Encore un matin (partie 5)
(TW mention d'hôpital dans la première pépite)
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– P'pa ?
Cornélius se tient dans l'encadrement de la porte. Ses grands yeux bleus, les mêmes que ceux de sa mère, me fixent avec perplexité.
– Pourquoi t'es assis par terre dans le noir ? Tu veux pas venir jouer avec moi et Wren ?
Et allez, c'est reparti, le nœud dans la gorge est de retour. Comment je lui explique que je peux pas affronter Wren ? Que j'ai peur de ce que je peux lire dans ses yeux, toujours d'une gravité déchirante ?
– Je… me sens pas très bien. Tu peux aller chercher maman ?
– T'es malade ?
– Ouais, c'est ça. Rien de grave, mon grand, t'inquiète pas.
Il se doute de quelque chose. Il est intelligent, c'est pas mon gamin pour rien. Sauf que du coup il l'est assez pour pas poser plus de questions, et bientôt une ombre plus grande s'étend pour atteindre la mienne.
– Masa ?
Elle n'allume pas la lumière. À la place, elle s'avance vers moi, s'assoit sur le carrelage et entoure mes épaules de son bras.
– Ça va pas fort, hm ?
Je secoue la tête. C'est plus fort que moi, bordel, dès que je ressens sa chaleur contre moi je peux plus rien retenir, et les larmes me sautent aux yeux.
– C'est à cause d'Hibari ?
Et putain, elle touche juste à chaque fois. Sauf que du coup c'est des sanglots qui montent de ma gorge cette fois, chier.
Bien sûr que c'est à cause de ce qui arrive à Hibari. Pas seulement à lui, à Stefan et Eugénie aussi. C'est pour ça que je veux pas venir voir Wren. Comment je réponds à ses questions ? Comment je lui explique que ses trois parents sont à l'hosto pour au moins toutes les vacances et que j'ai pas pu empêcher tout ça ?
Remarque. Si, j'aurais pu. Je l'ai juste pas fait.
J'ai pas questionné la fatigue de Stefan, ni les crises d'Hibari, ni les assiettes jamais finies d'Eugénie. Comme je me suis même pas réveillé lorsque Michiru m'a appelé il y a des années. J'ai eu peur de ce que je pourrais découvrir, j'imagine.
J'ai cru aider Hibari et Stefan à un moment, au casino, mais en fait je les ai juste un peu plus détruits. Ah c'est bien beau d'être un génie si on est même pas foutu de se servir de son talent correctement. Ça servait à quoi, d'arracher Hibari à sa famille de merde si c'est pour qu'il finisse dans un état pareil malgré tout ? À jouer au héros ? À me donner bonne conscience ? Dans tous les cas, c'est raté. Je fais rien d'utile
Au lieu de ça je fais des conneries et je pleure alors que Ruka me frotte le dos.
– Oh, mon cœur… La situation aurait été bien pire sans toi, tu sais ? Tu as fait de ton mieux.
C'est bien ça, le problème, Ruka.
Mon "mieux", c'est pas mon "meilleur".
Mon mieux, c'est jamais assez.
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Ok, bon. Je sais que j'ai pas inventé l'eau chaude. C'est un secret pour personne.
Mais j'ai assez de capacité de réflexion pour savoir quand je fais de la merde et comment ne pas en faire, du moins je le croyais.
Parce que là, tomber amoureux-se d'Ester, c'est vraiment pas l'idée la plus lumineuse que j'ai eue – et Dieu sait que je peux être con-ne.
À la base, c'était vraiment juste que je m'inquiétais. Je m'étais pété la gueule en sport et elle me mettait un pansement sur le genou, rien de particulièrement romantique là-dedans sinon une vague vibe de shojo, sauf que je me suis perdu-e dans mes pensées en la regardant et mon cerveau c'est pas un endroit que je visite souvent. Donc forcément c'est rempli de pensées débiles.
Dans ce cas précis, je me suis demandé comment une médecin pouvait avoir l'air aussi malade. Et comme tout ce qui me passe par la tête passe aussi par ma bouche, je lui ai posé la question. Elle n'a pas compris.
Première info notable sur Ester, elle parle très mal l'anglais.
J'ai essayé de reformuler, mais plus ça allait et plus elle avait l'air paniqué, c'est limite si elle m'a pas jeté hors de l'infirmerie.
Ce qui me conduit à la deuxième info sur Ester : j'ai rarement vu quelqu'un d'aussi farouche. Et par farouche j'entends que si je lui dis bonjour elle va faire un bond de trois mètres en arrière.
Sauf que j'ai pas eu envie d'arrêter de lui dire bonjour. C'est pas qu'elle a pas envie que je lui parle, c'est qu'elle veut que personne ne lui parle, elle est terrorisée par tout ce qui bouge. J'ai glané quelques infos sur elle de la part de Houshang, Emerens et Nako, mais ça s'arrête là.
Elle m'a approchée d'elle-même, une fois. Et ça me détruit de dire que c'était grâce à Inquisiteur.
J'étais dans la cour à travailler mon oral d'exposé lorsque je l'ai vue courir vers moi à une vitesse inhumaine et l'air complètement affolé, et j'ai même pas eu le temps de dire ouf qu'elle se réfugiait derrière moi et se collait à mon dos en tremblant. J'ai pas compris ma vie, jusqu'à ce que je vois notre cher surveillant en robe rouge s'approcher de moi avec un sourire qui rimait avec mauvais quart d'heure.
– Tiens, O'Sullivan, tu n'aurais pas vu Koppel à tout hasard ?
Ester tremblait tellement fort dans mon dos, j'ai eu peur qu'elle se trahisse. Mais bon, j'ai décidé de croire en mon mètre 96, et, j'ai pointé une direction au hasard.
– Euh, si, elle est partie par là.
Je ne sais toujours pas ce qu'Ester a bien pu faire pour avoir Santa Paella aux trousses, mais bon. Il a tendance à punir les élèves pour tout et n'importe quoi.
Tout ça pour dire que même après qu'Inquisiteur soit parti chercher un autre bouc émissaire, Ester était toujours collée à mon dos.
– … Hey, Ester ? Il est, hum. Il est parti.
Elle a sursauté et a lâché mon dos pour venir se mettre devant moi en se triturant les mains, le visage tout rouge. Elle a balbutié quelque chose, un merci en allemand je crois, puis elle a filé aussi vite qu'elle était venue.
Troisième info sur Ester, elle a de très beaux yeux et elle est super mignonne quand elle rougit.
Voilà voilà. Et plus ça va et plus je pense à elle. Je crois que je vais en être réduit-e à aller voir Emerens dans son espèce de cabinet de Docteur Love.
Est-ce qu'on serait pas complètement stupide nooouuuus ?
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– Abel… Hé, Abel.
Pas de réponse. Je prends ma voix de gosse de trois ans, plagiée sur celle de mes neveux.
– Abeeeeeeel. Aaaaaabeeeeeel.
Mon très estimé meilleur ami ne lève même pas la tête de son livre lorsqu'il daigne enfin me répondre.
– Qu'est-ce qu'il y a ?
Clair et concis, je m'attendais pas à moins venant de lui.
– T'es fâché ?
Un silence. Pas très long, mais assez pour que mon angoisse grimpe aux rideaux.
– Non.
Tu parles, je peux quasiment entendre les points de suspension que t'as laissé avant de répondre, c'est super convaincant.
– T'es bien sûr ?
– Oui.
Pas d'hésitation cette fois, mais ça m'inquiète quand même.
– Écoute, je suis désolé pour tes lunettes. Je m'attendais vraiment pas à ce que Marsha te saute dessus comme ça, mais je te promets que je t'en paierai de nouvelles.
Mes mots sont accueillis par un long, très long soupir. Abel se tourne enfin vers moi, en plissant les yeux – difficile de voir quoi que ce soit sans lunettes.
– Judicaël, je ne suis pas fâché. Je réfléchis, c'est tout.
Voilà qui me fait hausser les sourcils. Non pas que ce soit inhabituel pour Abel de réfléchir hein, au contraire, mais c'est rare qu'il le dise à voix haute.
– À quoi ?
Il hésite à nouveau. Lorsqu'il répond, c'est presque à contrecœur.
– À ce que ça implique. Que ton chien m'ait sauté dessus.
PTDR. BIEN SÛR QUE JE SAIS CE QUE ÇA IMPLIQUE. Marsha est un chien d'aide, il est entraîné pour sentir l'angoisse des êtres humains et Abel a une quantité de traumas absolument phénoménale. Sauf qu'il a jamais voulu l'admettre et que ça servait à rien de le forcer, surtout que je suis très mal placé pour lui faire la morale. Même là, je sais bien qu'il vaut mieux que je le laisse réfléchir par lui-même plutôt que de précipiter les choses. Baby steps.
– D'acc. Si t'as besoin d'en discuter, je suis juste là, en train de penser à l'infinitésimalité de l'existence.
Revoilà son visage neutre qui exprime toute sa déception à mon égard. On en est au point où ça me fait mourir de rire intérieurement.
– Je ne crois pas que tu connaisses réellement le sens de ce mot.
– Roh là là, tout de suite…
Ma fausse vexation n'est même pas crédible puisque je souris.
– C'est vrai, tu sais. Je suis là pour toi.
Après tout ce que tu as fait pour moi, Abel, c'est la moindre des choses.
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Oh bordel de merde de sa race je crois bien que je vais exploser et pas parce qu'on est en août et que c'est la canicule.
Vous savez, quand je vais en date avec quelqu'un, je m'habille comme un clodo. Un clodo qui dormirait dans un hot topic, mais un clodo quand même. Je suis pas fan des trucs trop fancy. Quand tu grandis avec des parents pétés de thunes, ça perd un peu de son intérêt.
Donc moi, dans mon pantalon cargo et mon t-shirt trop large, je m'attendais pas à voir Salimeh débarquer dans la plus belle robe que j'ai jamais vue. Blanche, avec des motifs de tournesol dessus.
J'aurais dû me douter que Virginie allait me la faire à l'envers, sa mère le dahut là. "T'inquiète, je vais aider Salimeh à choisir sa tenue, tu verras elle sera parfaite pour votre date" qu'elle disait, évidemment qu'elle allait me faire le coup de la rendre encore plus belle qu'elle ne l'est d'habitude. Putain, j'ai l'air débile maintenant en plus d'être absolument underdressed parce que je rougis sale.
– … J ? Ça va ?
Deux secondes, Salimeh, le temps que je ramasse ma mâchoire.
– Ouais ! Ouais ouais ouais. T'inquiète. Tout baigne.
Super convaincant, Jashiel, bravo. En plus, Salimeh comprend au bout de quelques instants et se met à pouffer.
– C'est ma robe qui te fait cet effet ? C'est Virginie qui m'a aidée à choisir.
C'est bien ce que je pensais. Bordel de merde, Virginie, si tu veux ma mort tu pourrais me le dire clairement.
– On peut dire ça… Ça, enfin… Elle te va bien. T'es très belle.
Évidemment que j'ai rien trouvé de mieux à dire que "gueeeeh té trè belle", mais quelle poète je fais.
Je m'attendais pas à ce que Salimeh devienne toute aussi rouge que moi et tripote le tissu de sa robe.
– Merci. Tu… es très belle aussi.
J'espère qu'elle dit pas ça pour me faire me sentir mieux, je sais très bien que je ressemble à rien à côté d'elle. Mais bon, on est là, alors autant que je me secoue la nouille.
– Le, euh… Le traiteur est juste là. On pourra aller manger dans le parc si tu veux, enfin si t'as envie, vu qu'il fait bon et tout…
J'ai rien dit, achevez-moi. Au moins ça la fait sourire.
– Ça me va, je te suis.
Ok. Ok. J'inspire un grand coup. Courage.
– Je… Je peux te prendre la main ?
Elle hésite et j'ai peur d'avoir dit une connerie, mais finalement la voilà qui me tend sa main. La gauche, celle avec des traces de brûlure. Je peux vraiment la prendre ? Peut-être qu'elle lui fait encore mal… Devant mon silence, elle baisse les yeux vers sa main et me tend la droite à la place.
– Ah, désolée, tu ne veux peut-être pas toucher ma… enfin, c'est pas très agréable, je comprends, c'est un peu dégoûtant-
Je me saisis de sa main gauche, le plus doucement possible.
– Tu disais ?
Elle rougit un peu. Puis elle rit, un petit rire un peu rauque mais tellement sincère, et ses yeux brillent.
– Rien, excuse-moi.
Je commence à marcher, et je regarde nos mains. Puis son visage. Elle est belle.
Putain, qu'est-ce que je l'aime.
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Ma vision s'est réduite à un tunnel blanc, avec des taches de couleurs sur les côtés. J'y suis presque. Le bruit de la foule est étouffé, mais il se rapproche. La ligne d'arrivée n'est pas loin. Le froid me brûle la gorge et je suis au coude à coude avec quelqu'un d'autre.
Je ne peux pas le laisser me dépasser. Je suis presque à la fin. J'y suis presque.
J'accélère.
Je vois la ligne d'arrivée passer sous mes skis, et d'un seul coup mes tympans se débouchent et mes oreilles explosent, le bruit, le mégaphone, Kiseki Ayase obtient de nouveau la première place, les applaudissements, quelques flashs. Je glisse un peu plus loin, le souffle court, me débarrasse de mes skis.
J'ai encore la vision toute trouble. Je cherche les mèches bleues de Tahel dans les gradins. Elle n'est pas là. J'ai mal à la gorge. Où est-ce qu'elle est ?
– Kiseki !
C'est sa voix, sa voix. Elle est descendue des gradins, elle court vers moi, je sais pas comment elle a échappé à la réprimande.
– Tahe-
Elle se jette à mon cou et elle m'embrasse. Mon dos heurte la neige mais je n'ai même pas mal. Je n'ai pas froid non plus. J'ai même très chaud.
Tahel se décolle, elle a perdu son bonnet dans la chute, il y a des flocons plein ses cheveux et le bout de son nez est tout rouge. Elle sourit et le sourire atteint ses yeux.
– T'as été super. Ça méritait une belle récompense.
L'adrénaline retombe et j'éclate de rire, des larmes me réchauffent le visage.
– Tahel ! Y a des caméras-
Elle m'embrasse à nouveau, plus rapidement, puis elle me sourit.
– Je m'en fous, qu'ils filment.
– Mais, Ernesto-
Nouveau bisou. J'ai plus froid du tout.
– Qu'il râle ! Je suis sûre qu'il est déjà rentré au chaud en plus, il ne parle que de ça depuis le début de la course.
Elle devient de plus en plus entreprenante, ma Tahel. J'aime beaucoup ça.
– Si je trouve un autre argument, tu vas me refaire un bisou ?
Elle me sourit, et pose son index tout froid sur le bout de mon nez.
– Je peux t'en faire sans ça !
– Qu'est-ce que t'attends alors ?
Tahel rit. Elle rit, et son sourire brille plus fort que tous les trophées de la terre.
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– Le monde est injuste, froid, sans pitié et je suis une personne à l'agonie.
– Lan Yue…
– Je suis le ténébreux, le veuf, l'inconsolé, je vais mourir de mes multiples carences avant la fin de la journée.
– Lan Yue, s'il te plaît. Ce n'est pas si grave.
– Theoris, je ne peux pas te faire de bisous, bien sûr que c'est grave !!
Ma chère et tendre pousse un très long soupir depuis son lit, et rabat la couette sur ses épaules.
– C'est juste une grippe, mon amour, ça ira mieux après un peu de repos. Et là, tu pourras me faire tous les bisous que tu veux. Marché conclu ?
Je fais semblant de bouder en hochant la tête, mais en vrai j'aime pas la voir comme ça, toute faible et tremblante dans le lit. Elle est épuisée, la preuve, elle dort déjà.
Le moins que je puisse faire pour être un-e bon-ne partenaire, c'est m'occuper de la maison en attendant. Je fais en sorte que Lénine surveille la chambre, j'appelle Hope's Peak pour les prévenir que Theoris ne sera pas là aujourd'hui, je lui fais un repas léger, j'avertis mes quatres autres partenaires que je fais lae garde-malade et donc que je ne serai pas dispo. Je jette un œil à la pile de copies que Theoris doit corriger aussi, mais là c'est hors de mes compétences. Je ne connais pas les trois quarts des réponses, c'est à se demander comment j'ai réussi à obtenir mon diplôme.
Le temps de faire un peu de ménage pour exterminer les germes et je suis de retour à son chevet, plateau-repas sue les bras. Elle est réveillée et si son regard est encore fiévreux, elle sourit en me voyant. Je pose le plateau, prend sa température. Ça a un peu baissé, béni soit le paracétamol.
– Comment tu te sens, ma chérie ?
– J'ai connu mieux, me répond-elle dans un souffle. Je… peux avoir de l'eau ?
Comme ses désirs sont des ordres, je l'aide à se redresser et porte un verre à ses lèvres. Bon sang, elle tremble comme une feuille. Elle se rallonge, et je la borde. Ça la fait sourire.
– Merci… Tu es vraiment parfait-e, tu sais ?
– C'est toi qui est parfaite..
Et comme je tiens à avoir le dernier mot, je dépose un petit bisou sur ses lèvres. Elle cligne des yeux, puis fronce les sourcils en rougissant.
– Lan Yue, qu'est-ce que je t'ai dit ?
– Désolé, désolé. Juste cette fois, promis.
Elle roule des yeux, mais je sais bien qu'elle n'est pas vraiment fâchée. C'est Theoris, après tout. Je serre doucement sa main dans la mienne.
– Rendors-toi, d'accord ? Je reste vers toi.
Même si elle ne dit rien, je la vois se détendre. Et cinq minutes plus tard la voilà qui dort comme un bébé. J'ai jamais autant eu envie de prendre soin de quelqu'un qu'en cet instant.
C'est fou, même malade elle arrive à être magnifique.
.....
….
…
Devinez qui a chopé la grippe ?
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