecteur.

— Je me souviens des étapes du rituel, mais pas des mots précis. J'aurais besoin de m'appuyer sur une Torah, pas une Bible. Il me faudrait le texte en hébreu.

— Quelle merveilleuse coïncidence. Je dispose d'un tel document.

Elle pivote et se noie dans deux iris secourables.

— Vous avez le texte de Loi ?

Ses mains en tremblent d'impatience. Elle s'humecte les lèvres.

— Où ?

Le seigneur se coule jusqu'à un grand buffet où s'entrepose une mosaïque de coupelles aux poudres colorées, ouvre un tiroir et en sort deux rouleaux jumeaux aux poignées de bois patinées par l'usage.

La Flèche retient son souffle, s'approche dans un brouillard de rêve. Ses doigts caressent le grain du parchemin avec un frisson de ressouvenir. Elle écarte les deux baguettes et plonge dans le texte méticuleusement calligraphié. La voix profonde de Salomon la berce de sa sapience. Elle écoute en enfant sage à la lumière d'une chandelle. Sa mère lui sourit par-dessus son reprisage.

La Flèche secoue la tête pour disperser ces lambeaux de passé.

— C'est la Torah de mon père. Je la reconnais.

Une suspicion perce le voile de cette miraculeuse opportunité de châtiment divin.

— Comment l'avez-vous en votre possession ?

— Je l'ai rachetée, il y a quelques années, à un seigneur local qui souhaitait s'en débarrasser. J'ai cru comprendre qu'un garçon la lui avait apportée, peu de temps après les tristes événements, espérant en tirer quelque argent.

— Qui ? rugit la bête du fond de ses entrailles.

— Le seigneur de Château-Renault.

Encore ce nom ? C'est la seconde fois aujourd'hui que cet individu est mentionné en sa présence. Elle n'aime pas les coïncidences. Les rouages de ses pensées se remettent en marche dans le grincement d'une charrette rouillée. Le garçon en question pourrait-il être le traître ? Qui connaît-elle au service du personnage ? Roland ! À la date du pogrom, il devait avoir dans les quinze ou seize ans, assez jeunot pour être qualifié de gamin par un capitaine de la garde, mais elle est bien placée pour savoir qu'il n'est pas juif. Difficile de planquer un pénis circoncis quand on est nu comme un ver.

Elle secoue la tête dans un vertige. Non, cela ne colle pas, rien n'a de sens. Ses pensées se heurtent à des murs. Elle erre à l'aveuglette dans un labyrinthe de contradictions. Le chemin devrait se trouver quelque part, sous ses pieds, mais se dérobe.

Une voix lui tend la main.

— Vous savez, beaucoup des seigneurs locaux ont profité, plus ou moins directement, du massacre des juifs. Certains d'entre eux avaient contracté de lourdes dettes auprès du banquier Enríquez, qui se sont trouvées fort commodément effacées par son décès subit.

— Oui, je sais, articule-t-elle d'un timbre rauque.

Ses doigts se plaquent sur le cuir de sa veste. Elle peut sentir le froissement de la lettre de Thomas Bohier au fond de sa cachette. Elle n'a pas osé laisser le document compromettant dans sa chambre, en son absence. Elle préfère le savoir en sécurité, au plus proche d'elle.

Du fond de ses tripes, la bête ouvre une gueule affamée – sauf que ce n'est plus une bête, mais un prince enjôleur qui lui susurre des mots doux de vengeance. Elle approuve de la tête. Tous ces profiteurs doivent subir leur punition ! Et, pour l'administrer, quoi de plus approprié qu'une main de glaise animée par les paroles confiées par Moïse à son peuple ?

Son regard s'envole vers le chevalet et se repaît de la haute figure de terre cuite. Elle y puise la certitude qui lui faisait défaut jusqu'à présent.

— Alors, sauriez-vous reproduire le miracle de votre père ?

Est-ce la bête qui lui parle ou le seigneur de Candé ? Elle s'en moque. Les questions ont disparu. Il est temps de passer à l'action.

— Oui.

— Ce soir ? suggère la voix.

— Ce soir, acquiesce-t-elle.

Son cœur éclate d'un tambour de guerre. Une corneille se pose sur son épaule. Elle se sent ivre, ivre de haine, et c'est la sensation la plus ensorcelante qu'elle ait jamais ressentie. Plus étourdissante qu'un cruchon de vin, plus exaltante qu'une nuit entre des bras experts. Ses lèvres se retroussent sur un sourire carnassier.

Au loin, à l'autre bout de sa conscience, elle entend la protestation étouffée d'une petite fille.

Une faible, une lâche, elle ne l'écoute pas.

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