Chapitre 6
- April -
J'en suis arrivée au point où je mens à mon fiancé. Je lui cache des choses, plus exactement. Je n'aurais jamais cru être capable de faire ça. Sauf que j'en ai assez de me plier à ses exigences, surtout qu'il ne fait rien pour me rassurer.
Une belle parole par-ci, par-là, ça ne me suffit plus.
J'ai besoin de souffler le temps d'une soirée. Loin de lui et de ma raison. Ce soir, je vais lâcher prise et oublier mes doutes.
Je ne vais pas subir le chemin que l'on impose, je vais tracer un nouveau segment.
De toute manière, il n'est pas là de la soirée. Du week-end entier, même. Des grosses réunions à plus de trois heures de route d'ici, m'a-t-il dit.
Une petite voix me suggère qu'il s'agit d'autre chose, mais je la fais taire dans la seconde. Je ne veux pas devenir comme ces femmes jalouses au point de voir de la tromperie partout.
Je lui fais confiance. J'essaye du moins.
En revanche, il ne sera jamais au courant de mon écart de ce soir. De la soirée que je m'accorde, je veux dire. Je ne parle pas d'un autre type d'écart, quel qu'il soit.
Je suis une femme fidèle.
Si je me le répète plusieurs fois, peut être que je serai complètement insensible à une certaine paire d'yeux qui m'hypnotise en un battement de cils ? Mouais. Pas sûr.
Je chasse à nouveau mes pensées parasites en secouant la tête.
Au même moment, mon téléphone vibre sur la table du salon. Je le prends rapidement et le déverrouille en posant mon empreinte.
Kelly :
[Salut, ma beauté ! On se prépare ensemble pour ce soir ? Tu peux venir chez moi si ton mec ne me veut pas dans les pattes.]
Je souris tristement. Il n'a pas fallu ne serait-ce qu'un dixième de seconde à Kelly pour comprendre que Warren ne l'appréciait pas. Pourtant, ce qui est bien avec cette femme, c'est qu'elle se fiche de l'avis des autres. Pour une fois, je rencontre quelqu'un qui se contrefout de l'étiquette ou de ce que mon fiancé classerait comme « anormal ».
Un brin de nouveauté. J'aime, étrangement.
Sa fougue, son détachement et sa spontanéité me font un bien fou. C'est libérateur.
Ça donnerait presque envie de faire comme elle... De dire à voix haute ce qui m'oppresse depuis mon enfance. Presque.
Je lui réponds rapidement.
April :
[Il ne rentre que dimanche. Grosses réunions. Viens dans dix minutes. Je prends une douche rapide. J'ai l'impression de sentir le phoque !]
Immédiatement, je reçois sa réponse.
Kelly :
[Crois-moi, à côté d'un groupe de bikers qui rentrent après des heures à chevaucher leur bolide, toi, tu sens forcément la rose !]
April :
[Je veux bien te croire ! Mais j'ai tout de même besoin de prendre cette douche !]
Kelly :
[File ! J'arrive dans neuf minutes ! Tic tac, tic tac !]
Je repose mon téléphone sur la table à manger et trottine vers ma salle de bain. Je me déshabille et entre dans la douche. J'allume le jet d'eau chaude avant de soupirer de bien-être lorsque les perles d'eau roulent le long de mon corps.
Ça fait un bien fou.
Mes muscles se détendent sous la pression du jet et sa chaleur. Je laisse les tensions accumulées de la journée se défaire.
Déjà, mon père devient de plus en plus directif dans mon travail, prétextant que je suis sa fille et la future femme de son associé. Il cherche même à me dicter ma tenue de travail. Je crois qu'il n'a pas compris que je n'étais plus une enfant. Il veut que je sois parfaite, la fille de ses rêves... sans réaliser que je ne serai jamais moi-même de cette manière.
Ne parlons pas de ma mère, elle n'a jamais fait attention à moi. Elle ne se préoccupe que de ses hobbies et des activités que son club de femmes vénales apprécie. Je suis peut-être dure dans mes mots... Mais avec le temps, j'ai appris à ne pas m'en vouloir d'avoir ce genre de pensées. Surtout quand on sait qu'elle ne m'a jamais voulue. Être un enfant non désiré amène son lot de problèmes. Pour elle, j'ai simplement abîmé son magnifique corps et je lui ai imposé des obligations dont elle ne voulait pas. Elle a accepté de me garder parce que son couple battait de l'aile et que mon père me désirait plus que tout. Mouais, en attendant, il n'a jamais été présent... enfin à part quand il s'agissait de servir son image de bon père de famille.
S'ajoute à cela mon pressentiment à propos de Warren. Celui qui me hurle que je ne suis plus la seule et qui me brise petit à petit le cœur.
Et pour terminer... Cette sensation inqualifiable et incontrôlable quand je suis dans ce repaire de motards. Ce sentiment qui accélère mon rythme cardiaque quand mes yeux croisent les siens. Ces frissons qui me possèdent de la tête aux pieds quand il entre dans une pièce.
Ça me ronge entièrement. Je culpabilise tellement, encore plus parce que je n'arrive pas à contrôler ce que je ressens.
Mon corps parle et ma raison se tait.
Sa présence chamboule mes sens. À mes risques et périls.
Je pourrais simplement m'éloigner, ignorer Kelly et ses prochaines envies de sorties. Mais je ne le ferai pas. C'est plus fort que moi.
Je vais m'en mordre les doigts. C'est certain. Pourtant, je suis incapable d'y renoncer. Je veux voir et comprendre pourquoi mon corps réagit ainsi en sa présence.
Comme une expérience scientifique. Oui, voilà. C'est ça. Une simple expérience avant de retourner à ma vraie vie.
La sonnette de mon appartement retentit tout à coup. J'ouvre les yeux sous le jet d'eau, réalisant que les dix minutes sont sans aucun doute écoulées. Merde.
J'attrape la première serviette qui me tombe sous la main : pas très grande et mauve. Tant pis, elle fera l'affaire.
Je l'entoure d'un geste autour de mon corps et la coince sous mes bras tant bien que mal pour qu'elle tienne.
Je sors de ma salle de bain embuée et file à la hâte. Je ne regarde pas à travers le judas, sachant très bien qui se trouve de l'autre côté.
Les cheveux dégoulinant et essoufflée, j'ouvre en grand ma porte d'entrée en retenant ma serviette de l'autre main. Elle ne couvre pas vraiment mes jambes, mais cache le plus important de mon anatomie.
Pourtant, je me maudis en découvrant la personne sur le palier. Les personnes, en réalité.
Kelly, Spike, et cet homme au regard vert perçant.
Je me liquéfie sur place. Littéralement.
– Salut, April... souffle Kelly avant de poser ses yeux sur moi.
Ma bouche s'entrouvre sans qu'aucun mot n'en sorte. Je suis simplement dégoulinante d'eau, à poil avec seulement une mini serviette en guise de tenue.
Très classe, April, me félicité-je mentalement. Quelle idiote, oui !
Je sens ses yeux me brûler l'épiderme. Ceux de Spike se détournent rapidement, fusillés par ceux de Kelly. J'avale péniblement ma salive. Que font-ils tous là, bordel ? Il ne devait y avoir que ma voisine, dans le projet de départ. Cela m'étonnerait qu'ils soient tentés de se refaire une beauté pour ce soir avec nous...
– Oh, merde... murmuré-je, honteuse.
Je rabats la porte à moitié et tente de me cacher derrière. Il est le seul à ne pas détourner le regard. Mon corps est partagé entre ébullition et frissons. Un cocktail que je semble étrangement apprécier. Il me lorgne de haut en bas sans aucune gêne. Il reste même impassible, totalement indifférent à ma soudaine apparition dénudée.
Je suis à la limite d'en être vexée, avant de me gifler mentalement pour avoir eu cette pensée. Et puis quoi encore ?!
– Pas la peine de te cacher. Y'a rien à voir de toute manière, s'exclame la seule personne dont je ne connais même pas le prénom et qui brise le silence.
Sa mâchoire se contracte. Ses yeux accrochent les miens une nouvelle fois. Je ne baisse pas les yeux, sous le choc. Je ne m'attendais pas à me faire rabaisser de la sorte.
Mon cœur de guimauve en prend un coup. Ça t'apprendra à « expérimenter »...
– Spike, ramène-toi, ajoute-t-il en jetant un coup d'œil vers l'intéressé. On perd notre temps ici.
Ce dernier sourit lentement en regardant son ami. Il semble lire entre les mots une note subtile qui m'échappe. Spike ricane faiblement avant de descendre les escaliers. L'autre homme me lance une dernière œillade, sa froideur me glaçant le sang. Il fait un demi-tour et part à son tour.
Mon souffle peine à reprendre son rythme normal. Kelly reste elle aussi bouche bée. Elle fixe ses amis en train de s'éloigner avant de disparaître totalement. À ce moment-là, ses yeux se relèvent vers les miens. Immédiatement, elle pouffe d'un rire sonore. L'une de ses mains se pose sur son abdomen, accentuant son rire.
Je suis encore plus gênée.
– Putain, tu sais que je t'aime encore plus toi ? Je pourrais te payer pour que tu refasses une apparition comme celle-ci.
– Même pas en rêve. Je suis déjà morte de honte. Pas la peine de recommencer cette cata.
– T'as vu les yeux de Tox ? Ça vaut de l'or, putain ! dit-elle en se parlant à elle-même.
– De quoi ? la questionné-je. Tox ?
Son regard remonte vers le mien. Un éclat de malice et d'un je-ne-sais-quoi traverse ses prunelles.
– Non, rien... Oublie.
Plus facile à dire qu'à faire...
– Qu'est-ce qu'ils faisaient là, au juste ? Je pensais te trouver seule, et comme une idiote j'ai ouvert... comme ça, dis-je d'une voix faible.
Elle me passe devant et entre avant de me répondre, soudainement plus hésitante avec ses mots :
– Ils étaient de passage chez moi. Je pensais que tu l'avais compris quand j'ai parlé de leur odeur avant de passer... se défend-elle avant de pouffer de rire.
– Visiblement, je n'avais pas compris l'allusion.
– Je serai plus claire la prochaine fois. Car tu peux être certaine de le recroiser. Tox est très protecteur comme grand frère. C'est d'ailleurs étonnant que tu ne l'aies encore jamais croisé dans la cage d'escalier, j'ai l'impression qu'il est tout le temps chez moi, plaisante-t-elle.
– C'est ton frère ?
C'est la seule information que j'ai retenue. En plus de son prénom que je découvre enfin.
– Eh oui !
J'avale ma salive lentement. Je continue la conversation en mettant de côté ce détail surprenant. Je n'aurais jamais pensé qu'ils avaient un lien de parenté... Il faut croire que j'étais trop occupée à reluquer autre chose qu'à remarquer leur ressemblance.
– Mais tu es une grande fille, la taquiné-je. Et puis, que veux-tu qu'il t'arrive en étant chez toi ? Tu serais à trois mille kilomètres, pourquoi pas. Mais là...
– Méfie-toi. Je ne lui donne pas particulièrement de raisons d'être autant protecteur, mais parfois, le danger peut surgir de n'importe où.
– C'est l'expérience qui parle ? m'enquiers-je en fronçant les sourcils.
Ça pue le vécu cette histoire. Ça pique dangereusement ma curiosité.
– En quelque sorte.
Elle jette un regard circulaire autour d'elle avant de revenir vers moi.
– On commence ? Si on continue, on risque de ne jamais être prêtes ! Je ne sais pas toi, mais j'ai bien besoin de boire quelques shots de tequila ce soir.
Je ne vais pas refuser une si belle offre. Oh non...
Je ris avant de lui dire de me suivre en direction de ma chambre. Je la laisse poser ses affaires sur le lit. Elle semble avoir pris plusieurs tenues avec elle et une quantité hallucinante de maquillage. Mon tube de mascara est bien pâle à côté de sa trousse pleine à craquer.
– Je te laisse deux minutes, je vais me sécher correctement et enfiler une tenue plus adéquate !
– D'accord, mais ne touche pas à ta crinière de lionne ! J'ai vu un tuto coiffure qui t'ira parfaitement ! Fais-moi confiance.
– C'est-à-dire que je donne toujours un petit coup de lisseur... Ils ne sont pas très beaux si je les laisse naturels.
– Tut-tut ! Laisse-moi gérer, joli cœur. C'est du gâchis de lisser ces cheveux-là. Fais-moi confiance, répète-t-elle. Tu vas être sublime !
J'hésite. Je me pince les lèvres. Pourquoi pas, après tout... Ce soir n'est pas un soir comme les autres. Warren n'est pas là. Je peux tenter de nouvelles choses, il ne sera pas au courant... Tout sera revenu à la normale dès demain. Alors qu'est-ce que je risque ?
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