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10. Sur les ailes d'un rêve

Jacques pousse un hululement de rire et donne des talons dans les flancs de son cheval.

— On fait la course ?

Ce tricheur a déjà une longueur d'avance ! Léonore tance sa monture, qui n'attend que cette occasion. L'animal bondit ; elle se rattrape de justesse et se penche sur l'encolure. Le nez piqué par la crinière alezane, elle se laisse emporter par l'excitation de la chevauchée en cavalière accomplie. Le vent fouette son visage d'un vertige de liberté, arrache quelques mèches de ses tresses disciplinées. Son cœur approuve à tout rompre. Les pans retroussés de sa robe claquent un refrain d'aventure – heureusement qu'elle a choisi une tenue dépourvue de fioritures pour cette visite au monastère.

Le cheval est harnaché pour un homme, bien sûr. Les pieds fermement calés sur les étriers, elle ne peut que s'en féliciter. En selle de femme, elle n'aurait pas osé foncer de la sorte derrière Jacques, sur cette route caillouteuse, un hallali aux lèvres.

Bientôt, le chemin entre deux coteaux se rétrécit à l'approche d'un bosquet. Quelques branches basses tendent leurs doigts griffus. Jacques ralentit le train sur un trot plus prudent. Elle le rattrape, le souffle court, les pommettes en feu. Il flatte l'encolure ruisselante de sa monture et l'accueille d'un sourire pendard.

— Ah, la tête du capitaine Lambert quand tu lui as exposé ton plan ! J'ai cru qu'il allait en avaler sa moustache, peut-être même toute la calèche !

Il écrase une larme rieuse au coin de son œil.

— Pense à ce pauvre briscard privé de son cheval et secoué au fond de la voiture sur des coussins de velours. N'as-tu pas un brin de pitié pour lui ?

Léonore suit en pensée le trajet du carrosse. L'attelage est reparti, comme si de rien n'était, en direction d'Amboise, puis de Bléré, avec son escorte un peu diminuée. Seule différence notable : les rideaux bordeaux n'abritent plus une frêle jeune fille aux yeux vairons, mais un soldat et son épée. Si le coupe-jarret projette quelque mauvais coup, il aura une fâcheuse surprise. Et s'il la piste, il ignorera tout du détour qu'elle envisage.

Léonore en éprouve un indéniable pincement de satisfaction.

— Je ramènerai sa monture à ce brave soldat dès ce soir, mais j'ai bien cru que le capitaine allait refuser.

Lambert s'est fait tirer l'oreille, plutôt deux fois qu'une. Elle a dû insister de toute son autorité de fille du seigneur.

— Il a accepté parce que je restais avec toi, appuie Jacques d'un clin d'œil.

Il hausse les épaules avec une certaine fatalité.

— Père sera furieux lorsqu'il l'apprendra.

C'est probable, même s'il est au courant, pour le coupe-jarret. Elle fera valoir sa frayeur – bien réelle – de cet homme. Léonore pousse un léger soupir. Elle qui d'habitude couvre les escapades de son frère risque d'avoir plus de mal à justifier les siennes.

Jacques époussette quelques brindilles semées par les frondaisons dans ses cheveux.

— Bon, la calèche doit avoir suffisamment d'avance, maintenant. Quelle est la suite du plan, damoiselle ? On rentre à Bléré, nous aussi ?

Elle secoue la tête sans plus trace d'hésitation. La tension de ces derniers jours a déserté ses muscles, dissipée par l'action et la sensation grisante de vitesse. La seconde partie de son idée lui tend les bras ; mieux vaut prendre l'initiative tout de suite que de quémander plus tard une autorisation qu'elle n'obtiendra jamais.

— Il y a d'abord un endroit dont m'a parlé mère que j'aimerais visiter. Connais-tu le lieu-dit La-croix-saint-André ?

*

Les deux chevaux progressent à la file sur une sente à peine tracée dans un chuintement de mélasse. Un mélange collant de boue et de vieilles feuilles décomposées chausse les sabots. Quelques vestiges neigeux s'attardent çà et là dans les replis rocheux, au fond des fondrières, près des mares craquelées. Ces témoins d'un hiver alangui côtoient les bouquets pastel des premiers crocus.

Au-dessus des cavaliers, les rameaux piquetés de bourgeons timides s'entrelacent sur les bancs paresseux des nuages. L'atmosphère humide de la forêt renforce la fraîcheur de l'air. Léonore resserre l'attache de sa pelisse. Sa respiration sort en buée vaporeuse et se dissout dans le bruissement feutré des sous-bois.

— Es-tu sûr du chemin ? hèle-t-elle.

Jacques lui lance une grimace de reproche par-dessus son épaule.

— Nous ne devrions plus être très loin. Je t'avais prévenue que ce serait long. Il faut que je retrouve la bonne piste parmi tous ces layons.

Léonore lève un regard inquiet vers l'azur assombri. Cela fait deux heures qu'ils ont retraversé la Loire pour s'enfoncer dans la forêt d'Amboise. Après le détour, il leur faudra encore rentrer, avant la nuit de préférence. Ils n'ont même pas de lanterne. Père va être positivement hors de lui. Elle peut tirer une croix sur toute prochaine visite au prieuré.

— Ah !

Sur cette exclamation, son frère donne un coup de talon dans les flancs de son cheval. L'animal accélère le pas dans une giclée de boue. Au bout de quelques toises, les troncs noueux s'écartent sur une étroite clairière.

Dans ce recoin reculé de la forêt d'Amboise, deux sentiers plus marqués, semés de vestiges de pavés enfouis, se croisent autour d'une pierre érodée de mousse. Léonore flatte l'encolure de sa monture et avance, subjuguée devant ce stigmate oublié par les siècles. Dans les bras granitiques tendus vers la compagnie des frênes, elle reconnaît une forme de croix chrétienne.

— Je me demande bien ce que tu espères trouver ici, commente Jacques dans son dos. Ce n'est qu'un vieux caillou rongé par les intempéries.

Elle se laisse glisser du cheval et s'approche avec révérence de ce témoin muet des aventures de sa mère. Que s'est-il passé réellement, il y a quinze années de cela ? Faut-il voir dans le récit un songe né de la fièvre ou une ancienne magie à l'œuvre ? Ses doigts courent sur les irrégularités creusées par la pluie et le gel, écartent une feuille de lierre, raclent la mousse. Quelque inscription figurait sans doute au centre de cette borne, illisible depuis longtemps.

— Léonore ?

Concentrée sur son observation minutieuse, elle ne prête qu'une oreille distraite à l'appel de son frère. Dans sa poitrine, des coups plus marqués qu'à l'ordinaire rythment le passage du temps. Elle a l'impression que les bois retiennent leur souffle, que les yeux du monde se penchent par-dessus son épaule pour inspecter les grains de la pierre. Un effluve de mystère lui agace les narines. Le sentiment de se tenir au seuil d'une porte close lui appuie sur l'estomac. Comment déverrouiller les secrets de ce réceptacle ?

— Léonore !

Cette fois, le timbre alarmé lui fait lever la tête.

— Que se passe-t-il ?

Jacques n'a pas démonté. Il s'agite sur sa selle comme si une démangeaison lui taquinait le creux des reins. Sa main hésite vers son épée, avant de revenir sur ses rênes d'une poigne ferme pour retenir le piaffement du cheval. Son visage s'est départi de sa sempiternelle touche d'espièglerie pour un masque bien plus sérieux, que Léonore associe plutôt à une austère figure paternelle. Une bouffée d'anxiété se coince dans sa gorge. Qu'est-ce qui le perturbe de la sorte ?

Son frère ne la regarde même pas. Ses yeux restent obstinément fixés sur un point en hauteur derrière elle. Une appréhension lui chatouille la nuque. Elle pivote, les mains plaquées sur la poitrine.

Alors, elle les voit.

Des corneilles.

Des dizaines, des centaines de corneilles en habit de suie, qui l'observent dans un silence de plumes. Elles s'alignent sur les arbres, à droite, à gauche, partout où vole le regard : des solides branches basses aux rameaux plus frêles des hauteurs. Toute la clairière se pare de ces guirlandes funèbres, disposées pour quelque bal d'outre-tombe. Les becs d'un noir assassin convergent vers un unique point focal, le centre de la percée, la croix moussue. Vers elle. Il ne manque plus qu'une première note pour ouvrir la danse.

— Par la malemort, je n'ai jamais vu autant d'oiseaux ! s'exclame Jacques d'un timbre désarçonné.

Léonore émet un assentiment inarticulé. Ou bien est-ce un appel à l'aide ? Toute salive a déserté sa bouche. Un froid s'immisce dans la moelle de ses os et la paralyse.

Une aile frémit. Une deuxième. Une vague de froufrous se propage. Un frisson d'avertissement hérisse sa peau. Elle recule d'un pas, d'un autre, heurte le flanc nerveux de son cheval.

— Monte en selle, ordonne son frère d'une voix tendue. Partons.

Léonore ne sait même plus pourquoi elle est venue. Ce qu'elle sait, en revanche, c'est qu'elle préférerait s'abriter à des lieues d'ici, dans sa chambre douillette du château de Bléré, les volets clos, un toit au-dessus de la tête – un toit épais, solide, à l'épreuve des indésirables. Elle obéit par automatisme, tâtonne sans oser détacher son regard de la myriade d'yeux aviaires. Ses doigts puisent un réconfort dans la crinière tiède de l'alezan. Sa main se crispe sur le pommeau.

— Vite !

Aiguillonnée par l'injonction, elle pivote, met le pied à l'étrier. Ses dents grincent une appréhension ; la panique lui vrille la nuque. Elle se hisse ; un graillement retentit.

Un seul.

Un tonnerre ailé s'empare de la clairière, le tonnerre d'une bordée d'arquebuses déchargeant leur bouffée de mort, le tonnerre de centaines de volatiles partant à l'assaut. Le sifflement d'une unique épée leur répond.

— Oncques ne faillis !

Jacques donne des talons. Une aile gigantesque referme son duvet sur lui – une aile grouillante, changeante, hérissée de becs et de griffes. Sa lame tranche au milieu, tourne, balaie. Il mouline d'un bras, l'autre placé en visière sur ses yeux. Des plumes volent, des corneilles éventrées tombent dans la boue, mais là où il en abat une, trois autres prennent sa place. Les oiseaux percent son cercle d'acier, plongent sur sa tignasse, se plantent dans son cuir, l'habillent d'une chape vivante.

— Jacques !

— Pars, Léonore ! Abrite-toi ! commande-t-il en réponse.

Léonore rentre la tête dans les épaules. Un tourbillon noir piquette sa vision dans un récital étourdissant de battements d'ailes. L'inquiétude l'emporte au secours de sa propre peur. Pas question de tourner bride. Elle doit rejoindre son frère ! Ils fuiront ensemble. Elle agite les rênes, serre les flancs du cheval, l'encourage d'une paume sur l'encolure. La pauvre bête souffle des naseaux, progresse à pas réticents, mais lents, affreusement lents.

Léonore bat des mains pour se frayer un passage au travers du rideau mouvant. Ses doigts plongent dans la multitude, heurtent plumes, becs ou serres, agrippent les corps grouillants avec un frisson de dégoût. Des ailes claquent à ses oreilles, des traits de feu labourent ses paumes, mais par quelque miracle béni les volatiles ne l'agressent pas directement. Elle courbe la tête sous la tempête, plisse les yeux. Elle y est presque !

Jacques se débat sur sa selle avec une virulence piquée de panique. Une plainte lui échappe, l'épée inutile lui glisse des doigts. Dos rond, il s'abrite le visage entre ses bras. Sans plus d'obstacles pour les tenir à distance, les corneilles fondent sur lui comme sur un nid d'asticots. Leur nuage se condense en une boule informe, duveteuse, habitée d'une vie propre.

— Jacques, prends ma main !

Léonore se dresse sur les étriers, mais sa monture renâcle d'un pas de côté. Ses flancs tremblants suintent une terreur animale. Le cheval de son frère s'écarte sous un aiguillon. Déséquilibré, Jacques bascule à terre dans un linceul de boue, suivi d'une queue de plumes affamées. L'étalon, libéré du carcan de son cavalier, s'emballe avec un hennissement et détale vers les sous-bois.

Léonore a l'impression qu'un de ces oiseaux du diable lui déchire les entrailles.

— Jacques ! hurle-t-elle d'une voix rauque.

Son frère ne se relève pas, recroquevillé, bras sur la nuque. Elle ignore s'il crie ou gémit sous la cacophonie des graillements.

— Jacques, ma main !

Elle se penche sur le flanc de son propre cheval. C'en est trop pour la pauvre bête. L'animal se cabre dans un sursaut de protestation, puis décide unilatéralement de suivre l'exemple de son confrère. Léonore se raccroche tant bien que mal au pommeau de la selle, à la crinière, à un lambeau de bon sens. Un voile de corneilles se lève derrière elle, comme un essaim d'abeilles vrombissant devant un voleur de miel.

— Non !

Elle s'acharne sur les brins de cuir, mais le cheval n'en fait qu'à sa tête. Il a pris le mors aux dents, ou privilégie sa survie aux consignes déraisonnables d'une cavalière inconnue. Son instinct lui dicte la fuite, alors il galope droit devant lui, la bouche écumante.

Léonore se cramponne comme elle peut pour ne pas verser les étriers. Les troncs défilent autour d'elle, mangés par un brouillard délavé. Des rameaux bas lui cinglent les jambes. Une clameur acérée enfle dans son dos. L'impuissance lui pique les yeux. Jacques ! Elle doit arrêter cette course folle, revenir le chercher !

Elle hésite devant le sifflement des branchages, les taches éparses des broussailles, le fouet du galop sur son visage. Elle va trop vite pour sauter, elle risque de se rompre le cou. Dans un buisson plus épais, peut-être ? Ses muscles se raidissent d'anticipation.

Dans une gifle d'espace, le voile de la forêt se déchire sur le drap paisible d'un vert d'eau grisé, une berge lointaine, un ciel moutonneux. La Loire ! Elle n'a pas le temps d'interpréter cette vision. Le sol se dérobe sous les pattes du cheval. Il bascule du talus tête la première avec un hennissement surpris.

Par pur réflexe, Léonore dégage ses pieds des étriers. Son cœur remonte dans sa gorge. Elle plonge dans un fouillis d'herbes folles. Un craquement résonne dans son épaule. Un poids agonisant lui fauche les jambes. Elle roule entre les joncs et les pierres sous une pluie terreuse, puis un écrin humide et glacé se referme sur sa tête.

Elle s'enfonce dans une pénombre limoneuse ; des remous l'entraînent. Un bouquet de bulles paniquées s'échappe de ses lèvres. Empêtrée dans les pans de sa pelisse, elle agite bras et jambes comme prise de danse de Saint-Guy, sans aucun effet perceptible. Elle ne sait même pas nager ! Des doigts gelés percent robe, chemise et bustier pour lui broyer la poitrine. Une douleur fuse dans son épaule à chacun de ses gestes. Elle s'affole de plus belle ; un liseré noir rétrécit sa vision.

Une ombre plonge sur elle, grossit. Un bras se referme sous ses aisselles, une impulsion la propulse vers un rond de lumière. Sa figure crève la surface. Elle ingurgite un mélange décapant d'eau et d'air, hoquette, se débat.

— Calme-toi, corbieu, où tu vas nous faire sombrer ! proteste une voix sous son oreille.

Mais la panique a pris les rênes de son corps, elle ne contrôle même plus ses soubresauts. Sa tête replonge sous les flots, elle aspire une profonde bouffée d'eau. Ses poumons hurlent, son épaule rugit en retour. Un morceau de sa conscience enregistre une traction sur ses vêtements, le raclement d'un sol spongieux sous ses jambes, la caresse de l'air sur ses joues, mais aucun filet salvateur ne pénètre par sa bouche grande ouverte.

Un visage hâlé planté d'une grimace se penche sur elle. Il se dilue dans un brouillard flou.

Un couteau brille sous son nez.

— Maudite ganache !

La brume avale lame, rictus et le reste du monde.

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