Chapitre 1
- April -
– Joyeux anniversaire, April ! À tes 30 ans !
Les verres s'entrechoquent, un toast de plus porté à mon attention en écho à l'ouverture de la bouteille de champagne par le serveur.
La trentaine. Un jour qui paraissait si loin et qui est pourtant déjà là.
Je pourrais être heureuse, entourée de mes amis et de mon fiancé pour ce jour unique. Sauf que ce n'est pas le cas.
Je tente de cacher ma mélancolie derrière de faux sourires, des ricanements et autres mises en scène dont je ne me pensais pas capable.
Warren, mon fiancé, ne remarque rien. Comme à son habitude, il prête énormément attention à ceux qu'il considère comme ses amis, me délaissant complètement à ses côtés. La potiche parfaite qu'il a toujours voulu que je sois, finalement.
Ne vous méprenez pas, je n'ai jamais été forcée de prendre cette place.
Warren et moi, nous nous sommes rencontrés à l'université. J'avais à peine la majorité, des rêves plein la tête, mais surtout une carrière déjà toute tracée. C'est dans la bibliothèque du campus que nous sommes tombés l'un sur l'autre, littéralement.
Absorbée par mes révisions, je marchais sans regarder autour de moi, le nez plongé dans mon bouquin. Avant même de nous apercevoir, nous nous sommes bousculés, étalant sur deux bons mètres nos feuilles et livres respectifs. Je me souviens encore m'être confondue en excuses, lui répétant que j'avais été sotte de ne pas regarder devant moi. Et les présentations étaient faites.
Depuis ce jour, notre vie a pris un autre tournant. Tout était tellement facile entre nous, inné. Nous venions du même monde, celui des bonnes familles, nous avions des projets similaires. Rapidement, nos proches se sont rencontrés, les premiers dîners ont suivi. Au bout de seulement deux années de relation, nous avons emménagé ensemble dans un magnifique appartement en plein centre-ville de la Nouvelle Orléans. Bien sûr, étant étudiants, nos parents payaient l'intégralité de nos dépenses, factures et loyer. Rien n'était trop cher pour leurs progénitures uniques respectives.
Sauf qu'à partir de là, j'ai toujours eu l'impression de leur être redevable...
Et pour cause.
Ils me payaient mes études, mon loyer, mes frais quotidiens, m'offraient un travail sans condition, enfin presque. Je savais dès le début que j'aurais une place privilégiée dans l'entreprise, sans jamais être associée. Bah ouais, faut comprendre, je n'aurais pas le temps de tout faire si c'était le cas. Les enfants, ça a besoin d'une mère... Ouais, je sais, moi aussi j'ai vu rouge au début, puis finalement j'ai laissé passer. Pourquoi est-ce que je me battrais pour un poste dont je ne veux pas, de toute manière ?
Grâce à eux, ma vie était entièrement planifiée sans même avoir à lever le petit doigt. Je n'avais pas besoin de m'inquiéter pour mon avenir, il était tout tracé.
Mes rêves de jeunesse étaient partis aux oubliettes, loin de la vie que je vivais.
Moi qui, enfant, ambitionnais de parcourir le monde, de devenir chanteuse ou danseuse professionnelle, comme toutes les petites filles me direz-vous...
Mon père me serinait toujours la même phrase : « Les rêves sont pour les enfants, April. Ils sont éphémères. Ils ne sont pas réels et ne le seront jamais. Sois sérieuse et regarde ce que la vraie vie t'offre, ce que je t'offre. »
C'est pour cela que je ne suis jamais allée à un cours de danse, de chant ou de toute autre passion qu'il aurait pu qualifier de futile.
À 23 ans, directement après l'obtention de mon diplôme, je suis entrée dans l'entreprise d'expertise comptable de mon père, aux côtés de mon fiancé, futur associé.
Aujourd'hui, nous fêtons mon anniversaire. Aussi ironique que cela puisse sembler, c'est à cet instant précis que je me rends compte à quel point je m'ennuie. J'ai 30 ans et c'est seulement maintenant que je réalise que je ne veux pas passer les prochaines années de la même manière. J'ai besoin de plus, de beaucoup plus.
Les amis autour de cette table, tous habillés pour l'occasion, ne connaissent rien de moi. De la vraie moi, loin de l'image que je m'impose au quotidien et que j'ai toujours appris à donner.
Pour être totalement franche, ce sont surtout les amis de Warren.
Je les regarde, les uns après les autres, boire leur coupe d'une seule traite en riant à l'unisson. À l'unisson, mais sans moi. Des éclats de rire résonnent contre les murs du restaurant chic où nous nous trouvons, attirant l'attention des autres clients.
– Warren ! lance l'une des femmes de notre table. Un discours !
Mon fiancé tique, n'aimant pas s'attarder sur ce genre de détails. À regret, il se pince les lèvres et se lève de sa chaise, plaquant un sourire de circonstance.
– Merci à tous d'être venus ce soir pour célébrer l'anniversaire de ma chère et tendre April. Je parle pour nous deux en vous disant cela, nous aimons toujours autant passer ces moments en votre compagnie.
Parle pour toi...
– April, continue-t-il en se tournant vers moi, je suis heureux de pouvoir être à tes côtés pour ces instants uniques. Heureusement, il y en aura encore bien d'autres ! plaisante-t-il en s'esclaffant avec ses amis.
Au lieu de rire avec eux, cette phrase me dépose un nouveau poids sur les épaules. Celui du devoir, des responsabilités, de la vie que j'ai toujours suivie et cru vouloir.
Suis-je prête à passer le restant de mes jours ainsi ? À rire à des blagues que je ne trouve pas drôles, à vivre sans aucune folie ?
Je ne suis plus sûre de rien.
Cela doit être à cause du champagne. Sinon, je ne remettrais pas mon existence en question pour un simple anniversaire, si ?
Je secoue la tête pour faire taire mes tergiversations et oublier ces sombres pensées qui me gâchent l'instant.
Je n'ai pas à m'inquiéter pour mon avenir, il s'annonce parfait. Il est déjà entièrement établi, rien ne pourra le changer...
– À ton anniversaire et aux suivants ! trinque Warren en soulevant sa flûte de champagne.
Nous l'imitons. Le champagne coule rapidement et en quelques gorgées, je finis ma coupe sous le regard silencieux, mais réprobateur de mon fiancé.
Je lève discrètement les yeux au ciel.
Je déteste quand il tente de me contrôler. J'ai encore le droit de boire comme je le souhaite, à ce que je sache. Malheureusement, lui et les apparences... C'est une longue histoire.
– Notre prochain repas sera peut-être pour un heureux évènement, dit un de nos collègues avec taquinerie, en direction de Warren.
À nouveau, il se tend. C'est un sujet délicat entre nous, justement. Mon regard ne le lâche pas une seconde. J'attends sa réponse avec une pointe de curiosité. Sujet sensible. En réalité, cela fait deux ans que nous essayons, sans résultat. Mes cycles sont chaque mois au rendez-vous, mais nous ne baissons pas les bras. Moi, en tout cas. Je me sens prête à fonder notre famille, à donner naissance à un mini-nous et à le voir bousculer notre quotidien trop bien rangé. Mon fiancé, lui, n'est pas totalement dans cette optique et reste moins impliqué.
J'ai déjà essayé de tâter le terrain et de lui parler de prendre un rendez-vous avec un spécialiste pour vérifier que tout fonctionne correctement, mais c'est un sujet qu'il n'aime pas aborder.
Je n'ai jamais cherché plus loin, comprenant qu'il puisse vouloir encore attendre et essayer avant de voir un médecin. J'y pense peut-être trop, qui sait, et cela me bloque inconsciemment.
– Rien n'est impossible, lui répond-il poliment en évitant mon regard.
Je croise les doigts. Lui comme moi savons ce qu'il en est réellement.
Ce bref moment est suivi d'un silence avant que des serveurs ne fassent leurs apparitions.
L'un des hommes tient un magnifique gâteau sur son plateau, de grandes étincelles crépitant sur les côtés. Ce dernier, accompagné par deux autres de ses collègues commence à chanter, entraînant avec lui le restaurant tout entier.
Je sens mes joues chauffer sous l'attention qui m'est portée. Lorsque les chanteurs terminent, ils me fixent tous. Je me penche vers l'avant, prenant une inspiration pour éteindre toutes les bougies.
Mais alors que ma bouche forme un « o » pour venir à bout des flammes, mon geste est coupé par une femme au fond de la salle qui lance un « N'oubliez pas le vœu ! ». Deux secondes s'écoulent avant que je ne prenne une nouvelle inspiration. Je ferme doucement les yeux, me penchant de plus en plus au-dessus du gâteau. Silencieuse, je m'exécute, sans oublier mon vœu :
J'aimerais tellement ajouter du piquant à ma vie, de l'adrénaline, la vivre réellement. J'aimerais tout simplement en reprendre le contrôle.
Je souffle l'intégralité des bougies en une fois, sous les applaudissements. Je me replace sur ma chaise, fixant un point sur la table, un léger sourire aux lèvres.
Si seulement les rêves pouvaient devenir réalité...
Ma voisine de table et aussi voisine de palier, Kelly, se tourne vers moi.
– Quel était ton souhait ?
Je la fixe, hésitant une brève seconde sur la réponse à lui donner. Optant pour la plus sage, je lui réponds :
– Je n'en ai pas fait.
Elle hoche doucement la tête, ne semblant cependant pas croire à mes mots.
Kelly est notre voisine depuis deux petits mois. Je ne la connais pas vraiment. Warren l'a invitée dans le but de garder de bonnes relations de voisinage, mais surtout parce qu'un de ses amis venait seul.
Les apparences, toujours les apparences.
Sa tentative est vaine, Kelly n'a pas prêté une seule seconde d'attention à son ami célibataire. Elle est restée silencieuse, réagissant autant que moi aux conversations alentour.
Je pense qu'on doit être du même âge. Tout comme moi, elle doit mesurer un bon mètre soixante-dix. Ses cheveux bruns et légèrement ondulés lui tombent jusqu'au milieu du dos, attirant l'œil sur ses jolies courbes et sa peau légèrement bronzée. Je parais bien pâle à côté, avec mon teint clair et mon carré long auburn. La beauté naturelle de Kelly me terrasse sans hésitation. Pourtant, elle ne prête pas attention aux regards qui se posent sur elle tout au long de cette soirée.
Pour ma part, je passe plus d'une heure chaque matin dans la salle de bain, me préparant comme l'aime Warren : les yeux légèrement mis en valeur et les cheveux bien lisses. Allez dire ça à mes cheveux ondulés et désordonnés.
Un vrai calvaire.
Je rêverais de me lever un matin, de les attacher négligemment dans un chignon fait en trois secondes et sortir sans penser un instant au regard des autres.
Sauf que Warren, maniaque compulsif du contrôle, déteste ça. Pour éviter les remarques dès le petit déjeuner, j'ai pris l'habitude d'une routine beauté qui ne me ressemble pas, mais qui tue dans l'œuf les potentielles prises de têtes.
Mes parents m'ont appris à me taire, à accepter qu'on puisse avoir des points divergents, et que cela ne nécessite pas forcément de réponse. À force de courber l'échine, je ne fais même plus attention à ces détails. Cela fait partie de ma vie, de mes habitudes.
Ce n'est pas si grave de se lisser les cheveux, surtout si cela décroche un sourire à mon fiancé au réveil.
Ses marques d'affection ne sont pas nombreuses. Je me nourris sans cesse de la moindre chose qu'il m'accorde, même si cela peut paraître pathétique.
Lorsque je me détourne de Kelly, mon regard accroche celui de Warren qui fronce des sourcils. Sa place étant juste à côté de la mienne, il ne fait pas de doute qu'il écoutait notre conversation.
Je lui souris doucement, posant discrètement ma main sur sa cuisse. D'un geste vif et habile, il la décale, me réprimandant silencieusement.
Apparence ? Oui, oui.
Je souffle doucement, m'affaissant dans mon siège.
– Eh ! Ça vous tente d'aller dans un bar, ensuite ? lance l'un des hommes invités par Warren. J'ai entendu dire qu'il y avait une grosse soirée à une vingtaine de minutes d'ici et que c'était chaque fois salle comble.
Je souris et décolle mon dos du siège, intéressée.
Voilà qui va pouvoir ajouter un peu de piquant dans mon quotidien... L'idée me plaît affreusement. Kelly me jette une œillade, un grand sourire étirant ses lèvres pulpeuses.
– Parfait pour pimenter la soirée... lâche-t-elle en se penchant vers mon oreille pour que je sois la seule à l'entendre, cette fois-ci.
Elle ne sait pas à quel point elle vise juste...
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro