• TRA- (apnée, fureur, damnée)
[NUIT]
Il y avait ces nuits sans but ni objectif. Il y avait ces nuits où les mortels erraient dans les rues. Il y avait ces nuits où les questions hantaient tous les esprits.
Pas de rythme. Pas de pression. Juste laisser le temps passer dans un magasin presque vide où dormaient trois ivrognes puant l'alcool et la drogue.
Amarante ne s'imposait pas quelque chose en cette soirée. Elle ne savait pas ce qu'elle y faisait, et ne le saura sans doute jamais. Un soupir s'échappa de ses lèvres. Il reflétait de la meilleure des manières son état de fatigue, sa résignation qui creusait toujours plus sa persévérance et qu'elle se sentait inutile. Ce simple souffle d'air valait tous les mots du monde, ce même souffle qui s'est échappé de toutes les gorges des travailleurs des misères. Ces gens dont on voulait ignorer l'existence.
La jeune femme voulait oublier ses tourments.
« Vous voulez combien ? demanda-t-elle d'une voix nonchalante. »
Le vendeur au regard fatigué, et aux cheveux s'envolant dans le courant d'air du ventilateur, la regardant d'une manière vide. Le ventilateur et une télévision grésillante étaient les seules choses qui s'entendaient.
Une véritable torpeur régnait.
Il était tard dans la ville, la Lune commençait à prendre ses droits sur le Soleil. Mais la disparition de celui-ci ne marquait pas réellement une différence : la chaleur restait toujours insoutenable. En effet depuis quelques jours la canicule s'emparait des rues nauséabondes. Rendant la vie impossible aux habitants.
« Vingt-six dlons, lui répondit-il de sa voix nonchalante. »
Cernes aux bouts des yeux, l'humidité la collant de toutes parts, et son esprit s'enfermant dans ses brumes, Amarante lui tendit de l'argent avant d'aller vers la porte de sortie.
Ce projet de loi allait être accepté, elle le savait. Personne ne voulait comprendre tout ce que cela impliquait.
C'était ce malheureux concours de circonstances qui la forçait maintenant, en plus de son achat de médicaments habituels, à demander du papier, des lettres et un stylo. Elle avait le besoin d'extérioriser. Les mots du journal rentraient dans ses cauchemars, ses peurs les plus profondes.
« Un nouveau projet de loi a été présenté au Sénat... »
En voyant ces mots, et ce qui leur suivit, une écrasante pression m'enserra la poitrine. Mes mains tremblèrent sans que je puisse y changer quelque chose. Je me stoppais dans mon mouvement et mon corps se figea. Le monde autour de moi était mouvant. La rue bordée par des marchands criant leurs produits à son habitude était grouillante de monde. Chaque passant proche me regardait un instant. Je me sentais dévisagée de partout, ravivant encore plus mon angoisse persistante.
Les mots du journal hantaient mes pensées. Du poison, comme celui des regards.
La pauvreté gagnait depuis toujours les classes les plus basses. Les superstitions face aux épidémies mortelles montaient depuis des décennies dans le cœur noir des gens.
Un relent de dégoût monta dans ma gorge. La bile me brûla de l'intérieur et je me pliai en deux les larmes aux yeux. Haletante et tremblante, je me laissai aller contre un mur.
Il voulait faire passer une loi pour gagner le cœur des électeurs, eux qui ne faisaient pas la différence entre trafic humain et prostitution. Le gouvernement en place perpétuait la haine à mon égard.
En cet instant, j'avais l'impression d'être un cerisier.
Un cerisier qui commençait à prendre feu face au sentiment vermillon.
[MATIN]
Ville d'inégalités et connu pour sa noirceur, la capitale divisait les gens. On la trouvait à la fois formidable avec son économie alimentant le pays avec ses riches marchands, mais aussi source des pires démons de la société. Leur nom masqué : drogue, prostitution, criminalité, marché noir.
Cet endroit ressemblait à Amarante, cette jeune fleur qui semblait se faner. L'espoir s'échappant de son cœur de végétation.
Dans ce genre de matinée où elle se promenait sur les quais elle s'entichait de la douceur du soleil pour pousser un peu plus.
Lorsqu'un regard mauvais tombait sur elle et ses yeux encadrés d'une couleur dorée pour rappeler ses origines au pays voisin, ses souvenirs l'emmenaient dans son enfance.
Douce insouciance et dureté masquée par les rires.
Sa mère avait été convoquée dans le bureau de la directrice de l'école, à peine une semaine après son inscription. Le couloir stérile faisait penser à son imagination d'enfant à celui d'un hôpital.
Même à cet âge elle savait pourquoi sa mère qui portait le danjk, ces traits dorés entourant l'œil, comme personne se faisait convoquer malgré qu'elle n'ait absolument rien fait.
Les mots de sa mère tournaient sans fin à la manière de son frère qui répétait la même chose dans son sommeil profond.
Ne fais rien, absolument rien de mauvais. Le fait que tu as été accepté est une vraie chance, tu en auras peu comme celle-là. Ce pays, malgré nos décennies d'anciennetés, n'est jamais tendre avec ceux qui ont quitté leur pays pour venir ici. Fais-toi une place pour ne pas finir écrasée et devoir demander pour vivre.
Elle savait ce qui se passait. Elle comprenait trop bien qu'il n'existait pas le moindre substitut de chance pour elle pour exister.
Les parents avaient dû se plaindre de sa simple présence.
Ce jour-là elle avait haï sa mère d'avoir pris cette voie et s'était juré de ne pas suivre cette infernale destinée qui consistait à devenir prostituée pour les filles et consommer de la drogue pour les garçons.
Revenue dans sa réalité, son présent, la jeune femme regarda l'eau miroiter sous le Soleil brûlant. Elle aurait aimé être à la place de cet élément.
Ne plus se soucier de rien.
Ne plus posséder d'angoisses.
Ne plus avoir à réellement vivre.
Les gens l'observaient du coin de l'œil. Malgré qu'elle ai tant pleuré à l'aube il y avait toujours ce trait doré autour des yeux. Le danjk symbole des femmes du pays de ses origines. Celles qui ici avaient la réputation d'être des prostituées. Dans la rue ces gens aux yeux soulignés se faisaient presque montrer du doigt.
Le fait qu'elle fasse partie de ce grand préjugé humiliant la rendait si triste. Comme si au final elle ne pourrait jamais mériter l'honneur du groupe où elle avait toujours appartenu. Elle en salissait l'image.
Amarante n'en pouvait plus.
Le moindre effort semblait impossible alors que les regards convergeaient vers elle.
Juste un pas.
Et un autre.
Elle contempla un instant la surface brillante.
Juste un pas et elle tomba dans l'eau.
Devenant l'élément alors qu'une sérénité vénéneuse et mortelle s'emparait d'elle.
Elle repensa un instant à une des lettres qu'elle avait écrit dans la langue de sa mère. Seul langage qu'elle arrivait à maitriser à l'écrit, à cause des relents de la haine.
Chère Ministre,
Je m'appelle Amarante et suis illégalement sur le territoire. Vous pourrez dire que vous n'avez rien à entendre d'une personne telle que moi, sauf que votre projet de loi pour plaire à vos riches électeurs et aux superstitieux a des effets directs sur moi. Car oui, je suis une prostituée.
Il y a déjà tant de préjugés et de violences à mon égard que travailler dans l'illégalité serait désastreux. Vous voulez presque punir des gens dans le b'soin. On parle bien d'un choix, un vrai choix. J'sais faire la différence entre prostitution et trafic humain.
Quoi que vous fassiez, ce m'tier continuera d'vivre. Un peu comme avec l'IVG devenu interdit. Vous ne pouvez pas empêcher les gens d'survivre. Comme les cerisiers importés de l'Ile doré qui ont dû se battre pour vivre ici malgré que nous les brulions par superstition. Alors offrez nous des conditions décentes au lieu d'interdire.
Je vois pas pourquoi les gens comme moi dérangent. Je rends qu'un service.
Vous c'est à la patrie, moi aux hommes.
Donnez-nous donc des conditions de vie potable, du travail potable comme vous définissez. Là vous voulez juste supprimer ce qui permet à d'milliers de gens d'vivre. Vous voulez plaire aux religieux fanatiques qui constitue la majorité d'pays.
Cordialement,
Une oubliée
L'eau commença à remplacer l'air, perdant sa vie doucement.
L'eau remplaça son intégrité, n'étant plus qu'un corps emporté dans les profondeurs.
L'eau devient sa raison, et l'air sa déchéance.
Lorsque les espoirs s'effritaient, on ne pouvait que plaider sa survie au plus puissant.
Qui voudrait écouter une prostituée ?
Amarante était cette fureur vermillon dans le désespoir qui voulait hurler sa colère pour ne pas se sentir dépassée par le drame et la tragédie.
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