Chapitre 15
"Qui est le traître ?"
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Le brouhaha qui emplissait le réfectoire depuis le début du petit-déjeuner laissa place à un silence où l'on pourrait entendre une mouche voler dès lors qu'Andrew se leva de sa chaise pour s'adresser à l'ensemble de la salle.
Beaucoup d'élèves avaient perçu les tensions de la veille, notamment lors des cours du soir, mais aussi des jours précédents. Ils attendaient donc des réponses à leurs questions muettes de la part du directeur. Nous avions la chance d'avoir un directeur qui était à l'écoute de nos préoccupations et qui prenait la peine de répondre à chacune d'entre elles.
L'absence de Tegan à notre table n'était pas passée inaperçue. En effet, la majorité des élèves ici se connaissaient depuis des dizaines d'années, si ce n'était pas des centaines.
J'appréhendais l'annonce qu'allait faire Andrew. Ou plutôt, la réaction des élèves. Mais leur mentir serait pire que de leur révéler la véritable identité de Tegan. Je vis Andrew prendre une grande inspiration avant de commencer à parler. Lui aussi appréhendait la réaction des élèves.
Ce n'était pas une annonce facile à faire. Je me demandais même si elle n'était pas plus dure qu'annoncer la mort de Zara ou d'Hannah. Mais après brève réflexion, j'apportais une réponse négative à cette supposition. Rien n'était plus douloureux que de perdre un proche définitivement.
- Bonjour à tous. L'heure est grave. Nous avons débusqué un traître parmi nous qui renseignait régulièrement Nicolas sur nos méthodes d'apprentissage, de combats et l'évolution de la maîtrise des pouvoirs d'Alyssia. Grâce à cette manoeuvre, nous les avons fait perdre leur avantage. À présent, le temps nous est compté avant qu'ils ne décident de nous attaquer.
... D'après mes calculs, nous avons au moins cinq jours devant nous, le temps pour lui de rassembler tous ses mages alliés éparpillés aux quatre coins du globe. Je compte donc sur vous pour donner le meilleur de vous-mêmes durant les prochains jours qui seront déterminants pour la suite des événements.
... Tous les cours que vous aviez sont annulés et sont remplacés pour vous apprendre à vous battre. Les élèves dont les Dieux se correspondent dans les deux mythologies s'entraîneront à potentialiser leurs pouvoirs ensemble, dans la continuité des cours du soir, Alyssia nous apprendra comment communiquer avec nos Dieux respectifs et les élèves ne possédant pas de pouvoir s'entraîneront avec les armes que nous possédons et dont on vous a parlé en cours.
... Je vais me concerter avec plusieurs professeurs pour mettre en place une stratégie d'attaque et de défense qui seront les plus efficaces face à Nicolas. Je vous tiendrai au courant des avancées des choses. Merci d'avoir été attentifs.
Andrew commença à se rassoir lorsqu'une personne dans le réfectoire l'interpella :
- Qui est le traître ?
Je sentis le directeur se figer face à cette question. Je supposais qu'il n'avait pas dévoiler le nom du traître volontairement. Il était vrai que la pilule était difficile à avaler, même si nous avions eu la nuit pour tenter de l'accepter. Andrew se releva et il fixa les élèves un instant.
Je remarquai alors seulement qu'il avait l'air exténué. Avait-il dormi cette nuit ? Ou avait-il passé la nuit à se remuer les méninges pour trouver une solution face à tout ce bazar ?
Il avait les traits tirés et des cernes aussi foncés que la couleur de ses cheveux formaient des demi-cercles sous ses yeux. Il n'était d'ailleurs pas coiffé, on aurait dit qu'il sortait tout juste du lit et il ne portait pas de cravate et sa chemise n'était pas rentrée dans son pantalon, comme il en avait l'habitude de le faire.
Je descendis mon regard vers ses mains qui tremblaient légèrement, comme s'il avait consommé beaucoup plus de caféine que la norme saine à respecter. Cependant, sa fatigue n'avait pas l'air d'être seulement physique.
Il semblait aussi être épuisé mentalement. Peut-être était-ce en rapport avec la réponse à la question de l'élève. Il avait été trahi par quelqu'un qu'il avait vu grandir, qu'il avait protégé comme son fils et qu'il avait accueilli à bras ouverts dans son école. Andrew prit une grande inspiration, comme pour se donner du courage, fermant les yeux au passage, avant de déclarer :
- Le traître est Tegan Morrigan.
Un nouveau brouhaha s'éleva dans la salle et je pouvais entendre des phrases par ci par là. "Comment est-ce possible ?" "N'était-il pas le copain d'Hannah, la fille qui a été tuée par Nicolas ?" "Pourquoi a-t-il vendu son âme au Diable ?" "Ce n'est pas possible, il doit y avoir une erreur".
Tout le monde avait le regard fixé vers nous et vers cette chaise vide à notre table. Ils comprirent alors que tout ceci était réel, le directeur n'était pas en train de faire une mauvaise blague.
L'incompréhension, la colère, la vengeance, pleins d'émotions se mélangeaient dans la pièce et je les sentais toutes. C'était comme si tout le monde parlait à voix haute à l'intérieur de ma tête. Leurs pensées étaient bien trop bruyantes et un mal de crâne s'empara de ma tête.
*****
Nous étions divisés en plusieurs groupes dans le sous-sol de l'établissement, là où avaient lieu d'ordinaire les cours du soir. Nous avions d'abord été divisés en deux : ceux qui possédaient des pouvoirs et ceux qui n'en avaient pas.
La première étape était la communication avec les Dieux avant de mettre les élèves en binôme. Cependant, nous manquions cruellement d'informations à ce sujet. C'était une pratique qui s'était perdu très rapidement. Il n'y avait aucune trace écrite de comment il fallait faire, et je ne savais pas moi-même comment j'avais réussi la première fois.
Apollon était tout simplement venu à moi. On ne savait pas non plus si les personnes possédant des pouvoirs dérivés, comme Aymeric, pouvaient tout de même communiquer avec le Dieu le plus proche de leur dérivation. Il y avait beaucoup d'inconnues. Mais j'étais leur espoir, je devais au moins essayer de leur expliquer comment ça fonctionnait, malgré le fait que moi-même je n'y saisissais rien.
Tous les mages étaient debouts, face à moi, attendant mes instructions. J'étais devenue un professeur des cours du soir en pleine journée. J'appelai mes Dieux pour essayer de comprendre comment j'entamais la liaison avec eux. Ils vinrent rapidement, sans que je ne fasse autre chose que les appeler.
Je les sentais en moi et je tentai de les contenir, sans qu'aucun d'eux ne tente de prendre possession de mon corps. En analysant et faisant attention au moindre détail de cette occupation, chose que je n'avais jamais faite auparavant, je réalisai quelque chose : mes Dieux n'étaient pas en moi, contrairement à ce que je pensais.
Ce n'était que leur magie qui se propageait à travers mon corps, s'associant à la mienne, mais il n'y avait pas réellement trois personnes dans ma tête car tout était silencieux. Cependant, il devait être possible que les Dieux descendent dans mon corps étant donné qu'Apollon m'avait parlé dans mes pensées la première fois qu'il était venu à moi ou Tezcatlipoca qui avait prononcé une phrase à Koya avant de l'achever.
Une réalité me frappa alors soudainement. Si Tezcatlipoca ne se trouvait pas dans mon corps mais seulement sa magie, comment pouvait-il me posséder ? Je fus troublée par cette question que je venais de révéler.
Une magie pouvait-elle posséder son hôte ? Cela me paraissait insensé, alors que se passait-il quand j'avais l'impression que Tezcatlipoca me possédait ? Était-ce seulement moi qui rejetait mon manque de contrôle sur mon propre corps, ma propre magie sur mon Dieu, comme le faisaient les humains en blamant le Diable dès que quelque chose de mauvais leur arrivait ou qu'ils faisaient une mauvaise action ?
Peut-être que finalement j'étais la seule fautive. Je me laissais peut-être emporter par mes sentiments vers le côté sombre de mon âme, celle que je me refusais, celle que je craignais au fond de moi. Était-ce pour cette raison qu'elle pouvait me dominer de la sorte ?
J'avais peur de Tezcatlipoca et de ce qu'il pouvait faire, c'était un fait. Mais au final, ce que je faisais la majorité du temps n'était pas de son ressort. En le craignant, je le laissais avoir une emprise bien trop importante sur mon psychique qui se répercutait sur mon physique, et donc mes actions.
Lorsque je pris connaissance de ces faits, tout s'éclaira dans mon esprit : je devais me réconcilier avec mes pouvoirs et avec Tezcatlipoca, c'était la seule façon de contrôler ma magie et éviter d'être consummée par elle. Je devais l'accepter comme une partie de moi, tout comme je l'avais fait avec Apollon et sa magie.
Je ne pouvais pas être que blanche ou que noire, la vie n'était-elle pas un Ying et un Yang, du noir et du blanc, du bien et du mal ? Ma prise de conscience me donna confiance. Je savais qu'elle était la prochaine étape de mon évolution.
Je revins rapidement à la réalité en entendant des raclements de gorge pour me faire comprendre que mon silence commençait à être long. Pour l'instant, je devais tâcher d'aider les élèves et professeurs de cette école à ressentir la magie de leur Dieu afin de pouvoir l'utiliser, et donc décupler leur puissance. Je songerai à ma magie plus tard. Je remuai mes méninges rapidement pour leur donner une indication sur comment s'y prendre.
- Il faut que vous puissiez sentir la présence de votre Dieu près de vous. Il veille toujours sur vous donc il est toujours à vos côtés. N'oubliez pas qu'il vous a choisi. Une fois que c'est fait, appelez le et invitez le dans votre corps, ouvrez lui une porte vers votre âme. La première connexion est la plus compliquée, mais plus vous pratiquerez et plus il vous sera facile de le faire alors ne perdez pas votre motivation si vous n'y arrivez pas du premier coup.
Je voyais la majorité des élèves fermés les yeux pour essayer de se concentrer sur leur environnement. Après quelques minutes d'efforts, des yeux se rouvrirent mais je compris rapidement qu'ils n'avaient pas réussi.
Mon cerveau réfléchissait à comment je pouvais bien les aider mais je n'en avais franchement aucune idée. C'était quelque chose d'innée chez moi. Comment avais-je fait ?
- Je n'arrive pas à sentir une quelconque présence autour de moi, déclara un élève, suivi de tous les autres élèves.
Comment est-ce que je savais que Tezcatlipoca et Apollon étaient actuellement dans mon corps ? Comment ressentais-je leur présence ? Ce n'était pas tant leur présence que je ressentais, mais leur magie qui s'insinuait en moi pour coloniser chaque parcelle de mon corps.
- Vos Dieux ont les mêmes pouvoirs que vous. Il faut que vous trouvez la force magique autour de vous qui corresponde à la vôtre. Vous connaissez votre magie mieux que quiconque.
Je ne savais pas si ça allait les aider mais je les voyais tous se concentrer à nouveau, professeurs compris. Plusieurs secondes s'écoulèrent et mon niveau d'anxiété augmenta d'un cran. Je ne savais pas ce que je pourrais dire d'autres pour les aider après ça. Je devais être la pire professeur de tous les temps. On comptait sur moi, je devais être à la hauteur, et pourtant je n'avais pas l'impression de l'être à l'heure actuelle.
- Plutôt facile finalement, les pensées de Morphée sont bruyantes.
Je tournai mon regard vers Carter et je voyais ses yeux devenus d'un gris plus profond que celui qu'il avait d'habitude. Avait-il réellement réussi ? Je regardai autour de moi et des regards multicolores me regardaient. Je poussais un soupir de soulagement. Finalement, j'avais réussi. Un poids se déchargea de mes épaules.
Coraline avait son regard assombris tout comme celui de Kachi pour s'approcher d'un noir parfait dans lequel on ne pouvait distinguer la pupille de l'iris. Aymeric avait toujours ses yeux bleus mais quelque chose avait changé dans son regard, je le sentais. Alors même lui avait réussi à communiquer avec son Dieu à ascendance proche.
Les yeux d'Armande, autrefois verts, avaient viré à une couleur orangée, comme si ses yeux s'étaient enflammés. Au loin, je vis Andrew avec des iris jaunes et je crus apercevoir comme des éclairs blancs traverser son regard.
Je ne pus m'empêcher de sourire. Nous avions réussi notre première étape, celle que tout le monde attendait avec impatience mais qu'on ne pouvait pas réaliser à cause de la présence du traître. Si tout se passait aussi bien et aussi facilement qu'à cet instant, dans cinq jours, nous serions prêts.
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