[NUIT]
L'habillée de la robe rouge, la porteuse du dank, la jeune femme prostituée. Tous ces surnoms, ces identités imposées ou non, l'enfermaient. Elle avait envie de les balayer, même si sa raison prendrait peut-être son coup de grâce.
Elle se savait fragile. Toujours elle avait senti ses émotions la posséder bien plus que nécessaire. Pleurant, et hurlant sans un véritable contrôle. Se sentant très rapidement dépassé par les évènements. Ce n'était pas seulement être dépassée, mais bien se retrouver dans un ouragan d'une violence inouïe. Telle une vague dévastatrice dans le cœur des hommes.
Amarante croisait les ouvriers de l'aube. La plupart d'entre eux venaient de Cazquaise, un pays ravagé il y a plusieurs décennies par une guerre civile. On les surnommait automate par leurs multiples prothèses métalliques qui composaient les corps et les visages.
Au sein de la petite foule qu'ils composaient, Amarante se sentit moins scrutée qu'à la normale. Ils ne faisaient pas attention au physique, le leur étant déjà marquant.
Elle s'arrêta un instant dans ce mouvement de gens. Etrangement, la jeune femme ne se sentait pas écrasée. Mais plutôt comme une anonyme parmi les anonymes.
Elle oublia quelques instants ses problèmes, même si ceux-ci rodaient d'une manière vicieuse autour de sa conscience.
La loi.
La traitrise.
Tout lui paraissait plus léger, plus lointain.
Dans l'espace entre deux personnes elle vit les quais, et l'eau sublimée au soleil. Son chatoiement l'hypnotisa presque. Cette déclinaison de couleur et de lumière brilla dans ses yeux fatigués par la nuit sans sommeil.
Elle ne voulait plus réfléchir à son rapport à la sexualité, à la législation et à la société. Elle en avait marre de prouver qu'elle était en vie, qu'elle existait.
Alors une pensée se teintant autant de noirceur que de lassitude survint dans son esprit :
Je vais me promener un peu au bord de l'eau, et profiter de l'aube. Je veux profiter de ce calme d'illusion, me croire dans le silence alors que ce n'est que l'œil du cyclone.
Mais Amarante se retient, d'abord elle écrierait à son frère. Pour lui montrer à quel elle était désolée pour tout ce qu'elle avait pu faire ou dire, pour ce qu'elle avait fait comme erreur et comme choix à doubles tranchants.
Alors, elle sortit enleva le capuchon du stylo à l'encre noire, et s'empara d'une des dernières feuilles vierges qu'il lui restait.
Même si les mots ne seraient pas suffisants, elle devait bien cela à son frère. Cette personne pour qui elle aurait pu mourir, comme pour lui.
À cette pensée son cœur se serra, et un sanglot s'échappa de ses lèvres gercées par le temps et le sel des larmes. Elle aurait aimé être forte comme sa mère. Elle aurait aimé savoir comment résister face à l'adversité.
Amarante regarda peinée les deux lettres qui marquaient de noir les évènements de cette nuit si spéciale. Toutes froissées, l'encre du stylo-plume détrempant sur le verso, pliées en quatre pour prendre moins de place, ... Avec leur apparence, elles n'étaient pas ce contenu profond qui sortait des failles du cœur de la prostituée qui cherchait toujours son identité.
Là elle n'avait pas besoin de se rappeler du passé, car elle vivait dans sa nostalgie, sa mélancolie et dans l'ombre du présent.
Ses yeux continuaient de parcourir le journal électronique. Elle voulait hurler encore plus, toujours un peu plus.
Tellyn, l'homme qu'elle aimait, fut un de ceux qui avaient donné de l'argent à des candidats conservateurs. À présent, la majorité était largement assurée sur le projet de loi. Bien trop assurée. Dangereusement trop assurée.
Elle n'eut même pas la force de lire la suite de l'article, la bile remontait dans sa gorge en brulant son corps à vif. Ne devenant qu'une plaie béante.
Elle se souvient juste d'avoir fait tomber le journal qu'elle avait demandé à un passant.
Juste avant de partir en titubant sous cette simple révélation : notre monde pouvait basculer d'une phrase à l'autre, d'une seconde à l'autre, d'un minuscule événement à l'autre.
Elle n'avait pas peur des dieux, mais des hommes. Leur cruauté ne pouvait pas avoir d'équivalent. Ils étaient les créatures des tombes.
***
[MIDI]
Ses pas la menèrent dans les ruelles reculées de la ville aux mille renaissances. La chaleur grandissait toujours plus, la canicule avait pu être oubliée le temps de quelques heures, mais là on ne pouvait pas l'outrepasser.
Amarante n'avait pas cette envie de retourner au taudis. C'était une angoisse, y penser retournait sa conscience et des tremblements s'emparaient de son corps frêle. Quand elle n'en put plus de cette réclusion et de cette confrontation à tous ses démons elle redescendit vers les quais.
Non pas ceux où elle marchait ce matin même, mais ceux du quartier des affaires. Où il y avait lui.
Elle pouvait voir au loin l'enseigne rutilante que posséderait dans les années à venir celui qui avait été son amant. Pas un client, ce n'était pas un service qu'elle rendait, mais un plaisir partagé.
En cet instant la jeune femme ne saurait décrire les émotions qui la traversaient. Assurément dévastée. Probablement désespérée. Sûrement tant de choses qu'on ne saurait décrire.
Mais ce qui était certain, ce fut cette colère vermillon qui remplaça le sang de ses veines.
Déterminée, Amarante se glissa à l'intérieur du bâtiment quand une personne sortit de celui-ci.
Dans le temple du costume et du tailleur son trait doré et sa robe rouge détonait particulièrement. Ses pas résonnèrent dans l'accueil alors qu'elle se dirigeait vers un escalier de service sous les regards ahuris des réceptionnistes de la compagnie.
Qui était de taille à pouvoir l'arrêter ? Qui pouvait réellement arrêter le but présent d'une existence ?
Personne ne pouvait le faire.
Les suppliques, les demandes, rien ne pouvait entraver sa volonté de fer. Elle montait les escaliers à l'odeur d'aseptisée et à la fine couche de poussière.
Les locaux provisoires de l'entreprise ne possédaient pas les systèmes de technologie et de sûretés les plus avancées.
La peur n'existait pas dans sa réalité. La peur était pour ceux qui avaient contact avec le monde qui l'entoure. Qui en mesurait toute la complexité et toute la dangerosité.
Dans son monde vermillon tout n'avait qu'une seule continuité : lui parler.
Telle une créature sortie des croyances païennes de la région elle semblait comme une flamme. Une flamme perdue qui ne savait plus comment et pourquoi espérer.
Lorsqu'elle vit le nom du fils de marchand elle se sentit encore plus perdre contenance. Tout son corps tremblait et ses yeux étaient le reflet des conflits qui explosaient dans son esprit.
« Amarante ? »
Sa voix résonna dans le couloir autant que dans son âme. Le chaos de ses pensées ne lui fit pas pleinement comprendre la situation.
Il était derrière elle.
Tellyn, la créature de ses préoccupations, la prit par le bras en fermant la porte du bureau derrière eux.
«Qu'est-ce que tu fais là ? lui demanda-t-il la colère perlant de sa voix. »
Puis il se mit à la secouer. La violence du moment la privait de la moindre pensée cohérente.
Chaos.
Danger.
Douleur.
« Qu'est-ce que tu fais là ? dit-il en élevant un peu plus la voix. »
Elle ne sut pas quoi répondre. Elle avait agi sur un coup de tête, guidée par la haine et l'incompréhension dans la déraison.
Alors, Amarante hurla. D'un cri de larmes et de fureur. La détresse d'une fleur dans un ouragan. Une fleur dont l'immortalité se remettait en question.
En un souffle la jeune femme demanda dans une grande souffrance :
« Pourquoi tu as fait tout ça ? POURQUOI ? »
Il recula d'un pas, un dégoût non retenu sur ses traits durs.
« Tu n'es rien Amarante. Retiens le. Tu n'es qu'une gueuse des bas fonds. Tu es insignifiante, une personne servant juste à être écrasée. Qui voudrait de toi pour camarade ? Qui voudrait de toi pour amante ? Qui voudrait t'écouter ? Qui voudrait prouver que tu es quelque chose de plus qu'une poussière »
Ces mots crachés la mirent à terre. Toute sa combativité envolée.
Le pire, c'était cette douleur qui la consumait. Rien en pouvait l'apaiser. Pas même ses larmes, pas même sa raison.
Que restait il d'elle ?
Quelque chose pouvait encore substituer après être devenue cendre ?
Pour Amarante l'avenir ne pouvait exister.
Alors qu'il ne faisait que la regarder à la manière de la glace et de multiples éclats de verre ; elle fut attirée par un objet dans une vitrine.
Chromée, à la vue apaisante dans sa tempête, brillant sous la lumière, ce révolver devient le résultat à tous ces soucis.
Cela ne l'étonna même pas la présence de cet objet, elle était bien dans le temple du capitalisme et de la conservation de la constitution.
Son poing frappa le verre. Les éclats se nichèrent sur sa peau. Passant de hâlée à rouge celle-ci lui envoya un signal de douleur fort. Elle sentit sa tête lui tourner, mais cela n'avait peu d'importance. Se sentir mourir lui faisait du bien.
PAN
Lorsque les espoirs s'effritaient, on ne pouvait que tomber dans une sorte de folie sous la pression du désespoir.
Amarante était cette envie foudroyante de sang. Celle qui faisait passer le meilleur des hommes en un monstre.
Elle était ce sang qui s'écoulait de la plaie béante.
Elle était celle qui agissait avec ses émotions plus qu'avec le reste.
Mais le canon de l'arme était dirigé sur elle.
☾ ☽ ☾ ☽ ☾ FINALINITA☽ ☾ ☽ ☾ ☽
Les espoirs flétrissaient doucement pour la fleur.
Cache toi.
Fuis.
Cours.
Il ne faut pas que tu apprennes cette simple vérité.
Ce que tu es, tu ne le sauras plus jamais.
Pas un bruit.
Pas le moindre son.
Ne te fais pas remarquer.
Même s'il est peu probable que l'on puisse changer quelque chose à ce qui arrive à toi.
Toi femme à la robe rouge.
Toi au danjk.
Toi aux cheveux auburn.
Mais il est trop tard à présent.
Le train t'a emporté pour t'emmener dans ta tombe.
La douleur des choses te rattrape. Ton frère à ta charge court le long de la voie bordée par les cerisiers prolifiques. Ceux victimes des superstitions.
Tant de chose tu étais.
Fleur d'éternité.
Cerisier survivant.
Humaine sans identité.
Tu aurais pu faire un autre choix. Mais ta douleur et ta détresse en ont décidé autrement.
Dormir.
Oublier.
S'oublier.
Tu es le symbole des bas-fond, de ceux qui affrontent le désespoir.
Cette tempête contre soit même.
Cette douleur insoutenable.
Cette résignation meurtrière.
Ton frère court derrière le train, entre détresse et colère. La fosse commune ne veut même pas de ton corps. Comme si la mort te répudiait sans que tu n'es droit au repos après une existence de malheurs. Ce train mènera tes débris de mortelle vers les flammes, et tu ne seras que cendre.
Qui voudrait enterrer une prostituée ?
Sur le visage de celui avec qui tu as toujours eu de l'affection
Passe les larmes.
Hurle la détresse.
Se pose des pétales rosés.
Il repense sans fin à ces simples mots que tu avais dans une de tes mains. Un billet minuscule contenant juste
Pardonne-moi,
Pour tout ce que j'ai pu faire. Tu mérites une meilleure vie que celle que je peux t'offrir. Sois heureux et vis.
Amarante, nom d'une langue ancienne venant de qui ne peut se faner, à été forcé à voir ses pétales se noircirent de la pire des manières.
Tu as connu tout cette nuit là.
La recherche de toi-même.
La colère d'une nouvelle.
La tristesse d'une autre.
Surpasser ta condition de mortelle.
Comme de prostituée.
Pour te sentir plus vivante que jamais.
Tu as été la vie d'un humain, une personne qui se bat pour ce qu'elle croit juste, une personne qui donne sa confiance comme qui est obligée de la reprendre, une quête de soit même, mais en l'espace d'une nuit.
Finalement pour une telle jeunesse d'une fleur qui commençait tout juste à s'ouvrir à ce qu'il l'entourait c'est une véritable
TRA-
-GE-
-DIE.
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